Biennale de la Langue Française

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Claire Anne Magnès

Communauté française Wallonie-Bruxelles


Ils ont choisi d’écrire en français


Que les femmes – et les féministes – me pardonnent si mon titre est uniquement au masculin. Sous cette forme, il met l’accent sur les verbes. « Ils », c’est évidemment « ils et elles ». Et le sujet dont je souhaite vous entretenir est le choix du français comme langue d’écriture par des auteur(e)s qui ne sont pas nés en terre francophone.

Mon exposé se limitera à quelques aspects de cette question que j’inscrirai dans le cadre de la Belgique. Plus précisément, je parlerai d’auteurs qui, nés en Flandre, ont écrit en français : la génération de Maeterlinck, Verhaeren, Rodenbach ; Suzanne Lilar et son rapport à la langue ; enfin, deux écrivains d’aujourd’hui.

Je ne traiterai pas des écrivains de l’immigration comme Philippe Blasband, Evrahim Baran, Malika Madi, Leïla Houari, Yves Caldor, Joseph Ndwaniye, Dominique Aguessy. Je vous engage plutôt à lire, à ce propos, un ouvrage qui répond tout à fait au thème de la XXIIIe biennale, l’essai de ma compatriote Anne-Rosine Delbart : Les exilés du langage, Un siècle d’écrivains français venus d’ailleurs (1919-2000). C’est par sa présentation succincte que je clôturerai cet exposé.

Pour comprendre la situation, des données géographiques, historiques et politiques sont indispensables. Je les réduirai au maximum. Si vous désirez des informations complémentaires, je m’efforcerai de répondre à vos questions.



1. La Belgique


a) Situation géographique, structure politique

Petit pays d’Europe occidentale (30 500 km², moins du tiers de la Bulgarie), très peuplée (10 millions 457 000 habitants, selon le Petit Larousse illustré 2009), membre de l’Union européenne (dans la C.E.E. dès 1958), la Belgique est un État indépendant depuis 1830. Royaume doté d’une monarchie constitutionnelle, elle constitue aujourd’hui un État fédéral dont la structure est assez compliquée du fait que  le pays possède trois langues officielles : le néerlandais, le français, l’allemand. Structure : un gouvernement fédéral ; trois Communautés : Communauté française, Communauté flamande, Communauté germanophone ; trois Régions : la Région wallonne, la Région flamande, la Région de Bruxelles-Capitale ; dix provinces.

Une frontière naturelle : la mer du Nord au nord-ouest. Les voisins : les Pays-Bas au nord et au nord-est, l’Allemagne à l’est, le grand-duché de Luxembourg au sud-est, la France au sud et à l’ouest et jusqu’à la mer du Nord.


b) Histoire ancienne et langue française

Dans l’Antiquité, le territoire de la Belgique actuelle fait partie de la Gaule ; ses habitants sont des Celtes. Conquises par Jules César au Ier siècle avant notre ère, ces régions se romanisent, le latin s’y diffuse. À partir du IIIe siècle, des invasions germaniques se succèdent. La Gaule est conquise puis gouvernée par les Francs (c’est d’eux que la France tient son nom). 

Revenons à ce qui, plus tard, sera la Belgique. Que parle-t-on dans ces régions romanisées, occupées ensuite par des populations germaniques ? Deux « langues », car dès le haut Moyen Âge une frontière linguistique s’est établie. Au nord, c’est le domaine germanique ; au sud, le domaine roman. Les dialectes du nord deviendront le flamand. Ceux du sud appartiennent à la langue d’oïl, qui deviendra le français. La frontière linguistique « divise » la Belgique d’ouest en est, de la France à l’Allemagne, en passant au sud de Bruxelles. La Région flamande d’aujourd’hui se situe au nord, avec le néerlandais pour langue officielle. La Région wallonne au sud, avec pour langue officielle, le français.

Bruxelles, géographiquement située au nord de la frontière linguistique mais majoritairement francophone, est région bilingue.

