Biennale de la Langue Française

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Message de M. Jean CLUZEL

Secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences morales et politiques


lu par Roland Eluerd


La nouvelle citoyenneté


La déclaration universelle des droits de l'homme fut adoptée, à Paris, en 1948. L'idée, certes, n'était pas neuve. L'histoire a surtout retenu, parmi les formulations antérieures, la Déclaration d'indépendance américaine et la Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen. Mais le texte de 1948 a ceci de particulier qu'il est universel et qu'il a pour objet de fonder un nouvel ordre international ayant pour base le respect de la dignité de l'être humain.

On pourra toujours objecter que cette déclaration n'a pas suffi à empêcher les violations des droits de l'homme que nous connaissons toujours : génocides, actes de barbarie, atteintes à la liberté d'expression, réfugiés et personnes déplacées, intolérable misère... Néanmoins les idées démocratiques ont considérablement progressé dans le monde depuis un demi-siècle manifestant ainsi les progrès de l’État de droit.



La citoyenneté dans l'histoire

Au départ, la citoyenneté est une idée abstraite. Elle prend corps à Athènes, au cinquième siècle avant notre ère. Le citoyen est celui qui appartient à la cité. Cette appartenance lui donne en contrepartie la possibilité de disposer de droits personnels et de droits politiques. Il participe à l'assemblée du peuple sur l'agora. Il peut y prendre la parole. Il a vocation à exercer le pouvoir en se faisant désigner à des postes de responsabilité et en accédant à des magistratures.

Mais tout le monde était-il citoyen à Athènes ? Non; les citoyens libres et égaux n'étaient que quelques dizaines de milliers (soit un dixième de la population). Les autres, qu'ils soient esclaves, étrangers, mineurs ou femmes, n'avaient pas tous vocation à devenir citoyens. C'est ce qui, à notre époque, a fondamentalement changé puisque tout homme et toute femme a vocation à devenir citoyen dans son pays dès qu'il ou elle atteint sa majorité.

La citoyenneté est d'abord une adhésion et une appartenance. On est citoyen d'un État. Et l'exercice de cette citoyenneté implique l'existence de droits et d'obligations civiques dont il faut savoir que le champ et la qualité ont varié au cours de l'histoire, mais aussi qu'ils varient encore de nos jours d'un pays à l'autre. À la différence des droits de l'homme, les droits et les devoirs du citoyen sont donc nécessairement inscrits dans le cadre géographique, sociologique, historique et institutionnel d'un État déterminé.

Or, aujourd'hui, nous rencontrons cette confusion (que la Révolution française n'a pas commise) entre droits de l'homme et droits du citoyen, entre humanité et citoyenneté. Souvenons-nous qu'en 1789 les révolutionnaires s'appelaient entre eux - et interpellaient les autres - en utilisant le mot de «citoyen». Les révolutions qui suivirent et qui se voulaient " internationales " utilisaient le mot de «camarades».

Si l'homme et le citoyen n'avaient été qu'une seule et même chose, la Révolution n'aurait jamais produit la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen. Évitons de faire cette distinction et restons à cette formule qui veut que tout homme ait vocation à devenir citoyen. Il peut être trop jeune encore pour l'être (il faut attendre 18 ans en France); il peut être citoyen déjà mais d'un autre pays (et il n'est donc pas encore naturalisé). Enfin il peut avoir renoncé à sa citoyenneté en raison de délits qui entraînent la perte des droits civiques, autre mots pour citoyenneté. Dans ce dernier cas, le citoyen se retranche, lui-même, de l'assemblée des citoyens. On eût dit autrefois qu'il quittait la Cité et son châtiment pouvait aller jusqu'à la mort ou du moins à ce qui s'appelait l'ostracisme (le bannissement).

Ainsi la citoyenneté lie l'individu à la société, à l’État, à la Nation qui en retour lui offrent les conditions de vivre et de travailler selon des règles communes à tous et de s'exprimer démocratiquement par ses votes. En effet, le citoyen est l'un des membres de ce grand corps souverain qu'est le peuple. Il est souverain parce qu'il vote et il est sujet parce qu'il doit obéir aux lois qu'il a votées.

