Imprimer

Paul Ismaël OUEDRAOGO

Secrétaire général de la Commission nationale de la Francophonie


Le Burkina Faso et la Francophonie


Introduction

C'est pour moi un très grand honneur d'être parmi vous ce matin pour évoquer le thème: "Le Burkina Faso et la Francophonie".

Cela nous conduit à aborder la place et le rôle de la langue française dans l'espace burkinabè puisque la francophonie se réfère à l'ensemble des populations et des territoires où l'on parle français. L'énoncé du thème suggère par ailleurs l'évocation des rapports du Burkina Faso avec l'institution qui regroupe en libre association évolutive les États et gouvernements ayant en partage la langue française, et qui forment une communauté de dialogue culturel et politique mais aussi un espace de solidarité économique et de développement, en somme une communauté d'intérêt avec parfois des allures de groupe de pression.

Je vous remercie de donner la parole au secrétaire général de la Commission nationale pour la Francophonie que je suis, pour traiter de cette question qui engage, au delà de la structure que je dirige, l'ensemble des partenaires et acteurs de la Francophonie au Burkina Faso.


I -Burkina Faso : Cent ans de destin francophone (1896-1999)

L'histoire étant l'éclairage du passé et sa projection dans le futur, il me semble indiqué de rappeler qu'à l'instar de maints peuples et pays africains le destin francophone de la Haute-Volta, connue aujourd'hui sous le nom de Burkina Faso, fut scellé par quelques coups de feu ordonnés par un certain Lieutenant Voulet, fin août 1896. Territoire militaire conquis, la Haute-Volta se voyait intégrée à l'empire des possessions Ouest africaines de la France, avec plénitude de juridiction et de législation.

Soixante-cinq années durant, le pays vivra sous domination coloniale et verra la pénétration linguistique du français renforcée par l'évangélisation catholique puis protestante dans une moindre mesure.

À l'issue de bien des péripéties, naissait le 5 août 1960 un pays souverain qui, par un acte de libre détermination, choisit par référendum le 28 septembre 1958 de demeurer dans la communauté franco-africaine fondée sur l'égalité, la solidarité des peuples et l'amitié avec la France. Les domaines de compétence de cette communauté incluaient la politique étrangère, la défense, la monnaie, la politique économique et financière, la politique des matières premières stratégiques. Ils comprenaient en outre le contrôle de la justice, l'enseignement supérieur, l'organisation générale des transports extérieurs et des télécommunications. Serait-ce là l'illustration d'une décolonisation opérée dans de bonnes conditions ?

Quoi qu'il en soit, la constitution de la première République de Haute-Volta adoptée le 15 mars 1959, tout comme les autres lois fondamentales qui lui succéderont jusqu'à ce jour, consacre le français comme langue officielle, en usage dans toute l'administration, les médias et les arts, enseignée dans les écoles, les lycées, collèges et universités. La langue française cesse de s'imposer par effraction pour être adoptée et rendue prépondérante au Burkina Faso. Elle s'enracine et s'étend sur la base d'accords de coopération. Elle reçoit des apports de la culture burkinabè sur laquelle elle porte aussi sa marque.

Du coup semble née la conscience francophone de la Haute-Volta et du Burkina Faso, car ce libre choix vient pour ainsi dire ratifier le destin de francophonité initialement imposé par héritage colonial. Aujourd'hui, quoique modestes, des résultats sont là, tangibles, qui demandent à être améliorés. Ainsi, selon l'institut national d'alphabétisation, le taux global d'alphabétisation pour 1997/1998 est de 27,6% au Burkina Faso, tendant vers 40% pour les horizons 2009. Les taux bruts sont de 40,5% pour le primaire, 11,14% pour le secondaire dont 13,68% pour les garçons et 8,52% pour les filles, dans un effectif global de 173 200 élèves. Au niveau supérieur on enregistre un total de 9531 étudiants pour les universités de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso confondues. Ces données sont à prendre sous contrôle des autorités compétentes qui sont parmi nous. Il reste cependant que le français ne cesse de progresser même si des langues nationales partenaires au nombre d'une vingtaine sont utilisées dans l'alphabétisation initiale.

La plus belle expression de la nouvelle conscience francophone de notre pays s'affirmera et sera mise en évidence lorsque la Haute-Volta souveraine, de concert avec 20 autres États et gouvernements, prendra part à la création de l'Agence de coopération culturelle et technique le 20 mars 1970 à Niamey. Notre pays, grâce à la signature du Président Lamizana, communiait ainsi à l'idéal du partage de la langue française.

Depuis lors l'histoire de la francophonie en Haute-Volta puis au Burkina Faso se confond largement avec celle de l'Agence de coopération culturelle et technique devenue aujourd'hui Agence intergouvernementale de la Francophonie et qui œuvre en faveur d'une francophonie intégrale et populaire : espace de savoir et de progrès, espace de culture et de communication, espace de liberté et de démocratie, espace de solidarité économique et de développement.

