Imprimer

Salaka SANOU

Secrétaire permanent de la Semaine nationale de la culture


L'espace francophone de la littérature burkinabè


Introduction

La littérature burkinabè, née avec le pays en 1962, à travers le roman de Nazi BONI intitulé Crépuscule des temps anciens,est donc jeune, d'une jeunesse qui manifeste sa vigueur et sa disponibilité depuis un certain moment. Cette jeunesse est liée à l'histoire du pays caractérisée sur le plan politique par une instabilité qui a duré jusqu'au début des années 90. En effet, créée en 1919, l'ancienne Haute-Volta a connu une histoire mouvementée :

- Suppression de la colonie en 1932 ;

- Rétablissement en 1947 ;

- Indépendance le 5 août 1960 ;

- Six coups d'État entre 1966 et 1987.

De par sa situation géographique et son potentiel économique, la Haute-Volta était une colonie de peuplement qui pourvoyait les colonies de la Côte-d'Ivoire et du Ghana en main d'œuvre pour leurs plantations. Pour toutes ces raisons, sa scolarisation a été très tardive, le colonisateur ne trouvant pas un intérêt particulier à investir dans un pays dont les bras valides étaient appelés à migrer ailleurs.

Cette situation va beaucoup influer sur la naissance et l'évolution de la littérature burkinabè et surtout sur son développement en ce sens que les quelques rares intellectuels voltaïques auront d'autres préoccupations que la production littéraire, sollicités qu'ils ont été par l'actualité nationale. C'est la raison fondamentale de cette naissance tardive; c'est ce qui explique aussi la jeunesse et le développement tardif de la littérature burkinabè.

La littérature écrite étant tributaire du niveau d'instruction et de maîtrise de la langue utilisée par les créateurs, il va de soi que la scolarisation jouera un rôle important dans l'évolution de la littérature au Burkina Faso.

Nous nous proposons dans cet exposé d'analyser le contexte francophone de la littérature burkinabè à partir de deux aspects :

- l'écrivain burkinabè : qui est-il ? que fait-il ? où vit-il ? comment produit-il ?

- l'évolution de la littérature burkinabè : quelles en sont les principales étapes ? comment se caractérisent-elles ?


I. L'écrivain burkinabè

Une chose est certaine aujourd'hui : il existe des écrivains et des œuvres littéraires burkinabè. Cependant, cette existence suffit-elle ? Il est évident que les hommes de lettres du Burkina Faso, l'homme de lettres, se sont imposés dans le paysage culturel burkinabè, en partie grâce aux différentes organisations qui ont été créées, en partie à cause des efforts individuels et collectifs qui ont été faits pour accroître la production littéraire tant en nombre qu'en qualité.

Cette croissance considérable depuis les années 80 (au regard des deux premières décennies) a vu l'augmentation du nombre de ceux à qui l'on ose attribuer le titre d'écrivain : autant des auteurs déjà connus continuent de produire, autant de nouveaux visages occupent la scène littéraire. Il serait intéressant de connaître la configuration intellectuelle et socio-professionnelle de ces écrivains tels qu'ils existent : qui est écrivain ? que fait-il dans la vie ? quel est son niveau intellectuel ?

À la fin de l'année 1996, nous avons recensé soixante et un Burkinabè ayant édité une ou plusieurs œuvres littéraires. Il faut noter que, sur ces soixante et un, nous avons des informations sur quarante-cinq. Notre analyse prendra en compte le niveau intellectuel, la situation socioprofessionnelle, l'âge et le lieu de résidence de ces écrivains.


A. Niveau intellectuel

Nous allons ici prendre en considération le niveau d'instruction des écrivains burkinabè en partant de leur biographie telle qu'ils nous l'ont eux-mêmes établie. Nous retenons comme diplôme de base le baccalauréat ; ainsi, voilà comment se présente la réalité :

BEPC : 3,

Baccalauréat (ou niveau baccalauréat) : 6,

Diplôme universitaire. de technologie (DUT) : 1,

Licence : 2,

Maîtrise : 5,

Diplôme d'ingénieur : 1,

Diplôme d'études supérieures. spécialisées (DESS) : 4,

Diplôme d'études approfondies (DEA) : 1,

Doctorat : 14 dont 2 ayant le doctorat d’État,

Formation professionnelle de niveau supérieur : 8.

