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Geneviève LABRECQUE

en collaboration avec Hélène CAJOLET-LAGANIÈRE et Pierre MARTEL

Université de Sherbrooke


La maîtrise et la qualité de la langue au Québec


Introduction

La qualité de la langue est un sujet endémique au Québec et un lieu de débat sans cesse renouvelé. Certains dénoncent la piètre qualité de la langue parlée et écrite au Québec. D'autres, au contraire, estiment que le français au Québec s'est amélioré et que tout en devant travailler à l'amélioration de la compétence linguistique des Québécois et Québécoises, il faut mettre en valeur leur langue d'ici, qui constitue un bien collectif patrimonial. D'autres encore dénoncent l'indifférence et l’insouciance des Québécois et Québécoises à l'égard de la qualité de la langue.


La présente communication propose donc un bref portrait de la maîtrise et de la qualité de la langue française au Québec, dans le contexte actuel des discussions et réflexions de la Commission des états généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec.


États généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec

Le contexte de mondialisation dans lequel évolue le Québec d'aujourd'hui est très différent de celui des années 1960 et 1970; cela a un impact certain sur le français au Québec. Afin de faire le point sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec, le gouvernement du Québec a institué, en juin 2000, la Commission des états généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec. Plus de 30 ans après la Commission d'enquête sur la situation de la langue française et les droits linguistiques au Québec (dite la commission Gendron) et plus de 20 ans après l'adoption de la Charte de la langue française, la Commission des états généraux a de nouveau convié les Québécois et Québécoises à un vaste débat public sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec.

La Commission, présidée par monsieur Gérald Larose et composée de dix autres membres commissaires, avait comme mandat de procéder à des consultations publiques afin de dégager des perspectives et des priorités d'action pour l'avenir de la langue française au Québec; elle avait également pour but de formuler des recommandations sur l'usage, le rayonnement et la qualité de la langue française au Québec. De septembre 2000 à juin 2001 se sont tenus des audiences régionales et nationales, des journées thématiques, des rencontres avec divers experts et un forum national. La Commission s'est penchée sur plusieurs aspects liés à la langue: la maîtrise et la qualité de la langue, les enjeux démographiques et l'intégration des immigrants, la langue d’enseignement et l'enseignement des langues, le français et les nouvelles technologies de l'information et des communications, la langue de travail, la langue du commerce et des affaires, l'affichage, la concurrence des langues dans le nouveau contexte de mondialisation, la solidarité de la francophonie internationale, etc. (voir en bibliographie l'adresse du site Internet de la Commission des états généraux sur la langue).


La présente communication se limite au volet concernant la maîtrise et la qualité de la langue. De grands pas ont été faits pour donner au français le statut qui lui revient au Québec; il reste cependant beaucoup à faire pour améliorer la maîtrise du français par tous les citoyens et citoyennes et pour valoriser la qualité de la langue par les principaux acteurs sociaux. Pour ce faire, il importe d'allier statut et qualité de la langue.

Aux fins de ses travaux, la Commission a défini

- la maîtrise de la langue comme:

la capacité d'une personne de parler et d'écrire la langue française en conformité avec la norme du français standard en usage au Québec, ce qui implique le respect du code linguistique (orthographe, grammaire et syntaxe), la connaissance du lexique de la langue commune et, au besoin, des vocabulaires de spécialité, et l'adaptation des messages selon les registres de langue. L'acquisition de la maîtrise de la langue est progressive;

- la qualité de la langue comme:

le fait pour une production (orale et écrite) de respecter le système linguistique propre au français standard en usage au Québec;

- et le français standard en usage au Québec comme:

l'usage valorisé de la langue, servant de modèle, et utilisé dans tout genre de communications publiques et officielles.


