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Ouango Paul ZEMBA

Enseignant au département de Psycho-philosophie (FLASH), chargé de cours à la FDSP,

Université de Ouagadougou


Droits coutumiers africains, source de droit étatique?


Introduction : Précisions conceptuelles préliminaires

Le sujet que nous nous proposons d'examiner aujourd'hui met en liaison deux notions, celles de droits coutumiers et de "source de droit". Il est donc nécessaire qu'avant tout développement nous clarifions ces deux notions, du moins que nous en ayons une idée partagée, pour éviter les incompréhensions.


a) Problèmes de définition de la coutume

* Les manuels de droit civil

Les manuels de droit civil distinguent deux conceptions possibles de la notion de coutume : la coutume lato sensu (au sens large) et la coutume stricto sensu (au sens strict). Selon Marty et Raynaud (Droit civil TI n°113) et Carbonnier (Droit civil T1), on emploie « le terme coutume dans un sens très large pour désigner toutes les règles de droit qui se dégagent des faits et des pratiques dans un milieu social déterminé et indépendamment du législateur; on y comprend non seulement les usages, mais la jurisprudence constante, la doctrine établie, ou, en droit international, le droit commun législatif, résultant de la concordance des lois nationales, sans exclure même les principes généraux du droit » ou la philosophie du droit : c'est en ce sens que A. Lebrun entend aussi la notion de coutume dans sa thèse La coutume (Caen 1932) .

Au sens strict nous avons encore deux conceptions différentes de la coutume : une conception traditionnelle dite théorie romano-canonique qui ramène la coutume à un pur produit social constitué de deux éléments :

- un élément matériel : c'est la pratique, l'habitude ou l'usage fixant la conduite à tenir dans certaines circonstances.

- un élément psychologique : c'est l'opinio juris seu necessitatis, c'est-à-dire l'idée que la conduite définie par l'usage a un caractère obligatoire et qu'il y a lieu de s'y conformer.


*Selon certains auteurs

Selon GENY (1), Customary law désigne toute formation de règles juridiques hors du cadre (champ) de la loi écrite : c'est la conscience commune. La règle ou loi coutumière est un fait, ou plutôt un ensemble complexe de faits qui révèle un sentiment de légalité (juridique). La formation d'une règle coutumière présuppose en effet qu'à partir d'une assez longue série de faits répétés naisse une pratique constante relative à une certaine situation sociale ... Il est nécessaire que l'usage duquel provient la règle coutumière donne à cette dernière une couleur de nécessité et l'impose comme règle sanctionnée par la force publique.

« La coutume est fondée sur la volonté du peuple. La coutume est un Droit issu d'une longue pratique populaire » nous dit aussi L.WAELKENS (2).

Selon Étienne Leroy (3) qui en donne une définition proche de nos sensibilités culturelles, « la coutume est la manière de dire les manières de faire des ancêtres ». Tout un programme et presque une déclaration de politique générale en matière de législation visant à intégrer le passé, le présent et le futur d'une société dans une logique de reproduction sociale.


b) Mise en rapport de la notion de coutume avec celle de source de droit


*Définition de la notion de source de droit

La notion de source de droit doit être prise au sens de " Mode de production ou de structure ontologique du droit ".

Ainsi nous voyons que de notre prise de position par rapport à la notion de source de droit dépend la réponse que nous donnerons à la question : la coutume est-elle une source du droit ? Car la notion de source comporte un binôme : l'idée d'engendrer et l'idée de justifier.

Comme pour la notion de coutume, imposons-nous cette seule définition de la notion de source de droit : " un mode de création du droit ", et demandons-nous maintenant si la coutume peut être un mode de création du droit ? Si oui, à quelle condition ou en vertu de quoi ? Si non, pourquoi ?


I : L'Affirmation : la coutume est une source du droit.


I.1. Dans les Manuels de droit civil

Tous les manuels citent, parmi les sources du droit, la coutume.

Cela est manifeste dans les codes. On y trouve des renvois exprès de la loi à la coutume : par exemple en ce qui concerne les coutumes et usages relatifs à la propriété foncière rurale ou même urbaine (articles 663-671-674 du code civil français). De même l'article 7 du Titre premier de la constitution burkinabè stipule que « la liberté de croyance, de non-croyance, de conscience, d'opinion religieuse, philosophique, d'exercice de culte, la liberté de réunion, la pratique de la coutume ainsi que la liberté de cortège et de manifestation sont garanties par la présente constitution, sous réserve du respect de la loi, de l'ordre public, des bonnes mœurs et de la personne humaine »(4).