Ainsi que le fait apparaître ce tableau, plus des trois quarts des écrivains burkinabè recensés ont suivi des études supérieures, soit trente-sept y compris les huit qui ont une formation professionnelle correspondant à un niveau supérieur. Et sur ces trente-sept, vingt-trois ont fait des études littéraires (lettres modernes, langues ou linguistique) avec le DEUG comme diplôme minimum. Il n'y a donc pas de doute, le niveau d'instruction des écrivains burkinabè est très bon en proportion ; la qualité et la nature de la formation reçue semblent être à la base de leur désir d'écrire : en effet, rares sont ceux qui ont commencé à produire avant l'université, celle-ci ayant fonctionné comme une sorte de détonateur même si les conditions historiques y ont été aussi pour quelque chose. Le niveau d'instruction général et la formation des écrivains burkinabè devraient en principe être un gage de la qualité de leur écriture, notamment dans le maniement, dans la maîtrise de la langue française qui est le moyen d'expression retenu, même si parfois certains auteurs déplorent le fait qu'ils ne puissent pas créer dans leur langue maternelle.


B. Situation socioprofessionnelle

L'analyse de la situation socioprofessionnelle des écrivains burkinabè fait apparaître que la très grande majorité est constituée de fonctionnaires de l’État burkinabè (37); 4 travaillent dans le privé, un est militaire, un exerce une profession libérale (avocat). Sur le plan purement professionnel, nous avons la situation suivante :

* Enseignement et recherche : 20 dont :

- primaire ( classe et encadrement) : 7

- secondaire : 5

- supérieur et recherche : 8

* Journalisme : 12

* Administration publique : 6

* Ingénieur : 1

* Droit : 2 dont un avocat

* Armée : 1

*.Diplomatie (interprète) : 1

* Ouvrier : 1

* Étudiant : 1

Il faut signaler d'abord que G. Patrick Ilboudo, qui a exercé depuis fin 1985 son métier de communicateur, a d'abord enseigné pendant trois années à l'Université, de même Jean Hubert Bazié, qui a été employé comme professeur du secondaire avant d'exercer simultanément et exclusivement ensuite son métier de journaliste.

Cela dit, ce tableau nous fait découvrir ce que nous avions intuitivement ressenti à savoir que le créateur littéraire et l'homme de lettres sont perçus comme des "communicateurs", des hommes ayant quelque chose à dire, à présenter, à faire partager, sur lequel il voudrait amener le public à réfléchir, ils font dans la communication sociale. En effet, l'enseignant comme le journaliste sont des communicateurs par excellence : l'un est chargé de former l'homme de demain, d'instruire, d'éduquer et d'édifier la société par la transmission du savoir et du savoir-faire ; l'autre est chargé de former l'opinion publique, de permettre à l'homme et à la société non seulement de se connaître mais aussi de connaître le monde. Il n'est donc pas étonnant qu'ici encore plus des deux tiers des écrivains burkinabè exercent les métiers d'enseignant et de journaliste, qu'ils soient des communicateurs. C'est la raison essentielle qui les conduit tous, à quelques exceptions près, à assigner un rôle d'éducation, de sensibilisation (au sens le plus large de ces mots) de l'homme, de la société.

L'un d'eux, G. Patrick Ilboudo, va même jusqu'à utiliser une expression propre à lui "le toilettage de la société", c'est-à-dire amener celle-ci à se débarrasser de ses tares, de ses impuretés.

