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Gratien ALLAIRE

Université Laurentienne, Sudbury (Ontario)


L'Ontario français : trois régions, un demi-million de personnes


J'aimerais remercier les organisateurs de la biennale de me donner la possibilité de présenter l'Ontario français, ce qui est un peu bizarre, c'est que je suis en Ontario français depuis à peine une dizaine d'années; toutefois je m'intéresse beaucoup à la francophonie canadienne depuis un certain temps. Vous voyez à l'écran la carte de l'Ontario.

Je veux présenter mon exposé en trois parties. D'abord, faire une description très rapide de ce qu'est l'Ontario français; ensuite dire un mot des questions qui se posent quant aux moyens de la francophonie ontarienne et de sa continuité; et finalement parler des relations entre l'Ontario français et le reste de la francophonie canadienne et bien sûr, celle du Québec. Pour continuer sur la lancée de ce que disait Alain Landry de la présence de l'Ontario au Canada : il y avait, au moment des IVes Jeux de la Francophonie d'Ottawa-Hull qui viennent tout juste de se terminer, une émission spéciale de Radio-Canada qui portait sur les Jeux. Un commentateur parlait avec l'animateur Jean-François Doré, de la francophonie des Jeux. Il considérait que les délégations n'étaient pas suffisamment francophones et son commentaire était le suivant : ...on devrait laisser tomber toute la délégation canadienne et s'en tenir à une délégation proprement québécoise, à la rigueur, le Nouveau-Brunswick, puisqu'il y a tout de même un fait français au Nouveau-Brunswick, comme on le sait... Je n'ai pas appuyé sur le frein sur le champ parce que je me serais fait emboutir... mais j'étais furieux, dans le sens qu'un commentaire comme celui-là oublie, nie en fait la francophonie ontarienne qui est la deuxième en nombre au Canada et la troisième en termes de continuité linguistique après le Québec et le Nouveau-Brunswick; le Québec a un taux de continuité de 1,02 - une augmentation, tandis que l'Ontario a un taux de continuité linguistique qui se situe au-delà de 0,80. Pour l'Acadie du Nouveau-Brunswick, c’est moins. Ce que représente ce commentaire-là pour moi, c'est à la fois une fausseté et une vérité. Une fausseté en ce sens que l'Ontario français est une partie importante de la francophonie canadienne trop souvent ignorée à mon goût; et une vérité parce que cela semble évident, l'Ontario français n'a pas encore véritablement réussi à faire et à prendre sa place au Canada français.

Je passe à la présentation. Comme vous le voyez à l'écran, voici la carte de la division régionale de l'Ontario français : principalement de trois régions reconnues comme des régions administratives; les cinq régions administratives sont ici. Au point de départ, ce que je veux indiquer, c'est que l'Ontario français dont on parle, c'est celui du Centre et du Sud-Ouest, dans la région de Toronto et de London; c'est la région la plus habitée. Il y a également la région d'Ottawa, l'Est bien sûr, qui est un élément important. Pour le reste c'est ce qu'on appelle le Nord, le Nord-Est et le Nord-Ouest qui comprennent des régions aux proportions diverses et à l'histoire différente en termes de francophonie.

Je passe rapidement à travers ces régions là pour vous montrer ce qu'est la francophonie ontarienne mais auparavant, jetons un coup d’œil sur les pourcentages, simplement pour vous donner une idée de la représentation. L'importance de la francophonie se situe dans la partie Nord et la partie Est et non dans la partie Sud, alors que la population ontarienne se situe principalement dans la partie Sud. Cette carte est en fonction des divisions des recensements. Si on veut, on peut avoir une répartition beaucoup plus en fonction des francophonies comme telles où chacun des points représente les lieux de la francophonie à partir des recensements. Donc la région d'Ottawa et la région de Sudbury, le corridor de la route 11 au Nord avec des localités comme Hearst et Kapuskasing Hearst qu'on appelle fréquemment le petit Québec. Voici la région de Toronto, le croissant ontarien, et finalement la région de Windsor et tous les points points principaux. Et voici la dernière représentation, celle des proportions de la francophonie en Ontario d'après le recensement de 1996, qui donne une bonne idée... et j'en ai une autre qui représente l'évolution à partir de 1971 qui montre l'importance de l'Est ontarien, donc la région d'Ottawa, du Nord, et ensuite du Centre, donc la région de Toronto, et c’est le Nord-Est, donc la région autour de Sudbury, de Timmins et de Hearst. L'Ouest... peu important, et le Sud, donc la région de Windsor principalement.