Constats et recommandations émis quant à la maîtrise et à la qualité de la langue au Québec

Au mois de janvier 2001 a eu lieu à l'Université de Sherbrooke, dans le cadre des états généraux, une journée thématique portant sur la maîtrise et la qualité de la langue. À la suite des constats et des recommandations émis lors de cette journée thématique et dans les mémoires présentés lors des audiences de la Commission, il ressort que les Québécois et Québécoises se préoccupent sans conteste de la qualité de la langue au Québec:

En général, ils considèrent que, même s'il y a eu amélioration de la qualité de la langue au Québec, des actions et des gestes concrets doivent néanmoins être entrepris, et ce dès maintenant pour atteindre l'objectif d'un français de qualité au Québec. On s'accorde à reconnaître que le progrès en ce qui a trait au volet de la qualité de la langue n'a pas suivi celui du statut, qui s'est lui nettement amélioré depuis l'adoption de la Charte de la langue française en 1977 (et même depuis la loi 22 en 1974). (Martel et al. 2001: 37)

En outre, il apparaît important, en ce qui a trait à la maîtrise et à la qualité de la langue, de dégager un plan général d'aménagement de la langue qui soit cohérent et adapté aux réalités d'aujourd'hui. L'État québécois doit mettre en œuvre une véritable politique de valorisation du français, à l'intérieur dune politique globale d'aménagement de la langue au Québec.

Pour ce faire, il importe d'abord d’affirmer l'importance d'une langue de qualité et la nécessité de la maîtrise du français par l'ensemble des Québécois et Québécoises. La pierre d'assise sur laquelle doit reposer toute politique de valorisation de la langue au Québec est sans conteste l'enseignement de la langue dans les écoles. Il devient alors impératif de hausser les exigences quant à la maîtrise de la langue à tous les ordres d'enseignement ainsi qu'à la formation de tous les maîtres. Par ailleurs, en ce qui a trait à la langue de l'administration publique, l'État doit être conscient du rôle de modèle qu'il joue pour tous les citoyens et citoyennes. Enfin, les médias et les agences de publicité ont eux aussi une grande responsabilité quant à la qualité de la langue qu'ils diffusent.


Choix stratégiques retenus par la Commission des états généraux sur la langue

À la lumière de ces constats et recommandations, la Commission a retenu les choix stratégiques suivants au chapitre de la maîtrise et de la qualité de la langue (Commission des États généraux 2001b). La Commission rappelle d'abord et avant tout l'importance d'écrire et de parler au Québec une langue dont on soit fier. La maîtrise et la qualité du français sont des aspects déterminants pour l'avenir de la société québécoise au sein des Amériques et dans le contexte de la zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), où doit prévaloir l'usage des quatre langues (anglais, français, espagnol et portugais) afin de refléter la diversité culturelle des Amériques. Toutefois, le français est certes plus menacé que les autres langues; de fait, les locuteurs de langue française ne sont que 2% en Amérique du Nord. Dans ce nouveau contexte, il apparaît impératif d'accroître la maîtrise et la qualité du français des Québécois et Québécoises.


Pour assurer la maîtrise de la langue, la Commission propose:

Øune responsabilisation exemplaire du ministère de l'Éducation et des réseaux d'enseignement, lesquels doivent être les premiers à se doter d'une politique linguistique institutionnelle promouvant le français et sa qualité dans toutes les activités et adaptée à chacun des niveaux d’enseignement;

Øune obligation de résultats de chacun des niveaux d'enseignement pour que soit atteinte la maîtrise du français conformément aux objectifs de chaque cycle, par le biais d'un rehaussement des exigences et d'un suivi pédagogique. Il y a là une priorité qui passe notamment par une formation en français de tous les maîtres, laquelle devrait être sanctionnée par un examen national uniforme;

Øune hausse du nombre d'heures d'enseignement et une révision en conséquence de la planification du ministère de l'Éducation, afin d'investir davantage dans la maîtrise de la langue officielle et commune et dans l'apprentissage d'autres langues.


Pour valoriser la qualité de la langue, la Commission propose:

Øune légitimation du français standard en usage au Québec; des ressources doivent être allouées pour le décrire, l'instrumenter et rendre disponibles des outils et services linguistiques;

Øune responsabilisation des grandes institutions, des entreprises et de l'ensemble de la société civile, afin qu'elles se fixent des exigences élevées en matière de qualité de la langue et qu'elles se dotent des ressources nécessaires pour les atteindre. La qualité de la langue ne doit pas concerner seulement les spécialistes.


Instrumentation et norme

Au Québec, la langue officielle est le français, mais la Charte de la langue française ne précise pas de quel français il s'agit. Aussi, à défaut d'une description du français standard en usage au Québec, le français qui sert de référence ou de norme est celui de France, c'est-à-dire celui des dictionnaires fabriqués en France.

