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Rabah CHIBANE


Inspecteur honoraire de l’éducation et de la formation, Annaba


Le multimédia et l’écrit



Le multimédia et le livre, tel était le titre original de cette modeste communication. Il m’a semblé, chemin faisant, préférable de traiter le multimédia et l’écrit, en liaison avec l’esquisse d’une problématique de la lecture.

Cette communication, je le crains, risque d’interférer plus ou moins avec certaines des interventions qui l’ont précédée ou qui la suivront. Elle peut aussi, du moins je l’espère, apporter de l’eau à leur moulin.



Internet ou les vertus du nouveau Samizdat

Permettez-moi de vous raconter une petite anecdote fort significative : du temps de la pensée unique et de la censure, en ex-URSS, les publications légales ou officielles avaient, à tort ou à raison, le goût de la langue de bois. C’était aussi l’époque où circulait sous le manteau une édition clandestine, le Samizdat, mot voulant dire en russe : « qui s’imprime tout seul ». Ce mode de publication était devenu l’expression de la liberté de pensée et de la dissidence et exerçait sur certains lecteurs l’attrait du fruit défendu.

Quelle n’est pas la surprise d’un éditeur clandestin de recevoir la visite d’une vieille dame russe qui le supplie de lui fournir en version Samizdat Guerre et paix. « C’est, lui dit-elle, le seul moyen que j’ai trouvé pour donner à ma petite-fille l’envie de lire ce chef-d’œuvre.

Internet et le multimédia, par les effets conjugués de la nouveauté, de l’exploit technologique et peut-être du snobisme, ne pourraient-ils pas jouer le même rôle ? Exercer la même fascination ? Susciter ou régénérer le goût de lire ? Bref donner à la pratique de la lecture un nouveau souffle ?



Le multimédia et les atouts virtuels de la francophonie

Le multimédia nous permet de rêver d’une bibliothèque virtuelle universelle, d’une bibliothèque francophone où seraient interconnectées les bibliothèques de tous les pays de la francophonie. Chaque lecteur, chaque chercheur disposerait en quelque sorte du don d’ubiquité. Grâce aux hybridations du multimédia (téléphone, télévision, ordinateur ), il aurait accès à toutes les formes de l’écrit ( presse, messageries, documents, manuels). Chacun pourrait consulter, à distance, les fichiers francophones, en télécharger quelques-uns ou reproduire un livre (1) comme ce cafetier de Besançon (Pascal Barbraud) qui a réussi à scanner Le grand secret du docteur Gubler et permis ainsi à quelque 10 000 personnes de le télécharger (On a même parlé de 2 millions de copies de cet ouvrage). Les encyclopédies multimédias bénéficieraient de mises à jour qui les mettraient à l’abri des risques d’obsolescence. L’Internaute francophone pourrait même, dans ses recherches, se servir d’un “guidage” tout récent dans l’exploration des ressources francophones, grâce à un instrument lancé le 22 mai 1997, le “Francoroute” (2). Outil de repérage des sites et documents disponibles en français sur Internet, réalisé par l’Agence francophone pour l’enseignement supérieur et la recherche et le centre de recherche informatique de Montréal, Francoroute s’appuie sur une banque de données d’environ 60 000 documents. Première application : la recherche d’informations scientifiques à partir de quelque 10 000 documents actuellement recensés dans ce secteur par Francoroute. Ainsi la voie est libre et l’accès aux gisements de savoirs exprimés en français de plus en plus aisé et de plus en plus large.

Pour Jean-Claude Guédon (5),« le problème n’est pas celui de la prétendue invasion de l’anglais mais bien celui de la visibilité du français ». Le paradoxe algérien pourrait fort bien illustrer cette observation. L’ Algérie, pays du Maghreb, voire de L’Afrique, le plus imprégné par la langue française, est pourtant celui qui tient le plus à s’en démarquer ; du moins dans les réactions officielles ou superficielles de sa nomenklatura. Si ses voisins font partie de la francophonie, l’Algérie ne veut pas en entendre parler. Dans un article du Monde (3), daté du 20/11/94 intitulé « Du Cambodge à la Moldavie », voici la confidence que son auteur a recueillie d’un diplomate maghrébin présent au Sommet francophone de 1991 : « Les Arabes désirent être dans la francophonie, sans y être, tout en y étant et ne veulent surtout pas que leur appartenance apparaisse comme une trahison de la langue du Coran ».

