Imprimer

Michel CHARTIER

Vice-président, région Ouest et Nord de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada


Partager la passion de la langue française


Des quelque 7millions de francophones au Canada, près de 1million habitent à l’extérieur du Québec(1). Au Nouveau-Brunswick, la seule province officiellement bilingue du pays, les 240 000francophones représentent le tiers de la population. Si les autres juridictions canadiennes comptent moins de 5% de francophones, ceux-ci sont néanmoins souvent concentrés dans certaines régions où plusieurs localités sont majoritairement francophones. C’est entre autres le cas de certaines villes en Ontario ou au Manitoba.

Sur l’ensemble du territoire canadien, le français bénéficie de certaines protections constitutionnelles et législatives, et ce dès l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique en 1867, la loi constitutionnelle ayant officiellement créé le pays. La Constitution établit que le gouvernement fédéral a des responsabilités particulières envers les minorités de langue française, tout comme certaines provinces, soit le Nouveau-Brunswick et le Manitoba.

Dès le début de l’expérience canadienne, il est entendu que même s’il s’agit d’une colonie britannique, le Canada est une terre où francophones et anglophones ont les mêmes droits. Au début du siècle, le parlementaire Henri Bourassa est l’un de ceux qui ont exposé cette vision le plus clairement:

«Depuis 1867, il n’y a plus au Canada de race conquise ou de race conquérante, de race dominante ou de race dominée, mais il existe au contraire, sous la juridiction de la loi elle-même, une égalité parfaite en tout ce qui concerne les droits politiques et moraux des deux races et, en particulier, ce qui concerne l’usage privé et public des deux langages.

(...) Si les deux langues sont officielles, dans les termes mêmes de la Constitution, ces langues ont le droit de coexister partout où le peuple canadien s’exprime publiquement: à l’église, à l’école, dans les parlements, devant les tribunaux et dans tous les services publics»(2).

Les communautés francophones et les alliés qu’elles ont pu trouver à l’intérieur de la majorité anglophone ont cependant dû lutter pour faire appliquer ces principes, une lutte qui se poursuit encore aujourd’hui. D’autres mesures législatives ont été mises en place depuis pour favoriser le développement des communautés de langue française. Au niveau constitutionnel, la Charte canadienne des droits et libertés, adoptée en 1981 et amendée par la suite, contient trois articles importants ayant servi à faire reconnaître les droits des francophones(3):

Plusieurs mesures législatives importantes ont également été prises au niveau fédéral pour renforcer les droits des francophones, notamment:

Il existe aussi un grand nombre de lois appliquant directement le principe de la dualité linguistique, notamment la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation, la Loi sur les marques de commerce et la Loi sur la radiodiffusion.



Des réalités différentes

Nos communautés vivent des réalités variées. Certaines ont été établies voilà 300 ou 400ans, bien avant la fondation du pays lui-même. D’autres ont été formées plus récemment, grâce à l’arrivée de colonisateurs venant du Québec. Leur situation est influencée par leur histoire et les autres communautés avec lesquelles elles partagent le territoire.

Un Acadien grandissant à Halifax en Nouvelle-Écosse comprendra très tôt qu’il parle la langue de la minorité, que la vie publique se déroule presque exclusivement dans une langue qui n’est pas la sienne.

Une Franco-Ontarienne de Bourget, quant à elle, découvrira au cours de son enfance que même si presque tout le monde dans son village parle français, la province où elle habite est surtout anglophone.

Un Franco-Colombien saura dès ses premières années que le français est souvent considéré comme une langue minoritaire parmi tant d’autres, et qu’elle n’est pas nécessairement la plus répandue.

Les francophones vivant à l’extérieur du Québec parlent aussi anglais, dans la grande majorité des cas. Un bon nombre d’entre nous travaillons en anglais et avons un conjoint ou un parent anglophone. L’anglais fait partie de nos vies. Nous n’y échappons pas et nous ne cherchons pas à l’éviter. Comme on dit parfois chez nous, «le français, ça s’apprend; l’anglais, ça s’attrape, un peu comme la grippe.»

Malgré les dispositions législatives et constitutionnelles décrites précédemment, les francophones en milieu minoritaire n’ont pas la tâche facile. Grandir comme francophones, collectivement autant qu’individuellement, cela veut souvent dire faire consciemment le choix de vivre en français plutôt que dans la langue de la majorité.

Certins font le choix de passer à l’anglais, parfois pour le reste de leur vie. C’est la réalité de l’assimilation. Cette érosion de nos communautés a parfois été délibérément accentuée par certains gouvernements, surtout au niveau provincial.