Chacune de ces régions a ses caractéristiques propres, je vous les donne en capsule. L'Ontario français remonte au 18e siècle. On souligne cette année le tricentenaire de l'établissement de Détroit (États-Unis) en 1701... mais on peut parler de présence française dès 1615, à l'époque des premiers voyages de Champlain. La francophonie permanente remonte à 1701 et de la deuxième moitié du 18e siècle jusqu'au milieu du 19e siècle. La région de l'Outaouais qui est la région d'Ottawa où nous sommes présentement, est une région située près du Québec; elle a donc plusieurs caractéristiques qui se rapprochent de celles du Québec. Elle est située à deux heures et demi de Montréal en auto; donc elle a les caractéristiques de cette proximité-là que représente d'ailleurs Radio-Canada. C'est une région principalement agricole avec des terres relativement fertiles. Cette région dépend beaucoup du gouvernement fédéral dont l’administration centrale est sise à Ottawa.

La francophonie ontarienne dépend largement de l'agriculture dans la partie Est. On y retrouve le Collège d'Alfred pour l'enseignement de l'agriculture et aussi pour l'enseignement du fonctionnariat du gouvernement fédéral. La deuxième région en termes historiques, je la nommerais région des petits québecs, c’est-à-dire la région du Nord. En effet, cette région autour de Hearst et Kapuskasing est composée de populations québécoises qui se sont déplacées à la fin du 19e et au 20e siècles pour l'exploitation forestière et minière. On a fait un peu d'agriculture, vanté les mérites de la culture du sol, mais finalement la culture du sol n'existait qu'en fonction des activités minières et forestières, une combinaison bien connue au Nord du Québec, au Lac Saint-Jean en particulier. Donc, là aussi une concentration importante. La région de Sudbury est un peu différente quoique, même si on ne peut pas parler véritablement de petits québecs, il y avait des localités assez concentrées de population québécoise. Dans le Nord-Ouest, une francophonie existe dans la région de Thunder Bay; elle est embryonnaire, en formation si on veut. Elle n'est pas très importante, moins de un pourcent de la population locale. À mon avis, la francophonie la plus intéressantes est autour de Toronto et celle du Centre : une francophonie multiculturelle relativement récente, en dépit du Fort Roulier établi au milieu 19e siècle. Elle est récente puisqu'elle a pris naissance après la deuxième guerre mondiale, dans les années cinquante et soixante, et elle s'est formée par l'apport de réfugiés; et principalement de fonctionnaires lorsque le gouvernement ontarien a décidé de se bilinguiser... pas entièrement mais certainement davantage. Il y a eu alors un apport considérable de la part de francophones de tous les horizons, du nord de l'Ontario, du Québec, des autres provinces canadiennes bien sûr qui sont allés s'établir à Toronto. De sorte que la francophonie torontoise, celle du Centre, est aujourd'hui en période de croissance plus rapide que toutes les autres, riche de cet apport de l'extérieur, celle de l'Est en croissance moins rapide et celle du Nord est en perte de vitesse.

On termine par le Sud, c'est la région qui remonte à 1701 et il y a là une continuité. On a l'impression très souvent que les canadiens-français se sont déplacés du Québec vers l'Ontario pour faire de l'agriculture. C'est peut-être vrai pour la région d'Ottawa et en partie pour la région du Nord, c'est vrai en partie pour la région de Penetenguishin qui se situe face à Toronto, du côté de la Baie Georgienne. Mais il y a une foule d'autres activités qui ont amené les canadiens-français à s'établir en Ontario : l'activité industrielle dans la région de Detroit, Windsor, Sarnia, Oshawa et de Welland et les textiles, dans la région de Cornwall. Au point de départ et certainement au vingtième siècle, on parle d'une francophonie diversifiée en dépit du discours qui tentait de la rendre principalement agricole.