Si l'on ajoute à ces enseignants et journalistes l'avocat et l'interprète, c'est-à-dire le "défenseur" et le "traducteur", la boucle est bouclée : la communication devient complète, car nous avons ici aussi des intermédiaires nécessaires et même indispensables de la société (si l'on prend les mots avocat et interprète dans leurs sens les plus larges). Cette perception de la fonction de l'écrivain et de la littérature dans la société influera nécessairement sur la thématique de la production littéraire burkinabè.

Comment alors apprécier cette situation professionnelle des écrivains burkinabè en rapport avec le développement de la production littéraire ? Après les incertitudes des lendemains de l'indépendance, faites de successions de coups d’État qui n'entraînent que "des changements dans la continuité", les années 80 semblent marquées par l'apparition d'un personnage tout à fait neuf, c'est l'homme de lettres au sens que Voltaire lui donnait dans ses Questions sur l'Encyclopédie, c'est-à-dire un homme qui va au-delà de la connaissance de la grammaire, de la langue, qui a une compétence quasi universelle, une "raison approfondie et apurée" et qui sait se faire écouter de la société. Car, comme le disent M. Delon, R. Mauzi et S. Menaut, à propos des écrivains français de l'Encyclopédie et des Méditations, pour les écrivains burkinabè, « l'essentiel n'est plus de créer une oeuvre pour la postérité, c'est d'avoir une action immédiate ou prochaine dans la société où l'on vit en contribuant d'abord à l'instruire et à la polir, en détruisant tous les préjugés dont la société était infectée (...) . Voilà le fondement de la nouvelle dignité des gens de lettres (1) ». Faisant leur cette vision, ils vont chercher à prolonger leur fonction sociale véritable dans la création littéraire, réalisant ainsi l'unité de leur vie, c'est-à-dire sans rupture, sans hiatus entre activité professionnelle et activité artistique. Ainsi que l'affirmait Alain Viala à propos des écrivains français du dix-septième siècle, « pour nombre d'entre eux en effet, la production d'ouvrages ne constitue en rien une activité autonome : leur position dans l'espace littéraire vaut comme un prolongement de leur situation dans un autre champ social(2) ».

Pour jouer une telle fonction, les hommes de lettres doivent en avoir conscience et surtout jouir d'un espace de liberté et d'indépendance toujours plus grand. Et l'enseignant et le journaliste y sont le plus sensibles, à cause même du métier. Il faut signaler que le mouvement syndical burkinabè a toujours été le plus animé par les enseignants dont les grèves ont été directement à la base de la chute du gouvernement de la 1e république le 3 janvier 1966, de celui de la IIIe république le 25 novembre 1980 et de la plupart des mouvements sociaux qui ont entraîné des changements politiques dans le pays. Jusqu'à une date très récente (1990) les journalistes (tous fonctionnaires à l'époque) n'étaient pas autorisés à créer un syndicat parce que les différents gouvernements, conscients de l'importance de leur place et de leur rôle dans la société, ne voulaient ni ne pouvaient leur accorder cette liberté de façonner une opinion publique nécessairement défavorable au pouvoir compte tenu des conditions de vie. Liberté "excessive" pour les uns, absence de liberté pour les autres; cela explique-t-il que tant d'enseignants et tant de journalistes se soient lancés dans la pratique littéraire qu'ils considèrent comme un autre espace de liberté pour l'expression de la dignité de l'homme ?

Comme l'enseignant et le journaliste, l'homme de lettres au Burkina Faso se veut juge et critique des institutions de son époque et de sa société. Emetteur de valeurs, il occupe les premiers rangs dans la hiérarchie sociale, "celui dont la plus haute fonction est de consacrer l'ordre entier de la société". C'est ce que M. Delon, R. Manzi et S. Menant appellent le "sacre de l'écrivain". Les écrivains burkinabè sont donc des sortes de guides, ou mieux, de maîtres de conscience : combien ne sont-ils pas, ces jeunes qui vont voir ou qui écrivent à Maître Pacéré, G. Patrick Ilboudo, Norbert Zongo, Monique Ilboudo, qui pour leur demander conseil, qui pour leur soumettre des manuscrits ou, dans le cadre d'associations de jeunes, pour leur demander d'animer des conférences-débats. Maître Pacéré est celui qui a le plus joué ce rôle de conférencier à la fin des années 70 et au début des années 80, Monique Ilboudo étant la révélation des années 90, surtout avec sa rubrique Féminin pluriel dans le quotidien L'Observateur, de même que Norbert Zongo, militant des droits de l'homme, défenseur de l'environnement et partisan du journalisme d'investigation avec son hebdomadaire L'Indépendant.