Entre-temps les clairons du 4 août 1983 sonneront cependant une éclipse momentanée du vouloir vivre francophone du Burkina Faso, qui boudera quelque peu la francophonie notamment à Vittel en septembre 1983. Sur fond de révolution, d'accusations de néocolonialisme et d'instrument de propagande politique de la France, la Francophonité du pays fut mise à mal. Au cœur des débats, un certain Guy Penne venu à Ouagadougou le 17 mai 1983 et qui, à tort ou à raison, a été accusé de main noire de l'interventionnisme français. L'impérialisme, le colonialisme, le néocolonialisme et "leurs valets locaux" dénoncés à longueur de slogans et de discours sont taxés d'ennemis du "peuple" burkinabè et condamnés comme tels. Même si le Burkina n'a pas quitté l'institution francophone, il s'est tenu en marge et a affiché sa volonté de rupture avec un passé jugé colonial.

Les langues nationales reviennent à l'ordre du jour ainsi que l'apprentissage fortement recommandé de l'anglais. Il faudra attendre la Rectification du 15 octobre 1987 et le retour du pays sous régime de droit pour voir s'amorcer un virage de renormalisation des rapports du Burkina Faso avec la grande famille francophone, ses institutions et les valeurs de démocratie, de promotion des droits, socles du fondement francophone.

L'engagement du Burkina Faso pour la démocratie débouche sur l'adoption de la Constitution de la quatrième République le 2 juin 1991, une amnistie de toutes les condamnations politiques prononcées depuis l'indépendance, des élections présidentielles, législatives et communales qui aboutissent à la mise en place des institutions actuelles à quelques aménagements près. La France demeure, de loin, le premier partenaire économique du Burkina Faso. La "patrie des hommes intègres" prend et occupe effectivement sa place au sein de la Francophonie mondiale.


II La mise en œuvre de la francophonie au Burkina Faso

Un autre temps fort de l'affirmation francophone du Burkina est intervenu voilà six ans en 1993 avec la création d'une Commission nationale pour la Francophonie.

Cette décision, qui confirme l'irréversibilité de l'engagement francophone du Burkina, procède de la volonté des responsables nationaux d'organiser et de consolider des rapports suivis de partenariat du Burkina Faso avec les institutions francophones, tout en prenant une part active dans le modelage de l'espace francophone. La création de la Commission nationale, structure de coordination, de conseil et de suivi, répondait principalement aux impératifs suivants :

1 - Coordonner la politique Burkinabè en matière de Francophonie. De ce fait, la CNF propose et donne son avis sur les programmes et activités en matière de francophonie.

2 - Initier, organiser et coordonner le partenariat des institutions nationales burkinabè avec les opérateurs de l'Organisation internationale de la francophonie. De ce fait, elle veille à la mise en oeuvre des différents programmes multilatéraux.

3 - Assurer la préparation et la participation du Burkina Faso à toutes les instances de la Francophonie et notamment au Sommet des Chefs d’État et de gouvernement, à la Conférence ministérielle, au Conseil permanent etc...

Pour ce faire, la Commission nationale pour la Francophonie dirigée par un secrétaire général a été dotée de trois organes :

a) - une Assemblée générale formée de représentants des diverses institutions nationales et des départements ministériels impliqués en Francophonie.

b) - des comités techniques chargés de réfléchir sur les domaines d'interventions retenus par les Sommets francophones.

c) - et un secrétariat général comprenant, outre un service de la documentation et un service d'accès des jeunes à Internet, quatre divisions principales qui sont :

( la division Éducation - Formation

( la division Culture - Communication

( la division Économique et Sociale

( la division du Développement institutionnel et des Relations extérieures.


La Commission nationale pour la Francophonie agit ainsi comme un centre de diffusion de la langue française, langue moderne, langue africaine et internationale, un partenaire des associations des écrivains et des professeurs de la langue française, un opérateur par excellence du Burkina Faso en matière de francophonie.

Ses partenaires privilégiés, outre les membres de son Assemblée générale, sont les représentants des ambassades et missions diplomatiques francophones au Burkina Faso. Ensemble, ils concourent à rendre la Francophonie plus visible et plus lisible.

Depuis sa création la Commission nationale pour la Francophonie a assuré la préparation et la présence effective du Burkina Faso à toutes les rencontres francophones.

Elle a facilité le déploiement de l'action francophone en faveur de nos villes à travers la mise en œuvre des programmes majeurs de la francophonie dans les domaines de l'éducation et de la formation, de la culture et de la communication, du développement économique, de la coopération juridique et judiciaire et enfin celui des actions en faveur de la jeunesse et de la femme.