Les trois minutes qui me restent seront consacrées aux moyens de la continuité et de l'épanouissement. Le point le plus important est la transformation des années soixante et des années soixante-dix qui ont fait de la francophonie ontarienne, une francophonie plus moderne et plus laïque, plus urbaine et cosmopolitaine. Parmi les caractéristiques des populations d'après la deuxième guerre mondiale, il y a un certain décalage par rapport à ce qui se fait ailleurs, par rapport au Québec par exemple, mais je ne suis pas certain que le décalage soit aussi prononcé qu'on le pense. À partir de cette transformation, du changement d'une francophonie principalement perçue comme agricole et catholique, on passe à une francophonie de plus en plus urbaine, de plus en plus laïque et plus cosmopolitaine. On assiste à un changement de culture considérable, à un changement de base institutionnelle considérable. Ce changement doit être pris en compte, à mon sens. Ce qui fait que les facteurs de continuité sont importants, c'est qu'on a parlé d'assimilation dans les trois dernières décennies; un facteur essentiellement négatif. On a considéré que la francophonie canadienne s'assimilait, que la francophonie ontarienne s'assimilait. On a donné une grande quantité de chiffres pour le démontrer. Récemment on a apporté davantage de données relatives à la continuité. Au lieu de mesurer le taux de pertes on a décidé de mesurer ce qui reste. C'est la tactique du verre à moitié plein plutôt que du verre à moitié vide et je pense que ça apporte un changement important. J'ai une vision optimiste de la francophonie canadienne et de la francophonie ontarienne en bonne partie parce qu'il existe de ces facteurs-là qui sont importants auprès des écoles et des systèmes scolaires partout au Canada, des systèmes scolaires plus ou moins riches mais qui sont en place et qui sont contrôlés par les francophones, particulièrement en Ontario. C'est la province de l'Ontario qui a été à la fois la première et la dernière à obtenir la gestion scolaire. La première dans le sens où il y a eu des commissions scolaires francophones établies bien avant les autres provinces, sauf au Nouveau-Brunswick, mais c'est également la dernière à avoir établi la gestion scolaire au niveau du gouvernement provincial, ce qui a permis non seulement l'établissement d'un réseau scolaire francophone important mais aussi d'un système d'éducation francophone et comme nous le savons tous, un système d'éducation est un facteur essentiel de continuité dont on ne peut pas mesurer complètement les effets.

Parlons maintenant des assises juridiques et légales : d'abord la Charte des droits et libertés, les décisions de la Cour Suprême vis-à-vis de la Charte des droits et libertés par rapport à l'article 23, et la gestion scolaire. Selon moi, l'un des points les plus importants des décisions de la Cour Suprême, c'est l'avis sur la sécession du Québec. Cet avis a jeté les bases en disant que la Constitution protégeait comme point non écrit de la protection des minorités et c'est sur cette base-là que la cause de l'Hôpital Montfort est bâtie. La cause Montfort est à mon avis au-delà de la légitimisation de l'école et d'autres institutions que l'école pour la communauté. Pour l'Ontario, il y a évidemment la Loi 8 qui crée une assise juridique insuffisante puisque, pour la dépasser, le groupe Opération-Constitution s'est formé dans le but de faire enchâsser dans la Constitution canadienne les droits linguistiques ou l'égalité des deux communautés en Ontario, de la même façon qu'on l'a fait pour le Nouveau-Brunswick. Le point le plus important, il me semble de ce côté-là, c'est la volonté d'être.

J'aurais aimé parler de la jeunesse, de l'importance de la jeunesse, de la volonté d'être qui est un facteur à peu près impossible à mesurer mais qui est, qui a été et qui demeure le facteur le plus important au niveau de la continuité de la francophonie à mon avis. Partout en Ontario et au Canada, des groupes, des organismes et des associations veulent continuer et y travaillent. Que ce soit en dépit, à cause de ou parce qu'avec tout ce qui les entoure et qui peut exister autour deux ils ont créé des réseaux solides qui ont grandi de façon significative. Pour l'Ontario français, la générosité particulièrement présente du gouvernement fédéral dans l'établissement de mouvements associatifs est à mon avis l'une des bases institutionnelles les plus précieuses de la francophonie canadienne. Et je m'arrête là-dessus, merci de votre attention.