Biennale de la Langue Française

  • Augmenter la taille
  • Taille par défaut
  • Diminuer la taille
Envoyer Imprimer PDF

Marius DAKPOGAN

Secrétaire général de l'Association des professeurs de français d'Afrique et de l'océan Indien (APFA-OI)


L'enseignement du français au Bénin


Introduction


Suite à la conquête coloniale, le français est devenu depuis plus d'un siècle la langue officielle du Bénin. Bien que ce statut n'ait pas varié, les objectifs assignés à l'enseignement de cette langue ont fondamentalement évolué à travers le temps. Si, pendant la période coloniale, l'accent a été mis sur la beauté, le charme et la noblesse de la langue française, de nos jours on s'intéresse à la langue comme outil de communication, d'intégration, d'accès à la technologie et au développement. L'introduction de la littérature africaine dans les programmes d'enseignement du français au cours des années 1970 et la forte envie de se libérer des normes sacro-saintes ont fondamentalement modifié le comportement des apprenants vis-à-vis de la langue. De mots nouveaux sont créés, des traductions littérales, autrefois prohibées, s'utilisent sans complexe et l'on peut parler dune libéralisation de la langue qu'il ne faut toutefois pas prendre comme un délabrement didactique ou comme une créolisation.


I L'enseignement du français pendant la période coloniale

Pendant la période coloniale, l'objectif de la France à travers l'école était d'assurer sa mission dite civilisatrice en formant les hommes parfaitement soumis au "Maître".

Il fallait "dresser des élites de collaborateurs qui comme agents techniques, contremaîtres, surveillants, employés ou commis de direction suppléeront à l'insuffisance numérique des Européens"(1).À cette déclaration s'ajoute la suivante. "Nous devons nous rappeler que le but de l'enseignement est moins de sauvegarder l'originalité des races colonisées que de les élever vers nous"(2).

Ces deux déclarations résument clairement les intentions du colonisateur: former des cadres moyens et inculquer la civilisation française. Pour y parvenir, un accent tout particulier a été mis sur l'enseignement de la langue. Là-dessus, le Directeur de l’École normale de l'Afrique occidentale française disait dans un rapport publié en 1913. "J'estime qu'à l’École normale de l'Afrique occidentale française la matière qui doit tout primer est la langue française, que toutes les autres matières ne doivent être que ses humbles servantes. C'est l'outil essentiel qu'il faut connaître et dont il faut se servir avec aisance. L'élève maître qui manie avec aisance la langue française, s'assimile facilement les éléments des autres matières d'enseignement; les résultats des divers examens sont là pour en témoigner. Les élèves les plus intelligents et les plus appréciés sont ceux qui parlent le mieux le français. N'est-ce pas là, en même temps que faire l'éloge du génie de notre langue, présenter la justification du rôle supérieur que je désire lui voir attribuer?"(3).

Les objectifs assignés à l'enseignement du français et les moyens mis en œuvre pour les atteindre permettent de comprendre aisément le zèle avec lequel les anciens instituteurs s'acharnaient à inculquer la langue française à leurs élèves. À l'époque le français était une épreuve hautement éliminatoire aux différents examens scolaires.

Au certificat d'études primaire élémentaire (CEPE) les candidats étaient recalés s'ils commettaient cinq fautes d'orthographe ou de grammaire tandis qu'au brevet d'études du premier cycle une note inférieure à 25/100 pour l'ensemble des épreuves de français (dictée-questions et composition française) entraînait automatiquement l'élimination du candidat.

Au Dahomey (actuelle République du Bénin), le français occupait une place de choix dans tout le programme d'enseignement. Il était la langue de la réussite, sociale ou politique. Il était perçu comme un mythe, un fétiche, une chose sacrée qu'il fallait s'approprier et maîtriser dans toute sa pureté. À l'époque, ne pas connaître le français ou le connaître mal était une sorte de damnation et, lorsqu'on disait à quelqu'un qu'il était un ignorant, on voulait lui signifier qu'il ne savait pas s'exprimer en français. Le malheureux percevait alors sa situation comme humiliation terrible. Pendant toute la période coloniale et même plusieurs années après l'indépendance nominale de 1960, cet engouement pour le français n'a presque pas changé. Nostalgique de ce passé, Célestin NEKPO déçu par l'usage que l'on fait aujourd'hui de la langue se souvient: "Nous nous sommes en effet très tôt intéressés à la langue française au cours de nos études. Au Collège Révérend Père Aupiais de Cotonou, où se sont déroulées nos études secondaires jusqu'à la première partie du baccalauréat, nous avons eu, avec nos condisciples de la promotion 1952-1953, la chance formidable d'avoir des professeurs émérites qui, de la sixième à la classe de troisième en l'occurrence, nous ont enseigné de façon systématique la grammaire française: l'analyse grammaticale et l'analyse logique ont été la substance de cet enseignement tout au long du premier cycle secondaire"(4).

