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Allocution de M. Maurice PORTICHE

Ambassadeur de France au Burkina Faso


- Monsieur le Ministre d'État, Ministre des Affaires étrangères,

- Monsieur le Président de la Biennale,

- Monsieur le Recteur de l'Université de Ouagadougou,

- Monsieur l'Ambassadeur du Canada et cher collègue,

-Chers biennalistes,


J'ai d'abord le plaisir de vous annoncer que la XVIIIe biennale de la langue française a été l'occasion pour l'Ambassade de France d'inaugurer son site internet dont les brochures sont disponibles dans cette salle.


La tenue de la dix-huitième biennale veut marquer la place majeure qu'occupe l'Afrique au sein de la francophonie, mais je voudrais ajouter une seconde raison de la pertinence de ce choix, puisque tout laisse à penser que Ouagadougou accueillera également le sommet de la Francophonie en 2003. J'ai lieu de penser que, d'ici là, un certain nombre de manifestations francophones aussi importantes que la Biennale de la langue française se tiendront à Ouagadougou.


Monsieur le Président de la biennale, je voudrais citer une jolie phrase dont vous êtes l'auteur. Vous disiez que les biennalistes sont la conscience de la francophonie. Oui ! Vous êtes effectivement la conscience de la francophonie; 34 années durant, vous avez réfléchi, vous avez travaillé sur les thèmes les plus importants qui soient de la francophonie, ce travail s'est traduit par l'édition des Actes dont on a vu tout récemment l'importance non seulement intellectuelle mais aussi matérielle. Pour tout cela, je tiens personnellement à vous remercier.

La pertinence des thèmes de la XVIIIe biennale est également avérée. Le premier portant sur l'expression du droit dans la francophonie et le deuxième sur le Burkina et la francophonie. Ces deux thèmes m'inspirent une double observation :

La première est que la langue est porteuse d'une pensée; la langue n'est pas seulement un instrument de communication. On peut parler la même langue et ne pas parler le même langage. Je vais tenter d'apporter ici une explication linguistique des forces qui tiraillent la société internationale. Très prochainement se tiendra à Seattle la conférence de l'OMC. À cette occasion, deux conceptions de l'économie mondiale vont s'affronter : d'une part la conception américaine et d'autre part la conception européenne dans laquelle l'influence intellectuelle de la France est prépondérante. La conception américaine, c'est le libéralisme pur et dur, la conception européenne prône un libéralisme régulé. Cela se traduira à Seattle par la prise en compte, à la demande de l'Europe, d'au moins deux points importants :

1) comment faire pour inclure les pays les moins avancés ou les pays en voie de développement dans l'économie internationale ?

2) exclure les produits culturels des lois du marché, les produits culturels n'étant pas considérés par l'Europe et la France comme une marchandise comme les autres.


Ces deux positions expriment des différences de pensées liées à des langues différentes. J'ose dire que l'anglais est une langue directe, efficace, économiste, et le français, une langue humaniste.


L'anglais, langue économiste, traduit le principe selon lequel l'Homme doit être au service de l'économie; le français, langue humaniste, est porteur du principe contraire qui est que l'économie doit être au service de l'Homme. Voilà, sur un plan théorique, les traductions géopolitiques de ce que je considère tout simplement être à la base une question linguistique et je constate que la façon de voir les problèmes internationaux ne met pas suffisamment l'accent sur ces problèmes linguistiques, peut-être parce que nous vivons dans une espèce de confort intellectuel qui consiste à dire que ces différences seront surmontées par l'uniformisation culturelle et linguistique.


La deuxième observation a trait à l'idée que la langue est le vecteur d'une identité. Le Burkina Faso parle français, mais le Burkina Faso a également ses dialectes et, au travers de cette dialectique entre le français et les langues nationales du Burkina Faso, il y a une réalité identitaire qui s'exprime. À Boston où j'étais en poste avant de venir à Ouagadougou, je suivais de très près la genèse d'une théorie, celle d'un éminent professeur américain de l'Université de Harvard, qui a écrit un ouvrage intitulé Le choc des civilisations. Le titre m'a intrigué et j'ai eu des entretiens avec l'auteur selon lequel l'unilatéralisme de la pensée américaine ne peut aboutir qu'à l'unilatéralisme culturel et religieux, d'où, inévitablement, le choc des civilisations. La démarche de la francophonie est totalement inverse. C'est une démarche respectueuse des différences identitaires, qui proclame l'unité dans la diversité. C'est pourquoi, en conclusion, je voudrais dire que je m'enorgueillis du fait que l'entreprise francophone ait tracé la voie pour d'autres groupes linguistiques tels que l'espagnol, le portugais et l'arabe, d'autres voies de tolérance, d'autres voies de respect mutuel de nos différences.