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Sally REHORICK

Directrice du Centre de la didactique des langues secondes, professeur à la Faculté de l'éducation

Université du Nouveau-Brunswick, Fredericton (Nouveau-Brunswick)


La formation des enseignants et des enseignantes du français langue seconde, clé du succès des programmes pour les jeunes Canadiens et Canadiennes


L'enseignement du français langue seconde au Canada diffère de l'enseignement de toute autre matière scolaire puisqu'il est intrinsèquement lié aux réalités sociales, économiques et politiques d'un pays bilingue. La situation n'est pas non plus la même dans toutes les régions du pays. Nous parlons du français langue seconde, qui signifie qu'un apprenant est continuellement en contact avec la langue française et la culture franco-canadienne, qu'il lui est aussi facile et aussi réel d'entendre, de lire et de parler le français avec des gens d'expression française que de faire une promenade dans la rue. Par contre, dans la plupart des régions du Canada, il serait plus opportun d'utiliser le terme français comme langue étrangère parce que le français n'est pas la langue quotidienne des gens qui habitent la région. Le défi que les enseignants canadiens doivent relever n'est donc pas très différent de celui auquel font face les enseignants de langues étrangères partout dans le monde: comment promouvoir l'utilisation du français dans une communication authentique afin que les élèves apprennent à utiliser la langue et ne se contentent pas d'acquérir des connaissances au sujet de la langue.


Dans cet exposé, je présenterai d'abord une courte perspective historique de l'enseignement du français langue seconde (et c'est encore le terme que je préfère) au Canada et en particulier dans la province du Nouveau-Brunswick, la seule province canadienne officiellement bilingue. Ensuite, je résumerai la situation des écoles d'aujourd'hui pour ce qui est des programmes, des inscriptions et des résultats. Je terminerai mon exposé en décrivant certains défis de taille que l'avenir nous réserve.


Au Canada, l'enseignement d'une langue seconde a commencé de façon sérieuse au début des années1960 et l'enseignement du français langue seconde a connu une période d'activité et de croissance sans précédent. Lorsque le Canada est devenu officiellement bilingue en 1968, produire de jeunes Canadiens en mesure de communiquer dans les deux langues officielles est devenu un objectif important de l'éducation des jeunes Anglophones. Au Nouveau-Brunswick, où près d'un tiers de la population parle le français comme langue première, au cours de la décennie précédente on a adopté des lois qui donneraient aux francophones l'accès à des chances égales dans tous les services du gouvernement et qui se traduiraient par l'adoption du Programme de chances égales de 1968. L'ouverture de l'Université de Moncton en 1963 a été le début de changements visant à assurer aux francophones du Nouveau-Brunswick un enseignement de qualité en français. Un grand nombre d'anglophones du Nouveau-Brunswick se sont réjouis de cette évolution et ont perçu ces changements comme une occasion pour leurs propres enfants de devenir bilingues. L'enseignement du français dans les écoles anglaises s'est hissé en haut de la liste des priorités au même niveau que l'anglais, les mathématiques et les sciences, et il demeure une priorité de nos jours. Pendant les années1970, l'enseignement du français langue seconde a été considéré comme une priorité du gouvernement, et le ministère de l'Éducation a offert une gamme variée de programmes visant à offrir toutes les chances possibles aux enfants du Nouveau-Brunswick de devenir bilingues. C'est au cours de cette même période que les premiers programmes d'immersion en français ont été mis en œuvre à Moncton, Saint Jean et Fredericton. Un projet éducatif grandement réussi a commencé d'abord à Saint-Lambert, une banlieue de Montréal en 1968, et l'immersion française était perçue par les parents comme un moyen qui devrait être accessible à leurs enfants. À la fin des années70, la plupart des districts anglophones de la province du Nouveau-Brunswick offraient aussi un programme d'immersion.


Au milieu des années1980, le programme d'immersion avait donné un élan à l'enseignement de la langue seconde en général. Les inscriptions à l'immersion française ont non seulement augmenté, mais divers types de programmes ont fait leur apparition. L'immersion française précoce en première année, le choix le plus populaire, a été suivie par l'immersion française tardive en 7eannée, et l'immersion française intermédiaire en 4eannée. L'immersion française a aussi eu des effets positifs sur le programme de français de base. Il s'en est suivi une reformulation de ce programme et une nouvelle attitude ainsi que l'émergence de variantes comme le français de base enrichi ou prolongé. Ce sont des réalisations importantes pour le programme de français ordinaire, qui était resté pendant de nombreuses années dans l'ombre du programme d'immersion, qui jouissait d'une plus grande popularité.