Le privilège et le respect accordés à la langue française sont restés quasiment intacts jusquà la date du 26 octobre 1972


II Situation du français au Bénin à partir du 26 octobre 1972

Le 26 octobre 1972, l'armée prit le pouvoir et déclencha la Révolution. Dans son discours programme du 30 novembre 1972, le Président Mathieu KEREKOU, abordant la question de l'éducation disait entre autres:

"Jusqu'ici, l'enseignement, l'éducation et la culture ont été au service de la domination et de l'exploitation étrangères. Ici également s'impose une politique nouvelle d'indépendance nationale qui rompt avec le carcan d'étouffement de nos valeurs nationales que constitue l'école traditionnelle … Pour cela, il faudra élaborer une réforme authentique de l'enseignement conforme aux exigences nouvelles de notre politique. Cette réforme aura à mettre sur place des structures, un enseignement d'orientation et de contenu conformes aux nécessités d'un développement économique et national indépendant […]

Revaloriser nos langues nationales."(5)

Le programme d'édification de l'école nouvelle né de ce discours-programme mit un accent tout particulier sur la revalorisation des langues nationales qui doivent être progressivement introduites dans l'enseignement au même titre que les autres disciplines, ensuite comme véhicules de savoir. Bien que le français n'ait pas perdu son statut de langue officielle, la loi d'orientation de l'école nouvelle l'a ébranlé sérieusement. Désormais les jeunes se sentent libérés et se permettent tous les écarts vis-à-vis du français. Alors que le français était la seule langue autorisée dans les milieux scolaires, les langues nationales y sont de plus en plus parlées. Parfois, en plein cours, des élèves audacieux lâchent des phrases de leur langue maternelle, à la stupéfaction générale. Sur un plan purement institutionnel, le crédit horaire de l'enseignement du français passa de 6 à 4 heures hebdomadaires. C'était pratiquement une guerre livrée à la langue française. Bien évidemment les conséquences de cet acharnement n'ont pas tardé à arriver. Les mauvais résultats enregistrés çà et là dans le système scolaire ont commencé par inquiéter les autorités politiques pour les convaincre enfin que la cause de cette catastrophe est le manque d'intérêt accordé à l'enseignement du français. En 1980, le gouvernement procéda à une évaluation du programme d'édification de l'école nouvelle et décida tout simplement de conférer à nouveau à la langue française la place prépondérante qu'elle occupait dans le système éducatif.


III Le français aujourd'hui au Bénin

Une fois la langue française retournée à sa place initiale dans les programmes d'enseignement, la redéfinition des objectifs visés par son enseignement s'est imposée. Au lieu d'une langue exclusivement tournée vers la civilisation française comme ce fut le cas pendant la période coloniale et même assez longtemps après l'indépendance, le législateur a envisagé l'enseignement d'une langue à même de susciter la prise de conscience par le jeune Béninois de son appartenance à un milieu ayant sa culture propre et de la nécessité de transformer ce milieu à travers les connaissances acquises à l'école. Cette dynamique conduira progressivement l'apprenant à accéder à la notion de nation, et de l'univers. La langue devient alors non un instrument d'aliénation mais un outil de développement . Dans ce sens, le programme actuel d'enseignement du français au premier cycle de l'enseignement secondaire stipule dans ses intentions pédagogiques:

"L'enseignement du français au premier cycle de l'enseignement secondaire général doit:

1- donner à tous les élèves la capacité de s'exprimer correctement en français, oralement et par écrit, dans toutes les situations de la vie scolaire et de la vie courante;

2- leur faire acquérir des méthodes de travail, d'analyse et de réflexion;

3- développer leur capacité d'attention et de mémoire, leur permettre d'exercer, de stimuler et de développer leur créativité;

4- leur faire prendre conscience de la situation spécifique de bilinguisme de l'Afrique francophone et du rôle du français dans la société, aux côtés des langues nationales;