Il faut mentionner encore – on le sait moins à l’étranger – que quelques territoires de l’est du pays sont germanophones.


c) Au XIXe siècle

En 1830, les provinces belges se soulèvent contre les Pays-Bas auxquels elles avaient été réunies en 1815. La Belgique est reconnue comme un État indépendant, unitaire et dont la langue officielle est le français. C’est la langue que parlent la classe dirigeante bruxelloise, les Flamands et les Wallons cultivés. Il faut attendre près d’un demi-siècle pour que la Flandre soit déclarée région bilingue. La situation évolue au long du XXe siècle pour aboutir à la délimitation du territoire unilingue néerlandais, à l’officialisation du néerlandais comme langue de l’administration, de la justice, de l’enseignement dans la partie flamande du pays, à la reconnaissance de la langue et de la culture néerlandaises. La question linguistique est un des gros problèmes de l’histoire de Belgique. Elle n’est pas réglée. Le problème se pose de façon plus aigüe dans certaines régions de la frontière linguistique et autour de Bruxelles.

Au XIXe siècle, la bourgeoisie flamande parle français, éduque ses enfants dans cette langue. Les collèges de Flandre, les grandes écoles, les universités de Gand et de Louvain donnent leurs cours en français. Le flamand, c’est la langue du peuple. Ce critère social pèsera lourdement dans la querelle linguistique. On le verra par le texte de Suzanne Lilar.



2. Écrivains nés en Flandre au XIXe siècle


Quand on parle de la littérature française de Belgique du XIXe et du début du XXe siècle, les noms qui viennent d’abord à l’esprit sont ceux de Maeterlinck et de Verhaeren, puis ceux de Rodenbach, de Van Lerberghe, d’Eekhoud, d’Elskamp. Enfants de familles bourgeoises flamandes, ils sont nés en Flandre, y ont fait leurs études en français, leur langue maternelle. C’est donc tout naturellement en français qu’ils ont écrit, ce qui ne les a pas amenés à nier leur région natale. Certains d’entre eux l’ont célébrée, chantée, exaltée même.

Leur date de naissance se situe grosso modo entre 1855 et 1865. Ils sont plusieurs à être nés à Gand ou à y avoir fait leurs études chez les jésuites, au collège Sainte-Barbe. Ils sont morts à Bruxelles ou en France.

- Maurice Maeterlinck : poète, dramaturge, essayiste. Grand nom du symbolisme. Prix Nobel de littérature en 1911. Théâtre : Pelléas et Mélisande, La Princesse Maleine, L’oiseau bleu. Poésie : Serres chaudes. Essais : Le trésor des humbles, La vie des abeilles…

- Émile Verhaeren : poète symboliste puis chantre du monde moderne : Les campagnes hallucinées, Les villes tentaculaires… Un titre éloquent : Toute la Flandre.

- Charles Van Lerberghe : poète symboliste La chanson d’Ève. Théâtre : Les flaireurs, Pan.

- Grégoire Le Roy : figure mineure des symbolistes gantois.

- Georges Rodenbach :  symboliste. Poète mais surtout nouvelliste et romancier : Bruges-la-Morte, Le carillonneur.

À ces Gantois, ajoutons deux Anversois : le poète Max Elskamp, qui chante sa ville natale dans La chanson de la rue Saint-Paul et le nouvelliste et romancier réaliste Georges Eekhoud, auteur de La nouvelle Carthage.

Il ne faut pas croire cependant que tous les écrivains français de Belgique de cette époque sont des Flamands francophones. Parmi ceux qui sont nés à Bruxelles ou en Wallonie, citons le poète Albert Mockel, les romanciers Hubert Krains et Camille Lemonnier.

D’autre part, la Flandre du XIXe-XXe a également compté des écrivains de langue néerlandaise dont le romancier réaliste Cyriel Buysse, le grand poète Karel Van de Woestijne.

