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Hommage à Henri BERGERON

prononcé par M. le professeur Roland Eluerd président de la Biennale de la langue française


La Biennale de la langue française vit pour le partage de la langue française, mais elle est également faite du tissu de l'amitié. Et quand ce tissu se déchire, quand des amis biennalistes manquent au rendez-vous, nous sommes dans une grande peine.

Depuis la biennale de Ouagadougou, en 1999, plusieurs nous ont quittés.

Le professeur Jean-Charles Soumia, de l'Académie de médecine, Jean Burel, directeur adjoint de la Documentation française, Rabah Chibane, inspecteur de l'éducation et de la formation à Annaba, en Algérie.

Nous leur avons rendu hommage lors de nos assemblées générales mais je tenais à les nommer aujourd'hui - comme je nomme aussi d'autres amis disparus, le docteur Georges Durand, vice-président de l'Association nationale France-Canada, Marcel Paré, directeur de la Banque de terminologie de l'Université de Montréal, Jean-Marie Laurence, chef du service linguistique de Radio Canada et Alain Guillermou, notre fondateur -, parce que ces noms évoquent en notre mémoire tant de biennales, tant de rencontres et d'échanges heureux qu'on ne peut imaginer que l'absence, fût-elle définitive, pût nous contraindre à nous départir d'eux.


L'absence...

L'absence de Henri Bergeron, comment la concevoir quand les inflexions de sa voix sonnent encore à nos oreilles, quand son sourire est encore devant nos yeux?

Amis canadiens, amis du Québec et du Manitoba, la Biennale sait quels liens existaient entre vous et Henri Bergeron. Amis de Radio Canada et de la télévision canadienne, elle sait ce qu'il fut pour vous et pour votre métier.

Permettez-moi de vous dire simplement que la Biennale de la langue française a, elle aussi, perdu un ami.

Un ami fidèle puisque Henri Bergeron, présent dès la biennale de Québec, la deuxième, en 1965, accompagna nos rencontres jusqu'à la biennale de Bucarest, la quinzième, en 1995.

Un ami précieux puisque, par ses nombreuses interventions et les entretiens enregistrés après Namur comme à Lisbonne, à Moncton comme à Dakar, à Marrakech comme à Tours, il donna à nos biennales un écho sonore dont nous lui sommes infiniment redevables. Nous en sommes aussi redevables à Radio Canada et au fidèle réalisateur, Gilbert Picard, casque sur les oreilles, derrière son magnétophone. Ta présence parmi nous Gilbert témoigne de l'entreprise des Biennales, de ce qu'elles peuvent réunir autour d'elles d'amitié, de compétence et de culture.

Henri Bergeron fut aussi un ami attentionné. Tous les biennalistes un peu anciens se souviennent de l'amitié affectueuse qu'il portait à Alain Guillermou, et tous se souviennent d'avoir entendu notre fondateur exprimer son admiration pour le camping car que Henri avait baptisé campignolle, et tous les biennalistes bien nés ont adopté le mot!

C'est à la Biennale de Lisbonne, en 1983, que j'ai rencontré Henri Bergeron. Après mon intervention - elle portait sur l'enseignement de la grammaire, sujet que j'ai la faiblesse de trouver passionnant, nous avons tous des perversités plus ou moins avouables -, Henri est venu à moi et tu étais là Gilbert, prêt pour l'enregistrement.

La suite, tout de suite, fut plus familière. Entre nous, entre nos familles, nos enfants, nos proches, nos amis respectifs. La présence parmi nous de ton épouse - très chère Yvonne -, de tes enfants, Lorraine, Denys et Christine, Eric et Geneviève, la présence par le cœur d'Alain et Anne, de Sylvain et Thérèse en témoigne.


Te souviens-tu, Henri, de ce jour où tu me fis découvrir le métro de Montréal? Bien sûr, dès l'entrée trois employés te reconnurent, tu me présentas et la conversation prit l'allure d'une chanson sur Paris et Montréal où Bastille, Sherbrooke, La Motte-Picquet-Grenelle, Place des Arts, Richelieu-Drouot, Bonaventure et Filles-du-Calvaire mêlèrent leurs rails.

Te souviens-tu, Henri, de la banlieue d'Albany? Nous cherchions un restaurant. Nous avons souvent cherché, et trouvé, un restaurant. Mais là, rien à l'horizon. Et toi, expliquant à des Américains incrédules: Je suis avec des amis qui viennent de France pour faire un bon repas... Ils nous regardaient comme des extra-terrestres.

Te souviens-tu, Henri, des fables de La Fontaine récitées en conduisant:

Qu'un ami véritable est une douce chose!

Il cherche vos besoins au fond de votre cœur;

Il vous épargne la pudeur

De les lui découvrir vous-même;

Un songe, un rien, tout lui fait peur

Quand il s'agit de ce qu'il aime.

Te souviens-tu de l'or clair d'un parfait Chablis dans la nuit de New-York, des nuits musiciennes de Marrakech, de Versailles ensoleillé, de nos promenades sous la lune dans Bucarest endormi ?

Te souviens-tu, les Champs-Élysées, la place de la Concorde, le quai du Louvre sous la pluie, et la Rotonde à Montparnasse où le maître d'hôtel parlait si bien de Montréal ?

Et ce soir d'été où tu m'as donné à lire le manuscrit de ton roman L'Amazone?

Et les entêtés saumons de Matane qui ne voulaient pas sauter?

Le tour de l'île, « quarante-deux miles de route tranquille » ?


Henri, j'ai vu tant de passants inconnus venir vers toi, te saluer, te parler. Une image me reste, emblématique de ces rencontres. Près de Kamouraska, le soir. Deux dames avaient demandé à mon épouse: C'est bien Monsieur Bergeron? Vous croyez qu'on peut le saluer?

Je te revois, tu les écoutais, tu leur parlais avec tant de gentillesse sincère et votre groupe se dessinait sur la nappe bleuie du fleuve, sur les gris brumeux de l'autre rive où le soleil couchant commençait d'étendre ses roses encore pâles, ses jaunes déjà vifs.

Henri Bergeron était une manière de vivre, une plénitude d'être, d'écouter, de parler, d'échanger, de partager...


Pour tous ces souvenirs et parce qu'il avait, lui aussi, travaillé à la préparation de cette Biennale, il eût été normal, il eût été juste, il eût été bon qu'il fût avec nous ici, maintenant.


Mais il y a l'absence... L'insupportable absence...


La coutume est de se taire, d'observer quelques instants de silence.

Mais comment offrir le silence en hommage à l'auteur d'Un bavard se tait pour écrire! Non, au lieu d'un moment de silence, grâce à tes amis de Radio Canada, nous allons une fois encore entendre ta voix parler de la Biennale de la langue française, articuler si bien cette langue que tu as tant aimé et tant servi.