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Discours de clôture du président Roland Eluerd


Nous avons vécu une belle et grande biennale.

Grâce à la parfaite organisation et à l'accueil chaleureux de nos hôtes canadiens que nous ne pourrons jamais assez remercier, grâce à la richesse de nos débats, grâce à tous ces jeunes biennalistes qui ont été avec nous, qui nous ont tant apporté et dont les remarques ou les vœux seront des lignes directrices de nos futures biennales, grâce à ces jeunes poètes qui m'ont convaincu, s'il était nécessaire, qu'une place d'honneur devait être faite à la poésie.

Lors de l'exceptionnelle soirée où l'honorable Sheila Copps nous avait conviés dans la grande galerie du Musée canadien des civilisations, j'ai dit que la poésie n'était pas l'achèvement parfait de la langue, mais son origine même, ses racines les plus profondes et les plus chargées de sève future.

S'agissant de la place à lui réserver, il me revient en mémoire ce que René Char écrivait sur l'un de ses carnets de la période des combats de la Résistance, quand la mort guettait chaque jour les partisans : Dans nos ténèbres, il n'y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté.

Oui, nous avons vécu une grande biennale. Elle nous permet d'entrer avec détermination dans le nouveau siècle et, autant prendre de l'élan, dans le nouveau millénaire.

Mais, pour demain, la détermination ne suffit pas. Il faut des projets.

Le premier concerne les éclipses de la Biennale, je veux dire ces années paires, années sans biennale, où nous disparaissons presque. Nous ne disparaîtrons plus puisque la publication des Actes sera l'occasion d'une rencontre, un mini-colloque organisé à Paris. Rendez-vous donc en 2002 !

Le second projet prolongera les liens noués ici avec les Jeux de la Francophonie. Il y a dans cette manifestation un tel potentiel de jeunesse, donc d'avenir, que la Biennale peut y jouer un rôle au regard de ce qu'ils impliquent comme partage et pratique du français. Les jeunes poètes qui ont vécu cette XIXe biennale avec nous, les lauréats du concours conduit en partenariat avec Radio Canada ne me démentiront pas. Aussi, je proposerai à notre conseil d'administration, puis aux biennalistes que la XXIe biennale viennent côtoyer de près les Ve Jeux, à Niamey, en 2005.

Mais 2003 me direz-vous, la XXe biennale, celle du quarantième anniversaire ?

J'ai à l'instant parlé de détermination puis ajouté que la détermination ne suffisait pas, qu'il fallait des projets. Il faut aussi que cette détermination ne soit pas aveugle.

Après les biennales de Bucarest, de Neuchâtel, de Ouagadougou et de Hull-Ottawa, une conclusion me semble s'imposer.

Si l'avenir du français dépendait des francophones du monde entier, tout irait bien. Si l'avenir du français dépendait des francophiles du monde entier, tout serait bien. Mais l'avenir du français dépend d'abord des Français, et là tout se complique.

Beaucoup disent : " L'avenir du français appartient maintenant aux francophones non français parce qu'ils sont plus nombreux que les Français. " C'est une idée juste du point de vue de l'arithmétique, c'est une idée fausse du point de vue de la stratégie. Certes, la partie se joue et se gagnera dans le monde entier. Mais c'est en France qu'elle risque de se perdre.

Cinq pour cent des Français rêvent d'une France parlant anglais dans une Europe parlant anglais dans un World parlant devinez quelle langue. Ce sont souvent des gens en place, proches des pouvoirs et des médias. Leurs arguments sont courts mais ils brillent comme leurs dents, qui sont longues : l'anglais international est efficace et moderne, le français est ringard. Ils savent que ce monde leur réserverait les seules places dont ils se jugent dignes : les meilleures.

Cinq pour cent des Français pensent que leur langue est une ville assiégée. Ces Français sont parfois des bourgeois cultivés. Beaucoup sont des gens simplement soucieux de bien écrire et de parler convenablement. Leur attitude est respectable mais elle est trop défensive : les lignes Maginot ne servent jamais à rien.

Quatre-vingt-dix pour cent des Français ne voient pas le problème ou s'en moquent complètement, mais l'avenir du français est entre leurs mains.

Pour la XXe biennale de la langue française, c'est donc en France que nous devons nous retrouver.

Où ? Je vous propose une ville, un port où il semble tout naturel de revenir au retour des terres d'Amérique : La Rochelle, dont la Lanterne guida les bons héros de Rabelais avant de saluer tant de vaisseaux venus de ces rivages.

Je vous propose une XXe biennale éclatante, une biennale combative. Une biennale qui dise à mes compatriotes : voyez la jeunesse actuelle de la francophonie, c'est la première génération francophone de l'Histoire. Elle vous regarde. Et maintenant, les yeux dans les yeux, osez lui dire : Nous sommes las, nous préférons nous coucher.

Et si même notre part devait être l'échec, si l'enjeu nous échappait, si la force des abandons l'emportait, n'avoir rien tenté ajouterait à notre honte.

Mais notre part ne sera pas l'échec. Quelque chose commence de bouger, l'opinion n'est pas indifférente. Il ne faut pas qu'elle n'ait de choix qu'entre les sirènes du prétendu village prétendument global et le repliement sur soi.



Amis biennalistes, il va falloir déplacer quelques montagnes. Soyons modestes, deux ou trois, pas plus.

Amis francophones, nous aurons besoin de votre aide.



La XIXe biennale de la langue française s'achève.

Que vive déjà la XXe biennale !