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Théodore Boukaré KONSEIGA


Office national des télécommunications, Ouagadougou



Multimédia et enseignement en Afrique



C’est avec bonheur que je me souviens de la septième Biennale tenue à Moncton au Canada en été 1977 alors que je n’avais que 20 ans. La Biennale de la langue française a grandi et moi aussi. De Moncton à Neuchâtel, cela fait déjà vingt autres années que la Biennale a parcouru et d’autres thèmes ont pu être développés.

À l’heure du multimédia et des inforoutes, la dix-septième Biennale ne pouvait pas trouver meilleur thème que celui de réfléchir sur les impacts du multimédia sur la langue française, outil de communication et véhicule de civilisation d’un peuple.

L’exposé que je m’en vais vous livrer n’est ni celui d’un expert, ni celui d’un professionnel de la communication.

La présente session m’offre l’opportunité de partager, avec des érudits de la langue française, la vision d’un profane, le vécu d’un usager qui emprunte quotidiennement une voie qu’il parcourt inlassablement, sans en savoir plus sur ses carrefours et ses embranchements.

C’est pourquoi je vous prie de bien vouloir excuser les insuffisances de cette communication que vous viendriez à relever. Ma communication va s’articuler en deux parties :

I – CONSTAT

II – PERSPECTIVES ET ESPOIR



Multimédia et enseignement du français en Afrique

Si le multimédia peut se comprendre comme l’application des moyens de communication audiovisuels développés dans les domaines de la presse, de l’édition, de la télévision, de la radio et de la publicité, on peut alors penser que l’enseignement en tirera un grand profit dans ces applications.

En effet, avec les supports ci-dessus énumérés auxquels on peut ajouter celui de l’informatique avec ses multiples applications que sont la télématique, le télétraitement, le télétexte, on aboutit à la possibilité de dispenser un enseignement à distance ou téléenseignement au profit d’un plus grand nombre d’auditeurs.



I – Constat

Le continent africain dans sa globalité connaît encore aujourd’hui les affres du sous-développement dans toute sa cruauté : les populations manquent encore de soins, d’eau, de nourriture et bien sûr de structures d’enseignement.

Sur ce dernier volet, le taux d’analphabétisme est très élevé dans tous les pays d’Afrique. Le taux de scolarisation des 3 niveaux de l’enseignement (primaire, secondaire et supérieur) se situe en moyenne à 3,1 % (1) dans cette dernière décennie.

On dénote encore aujourd’hui une insuffisance criante d’écoles, de lycées et collèges, d’enseignants en quantité et en qualité, de manuels scolaires, de matériels didactiques.

Dans ce contexte matériel et humain, le multimédia semble être un luxe, un mirage pour l’enseignement en Afrique.



II – Perspectives et espoir

Face à ce triste constat, l’enseignement dans notre continent pourrait connaître de meilleurs lendemains avec le multimédia. Cette technologie, qui pourrait donner naissance au téléenseignement comme je l’ai dit plus haut, permettrait de dispenser le savoir à un plus grand nombre d’auditeurs avec un minimum d’infrastructures et d’enseignants (en considérant que les auditeurs peuvent apprendre en restant à domicile ou regroupés dans des centres équipés).

Cependant nous évoquons aujourd’hui avec amertume les expériences ratées de la méthode d’enseignement télévisuelle entreprises par certains pays du continent, notamment en République de Côte-d’Ivoire et l’échec de la méthode CLAD expérimentée au Sénégal et au Burkina Faso (ex-Haute-Volta).

Ce n’est donc pas faute d’avoir essayé des méthodes de masse en vue d’améliorer les taux de scolarisation et/ou d’alphabétisation. C’est pourquoi notre sourire d’espoir s’estompe rapidement à l’idée des coûts d’investissement à consentir par nos États pour des mesures d’appui nécessaires à la mise en œuvre du multimédia dans l’enseignement. Il s’agit notamment du coût des investissements dans les domaines :

Ces supports incontournables du développement socio-économique demeurent encore un luxe pour nos États en quête pour l’instant du minimum vital (se soigner, se loger et se nourrir décemment).

Les budgets de nos États restent largement tributaires de l’aide et de la solidarité internationales, laquelle solidarité se rétrécit comme une peau de chagrin face à l’immensité des besoins dans le monde. Alors on se retrouve enfermé dans un cercle vicieux, dans un tunnel dont on tardera à voir la fin.

Il est vraiment malheureux qu’on en soit encore à ce constat sur cette Terre où le progrès technologique a fait un bond de géant, la réduisant aux dimensions d’un village dit planétaire.

Si je me place dans ce contexte de village planétaire, la notion de solidarité devient un impératif face aux exigences du développement. On ne saurait parler de développement d’une entité sans les éléments fondamentaux que sont la santé, la nourriture et l’éducation, pour ne citer que ceux-là.

En restant dans le domaine de l’enseignement, je voudrais insister sur la nécessité de dispenser le savoir à tous ; il nous faut absolument hisser au même niveau les champs du savoir et des connaissances pour qu’on parle le même langage, pour qu’on marche au même rythme vers le progrès.

À l’heure du multimédia et des inforoutes, faisons en sorte que, dans ce village planétaire, les uns ne baignent pas dans la lumière et les autres dans l’obscurité, au risque de voir les derniers peser lourdement sur le dos des premiers aussi longtemps qu’ils seront remorqués.

À propos d’inforoutes, un quotidien du Burkina Faso titrait dans sa livraison du 19 juin 1997 : « Pour l’Afrique, c’est maintenant ou jamais ». Sous ce titre évocateur, le journal publiait une étude de Valérie Gas de Média France internationale et, en introduction, le journal disait : « Pour sortir de leur sous-développement en matière de télécommunications, les pays francophones d’Afrique subsaharienne doivent d’urgence moderniser et étendre leurs infrastructures. Sinon, ils seront définitivement laissés sur le bord de l’autoroute de l’information ». La francophonie se mobilisera-t-elle pour les aider à atteindre cet objectif ?

L’espoir est permis et il est donc encore temps que les organismes de coopération (ACCT, Francophonie, UNESCO) posent des actes courageux et concrets en vue d’une réelle assistance à l’Afrique francophone pour le développement des moyens d’enseignement.

Avec l’avènement des inforoutes, Internet draine des informations de toute sorte aux conséquences incalculables. Si l’espace francophone n’est pas rapidement occupé par l’utile et l’agréable, d’autres sources, d’autres langues, d’autres civilisations s’en chargeront si ce n’est déjà fait. Il est bien connu que la nature a horreur du vide.

Toutefois, mesdames et messieurs les biennalistes, il n’en sera pas ainsi si une volonté politique ferme s’instaure pour que le savoir et les moyens du savoir soient mis à la disposition de tous au seuil du vingt et unième siècle.

Tel est mon appel et mon espoir, telle restera ma conviction.



Note

(1) Selon un rapport de l’UNESCO sur l’état de l’éducation en Afrique – 1995.