La Commission nationale pour la Francophonie qui relevait à sa création de la tutelle du Premier Ministre se trouve présentement rattachée au département des Affaires étrangères tout en préservant ses missions originelles. Elle est à la fois le correspondant du Secrétariat général de l'Organisation internationale et de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie. Elle est aussi le point de rencontre de toute la synergie francophone active au Burkina Faso.


III Les attentes et les réalités de la francophonie au Burkina Faso

Les actions de coopération mises en œuvre par l'Agence de la Francophonie dans le cadre multilatéral, quoique insuffisantes, ont porté beaucoup de fruits au Burkina Faso. Elles placent l'homme au cœur de ces projets, avec pour donnée fondamentale la formation des ressources humaines.

Celles-ci orientées sur l'éducation de base, le français, la formation professionnelle et technique ont récemment inclus le recours aux nouvelles technologies de l'information (NTI) en vue d'assurer la présence de la langue française sur Internet et démocratiser l'accès aux inforoutes afin d'éviter que se creuse un fossé nouveau entre info-pauvres et info-riches. L'édition scolaire et l'apprentissage du français demeurent des priorités en même temps que le perfectionnement des métiers des secteurs formel et informel ainsi que l'intégration des jeunes à la vie active. La coopération interuniversitaire occupe une place non négligeable.

Des mécanismes juridiques, financiers et contractuels permettent de développer les industries culturelles touchant notamment les arts vivants, le cinéma, la télévision, l'édition et la lecture. La diffusion des produits télévisuels et cinématographiques sont stimulés, la presse écrite et les radios locales soutenues.

Des centres de lecture et d'animation culturelle (CLAC) permettent, depuis une décennie, au public rural de lire, de s'informer et de trouver un appui au développement de leurs communautés. Au nombre de 11, ces centres de lecture et d'animation culturelle verront leur réseau s'étendre à 17 et se renforcer. Les aspects du cinéma, de la littérature et des prix seront spécifiquement traités par MM. Baba Hama, Salaka Sanou et Urbain Amoa.

En matière économique, l'action de l'Agence et celle du Forum francophone des Affaires (FFA) ont déjà permis de mettre en place des mécanismes d'échanges. Les fonds de soutien et de développement contribuent à mettre en route des entreprises communautaires sous forme d'ONG, d'associations, de groupements de femmes et de jeunes.

En matière d'appui à la démocratie, le Burkina Faso a bénéficié du soutien de la Francophonie lors des législatives du 11 mai 1997 et des élections présidentielles du 15 novembre 1998. Notre pays a par ailleurs enregistré le soutien de l'Agence dans la modernisation et la restructuration de la justice, dans l'élaboration et la publication du nouveau code des personnes et de la famille, dans le démarrage de la Cour de Justice de l'UEMOA, la rédaction des rapports nationaux relatifs aux droits de l'homme et dans l'élaboration des contrats commerciaux internationaux.

L'avenir du français et de la francophonie quoique assuré peut paraître fragile à l'heure d'Internet, des exigences de l'OMC, de la mondialisation, des nécessaires intégrations sous-régionale, régionale et continentale, et des lourdes et négatives tendances de crises économique et budgétaire. Le Burkina Faso qui s'est énormément investi en francophonie nourrit de légitimes attentes, même si les réponses apportées demeurent hélas ! pour l'instant en deçà de ses espérances. À telle enseigne que l'on entend des personnes âgées comme des jeunes s'interroger sur ce que font la France et les Français pour la Francophonie ! Maintes fois les actions de coopération entreprises par d'autres acteurs semblent surpasser les efforts français. Les bourses françaises baissent en nombre et l'obtention du visa est assurément un point de préoccupation de nombreux nationaux.

Et la France d'apparaître aux yeux de beaucoup comme n'étant pas le plus ardent militant de la francophonie. Jusque dans les arènes internationales, il n'est pas rare de l'entendre intervenir ici ou là dans une langue autre, laissant l'usage du français aux seuls représentants des États africains très engagés dans la défense de la langue française, de la diversité linguistique et culturelle.

TV5 s'affirme chaque jour davantage, gagnant de nombreux foyers dans les grands centres urbains et péri-urbains. Les émissions de RFI localement relayées et diffusées en FM sont largement et très confortablement suivies.

Il s'avère évident que le nombre, la puissance politique, économique, technologique, scientifique et l'argent sont des déterminants essentiels pour une domination linguistique dans la société contemporaine.

La mobilisation de la famille francophone en faveur du plurilinguisme suffira-t-elle pour permettre au français, notre langue, de surmonter les réalités internationales du moment ? Ensemble il nous appartient de transformer notre volonté partagée en action concertée pour tracer de nouveaux horizons pour la francophonie du troisième millénaire, à l'âge Internet. La tenue des biennales de la langue française participe de cette action concertée.