Pour éviter toute confusion, je tiens à rappeler que La Légende et les aventure héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au pays de Flandres et ailleurs, de Charles de Coster (1827-1879), appartient à la littérature française de Belgique dont elle constitue la première grande œuvre littéraire. Écrite dans un français volontairement archaïsant, usant à l’occasion de mots et d’exclamations flamandes, elle a paru en 1867.



3. Suzanne Lilar, Une enfance gantoise


Je trouvais particulièrement intéressant de m’arrêter à Suzanne Lilar. Elle nait en 1901 à Gand, dans la petite bourgeoisie francophone, y passe son enfance, sa jeunesse, y fait ses études (en français). Première (et seule, alors) femme inscrite à la faculté de Droit de l’Université de Gand, elle sera, une fois avocate, la première femme inscrite au barreau d’Anvers. Installée dans cette ville, elle y collabore à deux journaux francophones avec des chroniques judiciaires, des comptes rendus d’audiences. En 1976, après la mort de son mari Albert Lilar (qui était ministre d’État), elle part s’établir à Bruxelles où elle meurt en 1992. Plusieurs prix couronnent ses œuvres. Elle est élue à l’Académie royale de langue et de littérature françaises en 1956, reçoit le titre de baronne en 1976. Une de ses deux filles sera écrivain à son tour : la romancière Françoise Mallet-Joris, qui occupe aujourd’hui le siège de sa mère à l’Académie.

Trois pièces de théâtre, des essais, un récit, un roman, La confession anonyme, dont Paul Delvaux tire, en 1983, le film Benvenuta.

À ces œuvres, s’ajoute celle dont je souhaite parler ici, Une enfance gantoise (1976)1, autobiographie, récit d’une enfance et surtout peut-être, analyse de soi, réflexion sur ce qui l’a faite, elle, Suzanne Lilar : découverte de la beauté, du sacré, de la fête, de l’amour, de la mort.

Le deuxième chapitre analyse et approfondit le rapport à la langue. En voici quelques passages :

« On a compris déjà que mes parents parlaient français. Cet usage n’était pas exceptionnel dans la petite bourgeoisie gantoise qui était bilingue mais, pour les convenances, se réglait volontiers sur la grande. Or celle-ci ne se contentait pas de parler français, elle affectait d’ignorer le néerlandais dont elle n’avait retenu que quelques locutions et commandements destinés à ses domestiques. Car la masse n’avait pas cessé de s’exprimer en ‘flamand’. Mis à part une poignée de professeurs (qui ressentaient l’injure faite au peuple et avaient entrepris de la redresser), elle était même la seule à le faire sans fausse honte.

Il y avait donc la classe ouvrière et paysanne qui patoisait allègrement, la classe dirigeante qui usait d’un français assez pur – et parfois même admirable. Entre les deux, la petite bourgeoisie qui s’y efforçait mais parlait aussi le néerlandais, mâtinant cette langue de gantois. Car telle était en ce début de siècle l’aberration linguistique que parler le néerlandais correctement exposait aux sarcasmes et à l’accusation de « flamingantisme ».

Ainsi le langage révélait-il le milieu auquel on appartenait, ainsi venait-il renforcer le compartimentage des castes. » (pp. 39-40)

« Ainsi tout le monde autour de moi parlait-il français, sauf la vieille servante Marie, qui avait résisté à toutes les tentatives de francisation, y compris les miennes. » (p. 46)


Marie lui apprend des chansons populaires flamandes, lui parle dans un dialecte gantois savoureux, souvent d’une grande verdeur. « C’est ainsi que j’eus une seconde langue maternelle car comment nommer autrement celle dans laquelle on apprend à chanter » (p.49). La petite fille se pique d’écrire des poèmes. Vers ses onze ou douze ans, elle découvre un volume de Racine et tombe sous l’enchantement.