Si nous avons longuement traité des écrivains enseignants et journalistes, c'est non seulement à cause de leur fonction dans la société, mais aussi et surtout du fait de leur importance numérique sur la scène littéraire. Les autres corps de métier ne sont pas à négliger, notamment ceux de l'administration générale où le contact fréquent avec les hommes, les responsabilités administratives conduisent les écrivains à mieux connaître la société et ses problèmes et, par conséquent, à y être sensibles et à chercher à participer à leur résolution.

Ainsi donc, sur le plan professionnel, les écrivains burkinabè sont des conducteurs d'hommes, des formateurs, des diffuseurs de valeurs sociales et morales et leur activité littéraire est comme un prolongement naturel de cette responsabilité que la société leur a officiellement confiée. En en ayant conscience, ils le jouent pleinement, même dans leur organisation : ce n'est pas par hasard que l'une des organisations des écrivains burkinabè s'appelle Union des Gens de lettres, intériorisant ainsi chez ses adhérents ce rôle de l'homme de lettres tel que perçu depuis le dix-huitième siècle français.


C. Âge des écrivains

De même que nous avons montré l'importance de la profession des écrivains dans la compréhension qu'ils ont de leur rôle de "communicateurs", de même nous estimons que l'âge est un élément pertinent dans la détermination des générations d'écrivains au Burkina Faso. Nous allons ici analyser l'âge des écrivains burkinabè pour essayer de comprendre la situation de la littérature. Pour cela nous avons retenu trois repères historiques : avant 1950, entre 1950 et 1960 et après 1960. Cette division paraît arbitraire mais nous pouvons la justifier de la manière suivante : 1950 a marqué l'histoire littéraire africaine avec le développement de la production et une orientation précise imposée à la littérature; il est intéressant de savoir s'il y a des écrivains au Burkina dont l'âge aurait permis de participer à ce mouvement. Ensuite, 1960 est l'année de l'indépendance du pays; elle constitue donc un repère historique indéniable.

Ainsi, voici le tableau de répartition des 45 écrivains selon l'âge :

- Nés avant 1950 : 18 dont

- trois ont édité des œuvres avant 1970. Parmi ces trois auteurs il y a deux romanciers et un dramaturge.

- sept ont publié entre 1971 et 1983 (trois poètes et quatre romanciers) dix œuvres (cinq romans et cinq recueils de poèmes).

- cinq (deux romanciers, un conteur, un dramaturge et un nouvelliste) ont publié entre 1984 et 1994 neuf œuvres dont quatre romans, deux nouvelles, 2 pièces de théâtre et un conte.

Nés entre 1950 et 1960 : 22 dont :

- deux décédés (Babou Paulin Bamouni en 1987 et Patrick G. Ilboudo en 1994)

- entre 1971 et 1983 trois nouvellistes et trois poètes.

à partir de 1984, quinze auteurs se sont révélés parmi lesquels nous avons : un dramaturge, deux nouvellistes, quatre romanciers dont une romancière, quatre poètes dont une poétesse, deux romanciers-poètes, un romancier-poète-nouvelliste-dramaturge.

- Nés après 1960 : 3 qui n'ont publié qu'après 1984 dont une poétesse, un nouvelliste et un nouvelliste-conteur.

