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Shaheda PEEROO

Juge à la Cour suprême, Port-Louis, République de Maurice


Le français dans le droit mauricien


Maurice est indépendante depuis 1968 après une longue et riche histoire de la colonisation européenne. Les Hollandais étaient les premiers à occuper l'île de 1598. Après leur retrait en 1648, les Français y débarquèrent. La période de la colonisation par les Français s'étala jusqu'en 1810 suivie de celle des Britanniques qui durera jusqu'aux années 1960.

Pendant un peu plus d'un siècle, la langue parlée dans l'île était une variété de différents dialectes français plus au moins conformes au " français de Paris ". Depuis, la langue française est restée une réalité vivante à Maurice et fait partie du patrimoine culturel mauricien aux côtés d'autres langues.


" Mauritius " pour les Hollandais et rebaptisée Île de France par les successeurs des premiers colons, l'île du dodo, oiseau aujourd’hui disparu, a connu sa première structure sociale après que les Français y ont posé pied pour cultiver le café. Alors que sous la colonisation par les Hollandais il n'y avait pas d'administration de la justice, tel n'était pas le cas sous la colonisation française. Le maintien du droit était assuré avec un conseil provisoire qui tranchait toutes les affaires civiles et criminelles. En 1723, afin de rendre la justice tant civile que criminelle, Le Roi établit à l'île de France un conseil provincial composé des directeurs de la Compagnie des Indes, du Gouverneur, de six conseillers, d'un procureur du Roi et d'un greffier.

L'historique, bref et élémentaire, du système judiciaire sous l'ère française est important et nécessaire dans la mesure où il permet de mieux comprendre son évolution jusqu'à ce jour et d'où vient tout ce que nous avons hérité de la juridiction française. Tout a donc commencé par un conseil provisoire, puis un conseil provincial et ensuite un conseil supérieur. L'appel se fit entendre dans un premier temps au Conseil supérieur de Bourbon, l'île sœur, La Réunion, aujourd'hui département français d'Outremer - jusqu'à l'établissement par le Roi du Conseil supérieur de l'île de France.


Avec le droit français, tant civil que criminel, bien ancré dans le système judiciaire mauricien, il demeure cependant que tous les jugements de nos cours de justice sont rédigés en anglais, langue officielle de Maurice. N'empêche que nos juges font souvent référence aux autorités françaises comme la Cour de Cassation. De telles pratiques sont d'usage et reflètent la présence française dans notre structure juridique.

On pourrait s'étonner du maintien du droit français dans notre structure juridique après la conquête anglaise. Dans une proclamation en date du 28 décembre 1810, le gouverneur Farquhar précisait que tous les établissements judiciaires seraient conservés et continués sur les mêmes bases et d'après les mêmes règlements. Le seul changement notable était toutefois que les jugements se rendaient au nom de Sa Majesté alors que les appels qui étaient entendus par le Tribunal de Cassation se feraient désormais devant le Conseil privé de l'Angleterre à Londres.


Le droit français a fait son chemin dans notre système et il faut reconnaître que l'Angleterre a tenu à honorer les termes de l'Acte de Capitulation de 1810 selon un principe du droit constitutionnel britannique. Dans l'affaire Campbell v. Hall(1), le célèbre Lord Mansfield juge que « les articles d'un acte de capitulation d'après lesquels un pays conquis s'est rendu et le Traité de Paix par lequel ce territoire est cédé, sont sacrés et inviolables ».

La Cour suprême mauricienne s'était référée à cette autorité en 1902 lorsqu'elle devait trancher dans l'affaire du gouvernement colonial contre la veuve Laborde(2). Tout compte fait, même si Maurice était régie par le droit français après la conquête de l'île par les Anglais, la vérité est qu'il n y a pas eu atteinte à la souveraineté anglaise sur l'île.


Le droit civil mauricien a évolué à partir de 1835 par étapes parallèlement au droit français mais avec la touche d'une administration anglaise libérale. Dans un premier temps la réforme fut étalée sur près de 25 ans, période durant laquelle le désarroi fut total dans les cours de justice. Puis ce fut la promulgation de nombreuses lois civiles pour faire face aux problèmes économiques du pays avant que ne survienne l'émancipation politique des Mauriciens.


Le Code pénal français, intégré dans les lois mauriciennes, est toujours en vigueur depuis le 29 décembre 1838. Ainsi peut-on lire dans la section 215 que « l'homicide commis volontairement est qualifié meurtre » alors que dans la section suivante il est spécifié que tout «meurtre commis avec préméditation ou guet-apens est qualifié assassinat».

Quant à l'interprétation du terme préméditation, la section 217 explique qu'elle « consiste dans le dessein formé d'attenter à la personne d'un individu déterminé, ou même de celui qui sera trouvé ou rencontré, quand même ce dessein serait dépendant de quelque circonstance ou de quelque condition ».

Ce qui fait la beauté du système judiciaire mauricien et lui donne un caractère exceptionnel est la coexistence entre le droit français et le droit anglais, donc les langues anglaise et française. Si pour le droit civil la procédure est française et l'interprétation et la référence de jurisprudence françaises, en revanche, et cela pourrait faire sourire plus d'un, le Code pénal est, lui, de source française de même que son interprétation et sa jurisprudence, mais, en matière de preuves et de procédures dans le droit substantif, c'est l'anglais qui est reconnu et accepté !

Avec l'emprise du droit français dans notre système légal, il était évident que la langue de Molière allait nous être d'une importance capitale. Le traité de Paris en 1814 confirmait la domination britannique sur l'île, l'anglais devenait la langue officielle de Maurice mais le fait demeure que le français restera incontournable depuis qu'il y a été introduit au tout début du dix-septième siècle. L'influence du droit français sur le droit mauricien est énorme tout comme l'est la langue française dans notre patrimoine.


Le code civil mauricien est essentiellement français mais pas exclusivement du droit français. Malgré une certaine tentative d'élargir l'horizon du droit anglais, néanmoins « un rapprochement annoncé par le gouvernement mauricien dès avant l'indépendance devrait rendre à la langue française tous les droits qu'elle perdit en Cour suprême lors de la réforme(3). »

On plaide en anglais mais on cite en français de longs textes de doctrine et de jurisprudence..

Si l'anglais est considéré comme la langue du voisin, le français reste la langue de la famille. C'est la langue de l'émotion, c'est la langue du cœur mauricien. Et elle y restera pour très très longtemps encore.


Notes

1 (1774) 20 St. Tr. 239

2 (1902) p. 71

3 L'Évolution du Droit civil - l’Île Maurice (1721 - 1968) Raymond d'Unienville.