Depuis l’irruption et la multiplication des paraboles diabolisées par l’intégrisme (les antennes paradiaboliques), elles-mêmes démultipliées par des centaines de câbles suçant et diffusant les mêmes émissions, le français jouit d’une situation paradoxale comparée à celle qu’il avait avant 1962. L’usage du français, alors langue officielle, s’imposait partout, mais s’arrêtait au seuil de la maison algérienne, sauf pour quelques milliers de familles. Après 1988, il s’arrêtait toujours à la porte, mais cette fois il était à l’intérieur des foyers paraboles. Au grand effarement de J.P. Cavada qui, après avoir animé une Marche du Siècle à Alger, découvrait sa présence au cours d’une réception dans une famille algéroise, comme si la France était toujours là.

Cette visibilité du français, grâce aux inforoutes, pourrait se manifester sur toutes les autoroutes de l’information.



Le multimédia et les obstacles réels de la francophonie

Le multimédia comme support de l’écrit devient cependant aléatoire si les infrastructures ne le précèdent pas. Or ce qui frappe dans le tiers-monde en général et le Sud francophone en particulier, c’est la pénurie sinon l’absence des fournisseurs d’accès et des sites. Certains pays n’ont rien. Ceux qui ont pris l’initiative de se connecter à Internet ne comptent que quelques centaines d’abonnés. Ainsi l’Algérie ne dispose que d’un fournisseur d’accès, le CERIST (4), créé en 1985. Un peu plus de 300 institutions exploitent ses services (secteur économique : 200, secteur universitaire : 100, médecine : 25), soit en tout 1600 personnes. Les tarifs sont encore prohibitifs :

50 000 dinars algériens pour le textuel et 100 000 pour le graphique, soit entre 3 et 6 mois de salaire d’un universitaire.

Le directeur de la communication au ministère des Télécommunications marocain annonce 3 500 abonnés à Internet pour le Maroc.

Au Sénégal, Metissacana (6)(qui veut dire “le métissage arrive”) est le premier cybercafé de l’Afrique de l’Ouest. Le pays est “en ligne” depuis mars 1996 : la Société nationale des télécommunications a sous-traité avec l’opérateur américain MCI la mise en place d’une ligne spécialisée reliant le Sénégal aux États-Unis. Il y aurait, dans ce pays, un millier d’abonnés.

Le Congo-Brazzaville (5), selon son ministre des communications, ne dispose d’aucun accès à Internet en 1997.

Autre problème : le prix et donc la rareté des ordinateurs. Il n’y en a même pas assez, a affirmé un étudiant sénégalais, pour les étudiants et les chercheurs à l’Université Cheik Anta Diop de Dakar ; et, quand il y en a, se pose alors le problème de leur entretien (rareté des techniciens, insuffisance de leur formation, pénurie de pièces détachées).

Même le livre se fait rare ou devient inaccessible. Dans un rapport préparé par le président de l’OUA, Abdou Diouf, et rédigé par une dizaine de recteurs et de chefs d’établissements d’enseignement supérieur africains, les rapporteurs reconnaissent, entre autres carences, que « les bibliothèques sont vides » (7). C’est aussi le cas des librairies en Algérie. Même son de cloche au Nigeria dans un communiqué de l’AFP du 12/12/94 : « La lecture est en voie de disparition au Nigeria » (8), dont voici l’essentiel :

« Les prix des livres y ont flambé de près de 1000 % en raison de la déconfiture du naira, monnaie nationale. Certains lecteurs de journaux qui en achetaient 3 ou 4 par semaine, se contentent, au grand dam des vendeurs, de les regarder et de les parcourir devant les kiosques. Même les journalistes ont du mal à en acheter et se contentent de les lire quand ils en trouvent gratuitement. Un universitaire se plaint, faute de disposer de nouvelles publications, de n’avoir pu achever un quelconque travail de recherche depuis les six dernières années, ni de pouvoir recommander de nouvelles lectures à ses étudiants. Les bibliothèques sont vides ou n’offrent que des publications vieillottes et dépassées. Une étudiante en troisième année d’études françaises affirme n’avoir jamais vu un livre de conjugaison française dans son département »