Au cours des années1990, le Canada a connu une période d'activités sans précédent dans les milieux de langue seconde. Les élèves de l'immersion fréquentaient maintenant l'école secondaire dans la plupart des districts et il fallait se pencher sur différentes questions comme le temps consacré à la tâche et les cours pouvant être enseignés en français. La compétence pédagogique et linguistique des enseignants a été scrutée à la loupe. Alors que la langue avait été le principal critère dans le choix des enseignants de l'immersion par le passé, les employeurs étaient maintenant devenus conscients de l'importance d'avoir des enseignants qui non seulement parlaient le français, mais qui aussi comprenaient le défi que représentait l'enseignement des matières comme les sciences, les sciences humaines et les mathématiques en français et qui connaissaient la théorie et la recherche sur l'acquisition de la langue seconde. Pour enseigner le programme d'études à dimensions multiples du français de base et de l'immersion française, il fallait des enseignants qui connaissaient bien la langue et la pédagogie en situations de langue seconde. La pénurie d'enseignants du français langue seconde qualifiés s'est avérée un enjeu d'importance considérable. En effet, le phénomène de l'enseignement par des enseignants qui ne connaissent pas le contenu des matières qu'ils enseignent n'est pas une situation unique à l'enseignement de la langue seconde, et c'est un sujet très discuté dans le domaine de la politique éducative.


Aujourd'hui, au tournant du siècle, les programmes de français langue seconde et, en particulier l'immersion française, sont scrutés à la loupe. Le programme est toujours populaire. Au Canada, il y a des programmes d'immersion dans les dix provinces canadiennes et dans les trois territoires du nord. Le gouvernement fédéral canadien a contribué à cette croissance en offrant des subventions aux conseils scolaires qui voulaient implanter des programmes d'immersion française. En 1977-1978, 37000 élèves étaient inscrits en immersion française au Canada dans un peu plus de 200 écoles. Aujourd'hui, 317000 élèves sont inscrits au programme dans plus de 2000écoles. Le nombre a donc augmenté de dix fois sur une période de vingt ans. Pourtant, il importe de reconnaître que ce programme est suivi uniquement par à peine 6% de la population à l'échelon national. Les provinces du Nouveau-Brunswick et du Québec ayant des populations francophones et anglophones très nombreuses, le nombre d'élèves inscrits aux programmes d'immersion dans ces provinces est beaucoup plus élevé: 23% de la population au Nouveau-Brunswick et 37% au Québec. Il demeure néanmoins un programme facultatif qui atteint un pourcentage relativement minime de la population scolaire totale (Dicks, 2000).


Le modèle canadien de l'immersion a été exporté dans le monde entier et mis en œuvre avec succès dans des pays aussi variés que la Chine, la Finlande, les États-Unis, le Japon et l'Australie. Les parents, les gouvernements et les éducateurs ainsi que la communauté des affaires reconnaissent toujours la valeur de la connaissance de deux langues ou plus. Pourtant, une crise pourrait être imminente pour les programmes de français langue seconde au Canada. Même si l'objectif qui est d'offrir aux élèves la possibilité de devenir bilingues pendant qu'ils sont à l'école n'a pas disparu, les défis que représente l'offre d'enseignants entièrement qualifiés dans les trois secteurs de la connaissance du français, de la pédagogie et de la connaissance de la matière ont été presque insurmontables dans bien des cas. En outre, l'immersion est souvent qualifiée de programme élitiste qui attire les élèves les plus talentueux, élèves qui autrement fréquenteraient les salles de classe normales, ce qui mène à la ghettoïsation des classes qui ne font pas partie des classes d'immersion.


Les divers modèles de programme (immersion précoce, intermédiaire et tardive, français de base et français de base prolongé) ont déjà suscité de sérieuses questions chez les parents et les administrateurs. Quel programme est le plus efficace ? Un programme est-il meilleur que l'autre? Pour les éducateurs et les enseignants, il faut répondre aux questions concernant la formation des enseignants. Par exemple, de quelle façon l'enseignement de l'immersion française tardive diffère-t-il de l'enseignement de l'immersion précoce? Quelle est la différence entre enseigner une matière comme les sciences en immersion française et l'enseigner en anglais ? Comment les enseignants peuvent-ils répondre aux besoins des élèves en matière d'exactitude et de connaissance pratique ?


