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Baba HAMA

Secrétaire général du festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO)


Le cinéma africain et la francophonie


Le thème cinéma africain et francophonie nous amène tout naturellement à examiner l'interaction entre le cinéma et la francophonie, à travers le rôle que joue le cinéma dans la francophonie et le soutien des instances de la francophonie pour le développement du secteur cinématographique et audiovisuel en Afrique et dans les pays du Sud en général.


1- Le cinéma véhicule de la culture africaine et francophone

Élément culturel par essence, le cinéma s'inscrit d'emblée comme un des canaux privilégiés de diffusion de la langue française, cette langue commune aux pays membres de la francophonie. Mais bien plus qu'un véhicule de la langue ou des langues (autre aspect de cette francophonie plurielle) le cinéma, c'est aussi la diffusion par l'image des réalités géographique, économique et sociale de cet espace communautaire.

Il en constitue à la limite un élément identitaire notamment face à la domination du cinéma anglosaxon principalement américain.

L'ancien Secrétaire général de l'Agence de la francophonie Jean-Louis Roy, dans son livre : la francophonie le projet communautaire, souligne cette fonction lorsqu'il affirme qu'en cette fin de siècle «notre communauté doit disposer de canaux de transmission et de diffusion (pour elle-même et le monde) de ses messages et de ses produits culturels. TV5 illustre et préfigure l'aménagement d'un espace audiovisuel commun qui soit fait de la synthèse de nos meilleures productions et qui donne sa place à notre langue, à notre langue commune, dans les grands circuits télévisuels qui déjà encerclent notre monde».

Comparé au livre, le film par la magie des images se révèle un langage universel qui ouvre des portes sur d'autres sphères linguistiques. Le cinéma est donc un atout pour la francophonie vis-à-vis de l'extérieur et à l'intérieur de l'espace, car il favorise l'intercompréhension.

C'est pourquoi le septième art est loin d'être le parent pauvre de la coopération culturelle au sein de l'espace francophone. Le cinéma africain en a naturellement tiré profit pour sa croissance, tout en enrichissant cet espace d'une esthétique et d'un contenu nouveaux qui correspondent à la vision africaine du monde.

Paradoxalement, la complémentarité d'aujourd'hui est née d'un antagonisme initial, dû au fait que le cinéma africain est l'expression d'un besoin des Africains de se forger leur propre image en refusant de se laisser filmer comme des insectes (pour paraphraser Ousmane SEMBENE qui s'insurgeait contre le cinéma ethnographique de Jean ROUCH).

L'apparition du film africain devrait donc rompre avec le cinéma colonial et son succédané ethnographique. Les réalisateurs africains se sont donc attachés à témoigner de la réalité africaine par la restitution correcte de ses multiples facettes. C'est sans doute grâce à cette orientation que l'Afrique a pu répondre présent "au rendez-vous du donner et du recevoir" que constitue aujourd'hui l'espace francophone. La différence étant perçue comme une richesse, les cinéastes francophones notamment se sont vus « soutenus pour leur capacité à refléter une Afrique en rupture, leurs films étant le miroir d'une recherche de décolonisation dans l'appréhension de la modernité » ainsi que le souligne un critique avisé du cinéma africain, Olivier BARLET, dans son ouvrage Les cinémas d'Afrique : le regard en question publié aux Éditions l'Harmattan. L'auteur rappelle d'ailleurs que le ministère français de la Coopération était pratiquement l'unique partenaire de cinéastes profitant de structures et d'un financement inexistant dans leur pays. Soutenir l'existence d'une cinématographie africaine constituait l'un des versants culturels de l'aide française au développement.


2- Le cinéma, une priorité soutenue

Au regard de la précarité de la situation du cinéma africain, la politique de coopération de la France a vite affirmé la primauté du don, d'où les subventions accordées par le Fonds Sud. Même si cette aide doit être dépensée en France, elle a permis de donner un coup de fouet à la production cinématographique des pays en développement.

En dehors de la Coopération française, on compte aux rangs des organismes qui subventionnent le cinéma africain l'Office fédéral de la culture suisse, la Communauté française de Belgique, l'Union européenne et bien sûr l'Agence de la francophonie (ancienne ACCT).

L'Agence de la Francophonie gère, depuis 1988, un important "fonds de soutien à la production audiovisuelle du Sud". Ce fonds s'inscrit dans le cadre des projets prioritaires qui lui ont été confiés par les conférences des Chefs d’État et de gouvernement ayant le français en partage.