Faut-il s’étonner de cette situation ? La rareté des livres et des ordinateurs n’est qu’une des manifestations de la pénurie qui sévit en Afrique et particulièrement en Afrique francophone. Pénurie d’argent : pensez à l’endettement du tiers-monde. Les dettes d’un pays comme l’Algérie n’ont fait qu’augmenter malgré ses remboursements. Chaque nouveau-né algérien reçoit à son premier vagissement, en guise de cadeau, 1000 dollars de dette pour sa venue au monde. Voyez le pillage du tiers-monde par les détenteurs des leviers du pouvoir, la dégradation perpétuelle des termes de l’échange. Pénurie de nourriture : la famine, banalisée par les médias, y fait toujours des victimes. Pénurie d’eau : au dernier sommet du G7 (devenu G8), le président Jacques Chirac a proposé, comme programme d’aide à l’Afrique et cela au seuil du troisième millénaire, l’accès pour chaque Africain à un point d’eau. Pénurie de santé : le SIDA y fait des ravages, bien plus qu’ailleurs. Pénurie de démocratie : l’alternance au pouvoir n’est pas encore admise ; ni les droits de l’opposition ; ni même ceux de la majorité. Et surtout, surtout, pénurie de paix : mutineries, guerres entre pays voisins, guerres civiles, génocides, fuite éperdue de populations décimées au cours de leurs exodes, terrorisme ; bref, c’est le retour de la barbarie aux multiples horreurs.

La violence (cette drogue dure où “l’overdose” sortant de la bouche du fusil est d’emblée garantie) aboutit à ce que G. Bouthoul, spécialiste de polémologie, appelle l’émigration vers l’au-delà. À quoi il faut ajouter l’émigration devenue impossible mais, en dépit des charters de retour forcé, toujours recommencée vers les fascinants pays du Nord qui, à travers leurs lucarnes magiques, sont les nouvelles cavernes d’Ali Baba. (« Là où – selon le vers du poète – tout est calme, luxe et volupté »). En somme, pour les peuples déshérités de la périphérie et leurs candidats au voyage avec un aller simple, la version moderne du supplice de Tantale.

En Algérie, les pertes sont impressionnantes ; émigration vers l’au-delà : entre 60 000 et 100 000 victimes ; émigration vers la France, le Canada, l’Italie : 400 000 personnes depuis 1992. Ce sont les élites, les meilleurs cerveaux, essentiellement des francophones et donc les vecteurs naturels et dynamiques de la langue française.

Que peut faire le Nord francophone pour ces damnés de la terre ? Lui-même a fort à faire avec sa jeunesse victime du chômage, de la drogue, de l’exclusion et même de l’illettrisme ; avec ses forces vives stressées ou agressées par les suppressions d’emploi et la délocalisation, donc par la perte de leur travail, et son troisième âge menacé dans sa retraite et sa santé par de nouvelles contraintes. En définitive, il ne s’agit pas de mettre en parallèle les pays développés et les pays en voie de développement (ou de sous-développement), les pays bien connectés et les pays moins connectés, bref les inforiches et les infopauvres. Les pays pauvres ne sont pas seulement pauvres, ils sont en proie à toutes sortes de catastrophes qui aggravent leurs malheurs.

Jean-Louis Roy, secrétaire général de l’Agence de la francophonie, estime que ce n’est pas avant 2 025 que la francophonie pourra bénéficier de la totalité de ses sources de production, celles du Nord et celles du Sud.

Le reste du monde et le cyberespace, pendant ce temps, ne resteront pas immobiles. Si les progrès continuent de se démultiplier, l’écart va-t-il s’approfondir ou se réduire ?



La lecture en question

L’écrit électronique exige de l’internaute qu’il soit un bon manipulateur des appareils multimédias ; une étude récente (9) a démontré que la moitié des Français éprouvaient des difficultés à utiliser les nouvelles technologies ; observation corroborée par la revue Regards sur l’actualité (10) : « 45 % des propriétaires de magnétoscopes sont incapables de les programmer ». Même si la “technophobie” ne joue pas dans le comportement humain, il reste que l’écrit électronique s’adresse à un lecteur capable déjà de zigzaguer aisément à travers les textes, de zapper les séquences sans intérêt et de zébrer de couleurs vives les passages exploitables ; capable aussi de lectures lentes ou rapides, non linéaires et ajustées à leur objet ; bref, capable de flexibilité dans l’acte lexique.

Libre de lire assis ou debout, couché ou caché, dans n’importe quelle position, n’importe où et à n’importe quelle heure, le voici obligé de regarder un écran dont la brillance entraîne une fatigue oculaire, d’y parcourir des textes à la limite de la lisibilité avec une “titraille” rapetissée, n’ayant plus le même effet d’accroche.