Les enseignants sont aux prises non seulement avec la prestation de bons programmes de français langue seconde. Ils font aussi face à des préoccupations qui concernent l'ensemble du système et qui devraient être examinées en fonction des besoins des diverses composantes de la communauté éducative. Les systèmes d'éducation en général semblent traverser une crise. Les gouvernements provinciaux et nationaux recherchent les bons éléments pour leurs élèves à la mesure de leurs ressources financières et en tenant compte dune pénurie prévue d'enseignants. La crise toutefois peut être un véhicule conduisant à une réforme éducative, qui est clairement un objectif des intervenants en éducation.


La réputation internationale dont le Canada a joui en tant que chef de file de l'enseignement du français langue seconde est exprimée par Stacy Churchill (Langues officielles au Canada: Transformer le paysage linguistique, 1998). M.Churchill a fait remarquer que le Canada est reconnu dans le monde entier comme une démocratie modèle et un pays bilingue où la coexistence du français et de l'anglais comme langues officielles constitue un symbole de l'identité du Canada en tant qu'État nation. Il a attribué les progrès réalisés à cet égard en partie à l'augmentation remarquable du nombre de jeunes Canadiens (15 à 19ans) qui parlent les deux langues officielles. Le pourcentage de jeunes d'expression anglaise qui peuvent parler le français a augmenté de 17,7% en 1981 à 24,2% en 1996. Au Nouveau-Brunswick, cette augmentation est encore plus remarquable: de 29,2% en 1981 à 49,3% en 1996. Ces gains sont attribués à l'appui accru accordé par les parents à l'apprentissage du français, à l'accroissement du nombre de jeunes qui apprennent le français, aux améliorations de l'enseignement et à l'immersion française. Néanmoins, il y a une préoccupation constante malgré ce bilan positif; l'enseignement du français langue seconde est à un point critique. Il est reconnu que ce n'est que par l'entremise du système d'enseignement public que la majorité anglophone du Canada a accès à l'apprentissage du français et ce n'est que par le renforcement du système de l'enseignement que cet accès peut être assuré. Les décideurs cherchent des solutions.


En résumé, la recherche concernant les questions soulevées dans le présent exposé est un besoin fondamental. Il semblerait axiomatique que les solutions à certaines questions soulevées reposent sur l'amélioration de la formation de l'enseignant du français langue seconde. Même si cela est vrai en partie, il faut examiner d'abord les hypothèses sous-jacentes de la notion de l'enseignant du français langue seconde bien qualifié. Si en fait l'enseignant du français langue seconde doit posséder une très bonne connaissance du français, de la pédagogie dans une salle de classe de langue seconde et, dans le cas des enseignants d'immersion, être experts en des matières comme les mathématiques, les sciences et les sciences humaines, nous devons connaître les seuils de compétence dans chaque secteur.


Si nous pouvons dire avec une quelconque certitude que pour enseigner le français (ou enseigner en français), un enseignant doit connaître le français, nous devons poser la question suivante: Quel est le niveau de compétence minimal exigé pour être un bon enseignant du français langue seconde? Même si certaines provinces comme le Nouveau Brunswick ont une politique précisant que tous les enseignants de l'immersion doivent avoir une connaissance supérieure du français, aucune recherche n'a été effectuée pour démontrer que l'enseignant doit posséder un niveau supérieur afin d'être efficace. Nous ne connaissons pas non plus précisément l'interaction, chez les enseignants, entre les trois composantes de la connaissance de la langue, de la connaissance de la pédagogie et de la connaissance du contenu. Un niveau élevé de connaissances pédagogiques ou du contenu peut-il compenser une connaissance du français plus faible ? Si c'est le cas, quel est le niveau de connaissance minimal de la langue en dessous duquel la connaissance pédagogique ou la connaissance du contenu n'est plus efficace ?