Ce tableau fait ressortir donc une certaine maturité d'âge des écrivains burkinabè puisque sur les 45, 43 ont au moins trente ans; quarante sont nés avant l'indépendance du pays. Si ceux qui sont nés avant 1950 ont publié en tout vingt-six œuvres (dont treize romans, six recueils de poèmes, trois pièces de théâtre, trois nouvelles et un conte), par contre ceux qui sont nés entre 1950 et 1960 ont publié trente-deux œuvres dont onze romans, onze recueils de poèmes, cinq recueils de nouvelles, deux pièces de théâtre et un recueil de contes. Les "tout jeunes" n'ont à leur actif que deux nouvelles, un recueil de poèmes et un recueil de contes. Comment peut-on apprécier cette situation ?

D'abord, au niveau des auteurs nés avant 1950, on doit noter une apparition tardive sur la scène littéraire : Nazi Boni s'est manifesté à cinquante-trois ans, Maître Pacéré a trente-trois ans, Roger Nikiéma à trente-deux ans, Sondé Augustin Coulibaly à quarante et un ans. Parmi ces dix-huit écrivains, la moitié (soit neuf écrivains) ne s'est fait connaître ou n'a été découverte qu'après 1980, soit à l'âge de quarante ans passés. On note aussi que les romanciers sont les plus nombreux (soit dix au total).

Une autre caractéristique de ce groupe, c'est la plurivalence des écrivains : en effet, en dehors de quelques-uns, tous les autres pratiquent plus d'un genre. Toujours est-il que dans ce groupe deux écrivains ont été récompensés sur le plan international : Kpiélé Pierre Dabiré par l'ORTF en 1968 avec sa pièce de théâtre Sansoa dans le cadre du concours théâtral interafricain, et Maître Titinga Frédéric Pacéré par l'Association des Écrivains de Langue française (ADELF) en 1982 avec ses deux recueils de poèmes La poésie des griots et Poème pour l'Angola.

Tous les genres littéraires majeurs sont pratiqués par les écrivains de ce groupe et parmi eux nous comptons beaucoup qui ont publié plus d'une œuvre littéraire :

*Jean Hubert Bazié : deux romans, un recueil de nouvelles et trois chroniques.

*Nazi Boni : un roman et un essai.

*Augustin Sondé Coulibaly : un roman, un recueil de poèmes et un essai.

*Boureima Jacques Guégané : deux recueils de poèmes.

*D. Jean-Pierre Guingané : six pièces de théâtre.

*Pierre Claver Ilboudo : trois romans et une nouvelle.

*Roger Nikiéma: un roman, un recueil de nouvelles et un recueil de poèmes.

*Lamoussa Théodore Kafando: trois recueils de contes, un recueil de poèmes et une pièce de théâtre.

*Kollin Noaga : deux romans.

*Me Titinga Frédéric Pacéré : dix recueils de poèmes et treize essais.

*Etienne Sawadogo : un roman et un recueil de contes.

*Jean-Baptiste Somé : deux romans.

*Rosalie A. Tall : deux recueils de poèmes.

*Vinu Muntu Yé : un recueil de poèmes.

*Norbert Zongo : deux romans.

Il faut signaler aussi le silence de certains parmi eux après leurs premières œuvres, sans que se manifeste aucune perspective dans le domaine littéraire : Nazi Boni (décédé), S. A. Coulibaly, K. P. Dabiré, B. J. Guégané, R. Nikiéma, V. M. Yé pendant que certains continent de participer à l'animation de la scène littéraire burkinabè : J. H. Bazié, D.J.P. Guingané, L.T. Kafando, J.B. Somé, N. Zongo.