On voit donc que les coutumes (ici au sens large d'usages, convenances ou pratiques reçues) entrent virtuellement dans l'analyse de certaines notions légales, si bien que, pour appliquer ces notions, le juge doit se livrer à des appréciations selon la coutume. Ainsi peut-on dire que le maniement des formules du code civil relatives aux bonnes mœurs a pour résultat de donner force juridique aux mœurs, aux coutumes des honnêtes gens.

C'est ce qu'on appelle coutume praeter legem, coutume douée d'une force propre qui supplée à la loi en défaut. Il faut donc croire que le droit intérieur ou particulier de chaque peuple comporte deux volets : le droit universel ou droit étatique et les coutumes ou usages qui lui sont propres et constituent un supplément des lois. Parmi les exemples de coutume praeter legem souvent cités, nous avons celui du contrat de compte courant entre les banques et leurs clients, qui obéit à des règles qui ont été élaborées par l'usage du commerce.

Par ces exemples, on voit que la coutume est une source autonome de droit selon les civilistes. Mais peut-elle de ce fait se dresser contre la loi soit pour lui substituer une règle différente soit pour faire disparaître une disposition inappliquée (désuétude proprement dite) ?

On peut dire que des lois vieillissent sans qu'intervienne toujours une disposition abrogatoire. C'est l'exemple de l'ordonnance de 1634 du code civil français interdisant de fumer et qui n'avait jamais été formellement abrogée. Aussi Jean Curet ironise-t-il en disant que « la désuétude tue les lois, mais il est préférable de ne pas le dire »(5). Nous avons connu le même phénomène ici au Burkina dans un contexte tout différent et pour une tout autre matière : sous le régime du CMRPN (Comité militaire de redressement pour le progrès national), à la faveur de la double conjoncture de la famine et de la nécessité de recouvrer les impôts de capitation, interdiction était faite à la célébration des funérailles coutumières avant acquittement intégral des impôts d'une famille, voire de tout un village lorsqu'il s'agissait d'un chef. Cela n'a pas empêché la coutume de se perpétuer et même de s'imposer davantage par défiance de ses partisans à la loi étatique.

En résumé, disons que d'une façon générale, les civilistes admettent la coutume comme source autonome de droit. Dans le même sillage, nous avons aussi l’École historique qui développe cette thèse avec d'autres arguments.

Révigny écrivait : « la coutume imite la loi, l'abroge, la corrige ou la corrobore ». Cela peut sembler exagéré, mais les illustrations historiques et juridiques attestent de la justesse de cette affirmation : dans nombres de palais présidentiels, c'est la coutume qui inspire et alimente le gouvernement protocolaire; dans les conflits sociaux des jeunes États africains, l'évocation de valeurs coutumières sert souvent de piédestal légitime à la contestation ouverte ou à des procès critiques de la pratique politique : chez nous par exemple, on ne brûle pas les morts, ou les inhume avec respect, car "les morts ne sont pas morts". On comprend alors que de tels procédés d'assassinats d'ennemis politiques heurtent profondément et durablement la conscience populaire.


I.2 Les Partisans de l’École du droit historique

Pour ces partisans comme pour les sociologues, la thèse essentielle consiste à affirmer la capacité de tout groupe humain à s'auto-normer.

Pour l’École de droit historique dont les principaux représentants sont Hugo, Grimm, Savigny, Puchta et Beseler, il s'agit d'élaborer une théorie combative dans un sens antiétatique et antilégaliste.

Aux aléas du système étatique et à la mouvance conjoncturelle des lois, ils opposent un système ancré dans l'histoire spécifique de la nation et la continuité de ses réglementations coutumières. Le rôle qu'ils octroient à l’État est celui de garant d'un droit préexistant et non celui de créateur autonome de droit.