Les méthodes d'embauche dans bon nombre de régions du Canada (le Nouveau Brunswick est un microcosme de cette tendance) ont été axées premièrement sur la connaissance de la langue française par rapport aux deux autres critères. Le recrutement d'enseignants a été souvent focalisé sur la recherche d'enseignants dont la langue maternelle était le français, qu'ils aient ou non la connaissance des procédés d'acquisition de la langue seconde et des méthodes pédagogiques. Les méthodes d'embauche ont donné lieu à la croyance répandue selon laquelle à moins qu'un anglophone possède des compétences comparables à celles d'un francophone, il a peu de chances d'être embauché pour enseigner le français de base, encore moins l'immersion française.


Il faut effectuer des recherches sur ces questions afin de déterminer quelles qualités font d'un éducateur un bon enseignant du français langue seconde. Les composantes de cette recherche longitudinale comprendraient l'interrelation entre la connaissance de la langue, la connaissance pédagogique et la connaissance du contenu et les modèles pour la formation de l'enseignant, préemploi et en cours d'emploi.


Il y a un deuxième secteur où il faut pousser la recherche plus loin; il faut déterminer les effets à long terme de l'immersion française sur les gens qui ont suivi le programme. Les décideurs et les éducateurs se demandent dans quelle mesure le français appris par l'immersion est retenu et sil est utilisé ou non par les diplômés. Certaines enquêtes auprès de petites populations de diplômés de l'immersion à l'université afin de déterminer les modes d'utilisation du français ont été publiées. Toutefois ces études sont limitées parce qu'elles n'examinent pas les tendances sur le plan de la carrière et elles ne touchent pas les élèves qui ne vont pas à l'université. Une étude plus étendue, d'envergure nationale, doit être entreprise pour examiner cette question.


Troisièmement, il reste encore beaucoup à faire pour évaluer les autres modèles de prestation des programmes du français langue seconde. L'efficacité de l'immersion française a été bien établie au cours des trois dernières décennies. En fait, un des effets secondaires positifs de l'immersion française c'est que les programmes de français de base ont été améliorés substantiellement. Dans certaines régions du pays, on expérimente le français de base intensif, une solution de rechange au programme de français de base qui est prometteuse. Le moment est maintenant venu d'effectuer une recherche à jour sur laquelle pourront reposer les directives et les programmes.


Tous ces efforts en valent-ils la peine ? Puisque l'éducation vise les jeunes, j'aimerais conclure en citant deux jeunes femmes diplômées bilingues du système d'éducation au Nouveau Brunswick. Elles ont présenté un discours à un colloque tenu à Fredericton en 1999 appelé Enfant bilingue, Citoyen mondial.

Heather: Les sept ans que j'ai passés à l'immersion française m'ont été vraiment utiles et maintenant je peux m'exprimer en français très facilement. C'est un accomplissement dont je suis fière. L'apprentissage d'une nouvelle langue donne un sens de fierté et de confiance. C'est pourquoi le français est une des expériences les plus importantes que j'ai vécues pendant mes années scolaires, c'est une expérience que je n'oublierai jamais…

Emily: Aujourd'hui, à l'aube de l'an 2000, je suis consciente que le fait d'être bilingue me permettra de cheminer plus aisément dans le monde des adultes. Donc, deuxième millénaire, deux langues, deux cultures, deux nationalités, quelle richesse, quel privilège, quel honneur!


Références

Dicks, Joseph. 2001. The French Immersion and English Programs in New Brunswick School Districts 17 and 18: A Comparison of Family Background, Factors Influencing Choice of rogram, attitues toward French Immersion, and Student Performance. Second Language Education Centre, University of New Brunswick: Fredericton, N.B.

French Second Language Education. Proud of Two Languages. s.d. Ottawa: Canadian Parents for French.

L'état de l'enseignement du Français langue seconde dans le Canada de lan 2000. Ottawa: Canadian Parents for French.

Netten, Joan et Claude Germain. 2001.A New look at Core French: Intensive French in Newfoundland and Labrador. A paraître. Mosaic.

Netten, Joan et Claude Germain. Teachers Guide for Intensive Core French. 2000. St. Johns Newfoundland: Memorial University of Newfoundland.

Rehorick, Sally. 1993. French Second Language Education in New Brunswick: Paradigms, Challenges, Strategies. Fredericton: Second Language Education Centre.

Second Language Education Centre 10th Anniversary Report. 1997. Fredericton: Second Language Education Centre, University of New Brunswick.

Second Language Education Centre Annual Report. 2000. Fredericton: Second Language Education Centre, University of New Brunswick.