Le feuilletage d’un journal où une fraction de seconde suffit pour changer de page n’est plus possible ni compensé par le défilé des pages, même facilité par les liens hypertextes. La sensation de lecture, la progression du regard ne sont pas celles de l’écrit imprimé. Comment, en outre, retenir l’attention de l’utilisateur entre deux pages ? Bien plus, l’emploi de la vidéo, la multiplication des illustrations ralentissent le rythme de la lecture. Très sollicitée par le multimédia mais concurrencée par l’image, la lecture se révèle un acquis décisif dans la vie de chacun : « l’accès à l’information écrite, constate J.C. Passeron (11), se présente aujourd’hui comme la condition préalable à la pleine utilisation des autres codes (y compris, bien sûr, de l’audiovisuel). Aucune des autres compétences ne saurait, aujourd’hui, en sa forme achevée, être illettrée ». Mais la lecture apparaît aussi comme un acquis fragile : fragile parce qu’elle peut être enseignée d’une manière peu motivante et peu efficace ; fragile aussi parce qu’elle peut manquer de documents pour s’exercer : un livre sans lecteur est une chose morte mais un lecteur sans livre est une espèce menacée (ou en voie de disparition) ; fragile enfin, parce que l’apprenant (enfant ou adulte) peut s’en détourner et lui préférer la télévision ou la vidéo ; rien ne pourrait mieux illustrer cette fragilité que la question que se pose Françoise Dolto dans un chapitre autobiographique de son livre La cause des enfants (12), sur sa difficile initiation à la lecture : « est-ce que, si j’étais née 50 ans plus tard, au temps des dessins animés, de l’audiovisuel et des bandes dessinées, j’aurais eu un désir aussi ardent d’apprendre à lire ? ».

Cette question interpelle les éducateurs et tous ceux qui se soucient de défendre et de répandre la langue française dans le monde.



Internet, en démultipliant les productions francophones, peut-il aussi multiplier leurs lecteurs ?

C’est là que le bât blesse. Le monde occidental, où l’éducation est garantie à chaque citoyen, se découvre victime d’une nouvelle forme d’analphabétisme, l’illettrisme. Aux États-Unis, en 1983, 23 millions d’adultes étaient illettrés et 13 % des jeunes de 17 ans incapables de lire une phrase. 6 ans plus tard, en 1989, 25 % des lycéens et 50 % des Noirs sont pratiquement incapables de lire lorsqu’ils terminent leurs études (13). En première année de l’Université publique de Washington, on compte 18 classes d’apprentissage de la lecture (14). Or, que se passe-t-il dans le tiers-monde ? Si, grâce à la scolarisation, le pourcentage d’analphabètes continue d’y baisser, leur nombre n’a cessé d’augmenter. L’Inde comptait 300 millions d’analphabètes en 1951 et 437 millions en 1981. En 1951, 105 millions d’enfants de 6 à 11 ans ne fréquentaient pas l’école et 200 millions en 1990, d’après l’UNESCO (15). Il y avait 760 millions d’analphabètes dans le monde en 1970, 824 millions en 1984, 1 milliard en 1996 (16).

Si l’analphabétisme est le produit de l’exclusion scolaire (faute d’école ou faute de place) et l’illettrisme le produit de l’échec scolaire (l’écolier ou le lycéen finit sa scolarité sans savoir lire), ces deux fléaux se confondent-ils dans le tiers-monde ou bien faut-il les additionner, ce qui aggrave la situation ? Les recherches et les statistiques sur l’illettrisme concernent essentiellement les pays développés. Il ne semble pas, à ma connaissance, que les pays du Sud aient pris garde à l’illettrisme et cherché à l’évaluer. Il ne faudrait donc pas que le multimédia soit l’arbre qui cache la forêt.



Remèdes : quelques propositions en guise de conclusion

Le multimédia, en permettant la consultation à distance de l’écrit et en le démultipliant par le téléchargement, sera une chance pour ceux qui sont “en ligne”, c’est-à-dire en première ligne : les universitaires, les chercheurs les médecins, les journalistes etc. Bref, ceux qui, par curiosité, par goût ou par profession, sont des lecteurs. Ils pourraient ainsi exploiter les gisements de savoir que le célèbre généticien J. Testard décrit ainsi « Comme les souris font des petits, les acquis en produisent de nouveaux, sur un mode exponentiel. Ils remplissent les bibliothèques, grouillent dans les cerveaux des étudiants et les plus spectaculaires seulement s’ébattent dans les médias. Une civilisation ne se reconnaît pas pas à son art de vivre, mais au poids de cette production »(17).