5- leur permettre l'accès à une culture dynamique et ouverte, en leur faisant découvrir les richesses du patrimoine culturel national et les apports des différentes civilisations, afin qu'ils puissent participer activement au développement économique, social et culturel du pays et appréhender le monde d'aujourd'hui." (6)

Il est donc clair que, par rapport à la période coloniale, les objectifs assignés à l'enseignement de la langue sont diamétralement opposés. L'introduction des productions littéraires africaines dans l'enseignement a davantage ouvert les yeux aux jeunes et modifié leur comportement face au français. Certains auteurs africains les y ont sérieusement aidés. Le plus célèbre d'entre eux, l'ivoirien Ahmadou KOUROUMA, a dans son roman intitulé Les Soleil des Indépendances (7) opéré une véritable révolution dans l'écriture romanesque africaine: mots inventés, syntaxe succulente. À ce sujet, NGAL écrit:

"De la masse des romans africains, Les Soleil des Indépendances semble se détacher tant sur le plan langagier, de la création littéraire que celui de la valeur humaine. Sur le plan langagier: tout est neuf. Images, tournures, vocabulaire, syntaxe, tout jaillit dune source neuve, tout est continuellement renouvelé. La langue française sen trouve rajeunie"(8) .

Cette créativité, ce rajeunissement n'ont pas manqué de produire leur effet. Bien que le français enseigné dans les écoles soit une langue académiquement correcte, le choc est irrésistible. Aujourd'hui, beaucoup de jeunes gens donnent libre cours à leur inventivité dans l'usage du français. Les milieux scolaires surtout raffolent d'originalités.

Voici quelques mots en guise d'illustration.

Un palabreur:Un député. Au parlement, les députés parlent à longueur de temps donnant l'impression de se livrer à une dispute stérile.

Une brouette:Une voiture luxueuse. Dénomination péjorative.

Venue de France: Une voiture d'occasion, venue d'Europe et par extension tout produit d'occasion importé.

Un mange-mil: il s'agit d'un parasite ou dune personne qui, dans un ménage, ne produit rien mais consomme énormément. On l'appelle aussi budgétivore.

Un papetier:Un journaliste sans formation initiale.

Un caillou:Une somme de 10 000 FRF.

Un béton:Une somme de 1 000 000 FRF.

Miner:Faire mauvaise mine; bouder.

Mon mari est capable: Une moto que certains hommes offrent à leurs fiancées ou amantes.

Ton pied, mon pied: Propos proféré par une épouse à son mari lorsqu'elle soupçonne ce dernier d'avoir des relations extraconjugales.

Saint Joseph:Nom donné au chat par ceux qui en mangent la viande.

Gabriel:Nom donné à la viande du porc.

Ces quelques mots ne sont qu'un extrait d'une vaste panoplie d'un lexique nouveau qui vient enrichir la langue française. Les exemples du genre foisonnent désormais dans le parler quotidien des locuteurs béninois de la langue française.


IV Difficultés de l'enseignement du français au Bénin

Malgré l'engouement des Béninois pour le français, son enseignement se heurte à de nombreuses difficultés à savoir: effectifs pléthoriques des classes; absence d'enseignants qualifiés ou d'enseignants tout court; absence d'une politique rationnelle de formation des formateurs, manque crucial de livres pour les élèves… Malgré toutes ces difficultés, les enseignants de français sont toujours fidèles à leurs postes, essayant comme ils le peuvent de donner le meilleur d'eux-mêmes. Les résultats obtenus montrent que l'espoir est toujours permis.


Conclusion

Introduit au DAHOMEY depuis la période coloniale, le français demeure à nos jours la langue officielle du Bénin. Les objectifs assignés à son enseignement ont évolué à travers le temps. Mais cette langue a conservé la plupart de ses attributs. Elle n'est pas un simple outil de communication, mais un facteur essentiel de développement. Il convient donc qu'un soin particulier soit accordé à son enseignement et que des solutions soient trouvées aux problèmes qui freinent le travail des enseignants. Pour ce faire, les formations initiales suspendues doivent être reprises et un accent doit être mis sur la formation continue. De plus, les établissements seront dotés de matériels didactiques adéquats pendant que les effectifs dans les classes seront allégés.

Enfin, il se produit dans différents milieux, surtout dans le monde scolaire, une dynamisation de la langue française par l'apport d'éléments nouveaux. Ces éléments qui reflètent la culture de terroir méritent d'être examinés, pris en considération et diffusés. Tous ces impératifs contribueront à conserver à la langue française son statut dans les pays francophones et à garantir son rayonnement dans un environnement concurrentiel où l'anglais a tendance à lui ravir la vedette.