A. Dufour résume en ces termes la vraie doctrine de l'origine du droit selon cette école : « Face aux dominantes rationnelles et réfléchies de la conception législative du droit des grandes codifications, il privilégie les dimensions irrationnelles et organiques inhérentes à toute culture (6). »

Nous sommes là aux antipodes de Hegel pour qui l’État est le seul habilité à promulguer des lois universelles en accord logique avec l'idée absolue (7).

L’École du droit historique connaîtra des divergences en son sein lorsqu'elle se demandera quelle étendue de pouvoir créateur peut être accordée à la coutume. Pour les romanistes de cette École (Hugo, Puchta et Savigny), si le droit doit être l'expression des nécessités internes d'un peuple, il ne prend son entière valeur que par l'intervention du droit savant ou droit des juristes qui sont les interprètes qualifiés du droit populaire et pour lesquels le droit Romain demeure la référence centrale.

Par contre le courant germaniste de la même école (Grimm et Beseler) résistera à l'appropriation du droit de dire le droit par la caste des juristes et revendiquera un pouvoir spécifique pour une source populaire du droit. Cette idée de la coutume populaire comme source naturelle de droit, sous-tend les écrits de Marx. Beseler écrivait en effet en 1843 : « Comme la caste des juristes allemands ne reposait pas sur la large assise du Droit populaire et qu'elle n'avait aucune relation immédiate avec la conscience du peuple, mais qu'elle tenait le plus souvent une existence fermée et savante, puisant son savoir davantage de sources juridiques éteintes que de la plénitude vivante des faits et des relations, il devait arriver que le Droit formé par elle n'ait que la force d'une validité extérieure et se présente comme droit coutumier en antagoniste du droit populaire (8). »

C'est ce qui semble nous arriver en ce moment même; comme l'écrivait le professeur Pierre Meyer dans une note à son "Introduction" à l'étude du droit Burkinabè : « (car) on peut être sceptique sur l'effectivité de la soi-disante (sic) abrogation des coutumes qui risque de ne pas avoir plus de portée que son impression au journal officiel. Certains juristes peuvent parfois se contenter d'une telle positivité qui est le contraire du fait, les sociologues semblent plus réalistes(9). »


I.3 Théories sociologistes du droit

C'est sur cet antagonisme que se fondera Marx pour développer sa théorisation de la coutume. La coutume est selon lui un construit inscrit dans des structures de domination assurant la matérialité de celle-ci et la légitimant par ses références globalisantes. Marx distingue alors deux formes de coutume.

1. Un droit dit officiellement coutumier ayant valeur juridique mais qui est un droit imposé, concrétisation d'un rapport de force, droit de l'autorité économique et idéologique : « En s'opposant par leur contenu à la forme de la loi, à l'universalité et à la nécessité, ces droits coutumiers prouvent justement qu'ils sont des non-droits coutumiers. On ne peut, par conséquent, absolument pas parler de droits coutumiers des états sociaux privilégiés. Ceux-ci ont trouvé dans la loi non seulement la reconnaissance de leur droit raisonnable mais, souvent même, la reconnaissance de leurs prétentions déraisonnables(10). »

À cette coutume légitimation du droit de la force arbitraire s'oppose une coutume qui serait vraiment "populaire" : « les coutumes propres à la classe pauvre sont régies ainsi par un sens instinctif du droit ; leur racine est ici positive et légitime et la forme du droit coutumier est ici d'autant plus proche de la nature que l'existence même de la classe pauvre n'est jusqu'à présent qu'une simple coutume de la société civile qui n'a pas encore trouvé une position adéquate au sein de l'organisation consciente de l’État (10). »

En somme, pour Marx et ses disciples, il y aurait place pour la coutume au sein des multiples sources du droit positif, une coutume vraiment populaire fondée sur la morale concrète et organisant les rapports de la classe dominée, coutume enfin qui lui permettrait d'avoir accès au contrôle de la production du droit et d'y inscrire ses intérêts et ses valeurs.

La thèse des sociologues se développe autour de l'idée essentielle d'un droit social avec des références à des notions comme peuple, intérêt général, groupes naturels ou classe ouvrière. Le droit dit social aurait pour vocation essentielle l'émancipation des minorités et trouve ses fondements dans le droit naturel.