On a essayé de nous faire disparaître. On a essayé de nous dire que nous n’existions pas. Nous sommes pourtant encore là, dotés d’institutions plus fortes que jamais. L’échec de ces politiques assimilatrices est tel que nous parlons aujourd’hui moins de survie de nos communautés, et plus de développement.

Lorsqu’un groupe se sent attaqué, il s’organise, il se mobilise. Les gens se serrent les coudes.

Pour contrer l’assimilation à la majorité anglaise, les francophones et les Acadiens ont tenté d’obtenir ou de conserver les institutions de base de leurs communautés, par exemple des écoles et des conseils scolaires, des hôpitaux et des centres de santé communautaires. Plusieurs de nos communautés sont maintenant plus fortes, plus résistantes à l’assimilation qu’auparavant, un phénomène qui devrait se refléter davantage dans les statistiques de continuité linguistique au cours des prochaines années.


Une francophonie canadienne ouverte

C’est d’abord pour faire reconnaître notre droit constitutionnel à un système d’éducation en français que les premières associations francophones provinciales sont nées au début du siècle. C’est une lutte qui, dans bien des cas, a duré plus de 70 ans. Après avoir enfin remporté ces victoires, nous en sommes maintenant à construire des réseaux institutionnels francophones complets, couvrant toutes les sphères de l’activité humaine: la justice, les communications, la santé, la culture, l’économie, les services sociaux et l’immigration.

La Fédération des francophones hors Québec, rebaptisée en 1991 la FCFA du Canada, a été créée en 1975 pour représenter au niveau national ces diverses associations. La fédération compte aujourd’hui 9 membres provinciaux, 3membres territoriaux et 4membres sectoriels nationaux. Notre rôle principal est un rôle de démarchage politique auprès du gouvernement fédéral et de ses institutions. Même dans une fédération relativement décentralisée comme le Canada, des décisions prises à Ottawa ont un impact direct sur nos communautés francophones.

En plus de nos relations avec le gouvernement fédéral, la FCFA s’emploie à intensifier et développer nos relations avec le Québec. Au cours des années, le Québec et nos communautés ont connu de grands épisodes de solidarité, mais aussi de déchirements et d’incompréhension. Le Québec a beaucoup changé en quelques décennies, la francophonie canadienne aussi. Il faut rebâtir certains ponts, renouer de vieilles alliances.

Que l’on vienne de l’Acadie, du Yukon ou du Québec, ce que nous avons en commun est si fondamental que nous ne pouvons faire semblant que ces liens n’existent pas. Ces liens sont puissants. Ils vont au plus profond de qui nous sommes, de notre âme, de notre mémoire, autant collective que personnelle. Nous avons tous la passion de la langue française et l’intérêt commun de la voir s’épanouir en cette terre d’Amérique.

En fait, notre démarche de rapprochement et d’ouverture de nos communautés ne se limite pas au Québec. Voilà maintenant trois ans, la FCFA a entrepris le processus nommé Dialogue. Ce projet vise à créer des liens entre la francophonie canadienne et les autres composantes de la société canadienne, c’est-à-dire les anglophones, les autochtones, les multiples communautés ethnoculturelles, en plus des francophones du Québec.

En février 2000, un groupe de travail mis sur pied par la FCFA a pris la route pour rencontrer des gens des diverses communautés, d’un bout à l’autre du pays, pour faire connaître la francophonie canadienne et amorcer un échange avec les autres communautés. Ce groupe de travail a particulièrement mis l’accent sur la création de liens avec des leaders et des membres des communautés anglophones, autochtones, ethnoculturelles et francophones. Dans chaque province et territoire, les membres du groupe de travail ont pu échanger avec des représentants d’organismes à vocation économique, culturelle, sociale et communautaire. Le groupe s’est aussi réuni avec des leaders politiques, des hauts fonctionnaires, des universitaires et des chercheurs. En tout, près de mille personnes ont été rencontrées lors de cette tournée.

Ces rencontres ont permis d’entamer un dialogue qui, la plupart du temps, n’existait pas ou n’avait jamais dépassé un statut embryonnaire.

Nous avons entamé ces rencontres parce que nous croyons que nos communautés doivent être mieux connues si elles veulent rayonner au pays et à travers le monde. Nous devons ouvrir l’espace francophone pour que toutes les Canadiennes et tous les Canadiens puissent comprendre d’où nous venons et où nous nous dirigeons. En somme, Dialogue est une ouverture sans précédent de nos communautés vers l'autre.

La FCFA croit fermement qu’au-delà de nos propres limites communautaires, nous avons des amis, des alliés naturels au Canada. À l’extérieur du Québec, près de 1,3 million d’anglophones parlent français, ce qui porte le total de personnes parlant français à 2,3 millions sans même compter le Québec. Il faut nous faire connaître de ces alliés et apprendre à travailler ensemble à la réalisation d’objectifs communs.