Les écrivains nés entre 1950 et 1960, quant à eux, se sont manifestés un peu plus tôt par rapport à leurs aînés : ils ont constitué la révélation littéraire des années 80 et plus précisément dans la deuxième moitié, notamment grâce au Grand Prix national des Arts et des Lettres (GPNAL) institutionnalisé en 1983 : en effet c'est le GPNAL qui a permis d'en découvrir dix-huit; trois autres (Monique Ilboudo, Henriette Nana-Nikiéma, et André Nyamba) se sont fait connaître à travers d'autres prix littéraires; les cinq autres sont des self made men si on peut se permettre cette expression dans la mesure où ils n'ont été couronnés par aucun concours littéraire et qu'ils se sont jetés à l'eau en publiant eux-mêmes leurs œuvres. Ainsi la plupart des œuvres de ces auteurs seront publiées par l'administration culturelle chargée de gérer le GPNAL; elles le seront dans des ouvrages collectifs imprimés sur place à une exception près, ce qui réduit du coup leur diffusion. Chez ce groupe d'écrivains, il y a une sorte d'équilibre entre les romanciers et les poètes (six contre cinq). Cet équilibre s'explique en partie par la polyvalence que l'on constate ici : en effet, quatre de ces auteurs pratiquent plusieurs genres à la fois. Cela peut se comprendre assez aisément puisque tous ces écrivains sauf un ont fait des études supérieures et que la grande majorité a suivi des études littéraires. Cependant les genres les plus pratiqués sont le roman et la poésie. Ces écrivains de 1950 - 1960 sont les animateurs et les initiateurs des associations d'écrivains de ces dernières années. Même s'ils ne le disent pas ouvertement, il y a comme une sorte de condamnation de l'action des "aînés", à qui il serait reproché de n'avoir pas fait grand chose pour permettre à la littérature burkinabè de mieux se développer. La création de la Mutuelle pour l'Union et la Solidarité des Écrivains (MUSE) en particulier est l'expression de cette condamnation tacite : il a été reproché à l'Union des Gens de Lettres (UGEL), pendant les discussions de la mise en place de la MUSE, de n'avoir pas pu ou cherché à résoudre l'éternel problème de l'édition littéraire au Burkina Faso, d'où la nécessité d'une plus grande "union" et d'une "solidarité mutuelle" entre les écrivains.

La création et la composition de la MUSE semblent refléter une sorte de conflit de générations latent même si certains "anciens" ont participé à sa fondation (B. Jacques Guégané, D. Jean-Pierre Guingané).

C'est dans cette tranche d'âge que l'on a une entrée remarquable et remarquée des femmes sur l'arène littéraire : en effet Bernadette Dao Sanou en 1986 et Monique Ilboudo en 1992 se sont introduites dans cet espace jusqu'ici occupé exclusivement par les hommes (même Aadama Rosalie Tall qui est née en 1941 ne s'est signalée qu'en 1986 lors de la troisième édition du GPNAL). Bernadette Dao Sanou a remporté le premier prix de poésie au GPNAL 1986 avec son recueil au titre évocateur : Parturition; on peut dire que le produit de cette parturition se développe bien puisqu'elle a publié deux autres recueils de poèmes et un recueil de nouvelles tandis que Monique Ilboudo remportait brillamment le premier prix de la deuxième édition du Concours du Meilleur roman de l'Imprimerie nationale du Burkina avec son roman Le mal de peau; elle est ainsi la première femme à s'aventurer dans le domaine du roman. Ces pionniers de la littérature burkinabè au féminin ont été, après leur succès littéraire, en quelque sorte couronnés par la société. Bernadette Dao Sanou a été la première femme à occuper le portefeuille plein du ministère de la Culture à sa création en septembre 1986 (son succès explique-t-il cela ?) Quant à Monique Ilboudo, son succès littéraire s'est ajouté à sa renommée médiatique, faisant d'elle aujourd'hui la figure du féminisme militant au Burkina Faso; elle est aussi membre du Conseil supérieur de l'Information. Cela pour dire que les femmes sont entrées par la grande porte dans la littérature au Burkina Faso en s'imposant par la qualité de leurs œuvres.

Quant aux écrivains nés après 1960, leur nombre est tellement réduit qu'il n'y a pratiquement pas grand-chose à en dire sinon qu'il s'agit d'une génération montante dont les trois qui ont publié ne constituent qu'un échantillon. On peut juste ajouter que c'est dans cette tranche d'âge que la révélation littéraire s'est faite le plus tôt avec Sandra Pierrette Kanzié qui a publié son recueil de poèmes en 1987 à l'âge de vingt et un ans.