Sur cette première définition du citoyen et de la citoyenneté s'en sont greffées deux autres, fruits, pour l'une, de l'histoire, pour l'autre, de l'idéologie. ce sont :

- la citoyenneté nationale,

- la citoyenneté sociale.

Reprenons ces deux thèmes.


Citoyenneté nationale

La première idée a pour origine les Français, héritiers de la Révolution de 1789, qui ont très vite accroché à la citoyenneté l'idée de Nation. En effet, leur longue histoire a fait que, plus que d'autres, les Français furent conscients que la citoyenneté ne pouvait s'exercer que dans un cadre déterminé servant d'environnement à une identité collective. Le cadre de cette identité, c'est la Nation. Pour les Français, la citoyenneté, c'est aussi l'attachement à la Nation. Il faut même avouer qu'à première vue on ne fait pas grande différence entre

" citoyenneté française " et " nationalité française ".

Pour les Français, la Nation reste un repère fondamental parce qu'il est tangible, familial, affectif et spirituel. On connaît la phrase de Renan :

« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une et constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de faire valoir l'héritage indivis...»

L'amour de la Nation et le dévouement qui lui est dû par les citoyens ne doivent cependant pas être confondus avec le nationalisme, exacerbation de la possessivité et sentiment de l'exclusivité.

Par conséquent, la citoyenneté est une volonté et même une joie d'appartenir à une communauté organisée. La contrepartie de cette appartenance, c'est l'impôt ainsi que l'obligation militaire.


Citoyenneté sociale

La deuxième idée accrochée de plus en plus souvent à celle de citoyenneté est le fruit d'une idéologie déjà ancienne, mais dont les effets se font sentir plus fortement aujourd'hui. C'est celle de la réalité sociale. Elle procède d'ailleurs de la fusion entre les Droits de l'homme et ceux du citoyen. Condorcet, le premier, l'a pressenti. Selon son école de pensée, l'homme et le citoyen sont tellement semblables qu'on ne les distingue plus. Et surtout, on ne distingue plus les droits propres à la nature de l'homme des droits politiques octroyés par l’État dont il est ressortissant. C'est alors que toute citoyenneté se dissout et, avec elle, les devoirs qui s'y rattachent : on veut voir l'homme avant le citoyen.

Cette citoyenneté sociale est juxtaposée aujourd'hui à la citoyenneté que l'on appelle politique. À l'inverse de la citoyenneté politique, définie par des droits et des devoirs qui établissent l'appartenance d'un individu à une communauté politique, la citoyenneté sociale n'a pas d'existence juridique et n'impose aucun devoir; elle repose sur la reconnaissance du caractère unique de l'être humain, titulaire à ce seul titre des droits fondamentaux, sacrés et inaliénables; ce sont les droits naturels, appelés Droits de l'homme.

Mais cette définition de la citoyenneté pourrait, à la limite, occulter les devoirs de l'homme et du citoyen. En effet, elle conduit à représenter l’État comme le grand distributeur propre à satisfaire les besoins, certes réels, de tous les hommes relevant ou non de son pouvoir, mais elle oublie souvent les obligations de l'homme vis-à-vis de l’État.

Soyons clairs : ce dont on veut parler lorsque l'on évoque la citoyenneté, c'est la capacité de participer à la vie du corps politique.

Or, dans nos sociétés modernes, la citoyenneté n'est pas la dimension première de l'appartenance à la société. La citoyenneté vient plus tard. Elle se forme après, c'est-à-dire après le long processus par lequel un être humain se construit. Il faut être homme avant de devenir citoyen. En réalité, l'optimisme démocratique fait que nous avons opéré un véritable renversement. Autrefois les hommes devenaient des citoyens. Aujourd'hui nous en faisons d'emblée des citoyens. Encore faut-il les conduire jusqu'à maturité. C'est tout le programme de la démocratie ! Nous sommes ainsi passés d'un monde où il y avait peu de citoyens égaux en droits à un monde où tous sont citoyens, mais où certains en appellent à la protection de l’État pour accéder à l'égalité. L’État est devenu redistributeur. C'est même maintenant sa fonction principale et parfois exclusive.

