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Jean-Alain HERNANDEZ
Enseignant-chercheur à l’École nationale supérieure des télécommunications (Paris)
Président d’honneur de l’Association des informaticiens de langue française


Diversité des applications multimédias pour l’enseignement

Trois axes d’analyse



En juillet 1997, la direction de SVM multimédia annonçait la fin de cette revue ; au départ supplément de Sciences et Vie micro (numéro 1 de la presse informatique en France), SVM multimédia était depuis deux ans un titre autonome. Comment expliquer que, réalisé par des professionnels de la presse et du multimédia, cette revue n’ait pas réussi à trouver son lectorat ni ses annonceurs ?
Je crois qu’une des raisons tient à ce que le mot multimédia recouvre en fait des réalités très différentes, voire contradictoires et ne peut donc correspondre à un lectorat homogène. C’est cet ensemble de réalités que je me propose d’analyser ici selon trois axes : terminaux, mode de transmission et lieux d’apprentissage, ce qu’illustre la figure 1. Le point de vue que nous prendrons sera celui des usages observés. (voir tableau page suivante).

Commençons donc notre analyse par les terminaux, et plus particulièrement par les consoles de jeu. Il peut sembler étrange de faire figurer ces consoles dans une étude sur l’éducation et pourtant... Il y a aujourd’hui plus du quart des ménages qui sont équipés d’une console de jeu (1). La moitié des adolescents garçons jouent, et environ un tiers des filles. C’est donc une pratique essentielle qui pose d’ailleurs bien des problèmes de langue française puisque beaucoup de jeux ne sont pas du tout traduits.

Beaucoup a déjà été dit des jeux vidéo (2). On retiendra ici qu’ils permettent de développer une capacité de réaction tout à fait étonnante, mais également une très bonne maîtrise de la simultanéité d’actions se déroulant en parallèle. Il est ainsi très surprenant de voir la facilité avec laquelle des enfants de 10 ans sont capables de coordonner un certain nombre d’actions se déroulant sous leurs yeux.

Mais ce qui me paraît le plus important, c’est que les jeux vidéo ont considérablement changé le rapport à l’éducation : nombre d’applications se présentent en effet maintenant sous un aspect ludique. On peut même dire que, de plus en plus, l’aspect ludique devient prépondérant. À titre d’exemple, je voudrais évoquer un nouveau cours (un nouveau jeu ?) qui porte sur les techniques financières, matière somme toute assez complexe.

Ce jeu, qui s’appelle Trader (on retrouve là les problèmes de langue française évoqués plus haut) est entièrement français : ses parrains s’appellent France 2 Bourse aussi bien que La Tribune (quotidien économique). Il se présente sous la forme de deux cédéroms : l’un comporte un jeu (il s’agit, pour un jeune milliardaire de se battre contre vingt requins de la finance à coups d’O.P.A/ ou d’émissions d’actions...) ; l’autre comporte des informations sur les principales places financières, leurs produits favoris, etc. Ce dernier a été d’ailleurs réalisé avec l’aide du groupe H.E.C. (une grande école de gestion). Le but est de permettre à des étudiants d’une vingtaine d’années (ou plus) de maîtriser les constructions intellectuelles assez complexes sur lesquelles sont aujourd’hui fondées les techniques financières. Voilà donc un cas typique d’un produit multimédia de formation qui prend l’apparence d’un jeu et qui n’est pourtant pas destiné à des enfants ou à des adolescents !

Ce double cédérom nous donne l’occasion d’évoquer le succès des disques en général. Les cédéroms sont, en effet, devenus le support privilégié des applications multimédias hors-ligne. Leur prix s’en est d’ailleurs trouvé considérablement réduit : nombre de cédéroms valent entre 300 et 400 F (à l’exception notable de certaines encyclopédies électroniques qui peuvent valoir plus de dix fois plus !).

Concernant l’avenir de ces cédéroms, deux points sont à souligner :

Si le CD-I a été un échec, on trouve néanmoins de nombreuses applications qui utilisent la télévision avec succès (on en trouve aussi d’autres qui s’appuient sur la radio, terminal dont l’usage est assez différent de celui de la télévision). L’application la plus classique est, bien entendu, la diffusion d’émissions éducatives regardées en direct ou en différé. Là encore, d’ailleurs, se pose un problème juridique, les professeurs n’ayant en général pas le droit d’enregistrer eux-mêmes une émission pour la visionner plus tard avec leurs élèves.

L’évolution de la télévision va être marquée par l’arrivée du numérique. Le numérique, c’est d’abord une division par 10 du coût de la diffusion, ce qui va permettre l’émergence de nouveaux programmes de télévision et l’arrivée sur les téléviseurs de 400 ou 500 programmes, ce qui va, bien sûr, poser quelques problèmes de choix ! Mais c’est aussi pour les utilisateurs le son de haute qualité, le choix de la langue dans laquelle ils veulent regarder un programme, la possibilité de regarder la télévision dans les véhicules en mouvement (dernier espace où elle était inconnue !) ou encore celle de télécharger des programmes ou des données. On peut donc s’attendre que, sur ces nouvelles possibilités, se bâtissent de nouvelles applications d’éducation qui allieront disques et télédistribution.