A ce propos, Gurvitch écrit : « Chaque groupe particulier et chaque combinaison de groupes est un foyer spécial de génération autonome d'un ordre de droit, en pleine indépendance de ses rapports avec l’État (11). » La vie sociale et son développement historique sont saisis comme une « véritable totalité concrète, autonome et spontanée ». Les groupes, les unités collectives, les associations sont de véritables producteurs de droit que l’État, structure extérieure, se devrait de garantir plus que d'assujettir à ses propres lois.

Pour conclure cette première partie, remarquons seulement que la coutume comme source de droit contient des enjeux politiques et culturels et par là même révèle une certaine forme d'idéalisme presque utopique.


II La Négation : La coutume n'est pas un mode de production du droit

Lorsque nous tentions de définir la coutume, nous avons cité parmi ses éléments constitutifs la spontanéité, la durée et la répétition. C'est ici maintenant le lieu d'éprouver ces notions pour voir si elles contiennent des caractères juridiques.


II.1 Critique de la spontanéité et de la répétition.

La coutume en tant que phénomène spontané relève bien sûr de la liberté de l'homme à se donner des lignes de conduite, mais aussi d'une certaine forme d'inconscience. Or il est difficile sinon impossible d'affirmer que le caractère quasi inconscient de la coutume est un caractère juridique. Le droit est un fait de conscience et de volonté.

Il y a là donc une contradiction apparente à caractériser la coutume par sa spontanéité et d'en faire une source du droit.

Le droit ne saurait rester «à l'état fluide» selon l'expression de Jean Gaudemet. «Il doit se matérialiser dans des formules», "écrites" et non orales.

En outre, si la coutume est une norme juridique appliquée spontanément, intuitivement, sans qu'on en prenne conscience, comment savoir que c'est de telle ou de telle norme qu'il s'agit dans un cas et pas dans l'autre ? c'est encore là une contradiction épistémologique insurmontable.

Quant à la répétition comme élément constitutif de la coutume, il est aisé de voir que pour les auteurs partisans de la coutume, la répétition fonde la stabilité et la généralité de la coutume, stabilité et généralité qui sont bien des caractères juridiques. Mais est-il vrai que la répétition suffit à procurer stabilité et généralité ?

Dans sa thèse Paul Amselek pose la question : «A partir de quand un usage crée-t-il la règle, au bout de combien de comportements conformes peut-on dire qu'il existe une règle de Droit ?(12).» Rien ne permet de répondre à une telle question. Si la stabilité et la généralité sont des caractères propres à la loi, en revanche, on ne peut affirmer qu'une habitude prise impose ces mêmes caractères.

«J'aurai beau m'abstenir de voler, ou, au contraire, commettre des vols continuellement, il n'apparaîtra jamais de ce seul fait une norme, une proposition normative, m'interdisant, me permettant ou me prescrivant de voler(13).»

A ce propos on peut citer Hegel qui considérait que, même une fois assemblées, les collections de coutumes conserveront un caractère informe, indéterminé et lacunaire et qui «se différenciera d'un véritable code par le fait que celui-ci saisit et exprime les principes du droit par la pensée, c'est-à-dire met en évidence leur universalité, et leur déterminité(14).» L'universalité et la déterminité appartiennent à l'ordre de la pensée, de la conscience et non de l'informe, de l'inconscient et de l'inexprimé.


II.2 Les Droits coutumiers africains comme folklore juridique

Les quelques remarques qui précèdent suffisent à nous convaincre que la coutume ne saurait être un mode de création du droit mais plutôt un folklore Juridique réservé aux peuples qui n'ont pas une haute idée d'eux-mêmes. Ce n'est pas dire qu'elle ne représente rien dans la formation du droit, mais elle devient une matière du droit étatique chargé de l'informer de l'universalité en la vidant de sa singularité. Comme le note justement Henri Batiffol, «la spontanéité n'est pas un facteur négligeable dans la formation du droit. De même qu'il existe en droit international et en droit constitutionnel des initiatives qui participent du caractère délibéré, de même en droit privé interne on constate la formation spontanée de règles de droit dès qu'un groupe atteint une cohésion suffisante pour qu'il existe une vie collective effective(15).»

Le même auteur reconnaît cependant que «les exemples abondent de pratiques invétérées, candidement tenues pour obligatoires, ou au moins régulières, qui ont été condamnées comme illégales par les tribunaux le jour où elles leur ont été déférées (16).» Il est donc manifeste que l'intervention d'une autorité dans la formation d'une norme est capitale en droit. Sans elle, la coutume relève de l'enfantillage juridique : «coutume de sauvage, cela n'est pas permis !»