Notes

(1) SARRAUT (Albert), Ministre des Colonies, cité dans le Programme dédification

de l'école nouvelle, Porto-Novo, Presses de lINFRE, 1988, P. 37.

(2) DELAGE, Inspecteur général, Idem, p. 37.

(3) MIDIOHOUAN (Guy Ossito), Du Bon usage de la Francophonie, Porto-Novo,

imprimerie du CNPMS, 1984, PP. 60-61.

(4) NEKPO (Célestin), Comment parlons-nous français, Cotonou, ABM, 1984, P. VII.

(5) KEREKOU (Mathieu), Discours programme du 30 novembre 1972.

(6) Programme de français au premier cycle de l'enseignement secondaire au Bénin,

octobre 1994.

(7) KOUROUMA (Ahmadou), Les Soleil des Indépendances, Paris, éditions du Seuil,

1970, 208 p.

(8) NGAL (M.A,M), L'Artiste africain: tradition, critique et liberté créatrice,

in Le Critique africain et son peuple comme producteur de civilisation, Paris, Présence africaine, 1977, p. 60.

 

Accréditation OING Francophonie

Sommaire des Actes de la XIXe Biennale

SOMMAIRE

XIXe Biennale à Hull-Ottawa 2001

Jeunesse et langue française. Créer, partager, entreprendre.

Langue française au Canada et en Amérique du Nord.


Préface par Roland Eluerd

Remerciements

SEANCE SOLENNELLE D'OUVERTURE

Messages de:

La très Honorable Adrienne Clarkson

L'Honorable Lise Thibault

L'Honorable Sheila Copps

Allocutions de:

M. Marcel Proulx

S.E. M. Denis Bauchard

M. Marcel Hamelin

M. Francis R. Whyte

M. Roland Eluerd

et Hommage posthume à Henri Bergeron par Roland Eluerd

Résultats de l'enquête par Mme Jeanne Ogée

JEUNESSE ET LANGUE FRANÇAISE

I . Créer

I. A . La poésie

Débat la poésie

I. B . Les technologies de l'information

Alain Vuillemin

Jean-Alain Hernandez

Louise Guay

Frédéric Nolin

Synthèse de René Morin

Remise des prix du concours “Les mordus de la langue”par Alain Landry

II . Partager

II. A . Les mots

Albert Doppagne

Noëlle Guilloton

Claire-Anne Magnès

Débat sur les mots animé par Antonine Maillet

II. B . Les engagements, les O.N.G.

Angèle Bassolé-Ouédraogo

Herman Zoungrana

Gabriela Marcu

Débat

II. C . L'enseignement du français

Micheline Sommant

Pascale Lefrançois

Sally Rehorick

Pierre C. Bélanger

Débat 1 sur l'enseignement

Marius Dakpogan

Mioara Todosin

Cécilia Gaudet

Fabienne Cauchi

synthèse par Ibnou Dia

Débat 2 sur l'enseignement

Hommage à Philippe Desjardins

III . Entreprendre

III. A . Jeunes entrepreneurs

Théodore Boukaré Konseiga

Sidney Ribaux

Daniel La Bossière

Débat 1 sur Entreprendre

III.B . Espace linguistique de la jeune entreprise francophone

Éric Bergeron

Jean-Paul Buffelan-Lanore

Isabelle Plouffe

Débat 2 sur Entreprendre

LANGUE FRANÇAISE AU CANADA ET EN AMÉRIQUE DU NORD

A . Paysage linguistique canadien et nord-américain

Gratien Allaire

Lise Dubois

Paul Dubé

Geneviève Labrecque

Samia I. Spencer

Débat Canada Amérique 1

B . Langue et culture dans le contexte canadien et nord-américain

Lise Gaboury-Diallo

Naïm Kattan

Miléna Santoro

René Cormier

C . Vitalité de la langue française au Canada

Lisa Balfour Bowen

Michel Chartier

Joan Netten

James Thériault

D.Témoignages

Isabelle Chiasson

Luc Lainé

Anne Pham-huy

Débat Canada Amérique 2

Mot de la fin par Norman Moyer

Allocution de Jean-Louis Roux

TABLE RONDE Le choc des cultures

Animateur Jean-Louis Roy


SEANCE DE CLOTURE

Vœux

Discours de clôture par Roland Eluerd

Liste des participants

Échos de la XIXe Biennale


A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93