Les disques eux-mêmes vont profondément évoluer dans les années qui viennent. Les DVD (Digital Video disks) nous donnent le sens de cette évolution : 113 ou 226 minutes de vidéo contre 72 avec les CD, amélioration très notable de la qualité (qualité haute définition au lieu de VHS), etc. Mais, là encore, rien n’est gagné d’avance. Ce sont des géants industriels qui s’affrontent pour la conquête de ces nouveaux marchés.



Être ici et ailleurs

On a souvent dit que ces nouvelles technologies permettaient de passer du linéaire à l’hypermédia, mais on a peu souligné qu’elles permettaient l’ubiquité. Être ici et ailleurs est un vieux rêve dont on commence à apercevoir quelques réalisations. Il est en effet devenu très à la mode, dans le monde Internet, de disposer çà et là de petites caméras que l’on branche très simplement sur un micro-ordinateur et qui, dès lors, fournissent une vue de l’endroit où elles sont situées toutes les minutes, toutes les heures... Ces vues sont ensuite placées automatiquement sur un site de la Toile où l’on peut les consulter.

La figure 2 montre ainsi une des pages du site proposé par l’office de tourisme de Neuchâtel. Une caméra placée à Vue des Alpes envoie régulièrement une image de ce col. Assis à mon bureau, près de la place d’Italie, il me suffit de jeter un coup d’œil par la fenêtre réelle pour voir le temps qu’il fait à Paris et un coup d’œil par la fenêtre virtuelle située dans mon macintosh – fenêtre virtuelle mais qui ouvre sur le monde réel– pour voir le temps qu’il fait à Vue des Alpes. Et je pourrais ainsi multiplier les fenêtres virtuelles pour me trouver dans dix ou cent endroits simultanément. Là encore, on voit poindre de nouvelles possibilités pour l’enseignement, en particulier dans le cadre du tutorat à distance.



Problèmes à résoudre

Mais cet exemple illustre également un autre aspect des nouvelles technologies : celui de l’importance prise par les aspects économiques. Les applications multimédias d’enseignement sont des applications qui coûtent cher. Dès lors elles ne trouvent parfois leur équilibre économique qu’en faisant appel aux acteurs du marché. À la figure 2, le Crédit suisse apporte sa contribution à l’équilibre économique de cette petite application en mettant de la publicité (en anglais sur une page en français !).

Nous avons vu plus haut que sur un jeu figurait le logo du groupe HEC, un établissement d’enseignement. Rien n’empêche de renverser la proposition et de faire donc figurer sur des cours les logos de partenaires industriels. Mais la mise en place de partenariats industriels ne doit pas se faire au détriment de la qualité de l’enseignement ou de son universalité. Il serait très regrettable, par exemple, qu’un industriel s’oppose à la diffusion dans tel ou tel pays d’un cours qu’il a parrainé uniquement parce que dans ce pays, où il n’est pas présent, le marché est dominé par son principal concurrent. On aura donc à définir de nouvelles règles de déontologie pour que le respect d’une saine gestion aille de pair avec celui d’une certaine éthique.

À ces différents points, il faudrait ajouter l’importance de la création en matière de multimédia. La Toile d’Internet, les graveurs de cédéroms permettent, nous l’avons vu, à tout un chacun de diffuser ses créations multimédias. Mais ce n’est pas suffisant. Il est urgent que se constitue un groupe industriel francophone puissant, prêt à faire les investissements considérables nécessités par le développement des applications d’enseignement multimédias. Il faut également développer la recherche sur ce thème : on a longtemps cru que l’on pouvait se contenter de transposer des cours magistraux sur ordinateur ou de les transmettre par visiophonie. On sait maintenant, après quelques échecs retentissants, que les médias ont chacun leur spécificité : ils constituent en eux-mêmes des messages spécifiques dont le contenu, souvent mal maîtrisé, télescope ceux des cours qu’ils sont censés transmettre (3).

Développement d’une industrie francophone du multimédia puissante, développement de la recherche sur l’enseignement médiatisé : ce n’est qu’à ces deux conditions que la francophonie tirera vraiment parti des nouvelles technologies pour répondre au défi de l’enseignement du français au XXIe siècle.



Bibliographie

(1) Patrice Flichy, Actes du colloque LexiPraxi 96 – Association des informaticiens de langue française.

(2) Actes du colloque LexiPraxi 92, Langues et cultures face au multimédia – Les jeux vidéo – Association des informaticiens de langue française

(3) Jacques Perriault – CNED Canal éducation – n°11 – Printemps 1997