II.3 L'intermédiaire de l'organe juridique

Nous avons vu dans la première partie de cet exposé que le sentiment d'obligation de la règle coutumière relève du consentement tacite ou de la volonté collective de s'y conformer.

Or cette volonté collective semble insaisissable et ne disposerait d'aucun moyen pour sanctionner ceux qui violent la règle coutumière. Cela reviendrait à dire que la coutume ne présente aucun caractère d'obligation, tant qu'elle n'aura pas été fixée et reconnue comme obligatoire. C'est convaincu de cela que M. Miaille écrit à ce propos : «La coutume n'est jamais véritablement populaire, mais guidée par les doctes en droit (17).» On peut objecter ici que dans bien des matières également statuées par le droit étatique comme par le droit coutumier à l'instar de l'inceste, du vol, du viol ou du crime crapuleux, l'absence de doctes en droit dans les sociétés traditionnelles, encore aujourd'hui, n'empêche pas l'application de sanctions appropriées. C'est pourquoi la nuance qu'apporte J. Gaudemet nous paraît de taille : selon lui, «la coutume tout en répondant à des usages sociaux prend forme et valeur par une intervention volontaire de personnes, sages, sorciers, juges ou praticiens... qui sont les véritables auteurs de la règle (18).»

Mais acceptons provisoirement avec ces auteurs que l'officialisation d'une règle coutumière par l'intervention d'un détenteur du pouvoir semble être la première condition lui donnant autorité. En effet, dès le moyen-âge, l'instance judiciaire devient le lieu privilégié de l'élaboration du droit, le lieu où les règles non écrites sont prouvées, prennent corps et acquièrent stabilité et autorité. Ce n'est donc pas la coutume en elle-même qui est source de juridicité mais l'organe juridique qui la fixe, dans des formules juridiques en ayant pour motif la coutume. Comme le remarque Paul AMSELEK, «la coutume elle-même par rapport à la norme, n'est jamais qu'un élément du contenu de la norme (19).»

Disons au terme de cette seconde partie que la coutume ne saurait être une source de droit, du moins si l'on entend par source de droit, un mode de création du droit.


Conclusion : L'Impératif d'un choix historique de questionnement systématique des droits coutumiers.

A la question de savoir si la coutume est oui ou non une source du droit, on ne peut pas répondre avec une objectivité dégagée de toute position idéologique.

Refuser tout rôle à la coutume dans la formation du droit, ne reviendrait-il pas à limiter la liberté des citoyens dans l'aménagement de leur vie à leurs convenances que l'on peut lire justement dans les usages ? Le besoin de positivité du droit doit constater l'effectivité de la coutume. Elle vit et se développe malgré son caractère diffus. Et ce n'est pas un ensemble de textes qui l'empêchera d'influencer, à côté des normes juridiques, les comportements des gens.

Concluons donc notre entretien par une note optimiste, celle-là même que, le professeur Pierre Meyer nous donnait à méditer, à partir de son constat que partout le droit coutumier n'est pas le résultat d'une «délégation ou d'une permission de la loi» mais « l'expression de la vie des sociétés traditionnelles». Il écrivait en effet : «Le positivisme étatique est bien naïf quand il pose que seul ce que l’État formule est constitutif de droit. S'il plaît à certains juristes de vivre dans cette illusion, cela n'empêche nullement la vie des sociétés de s'exprimer sous une forme juridique non étatique. En ce sens , l'autonomie et le développement des droits coutumiers pourraient être renforcés par l'abrogation de ceux-ci, qui ne serait plus obligés de vivre une coexistence hiérarchisée avec la loi. L'autonomie et la plénitude des ordres juridiques coutumiers n'auraient rien à perdre dans l'hypothèse d'une abrogation des coutumes par la loi; la situation de la loi, par contre, risquerait très fort de ressembler à celle d'un général sans armée ... Quelle que soit la solution choisie par la loi, - abrogation ou non abrogation des coutumes-, le droit coutumier a encore une longue histoire devant lui (20).»