 « N’eût été Racine, peut-être me serais-je enfermée dans mon romantisme flamand. Peut-être me serais-je rebellée contre le français, m’appliquant à le violenter, à lui infliger des sévices, à forcer son « génie ». Peut-être aurais-je choisi d’écrire en néerlandais, ce qui, sans être une disgrâce, m’eût menée moins loin sur le plan de l’écriture. Car mon œuvre y eût perdu cette vibration si caractéristique des écrivains qui vivent à fleur de deux langues et à l’affrontement de deux cultures. Mais il est vain de spéculer sur ce qui aurait pu être. Reste que le français fut ma première langue maternelle, celle dont j’ai reçu l’adoubement et que j’ai pu croire mienne – même si je n’ai pas à son égard les réflexes de propriétaires des Français, même si je n’ai cessé d’y être exposée à la fascination de la différence. »  (pp. 64-65)



4. Aujourd’hui : Jan Baetens, Paul Pourveur


Nés l’un et l’autre dans les années 50 et dans une ville flamande, Jan Baetens et Paul Pourveur écrivent tous deux en français. Mais leurs œuvres ne se ressemblent pas et, moins encore, les raisons pour lesquelles ils écrivent dans cette langue.


a) Jan Baetens

Né à Sint-Niklaas, en Flandre, en 1957. Flamand, et de langue flamande par sa famille, ses études, son métier : professeur à la KUL, l’Université catholique de Louvain (Leuven), où il enseigne aujourd’hui les affaires culturelles, un master (une maîtrise) « destiné à améliorer les étudiants sur un plan culturel ». Avec sa femme et son fils, il parle néerlandais.

Adolescent, il découvre la littérature française, d’abord par des traductions, ensuite il désire la lire dans le texte (passionné par le nouveau roman). Il fait des études de philologie romane. Cofondateur, en 1985, d’une maison d’édition de littérature contemporaine (poésie, romans, essais), il est aussi codirecteur d’une revue et rédacteur en chef adjoint de FPC / Formes poétiques contemporaines. Sémiologue. Parmi les autres domaines qui l’intéressent figure le cinéma. Deux de ses œuvres en témoignent : Vivre sa vie, La novellisation. Il a publié pour la première fois (des poèmes) en 1996.

Jan Baetens est avant tout un poète. S’il a fait le choix du français, c’est parce que c’est une langue de culture (sa langue maternelle est le flamand, non le néerlandais) et aussi à cause d’une « sorte de mélancolie » puisque, de toute façon, le modèle culturel français, la poésie et sa pratique ne sont plus possibles « que dans les marges ». Enfin, et surtout, parce que la contrainte est un élément essentiel de son écriture. Une contrainte qui est triple :

1° écrire dans une langue étrangère : le français ; 2° sur un sujet extérieur à soi : un objet, un métier ; 3° dans une forme imposée : heptasyllabe, sonnet…

À propos de la langue, Baetens déclare « La syntaxe des deux langue est tellement différente que je dois penser en français pour écrire ensuite. » 

Parmi ses livres de poèmes, citons : Cent fois sur le métier : cent poèmes, sur cent professions différentes. Il porte sur elles un regard décalé. Sa démarche, écrit un critique, fait explicitement référence à Boileau, à Ponge et à Queneau ; Vivre sa vie, novellisation en vers du film de Jean-Luc Godard ; Slam ! Poèmes sur le basket-ball ; Cent ans et plus de bandes dessinées (en vers et en poèmes). En 2008, Baetens publie un essai, La novellisation (transcription en roman, d’un film, d’un scénario).


Le prix triennal de poésie de la Communauté française est attribué à Jan Baetens en 2008, pour Cent fois sur le métier. Le prix lui est remis le 29 février 2008. Voici le début du discours de remerciement de Baetens. Il nous en dit beaucoup sur le choix de sa langue d’écriture.

« Aujourd’hui, les poètes flamands d’expression française sont plus rares encore que les 29 février, et je ne pense pas être le seul à le regretter. Non pas par nostalgie, en songeant à tous ces auteurs flamands qui ont enrichi le patrimoine des lettres belges, mais à cause du présent et surtout de l’avenir. Je crois en effet qu’une littérature gagne à s’ouvrir à celles et à ceux qui la choisissent librement – par conviction, par désir, par amour.

