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Sidney RIBAUX

coordonnateur général et cofondateur d'Equiterre, Montréal (Québec)


Présentation d'Équiterre


Je vais vous présenter Equiterre comme exemple d'organisme qui travaille en français et a été créé par des jeunes francophones.

Equiterre a été fondé après le Sommet de la Terre qui a eu lieu à Rio en 1992, le plus grand rassemblement des chefs d’État de l'histoire de l'humanité. Le Sommet de Rio a eu lieu à la suite du Rapport Brundtlland de la Commission des Nations Unies où on avait, pour la première fois, parlé du terme “développement durable”. Depuis une vingtaine d'années, on parlait d'environnement et d'écologie pour essayer de lier les problématiques environnementales et sociales avec les impératifs de développement économique. Comment peut-on se développer dune façon durable, d'une façon viable ?

On espérait que les chefs d’États réunis à Rio adopteraient des conventions pour résoudre ces problèmes. Trente mille personnes étaient présentes. La conférence avait été préparée pendant plusieurs années, le Canada ayant joué un rôle très important, notamment pour la mobilisation des jeunes. Mais nous avons tout de suite compris que les solutions n'arriveraient pas d'elles-mêmes, que les chefs d’États n'arriveraient pas à s'entendre et qu'il faudrait aller plus loin. En revenant de Rio, en 1993, nous avons créé Equiterre pour unir les organismes de jeunes qui travaillaient sur l'environnement à travers le monde. Notre premier champ d'action fut le Québec avec une mission très large : faire la promotion de choix de consommation, de choix politiques, écologiques et socialement équitables, en intégrant l'économie sociale, la justice, l'économie solidaire et la défense de l'environnement. Il faut amener les gens à comprendre qu'il y a des choix collectifs à faire.

Combien de personnes ici boivent du café ? Combien mangent des fruits et des légumes ? Combien ont une voiture ? Combien ont l'électricité à la maison ? Ce sont nos champs d'action: pouvoir dire que les programmes qu'on a choisis touchent les thèmes de notre vie quotidienne : agriculture, alimentation, commerce équitable; programme où sont examinées les relations internationales, comment résoudre certaines iniquités entre les pays riches du Nord et les pays pauvres du Sud; le transport; l'efficacité énergétique, donc l'énergie utilisée à la maison.


L'agriculture : nous sommes partis d'un concept qui s'appelle “ l'agriculture soutenue par la communauté ”. L'objectif est de mettre en lien les producteurs qui ont des productions certifiées biologiques, sans aucun intrant chimique, sans pesticides, etc. et de les mettre en lien avec des gens en ville qui souhaitent consommer “bio” et avoir un lien direct avec la personne qui produit leurs aliments. La dernière campagne pour la promotion de ce projet-là disait ceci :“ Vous avez un médecin de famille mais ayez aussi un fermier de famille ”. Il est aussi important de savoir d'où vos aliments proviennent que de savoir comment va votre santé parce que c'est intrinsèquement lié.

À partir d'un fermier et d'une trentaine de consommateurs en 1995, nous avons bâti un réseau de soixante fermes qui joignent maintenant plus de six mille consommateurs à travers le Québec; Là réside peut-être le lien avec le développement économique; Les producteurs ont une nouvelle façon de faire la mise sur le marché de leurs produits. Les achats sont garantis parce que le consommateur achète au fermier une part de sa récolte dès le début de la saison et le fermier vient livrer ses paniers dans le quartier. Six mille personnes participent mais des dizaines de milliers de personnes s'intéressent donc à l'alimentation, à ce qui se retrouve dans leurs assiettes : adieu pesticides, organismes génétiquement modifiés, etc.

Nous avons aussi des projets de revitalisation des zones agricoles urbaines. Dans la région de Montréal, par exemple, 50% de la région métropolitaine de Montréal est zone agricole. Ce sont des terres extrêmement fertiles à potentiel incroyable mais sous-utilisées parce que, dit-on, elles n'ont pas une bonne qualité de sol ou leur emplacement rend la culture difficile, d'où des conflits entre producteurs et citadins. Là, on met sur pied des projets pour créer la petite ferme proche des consommateurs.


Le commerce équitable a été un de nos grands projets pour que, par exemple, les producteurs de café et de cacao reçoivent un juste prix pour leur travail. Le commerce équitable est une alternative au système de commerce traditionnel et à la charité. Plutôt que d'avoir un système économique où l'on abuse d'une main d’œuvre à bon marché sans normes environnementales comme dans les pays du Sud, on inverse les choses. On crée des services indépendants de certification, qui garantissent un prix et motivent les coopératives de producteurs : à produire, par exemple, le café de façon plus écologique et à réinvestir les profits réalisés grâce à un prix garanti, dans la communauté. Ce concept assez original intéresse beaucoup les gens qui se disent “Que puis-je faire moi contre les accords internationaux de libre-échange, dans mon train de vie de tous les jours ?” En achetant des produits de commerce équitable, non seulement vous avez un impact direct sur des millions de paysans qui produisent dans le Sud, mais en plus vous envoyez un message très clair aux politiciens qui se disent : “ Un, deux, cinq pour cent de consommateurs se déplacent pour trouver ce produit-là..., donc il existe un intérêt politique aussi pour que les choses changent...”


Question

Y a-t-il des intermédiaires dans le commerce équitable comme dans le commerce conventionnel ?