Dialogue a franchi une autre étape au mois de mars 2001, alors que près de 500personnes de toutes les communautés se sont réunies à Ottawa pour discuter d’intérêts communs et apprendre à mieux se connaître.

Des chefs de file des différentes communautés ont signé un Pacte d’amitié, où ils s’engagent à prendre compte de trois principes fondamentaux dans les actions qu’ils entreprennent(4).

L’équité. Respecter le principe de l’équité, c’est offrir à chaque citoyen et citoyenne de la société canadienne toutes les chances possibles afin que tous parviennent à des résultats égaux, peu importe leurs conditions. Du principe de l’équité découle notamment l’asymétrie des moyens: le régime de péréquation et l’universalité des services de soins de santé en sont des exemples d’application.

La diversité. Appuyer le principe de la diversité, c’est reconnaître que l’interaction entre les diverses composantes d’une société entraîne de meilleurs résultats. C’est aussi encourager l’idée que différentes perspectives permettent une prise de décision plus juste et éclairée dans le respect des spécificités raciales, linguistiques, culturelles, religieuses, régionales, etc.

Au Canada, la diversité est ancrée dans la Constitution, notamment par les articles traitant des langues officielles, du multiculturalisme et des peuples autochtones.

La communauté. C’est la cohabitation de la diversité et de l’équité. C’est adhérer en tant que citoyens et citoyennes à des valeurs sociales communes et assumer ses responsabilités individuelles et collectives en contribuant au développement de la société canadienne. Le principe de la communauté est en redéfinition constante.

Pour nous de la communauté nationale francophone, être citoyen canadien, c’est vivre pleinement notre francophonie dans le respect et l’ouverture aux autres, tout en étant conscient que les langues officielles sont un gage de l’identité canadienne.

Les prochains mois verront la mise sur pied d’une structure permanente regroupant des représentants et représentantes des diverses communautés, ayant notamment pour mandat d’appuyer des initiatives de collaboration entre les francophones et les autres composantes de la société canadienne.

Évidemment, cette ouverture s’adresse aussi à ceux et celles qui choisissent le Canada comme terre d’accueil lorsqu’ils quittent leur pays, par choix ou par nécessité.

Au Canada, ces gens ont devant eux un choix entre deux langues officielles. Nous ne devrions pas nous étonner du fait que la grande majorité d’entre eux choisissent d’abord d’apprendre l’anglais, ou de s’établir au Québec. Pour plusieurs raisons, cette décision est absolument normale. Cependant, nous estimons que ces gens qui immigrent au Canada peuvent apporter une richesse et un dynamisme importants à nos communautés, en plus d’accroître le nombre de francophones dans les différents territoires et provinces du pays.

Dans le sillage de Dialogue, la FCFA travaille avec Citoyenneté et Immigration Canada pour établir des structures d’accueil pour les immigrants francophones dans certaines communautés francophones de l’extérieur du Québec. Nous voulons que les immigrants sachent que même s’ils choisissent de s’installer dans une région du pays majoritairement anglophone, ils auront accès, dès leur arrivée, à un processus d’accueil et d’orientation en français, de même qu’à des services en français, par exemple dans les domaines de la santé, de l’éducation et du placement professionnel.

Tout comme la formation d’alliances avec d’autres communautés au Canada, nos relations avec les autres États de la Francophonie restent largement à développer. Le thème du Sommet de la Francophonie de Beyrouth, le Dialogue des cultures, me semble justement annoncer une démarche internationale assez semblable à ce que nous avons entrepris ici au Canada.

Nous espérons que ce Sommet sera l’occasion pour nos communautés de renforcer leurs liens avec la francophonie internationale. Nous savons que, tout comme nous, des millions de francophones du monde entier ont la passion de la langue française et qu’ils la vivent en situation minoritaire, sans doute avec autant de fierté.



  1. Les données statistiques sur le nombre de francophones de l’extérieur du Québec, y compris celles qui ont servi à la confection des trois tableaux présentés dans ce texte, sont tirés de : MARMEN Louise et CORBEIL Jean-Pierre, Les langues au Canada, Recensement de 1996, Patrimoine canadien et Statistique Canada. Ottawa, 1999.

  2. Extrait de discours tiré de MORTON, Desmond et WEINFIELD, Morton, Who speaks for Canada ? Words that shape a country, M&S, Toronto, 1998, p.77. La traduction est la nôtre

  3. La liste des changements constitutionnels et législatifs est tirée de: FCFA du Canada, Profil des communautés francophones et acadiennes du Canada, Ottawa, 2001, pp. 23-24.

  4. Les principes sont tirés de: FCFA du Canada, Parlons-nous! Rapport du groupe de travail Dialogue, FCFA du Canada, 2001, p. 38.