C’est exactement mon cas. Tout le monde sait que je n’écris pas en français par atavisme, par tradition familiale, par souci de distinction, mais par une nécessité intérieure. Le choix du français est un choix voulu, pleinement assumé, que j’ai toujours défendu contre l’incompréhension et les moqueries de certains proches (du reste, presque personne en Flandre ne sait que j’écris). C’est le défi que pose le choix d’une langue étrangère qui m’a permis de trouver ma voix et ce sont les exemples de la littérature française et belge qui m’aident à me faire étranger à moi-même – condition sine qua non, selon moi, de toute parole véritablement littéraire. Écrire n’est pas une manière de s’exprimer, mais une façon de ‘partager le sensible’, pour citer Jacques Rancière, c’est-à-dire une façon de proposer aux lecteurs de nouvelles façons de voir le monde – et le mot important est ici « monde », non le mot ‘moi’ ».


b) Paul Pourveur

Paul Pourveur nait à Anvers en 1952 de parents wallons francophones. Si on parle français à la maison, les enfants sont scolarisés en néerlandais. Ils sont donc bilingues dès l’enfance. Après ses secondaires, Paul Pourveur entre au RITS, école supérieure de cinéma (de langue néerlandaise), à Bruxelles. Aujourd’hui, et depuis huit ans, il y est responsable de la section écriture. Après ses études, il travaille pour le cinéma et la télévision. Ses premiers textes (en néerlandais) sont des scénarios, des textes pour des documentaires. Comme il n’y a pas de formation de scénariste en Belgique, il part à deux reprises passer trois mois aux États-Unis, à l’UCLA (Los Angeles) où il suit, deux fois par semaine, des cours du soir d’écriture de scénarios. Le voici devenu trilingue. Revenu en Belgique, il écrit des scénarios pour la télévision flamande (BRT) : essentiellement des documentaires, des films de 50 minutes, des feuilletons, des séries sur le Congo, puis sur des peintres.

En 1985, on lui demande d’écrire pour le théâtre. Il s’agit alors de « réinventer le théâtre », avec des gens qui sont en dehors : des musiciens par ex., Jan Fabre, etc. Ce mouvement a été beaucoup soutenu par la presse. Pourveur reçoit aussi des commandes de Hollande et apparait rapidement comme un des nouveaux dramaturges flamands qui comptent.

En 1989, Hélène Gailly lui demande d’écrire une pièce en français. Ce sera L’homme blanc (éd. 1989) qui sera jouée au Botanique en 1990. D’autres commandes suivront. Pourveur continue d’écrire dans l’une et dans l’autre langue. Il estime avoir beaucoup de chance : il a toujours travaillé sur commande, tant pour le cinéma que pour le théâtre, tant en néerlandais qu’en français. Il déclare aussi qu’il n’a pas vraiment choisi d’écrire en français puisqu’il a répondu à des commandes. Quelques titres : L’homme blanc, La minute anacoustique, Shakespeare is dead, get over it !, Marrakech, L’abécédaire des temps modernes (inédit). Pour l’instant, il travaille à une grand projet théâtral pour la Hollande : comment l’architecture influence et modifie la vie des gens.

Il vient d’obtenir le prix du Meilleur auteur de la saison 2008-2009 pour deux pièces en français, dix ans après été récompensé par ce prix en Communauté flamande.

Il est difficile de résumer ses pièces. C’est du théâtre de texte. Il n’y a guère d’intrigue mais des situations et des questions d’aujourd’hui – ce qui n’empêche pas des questions de toujours. Ainsi L’abécédaire des temps modernes que j’ai vu la saison dernière, touche à quantité de thèmes et de problèmes essentiels – l’amour, le sexe, le désir ou non d’enfants, la compréhension ou non de l’autre, l’affrontement entre science et religion, le besoin de se situer dans le monde – ainsi qu’à des situations et à des questions propres à aujourd’hui : le terrorisme, l’information et la désinformation, la toute-puissance de la technologie, la déshumanisation des relations, le réchauffement climatique, les spams, les embouteillages…

Pourveur ne se traduit pas lui-même mais revoit les traductions s’il s’agit du passage du néerlandais au français ou de l’inverse. Il se dit écrivain francophone et écrivain flamand.