Mais la bibliothèque virtuelle ne saurait supplanter la bibliothèque réelle : c’est pourquoi il faut applaudir l’annonce faite par M. J. P. Remy, directeur de la bibliothèque nationale de France, le jour de son ouverture, d’un don de 137 millions de livres, ouvrages de qualité disponibles en plusieurs exemplaires dans cette institution. Si l’on y ajoutait la récupération partielle des invendus voués au pilon et les livres d’occasion dont les lecteurs français accepteraient de se séparer, le stock des ouvrages disponibles deviendrait impressionnant. Des montagnes de riz ont été constituées à partir de petits dons d’écoliers et expédiées dans les pays victimes de la famine. Les livres, ces nourritures spirituelles, ne pourraient-ils pas bénéficier de semblables chaînes de solidarité ? La presse, les revues spécialisées feraient l’objet d’abonnements payés en monnaie locale. Des ONG en assureraient la gestion. L’argent récupéré ici s’investirait ailleurs mais sans quitter les pays bénéficiaires. Les fonds propres aux ONG serviraient à d’autres investissements en faveur de ces mêmes pays : achats d’ordinateurs, installation d’un fournisseur d’accès à Internet, acquisitions d’appareils médicaux, d’éoliennes, de panneaux solaires etc.

Resterait à s’appuyer sur l’aspect didactique de l’apprentissage du français : langue officielle véhiculaire ou simple langue vivante. L’initiation à la lecture qui en fait partie intégrante dépend elle-même de la réussite de cet apprentissage. Il faudrait, dès lors, encourager l’amélioration des méthodes existantes ou en créer de nouvelles qui seraient plus attrayantes et surtout plus adaptées à l’environnement socio-économique et culturel des apprenants et à leurs motivations. Et donc aboutir à des méthodes plus efficaces.

Il faudrait aussi encourager la formation des formateurs en recourant au micro-enseignement : la compétence des enseignants et leur savoir-faire didactique sont décomposés en pratiques simples et distinctes, susceptibles d’être maîtrisées en deux ou trois essais. Ces essais sont enregistrés sur vidéocassettes, puis visionnés et analysés par un groupe en formation, ses conseillers pédagogiques et le stagiaire désigné pour acquérir une des pratiques inventoriées. Les résultats de la critique collective et de l’autocritique(c’est désormais une autoscopie) sont intégrés à la prochaine tentative. Il s’agit toujours de mini-séquences (5 à 6 minutes), de mini-savoir-faire et de mini-classes (5 à 6 élèves renouvelés à chaque essai). Les enregistrements (protocoles, fiches de préparation, questionnaires d’évaluation, images et sons) sont de véritables documents multimédias transmissibles à d’autres groupes (profit différé dans le temps et dans l’espace).

Les méthodes et les formations seraient numérisées et regroupées sur un serveur à vocation pédagogique pour être consultées ou téléchargées à la demande.

Et, pour finir, il conviendrait d’exploiter à fond le bouquet de chaînes en langue française qui devraient déborder l’espace francophone ; et y faire circuler les productions culturelles du Sud comme du Nord.

À l’éclectisme des moyens qui permet de faire flèche de tout bois, il faut associer trois idées-forces en leur redonnant la visibilité qu’elles méritent (le mot est à la mode en ce moment) :

La langue française doit être d’abord l’expression de la modernité : il ne faut surtout pas que le locuteur ou l’apprenant francophone ait la même impression que J. Baudrillard pour qui la modernité est en version originale en Amérique et en version sous-titrée ailleurs. L’expression ensuite de la réciprocité : il serait hautement souhaitable de mieux faire connaître les langues et les cultures du Sud. L’expression, enfin, de la générosité, même si (chacun en est conscient, au Sud comme au Nord) elle ne peut assumer toute la détresse du monde. Mais une générosité capable, avec un minimum de cohérence, d’accorder les paroles avec les actes.



Notes

(1) Cyberpresse, Serge Guérin. Hermès 1996.

(2) Communiqués de l’AFP dans le quotidien algérien La Tribune, 22.5 et 29.5.1997.

(3) Le Monde, 20.11.1994, « La Francophonie : du Cambodge à la Moldavie ».

(4) La Tribune, 15 mai 1997.

(5) « Multimédia », Libération, 23 mai 1997.

(6) Le Monde, 18-19 mai 1997.

(7) Le Matin, 15 février 1995 (quotidien algérien).

(8) « La lecture est en voie de disparition au Nigeria », AFP, La Tribune, 12.12.1994.

(9) Interview de R. Balladur, SVM (Science et vie Micro), avril 1995.

(10) Regards sur l’actualité, janvier 1996 (La Documentation française).

(11) « Bibliothèques publiques », J.C. Passeron, Esprit 1987.

(12) « L’initiation ou les babouches d’Abou Kacem », La cause des enfants, Laffont 1985.

(13) Les dernières générations de l’écrit, René Dubroux, Favre 1989.

(14) Le monde diplomatique, mai 1997.

(15) Le français dans le monde, numéro 238, janvier 1991.

(16) Le Monde, 6.3.1990.

(17) L’œuf transparent, J. Testart, Flammarion 1986.