La mise en œuvre de la citoyenneté sociale repose sur une valeur fondamentale appelée solidarité. Cette valeur s'est peu à peu imposée aux rapports qu'entretiennent entre eux les membres d'une même nation, avant de percer aujourd'hui sur le plan international. En un sens, on a simplement allongé la liste des droits déjà reconnus au nom de la liberté des individus. Mais on voit bien que la solidarité suppose la prise en compte de leur dignité dans le cadre de la communauté sociale en tant que telle. Cela veut dire, dans la pratique, que les droits dits " sociaux " dépendent pour l'essentiel de l'action de l’État. Ils ont donc besoin d'un État fort pour s'épanouir parce qu'ils sont revendiqués par chaque catégorie sociale intéressée, comme des exigences absolues.



Mais...pas de République sans citoyens !

Les citoyens doivent cependant admettre que leurs droits ne peuvent être obtenus et maintenus que dans la mesure où, ensemble, ils remplissent leurs devoirs. Cela signifie que la pérennité d'un État dépend de la volonté des citoyens de respecter une morale de l'intérêt commun. Faire vivre une République suppose des citoyens assez nombreux et assez vertueux : sur ce point rien n'a changé depuis que les citoyens d'Athènes et de Sparte résolurent de résister aux despotes.



 

 

Accréditation OING Francophonie

Sommaire des Actes de la XVIIIe Biennale

SOMMAIRE

XVIIIe Biennale de la langue à Ouagadougou 1999

L'expression du droit. Le français, langue africaine et internationale.

La jurisfrancité. Le Burkina-Faso et la francophonie


Préface de Roland ELUERD

Remerciements de Roland ELUERD


SEANCE SOLENNELLE D'OUVERTURE

Allocution de Roland ELUERD

Allocution d'Hélène GUILLERMOU

Allocution de Jeanne OGEE

Discours de bienvenue de Filiga Michel SAWADOGO

Allocution de S. E. Maurice PORTICHE

Discours solennel d'ouverture de S. E. Youssouf OUEDRAOGO

Message de Sheila COPPS

Message de René MONORY

Message d'Anne MAGNANT

Message de Stelio FARANDJIS

Message de Franck BOROTRA

Allocution de Marcel BEAUX

Message de Jacques LEGENDRE


I L'EXPRESSION DU DROIT

Le français, langue africaine et internationale

Jean CLUZEL

A. Le temps et l'espace

Jean-Claude TAHITA

Albert DOPPAGNE

Yvaine BUFFELAN-LANORE

Ouango Paul ZEMBA

Paul SABOURIN


B. Les domaines et les nouvelles technologies

Edmond JOUVE

Pierre LERAT

Jean-Paul BUFFELAN-LANORE

Karl CROCHART


C. La jurisfrancité

Shaheda PEEROO

Pierre DECHEIX

Michel DOUCET

Alain A. LEVASSEUR

Alain LANDRY

Floiran TAVARES

Ridha MEZGHANI


D. Expressions littéraires du droit

Oumar KANOUTE

Mariana PERISANU


II. LE BURKINA FASO ET LA FRANCOPHONIE

A. Structures institutionnelles

Paul Ismaël OUEDRAOGO

Baba HAMA

Salaka SANOU

Urbain AMOA

Herman ZOUNGRANA

Patrick BERGEN

Jean R. GUION

Simon COMPAORE


B. Langues, littératures et enseignement

Michel TETU

Lise SABOURIN

Alain VUILLEMIN

Gisèle PRIGNITZ

Youssouf OUEDRAOGO

Auguste Robert NEBIE


C. Table ronde «La littérature burkinabè: présence de l'oralité, place dans l'enseignement »

Jacques CHEVRIER

Alain Joseph SISSAO

Joseph PARÉ

Louis MILLOGO

Maître Titinga Frédéric PACERE


Discours de clôture de Roland ELUERD

Vœux de la XVIIIe Biennale

Liste des participants


A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93