En ce qui le concerne, il n’existe pas de lien entre la langue et le thème, pas d’état d’esprit particulier quand il écrit en néerlandais ou en français, pas de contraintes liées à l’une ou à l’autre langue sauf la question de la musicalité – ce qui est valable aussi pour l’anglais. Il ne se sent ni flamand, ni wallon et ne veut pas de ces connotations. Il se sent belge.

Parlant de sa langue d’écrivain, il déclare :

« … je n’écrirai jamais comme un vrai francophone ou comme un vrai flamand. Ce sera toujours entre les deux. Avec des influences des deux langues, je crois. Je n’ai jamais senti une appartenance à une langue précise. Moi, je suis comme un touriste à l’intérieur des langues… Respectueux et irrespectueux. […] d’un côté comme de l’autre. C’est un mélange des deux cultures. Ce qui me donne plus de liberté. Même si souvent ça frise les erreurs grammaticales ! Mais il faut jouer avec le langage. » 2

À l’inverse de Jan Baetens, Paul Pourveur n’a pas choisi d’écrire en français – il a répondu à des commandes – et ne s’est pas imposé d’écrire en langue étrangère – il est bilingue depuis toujours.


5. Anne-Rosine Delbart et les « exilés du langage »


En 2005, parait aux Presses universitaires de Limoges, un essai intitulé Les exilés du langage, Un siècle d’écrivains français venus d’ailleurs (1919-2000) 3, (« français » est en italique). Son auteur, Anne-Rosine Delbart, née en 1968, est professeur à l’Université libre de Bruxelles. L’ouvrage est la version remaniée de la thèse de doctorat qu’elle a soutenue à Limoges en 2002, sous la direction de Michel Beniamino. Le Prix de thèse Jean-Claude Cassaing lui a été décerné en décembre 2003. A.-R. Delbart a publié de nombreux articles de langue et de littérature et, en 1993, l’essai Charles Bertin. Une œuvre de haute solitude (ARLLF, Bruxelles, 1993).

Construction solide (le sommaire en tête de volume, la table des matières sont éclairants à cet égard), tour d’horizon impressionnant, information et documentation qui forcent le respect, point de vue original et volonté de synthèse, telles sont les qualités de ce livre qui, et c’est appréciable, est bien écrit, généreux en citations qui illustrent le texte et se lit aisément.

Anne-Rosine Delbart explique et justifie le titre de son ouvrage dans l’avant-propos et dans l’introduction. Elle choisit d’appeler littérature française, celle écrite en cette langue, écrivains français, celles et ceux qui écrivent en français, quelles que soient leur nationalité et leur langue maternelle. Abandonner sa langue maternelle, c’est rompre une deuxième fois le cordon ombilical, c’est s’exiler. 1919 : année du Traité de Versailles, de l’arrivée à Paris de Tristan Tzara et de la mort de Victor Segalen, écrivain « exotique » s’il en est.

Trois parties au livre : 1. Les écrivains et le français ; 2. Pourquoi écrire en français ? 3. Balises pour une étude interne. La conclusion, Éloge de la variation, est suivie d’une bibliographie, d’un index et d’une table des matières.

1. Les écrivains et le français. Considérations historiques : attrait et diffusion du français ; recul par rapport aux langues nationales ; le français importé dans les pays colonisés…

2. Pourquoi écrire en français : a) les « sédentaires » : enfants de couples mixtes, choix du français, langue de grande diffusion, si on vit là il est langue importée, affirmation de son identité dans pays où il y a plusieurs langues… b) les « nomades » : enfants de l’immigration (à cause de guerres, pour raisons des politiques ou économiques), mariage ou travail (par exemple des traductions) en France ou au Québec ; motivations culturelles littéraires, psychologiques…

3. Y a-t-il des « histoires », des thèmes plus fréquents ? le voyage ; le « moi », la mère, le langage. Des constructions ou des styles propres ? beaucoup de narrations à la première personne, des structures éclatées ; des « langues au pluriel » : musique des langues, plurilinguisme interne et externe…

La conclusion, Éloge de la variation, souligne l’ouverture qu’apporte le multiculturalisme.