D. Le lieu de résidence

Le lieu de résidence peut paraître ne pas être un point d'analyse sérieuse de la situation de l'écrivain à première vue, mais en y réfléchissant, en observant, on découvre qu'il est à même de permettre à l'analyste de mieux cerner et de mieux comprendre la vie littéraire dans un pays comme le Burkina Faso. Concrètement, quelle est la situation de la littérature burkinabè écrite ? Jeune, elle connaît d'énormes problèmes dont le plus crucial est celui de la diffusion lié à l'absence de maison d'édition, ce qui joue sur la qualité artistique et matérielle des œuvres imprimées sur place. Au Burkina Faso, pays en développement dont tout le territoire n'est pas doté de toutes les infrastructures, une activité comme l'imprimerie ne s'exerce que dans les grands centres urbains, notamment Ouagadougou, la capitale politique et Bobo-Dioulasso, la capitale économique.

Une autre caractéristique du sous-développement est la grande concentration de tous les pouvoirs et de toutes les infrastructures de développement dans la capitale : ainsi Ouagadougou est un lieu de concentration démographique où se rencontrent toutes les élites du pays (économique, politique, culturelle, intellectuelle, etc.) faisant de la ville un véritable foyer où tout se vit, se décide, se réalise et à partir d'où se fait le rayonnement vers les autres localités. La littérature n'échappe pas à cette situation. Du reste, le Burkina Faso ne serait pas le premier pays où toute l'activité littéraire se trouverait concentrée dans la capitale.

En effet, Jean-Paul Sartre, parlant de la situation de l'écrivain en 1947 en France affirmait que "la centralisation nous a tous groupés à Paris; avec un peu de chance, un Américain pressé peut nous joindre tous en vingt-quatre heures (...). On nous rencontre tous ensemble - ou presque - dans certains cafés, aux concerts de la pléiade et, dans certaines circonstances proprement littéraires, à l'Ambassade d'Angleterre(3). En 1960, François Nourissier constatait que sur cent soixante-dix écrivains recensés en France, cent cinquante quatre vivaient à Paris

Ainsi, en 1996, on peut constater que les écrivains burkinabè sont eux aussi, pour la plupart, concentrés dans la capitale Ouagadougou comme le fait ressortir le tableau suivant :

Ouagadougou: 30

Provinces: 4

Extérieur du pays: 6

Décédés: 4

Plus des deux tiers résident à Ouagadougou et les provinces du pays abritent moins d'écrivains burkinabè qu'à l'extérieur du pays. Analysant ce phénomène, François Nourissier écrivait : « Nos lettres (françaises) sont parisiennes, bourgeoises (...) et les professeurs y disposent la prépondérance aux hommes de lettres. Nous avons une littérature parisienne, liée aux professionnels du livre (4) ». Nous pourrions reprendre au mot près les mêmes phrases à propos des écrivains burkinabè (surtout en rapport avec notre analyse sur leur situation socio-professionnelle).

Nous allons plus loin en affirmant que, de toutes les œuvres littéraires publiées au Burkina Faso que nous avons pu recenser, seuls trois ouvrages ont été publiés en dehors de la capitale par la direction régionale de l'Imprimerie nationale du Burkina à Bobo-Dioulasso et l'Imprimerie de la Savane. En effet, seules les imprimeries de Ouagadougou ont jusqu'ici accepté de se lancer dans l'aventure de l'impression littéraire; et encore, il s'agit des trois principales (l'Imprimerie nationale, l'Imprimerie nouvelle du Centre et l'Imprimerie des Presses africaines). Cette situation ne favorise pas la diffusion des œuvres ainsi publiées, rendant la littérature burkinabè inaccessible aux lecteurs des provinces.