Ce fonds a pour objectifs d'améliorer la qualité et d'augmenter la quantité des productions audiovisuelles du Sud, c'est-à-dire les pays francophones en développement (les pays africains en particulier), membres de l'Agence de la Francophonie, de promouvoir la coopération audiovisuelle francophone (notamment par le développement des co-productions)et de favoriser la circulation et la diffusion de ces productions. À titre d'exemple, depuis 1990, plus de 40 films de long métrage ont bénéficié du fonds de soutien. Au titre de l'année 1999, la première session de la commission du fonds de soutien réunie en avril a retenu 23 projets pour une contribution globale de 5.266.000 FF (526.600.000 FCFA). Cette somme comprend à la fois l'aide à la production, au développement et les subventions accordées pour les prestations techniques ainsi que l'achat des droits.

La deuxième session de la commission tenue en juillet dernier a retenu 30 projets pour un montant de financement de 5.160.000 FF, soit 516.000.000 FCFA. La commission se réunissant 3 fois chaque année, en attendant les décisions de la troisième session, le cumul des deux premières donne 53 projets retenus pour un montant de 10.426.000 FF, soit 1.042.600.000 FCFA.

Outre cet aspect lié à la production et à la diffusion, l'Agence de la francophonie intervient également dans le domaine de la formation et du perfectionnement des professionnels de l'audiovisuel.

La promotion n'est pas en reste notamment à travers l'organisation et l'attribution des prix "Agence de la Francophonie" au FESPACO, au Festival international du Film francophone de Namur, au Festival international du film d'Amiens et à Vues d'Afrique (plusieurs films africains se sont vu décerner ce prix en long ou en court métrage). Ces quatre festivals se sont d'ailleurs regroupés au sein d'une organisation internationale non gouvernementale (OING) dénommée le "Conseil des festivals jumelés" pour conjuguer leurs efforts dans le sens de la promotion du cinéma francophone et aussi de la culture francophone.

Tous les ans, ce sont environ 7 festivals de cinéma qui bénéficient de l'appui de l'Agence de la francophonie; des festivals qui contribuent ainsi à la circulation des oeuvres culturelles.


Le Festival panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou (FESPACO)

Créé en 1969, le FESPACO de par son importance sans cesse accrue, son ouverture de plus en plus marquée vers les cinématographies du Tiers Monde, est devenu une manifestation culturelle internationale incontournable.

Ses objectifs dès le départ étaient de :

- favoriser la diffusion de toutes les œuvres du cinéma africain,

- permettre les contacts et échanges entre cinéastes,

- contribuer à l'essor et au développement du cinéma africain en tant que moyen d'expression, d'éducation et de conscientisation.

Pour réaliser ces objectifs, en plus du festival, il a été créé un marché international du cinéma et de la télévision (MICA) qui attire d'édition en édition des centaines de professionnels du monde entier. Le travail du FESPACO s'étend également à la collecte et à l'archivage du patrimoine cinématographique africain.

La Cinémathèque africaine de Ouagadougou créée à cet effet possède un centre moderne de conservation de films, où sont traitées et stockées plus de cinq cents copies de films. Une salle de projection de cinq cents places est en construction.

La coopération entre le FESPACO et l'Agence de la francophonie qui s'inscrit dans le cadre de la promotion des œuvres audiovisuelles couvre entre autres à la fois les aspects promotion du festival (édition de brochures, d'affiches....), équipement (acquisition de matériels), soutien aux créateurs (prix de l'Agence de la francophonie, prise en charge de la participation des cinéastes du Sud).

En chiffres cela représente une intervention de l'ordre de 405.500.000 FCFA sous forme de subventions à l'organisation des différentes éditions du FESPACO de 1973 à 1999.

Bien qu'elle intervienne essentiellement dans le secteur de la production, la coopération française apporte aussi un soutien fort appréciable à l'organisation du FESPACO, un soutien à la fois matériel et financier. À cela s'ajoute l'attribution de prix alternativement à Cannes et à Ouagadougou.


Conclusion

De tout ce qui précède on déduit aisément qu'une attention particulière est accordée au cinéma dans l'espace francophone, aussi bien par les États membres pris individuellement que par les instances mises en place dans le cadre de la coopération multilatérale. Cependant, malgré les efforts déployés, la bataille est loin d'être gagnée, car paradoxalement le film francophone n'est pas toujours à l'affiche des salles de cinéma même dans son propre espace. Les films du Sud en particulier (notamment africains) vivent cette situation de quasi-absence sur les grands écrans. Renverser la tendance ne sera pas facile, mais c'est aussi un défi que le monde francophone devra relever.