J’aimais terminer avec la présentation d’un livre qui répond aussi bien au thème de cette biennale, un livre où Julia Kristeva est plus d’une fois citée et signaler, je ne le sais que depuis peu, qu’Anne-Rosine Delbart est venue ici il y a deux ans pour participer à une rencontre organisée par l’Association des professeurs de français en Bulgarie.


Ce texte applique les recommandations orthographiques de 1990.

Ce texte a également été publié dans Revue de la presse périodique, Organe de l’Association des journalistes périodiques belges et étrangers (B 1190 Bruxelles) , n° 59, décembre 2009, pp. 2-5.



1 Suzanne LILAR, Une enfance gantoise, Bruxelles, Éditions Labor, 1998.

2 Extrait de J’écris des textes nus qui doivent être habillés, entretien avec Michael Delaunoy, janvier 2005.


3 Anne-Rosine DELBART, Les exilés du langage, Un siècle d’écrivains français venus d’ailleurs (1919-2000), Presses universitaires de Limoges (Pulim), Collection Francophonies, Limoges, 2005, 262 pages.




 

Accréditation OING Francophonie

Sommaire des Actes de la XXIIIe Biennale

Sommaire

Remerciements

Allocutions et messages

M. le Président Gueorgui Parvanov

M. Alain Joyandet

L'Honorable James Moore

M. Roland Eluerd

Vœux de la 23e Biennale et Voeux en bulgare

Synthèse des travaux, rédigée par Roland Eluerd

Actes du colloque en Sorbonne, samedi 29 novembre 2008

M. Radu Ciobotea

M. Antony Todorov

Gueorgui Jetchev

René Meissel


Actes de la XXIIIe Biennale, Sofia, 29 octobre-1er novembre 2009

Vendredi 30 octobre

Présidents de séances : M. Vincent Henry, directeur délégué aux programmes, Agence universitaire de la Francophonie, Bureau Europe centrale et orientale. Mme Anna Krasteva, professeur de sciences politiques à la Nouvelle Université Bulgare. M. Alain Vuillemin, professeur à l'Université d'Artois. Mme Raya Zaïmova, Institut d'études balkaniques de l'Académie bulgare des sciences.

Mme Andromaqui Haloçi

Mme Cheryl Toman

Mme Mariana Perisanu

Mme Irina Babamova

M. Jean R. Guion

Mme Monique Cormier

M. Erich Weider

M. Stoyan Atanassov

Mme Roumiana L. Stancheva

Mme Rennie Yotova

Mme Mihaela Chapelan

M. Stéphane Gurov


Samedi 31 octobre.

Présidents de séance : M. Richard Lescure, maître de conférence des universités, attaché de coopération éducative au Centre culturel français de Sofia. Mme Line Sommant, docteur en linguistique, professeur associé à l'Université de Paris III, vice-présidente de la Biennale de la langue française. M. Abderrahmane Rida, directeur de l'Institut de la Francophonie pour l'administration et la gestion (IFAG), Sofia. M. Roland Eluerd, docteur d'État ès lettres, président de la Biennale de la langue française.


M. Stéphane Lopez

M. Gueorgui Jetchev

Mme Claire-Anne Magnès

M. Mohamed Taïfi

Mme Stephka Boeva

M. Simeon Anguelov

Mme Odile Canale

M. Jean-Alain Hernandez

M. Richard Lescure

M. Moustapha Tambadou

M. Amadou Lamine Sall

M. Andrey Manolov

M. Alain Vuillemin





A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93