Si l'on peut légiférer pour confirmer le statut du français au Québec, il en va tout autrement en matière de qualité de la langue; on ne peut dans ce cas intervenir par voie législative. Outre l'enseignement, la seule autre voie possible reste celle de l'instrumentation. Une meilleure maîtrise de la langue passe inévitablement par une instrumentation adéquate du français québécois. Aussi la Commission préconise-t-elle d'investir massivement dans la conception d'instruments qui valorisent la maîtrise et la qualité de la langue au Québec, puisque actuellement le français standard en usage au Québec n'est pas totalement répertorié ni uniformément décrit. De plus, tous ces outils doivent être intégrés aux nouvelles technologies de l'information et des communications sous forme d'outils informatisés (logiciels de correction et de rédaction, dictionnaires électroniques, moteurs de recherche, etc.).

Ces outils de référence doivent expliciter la norme linguistique interne au Québec, c'est-à-dire une norme privilégiée, un modèle, un standard, un bon usage parmi les divers usages que comporte la langue française au Québec. Toutefois, pour que les interventions soient efficaces, elles doivent reposer sur un consensus social. À l'oral, le modèle radio-canadien sert généralement de modèle de prononciation, accepté et décrit par les phonéticiens Gendron, Dumas, Ostiguy et Tousignant, etc. (voir aussi l'article prononciation dans le Dictionnaire du français Plus). À l'écrit, il existe déjà une norme linguistique qui fait consensus au Québec, mais elle n'est pas encore explicitée. Règle générale, le français écrit utilisé au Québec se conforme aux règles de la grammaire et de la syntaxe françaises. C'est dans le domaine du lexique que l'on trouve le plus grand nombre de spécificités propres au contexte québécois et nord-américain et reliées à divers domaines d'activités. C'est le cas de milliers de mots, sens, expressions et dénominations de toutes sortes dont on a besoin dans le cadre de la vie courante et professionnelle.

Ces spécificités sont de divers types: des mots ou groupes de mots nouveaux (acériculture, caisse populaire, covoiturage, gîte touristique, polyvalente, téléjournal, urgentologue, etc.); des sens nouveaux (baccalauréat, dépanneur, duplex, épinette, rang, etc.); des gentilés (Estrien, Percéen, Saguenéen, Trifluvien, etc.); des particularités orthographiques (baguel, baseball, tofou, etc.); des particularités typographiques (le Parti québécois, l'Université de Sherbrooke, etc.); des sigles et acronymes (CÉGEP, CLSC, MRC, ZEC, etc.); des titres de fonction au féminin (ingénieure, professeure, sénatrice, etc.); des équivalents d'anglicismes en usage en France mais rejetés au Québec (traversier au lieu de ferry-boat, commanditaire au lieu de sponsor, pigiste au lieu de free-lance, etc.). Tous ces emplois ne sont pas propres à la langue familière, ils sont plutôt caractéristiques du français standard en usage au Québec, même s'ils ne sont pas notés dans les dictionnaires actuels du français. On constate ainsi que, même si Français et Québécois parlent la même langue, ils n'utilisent pas toujours les mêmes mots et accordent à des mots des sens différents. De fait, au Québec, la langue renvoie à un environnement géographique, politique, institutionnel et culturel distinct de celui de l'Europe.

Par surcroît, la culture québécoise et nord-américaine est à peine présente ou carrément absente des ouvrages de référence actuels et des outils informatisés. Les mots, sens, expressions et autres dénominations devraient être illustrés et mis en contexte grâce aux citations des principaux auteurs québécois, qu'ils soient écrivains, historiens, philosophes, scientifiques, etc.

Bref, pour atteindre l'objectif d'une langue de qualité, il y a nécessité de doter le Québec d'outils de référence permettant la description complète du français québécois, notamment d'un dictionnaire général et normatif du français québécois, lequel deviendra l'ouvrage de référence commun à tous les Québécois et Québécoises.