Si cette prémonition est aujourd'hui réalité vivante, c'est que les données sociologiques, démographiques, culturelles, politiques et économiques n'ont pas varié à peu de choses près.

De là notre optimisme à croire qu'il y a encore du pain sur la planche de nos juristes affamés d'emploi, pour peu, qu'à la lumière de la remarque du doyen Étienne Cerexhe, il leur soit donné les moyens de «l'insertion dans un cadre culturel et dans un contexte de droit non écrit d'une approche du droit positif (21).»

Tel est le véritable enjeu politique de la question des droits coutumiers dans les jeunes États africains à la faveur de l'ouverture démocratique qu'ils expérimentent. A cette étape de leur évolution caractérisée par de multiples conflits sociaux, l'Afrique et plus particulièrement le Burkina Faso ont grand bénéfice à tirer de leurs institutions coutumières pour leur résolution.

Qu'il s'agisse de conflits fonciers, politiques ou même économiques, les droits coutumiers positivement reconsidérés sont à même de les atténuer sinon de les résoudre par des procédés encore vivaces qui ont déjà fait leur preuve d'efficacité en pareilles situations dans le passé.

Dans le contexte de transition entre tradition et modernité où nous nous trouvons, une solidarité efficace et peu onéreuse peut être nouée entre droits coutumiers et droit étatique pour faciliter la mise en œuvre de nos choix politiques en matière de décentralisation, pour le rapprochement de la justice et du justiciable et le respect des droits de l'homme.

Droits coutumiers et droits étatiques sont deux univers ayant un même destin, celui de l'édification à terme d'une citoyenneté unique. Il s'agit là d'un véritable défi à relever, car les droits coutumiers posent avant tout un problème d'identité qui exige pour être résolu que soit rétablie la confiance avant toute récupération pour servir le présent. Il est donc urgent de procéder à un inventaire de nos coutumes pour dégager les invariants socio-culturels qui favorisent l'unité nationale à laquelle nous aspirons.


Notes

1. Geny : Méthode d'Interprétation et source en Droit Privé positif, 2ème édition, Critical Essay, 1954, T.I. p 218 n°110.

2. Waelkens : La théorie de la coutume chez Jacques de Révigny. Leiden 1984. Ch. III sect I p 170 et suivants.

3. Étienne Le Roy, Fondements anthropologiques des droits de l'homme, sommaire de l'enseignement donné pour la 25e session (4-29 juillet 1994) de l'Institut international des Droits de l'homme de Strasbourg ; p 37.

4. Docteur Bongnessan Arsène Yé, Burkina Faso : les fondements politiques de la IV république, presse universitaire de Ouagadougou, 1995, p 231.

5. Jean Curet ; La vie du Droit et l'impuissance des lois ... Paris, 1908, p 258.

6. A.Dufour : La théorie des sources du Droit dans l'Ecole du Droit historique. Archives de philosophie du Droit, T27, p 85-120.

7. Hegel : Principes de la philosophie du Droit, Paris, J.Vrin, 1982, p 215-257.

8. G.Beseler Volksrechtund juristentrecht, Leipzig, 1843.

9. Pierre Meyer, Introduction à l'étude du Droit Burkinabè, éditions André Boland, Namur (Belgique) 1988, p 132, note 96.

10. Pierre Lacoume-Hartwig Zander, Marx : Du vol de bois à la critique du Droit, p 140.

11. G. Gurnitch : L'idée du droit social, Paris sirey 1931, p 120.

12. Paul Amselek, Méthode phénoménologique et théorie du Droit, Thèse, Droit, Paris, 1965, p. 166

13. Paul Amselek, op. cit. p.168.

14. Hegel : Principes de la philosophie du Droit, Paris, Vrin, 1982, p 215-257.

15. Henri Batiffol, problèmes de base de Philosophie du Droit, L G.D.J, Paris 1979, p 81.

16. Henri Batiffol, op- cit, p. 74.

17. M.Miaille une introduction critique au Droit, Paris, Maspéro, 1976, p 142.

18. J- Gaudemet, Labeo, 1956, p 412.

19. P.Amselek op. cit p 170.

20. Pierre Meyer, op. cit, p 136.

21. Etienne Cerexhe, préface à l'Introduction à l'étude du Droit burkinabè de Pierre Meyer, op. cit, p 10.