Sidney Ribaux

Dans le commerce conventionnel environ 4% de ce que vous payez pour votre café revient réellement aux paysans à cause des intermédiaires dans le pays et de la bourse. Le commerce équitable essaie de réduire le nombre d'intermédiaires. L'importateur transige directement avec la coopérative. Les producteurs doivent être organisés démocratiquement: ils éliminent certains intermédiaires à l'intérieur du pays grâce à ce qu'on appelle les “ coyotes ” qui, souvent, dans les petites régions, possèdent le seul camion pour prendre le café des montagnes et l'amener à l'endroit où quelqu'un va vouloir l'acheter. Ainsi vous ne payez pas nécessairement plus cher ce café-là. Mais au lieu de 4%, c'est environ 12% du prix que vous payez qui reviennent directement au paysan. C'est donc un commerce plus “ juste ”.

Ce qu'on fait au Québec n'est pas un travail de niveau international. D'autres personnes s'occupent d'aller dans les pays du Sud pour aider les gens à s'organiser.


Le transport : L'impact environnemental comporte trois points: l'énergie, l'électricité que vous utilisez, le mazout ou le gaz naturel, l'alimentation et le transport. Au Canada, à peu près un tiers des émissions de gaz à effets de serre cause le changement climatique. Récemment, à Bonn, a été finalement signé un Accord qui découlait du Sommet de la Terre de 1992, et qui décidait des moyens à mettre en œuvre pour réduire de 6% les émissions de gaz à effets de serre, par rapport à ce qu'on émettait en 1990.


Remarque

Le Canada n'a pas été très actif dans les négociations.


Sidney Ribaux

Le Japon a été convaincu vers la fin de ne pas dire non. On va voir s'il ratifie, mais un accord a été conclu entre les pays sauf les États-Unis qui ont décidé de ne rien faire alors qu'ils émettent 30% de l'ensemble des émissions de gaz. C'est un tout petit premier pas car les scientifiques disent que pour éviter le pire, il faut réduire de 50 à 60% minimum au lieu de 6%. 30% des émissions du Canada proviennent du transport alors que beaucoup de choses peuvent se faire qui sont économiquement rentables. Mais le discours dominant, celui des pétroliers et des médias parle de la destruction de l'économie canadienne lors de la signature de l'Entente de Kyoto. Or Shell investit des milliards de dollars dans l'énergie solaire, dans l'hydrogène, dans les nouvelles technologies pour qu'on puisse se déplacer sans détruire la planète. Le travail au niveau du transport est beaucoup plus politique. C'est un travail éducatif: on peut dire aux gens de faire des choses simples, prendre le transport en commun, leur vélo, etc. Encore faut-il que le transport en commun existe et qu'il y ait des pistes cyclables, etc.


L'efficacité énergétique : Ce que nous faisons est extrêmement concret. On fait des travaux chez les gens, on les conseille sur l'économie d'énergie, on fait des analyses énergétiques de maisons auprès des propriétaires pour améliorer leur travail de rénovation, le tout dans une optique environnementale et sociale, on offre des services gratuits aux personnes à faibles revenus et à certains coûts pour des personnes qui ont plus de moyens.

Voilà le tour de nos projets et de notre action. Notre stratégie est de bâtir un mouvement de consommateurs et de citoyens qui ne veulent pas voter une fois tous les quatre ans, mais voter par leurs choix de consommation, par les gestes qu'ils font tous les jours. Et selon nous, un mouvement de ce genre a un impact très important sur les décideurs parce que nous sommes soutenus par des milliers de consommateurs.


Le français : Montréal, comme vous le savez, est une ville bilingue. Chez les fondateurs d'Equiterre, autant d'anglophones que de francophones, on a pris la décision suivante : au Québec on va travailler prioritairement en français. Mais en même temps, il nous faut travailler aussi en anglais pour être efficaces. En Amérique du Nord; les grands groupes environnementaux et sociaux canadiens ne travaillent pas en français. Certains des fonctionnaires qui reçoivent nos demandes de subventions ne lisent pas le français; des bailleurs de fonds, des fondations qui ont toutes sortes de partenaires potentiels ne parlent pas français. Donc, si notre langue première est le français, notre stratégie est de travailler dans les deux langues et de tout traduire autant que possible, ce qui double notre travail et est souvent mal compris par les organismes. Aux États-Unis ou au Canada anglais, ou à Ottawa, on ne comprend pas nécessairement que tout traduire, travailler dans les deux langues, c'est beaucoup plus difficile. Je suis bilingue, mais nos membres et les gens qu'on joint au Québec ne le sont pas nécessairement.

Sur la première page du site Web d'Equiterre figurent une version en français et une version en anglais. Essentiellement, cela équivaut à gérer deux sites. Mais cela vaut la peine d'avoir une ouverture vers l'anglais, à cause du travail qu'on fait au niveau international sur le café, par exemple. On est en train d'étudier la possibilité de travailler dans une troisième langue, soit l'espagnol, pour joindre plus de gens.


Notre philosophie : Chaque geste qu'on pose, chaque dollar gagné est un acte politique. Je souhaite qu'en sortant d'ici, vous posiez la question aux organisateurs sur le type de café qu'on est en train de boire. Quand vous irez à l'épicerie, demandez s'ils ont des produits biologiques. S'ils n'en ont pas, demandez leur pourquoi ? Etc. Prenez l'autobus. Informez-vous s'il y a des services d'efficacité énergétique dans votre quartier; c'est ainsi qu'on peut changer les choses.

Equiterre est un mouvement qui s'autofinance. Vous pouvez devenir membre d'Equiterre pour nous appuyer et pour être informés des choses qui se font et des conférences qu'on organise.

www.equiterre.qc