Travaux de description du français québécois

Des travaux sont présentement en cours dans les différentes universités québécoises en vue de la description du français au Québec. L'Université Laval a déjà publié un premier tome d'un dictionnaire historique du français québécois et les universités de Montréal et d'Ottawa travaillent à la conception d'un dictionnaire canadien bilingue.

En outre, deux professeurs de l'Université de Sherbrooke, Hélène Cajolet-Laganière et Pierre Martel, ont mis sur pied un projet d'envergure, agréé et subventionné par le gouvernement du Québec, consistant à rédiger un dictionnaire général et normatif du français au Québec. Ce projet est novateur dans son contenu et dans sa forme (tant sur support papier que sur support électronique). Les principales caractéristiques de ce dictionnaire consistent à élaborer une nomenclature originale à partir d'une banque de textes québécois représentative de divers types de discours, la Banque de données textuelles de Sherbrooke; à introduire des citations d'auteurs québécois et d'autres auteurs de la francophonie pour illustrer les mots, les sens et les référents culturels d'ici; à établir une nouvelle grille de marques uniformisée permettant de hiérarchiser les usages; enfin, à développer une méthode de travail informatisée pour toutes les étapes d'élaboration du dictionnaire.


Conclusion

De tous ces constats, il ressort qu'il est temps pour le Québec de se doter d'outils décrivant le français actuellement en usage au Québec, notamment son registre standard, autour duquel doivent être hiérarchisés les autres usages du français au Québec. Le Québec est l'une des rares nations à ne pas posséder de description de ses usages linguistiques. De fait, toutes les grandes nations ont déjà décrit leurs usages et les ont consignés dans un dictionnaire usuel; ce fut le cas pour l'Italie, l'Espagne, la France. Les langues européennes transplantées dans les Amériques ont également été décrites dans des dictionnaires. Ce fut le cas, dès 1782, pour l'anglais des États-Unis qui ont vu la nécessité d'écrire des ouvrages de référence distincts du modèle anglais et, plus récemment, pour l'espagnol mexicain en Amérique centrale et latine et pour le portugais brésilien au Brésil. Le Québec est aujourd'hui arrivé à cette étape de son évolution.

Enfin, le Québec doit faire alliance avec les autres francophones et établir des ponts entre les usages d'ici et ceux de l'ensemble de la francophonie. Le Québec doit fonder des rapports de solidarité avec le peuple acadien et les francophones du Canada sur un intérêt mutuel à l'égard de l'apprentissage et du rayonnement du français. Il importe également que le Québec suscite un niveau supérieur de conscience et de complicité au sein de la francophonie internationale, voire y jouer un rôle de chef de file.


Références

Cajolet-Laganière Hélène et Pierre Martel (2001). Quelques éléments visant à renouveler la pratique lexicographique québécoise, Actes du colloque La représentation de la norme dans les pratiques terminologiques et lexicographiques, 69e congrès de l'ACFAS, Université de Sherbrooke (à paraître).

Cajolet-Laganière Hélène, Marie-France Langlois et Pierre Martel (2001). Les textes journalistiques québécois sont-ils envahis par les emprunts critiqués à l'anglais?, Terminogramme, no97-98, p.47-72.

Commission des États généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec (2001a). Document de consultation et démarche de la Commission, 31p.

Commission des États généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec (2001b). L'avenir du français au Québec: une nouvelle approche pour de nouvelles réalités, Forum national des 5 et 6 juin 2001, 68p.

Labrecque Geneviève (2001). La pratique lexicographique québécoise: le cas des avis officiels émis par l'Office de la langue française, Actes du colloque La représentation de la norme dans les pratiques terminologiques et lexicographiques, 69e congrès de l'ACFAS, Université de Sherbrooke (à paraître).

Martel Pierre et Hélène Cajolet-Laganière (1996). Le français québécois: usages, standard et aménagement, Québec, Institut québécois de la recherche sur la culture, Diagnostics, no22, 141p.

Martel, Pierre et al. (2001). Synthèse des communications présentées lors de la journée thématique portant sur la qualité de la langue (Université de Sherbrooke) et des mémoires transmis à la Commission des états généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec lors des audiences régionales: constats et recommandations touchant la qualité de la langue au Québec, 40p.

Site Internet de la Commission des états généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec: http://www.etatsgeneraux.gouv.qc.ca