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Théodore Boukaré KONSEIGA

Assistant de direction à l'Office nationale des télécommunications, Ouagadougou, Burkina Faso


Les jeunes entrepreneurs et l'usage du français au Burkina Faso et en Afrique


Au Burkina Faso, à l'instar des autres pays d'Afrique au Sud du Sahara, l'économie est dominée par un secteur qualifié d'informel (petites entreprises familiales, petit commerce etc.).


C'est un secteur très dynamique animé par des agents économiques peu instruits (au sens scolaire et universitaire du terme) pratiquant le système D(1) au départ pour se développer par la suite selon la personnalité du fondateur de l'entreprise (relations d'affaires, opportunités saisies etc.)


Si on remonte loin dans le temps (avant la colonisation du continent africain), les échanges inter-États (au sens politique du terme) n'existaient pas, mais les personnes et les biens circulaient librement entre les peuples (organisés ou pas, en empires ou en d'autres formes de société). Ce qui tenait lieu de commerce s'exerçait à pied, à dos d'âne ou de chameaux et les individus utilisaient les langues ethniques. En Afrique de l'Ouest ce sont:

-le haoussa au Nigeria, au Burkina, au Bénin, au Ghana et au Niger;

-le bambara et le dioula au Sénégal, en Côte-d'Ivoire, au Mali, au Burkina et en Guinée.


Avec la colonisation, l'École du Blanc diffusa le français, l'anglais, le portugais et l'espagnol en Afrique donnant naissance à une Afrique multilangues. Nous retiendrons qu'en Afrique de l'ouest dominent l'anglophonie et la francophonie. Ces deux pôles linguistiques s'influencent mutuellement selon les centre d'intérêts des utilisateurs (l'attrait exercé sur les opérateurs).


Après les indépendances, les échanges des biens et des services entre les nouveaux États nés de la décolonisation se sont poursuivis et se sont développés. Ces États étant nés avec leurs lois et leurs agents de l'État à l'intérieur de frontières cloisonnées, il faut bien communiquer, il faut bien se faire comprendre par le partenaire den face (commerçants, agents de douane ou du fisc) quand on ne partage pas les mêmes langues ethniques . Quand on va de la zone francophone vers la zone anglophone ou vice-versa, il faut bien se débrouiller pour se faire comprendre afin de conclure des affaires. Les francophones parleront un anglais à peu près et les anglophones un français à peu près aussi. Les tenants des affaires, du commerce se mettront à l'école du terrain ou emploieront du personnel maîtrisant le français ou à même de s'exprimer couramment en français. Le plus souvent ils feront appel à leurs enfants ou aux enfants de leurs proches (neveux, cousins etc.) de la grande famille africaine pour servir de commis dans la tenue des comptes si jamais il en existait un embryon, ou pour l'adressage de quelques correspondances et la gestion d'archives constituées essentiellement de reçus et de factures d'achat et/ou de vente, parce qu'il n'existe pas de structures de formation ou d'apprentissage pour les adultes genre Alliance française; les Centres culturels français auraient pu y suppléer mais hélas aucune initiative n'est envisagée dans ce sens dans nos pays.

Alors la communication écrite dans les entreprises familiales est très peu pratiquée ou pas du tout. L'oralité tient encore une bonne place dans les transactions dans le milieu des affaires. Il n'est donc pas rare qu'un homme d'affaires soit assigné ou este en justice dépourvu de toute preuve écrite d'un contrat qu'il a accepté oralement, sur la base de la confiance au partenaire d'en face.

Aujourd'hui les entrepreneurs les plus en vue dans nos contrées sont ceux agissant dans le secteur du commerce général (import-export), dans le bâtiment et dans une moindre mesure dans les travaux publics (routes). Dans ces créneaux, on identifie de plus en plus des acteurs de différentes couches sociales:

- Les commerçants néo-alphabétisés (ceux qui ont appris le français sur le tas)

-Les rejetés des cycles scolaires primaire et secondaire (ceux qui n'ont pas pu franchir le cap des cours moyens ou des classes du secondaire),

-Les diplômés sans emplois salariés (ceux qui ont fait des études supérieures et installés pour leurs propres comptes): ils sont peu nombreux,

-Les reconvertis aux affaires après une vie active de fonctionnaire.


À côté de ces cas macroscopiques, il convient de retenir également les cas internes aux États africains qui comptent plusieurs ethnies vivant ensemble sur le même territoire sans parler les mêmes langues nationales. Dans ces cas, le français est la passerelle de communication constituant ainsi:

- le trait d'union inter-ethnies,

-le moyen de communication le plus sûr,

-l'outil de travail le plus apte.


Au Burkina où on compte une soixantaine d'ethnies, les unes et les autres communiquent dans leurs échanges sociaux ou marchands, en français. Le Gurunsi s'adressera au Moaga, le Moaga au Peul, en tout cas les uns s'adressent aux autres en français de préférence. Quelquefois certains parlent un peu des autres langues nationales, mais préfèrent parler un mauvais français que de l'à peu près dans la langue de l'autre.


L'entrepreneuriat, la vie économique au Burkina sont largement tributaires de la maîtrise de la langue française ou tout au moins de sa maîtrise de façon basique, rudimentaire; on parle le français utile et non le français académique. C'est ce qu'on appelle d'ailleurs chez nous le français d'ancien combattant. Ces tirailleurs sénégalais des deux guerres mondiales qui ont appris le français sur le tas, au front; mais c'est cela le français utile, celui qui permet de présenter des civilités, de vendre ou de demander à boire ou à manger. Les phrases sont construites selon l'idée principale à exprimer. On n'aura pas besoin nécessairement d'articles ou d'accords de temps ou de verbes, on intégrera même des mots de la langue locale pour s'adresser à l'autre. Dans les expressions d'usage, dans le but de nouer le contact, on aura des locutions du genre:

-Comment ça va?

-Et madame?

-Et les enfants?

Le contact est établi lorsque l'autre s'enquiert des prix des produits offerts en disant: c'est combien, combien ? (pour demander un prix unitaire ou du lot); le vendeur conclura, s'il n'est pas satisfait du prix offert, par l'expression littérale c'est bien, mais ce n'est pas arrivé pour dire que le prix offert est en deçà.


Il faut souligner que, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ceux qui ont le français comme langue du diplômé des écoles du "Blanc", langue du savoir, de l'élite, ne sont pas les plus aptes dans les affaires, et ceux qui ont réussi dans les affaires, qui maîtrisent les différents secteurs de l'économie nationale ne maîtrisent pas la langue française.


Le français des affaires, le français de l'entreprise au Burkina Faso et en Afrique de l'Ouest en général n'est pas le français des bureaux. C'est le français "utile", le français de la survie. Mais c'est un langage qui sait se faire comprendre, qui s'impose finalement à la communauté nationale comme un moyen efficace de communication. Le français au Burkina Faso et en Afrique, est aux hommes d'affaires ce que la truelle est au maçon parce qu'il fait vivre et fait prospérer les individus et même les nations.


(1) D comme se débrouiller.