La principale raison de cette concentration des écrivains burkinabè dans la capitale est à rechercher dans leur niveau d'instruction et leur situation socioprofessionnelle : nous avons dit que plus des deux tiers avaient une formation universitaire de haut niveau (dont quatorze ont le doctorat); cela les prédispose à des responsabilités professionnelles dont les plus importantes se trouvent dans la capitale. De plus, les douze journalistes sont dans leur écrasante majorité des fonctionnaires; les principaux organes d'information de l’État (radiodiffusion, télévision et presse) sont concentrés dans la capitale et du fait du haut niveau de formation des écrivains-journalistes qui se trouvent être des cadres de conception, leur présence dans ces organes est largement justifiée, surtout parce que la plupart d'entre eux ont eu à diriger à un moment de leur carrière l'un ou l'autre de ces organes d'information.

Quant aux enseignants dont presque la moitié (huit sur vingt) exercent dans le supérieur et la recherche, leur résidence dans la capitale se comprend dans la mesure où, jusqu'à la rentrée 1995 - 1996, la seule université du Burkina Faso se trouvait à Ouagadougou. Les enseignants des autres ordres résidant à Ouagadougou sont d'un certain âge et font partie du personnel d'encadrement du primaire (donc avec suffisamment d'expérience pour justifier leur présence au niveau central); très peu sont du secondaire.

Ainsi, comme on peut le constater, il semble exister un lien étroit entre la situation socioprofessionnelle et le lieu de résidence des écrivains burkinabè. En général, ceux-ci font partie des classes des élites (sociales et intellectuelles), ce qui peut être une raison suffisante de leur présence à Ouagadougou.

Ces éléments d'information et d'analyse sur le contexte dans lequel est née et évolue la littérature burkinabè permettent à l'observateur de comprendre que celle-ci soit méconnue. En effet, le plus grand problème des écrivains burkinabè est celui de l'édition : en dehors des quelques expériences qui ont cours depuis trois ou quatre années en la matière, le Burkina Faso souffre d'une absence criante de maison d'édition. Nous avons recensé les ouvres littéraires dont l'existence nous est connue; elles ont été dans leur grande majorité imprimées sur place comme le font ressortir les chiffres suivants :


GENRE

EDITION

LOCALE

EDITION

EXTERIEURE

TOTAL

Roman

32

15

47

Poésie

32

21

53

Nouvelles

16

7

23

Contes et légendes

18

12

30

Théâtre

13

4

17

Total

111

59

170


Cette analyse sociologique de l'écrivain burkinabè nous a permis de mieux le connaître, de pénétrer dans les profondeurs de son environnement pour mieux l'identifier, partant de mieux saisir la portée de l'écriture littéraire. En effet, la place de la littérature "au premier rang des valeurs culturelles" universelles n'est pas aussi évidente au Burkina; la raison est que la société en elle-même n'a pas encore codifié ou reconnu un statut à l'écrivain burkinabè de sorte que la pratique littéraire et les œuvres qui en découlent n'ont pas encore acquis le niveau de l'institution comme cela s'est vu partout en Europe. Si l'institution littéraire n'a pas encore de statut au Burkina Faso, il n'en demeure pas moins que ses bases sont en train de se mettre en place et cette étude sociologique a la prétention d'y participer : elle dégage un profil plus précis de l'écrivain burkinabè car, comme le dit Alain Viala, « de nos jours, la littérature constitue un domaine spécifique d'activités, le champ littéraire, avec ses règles de fonctionnement, sa logique, ses codes, d'autant plus efficaces qu'ils sont en grande partie implicites, qu'ils paraissent aller de soi (5) ». Nous espérons que cette étude aura permis d'esquisser ces "règles de fonctionnement implicites" du champ littéraire burkinabè en étudiant la situation de ceux-là mêmes sans lesquels il ne peut y avoir de littérature : les écrivains.


II. Les principales étapes de l'histoire littéraire du Burkina

1. Les problèmes de la recherche sur la littérature au Burkina Faso.

Un pays comme le Burkina Faso souffre d'un grand mal intellectuel : la méconnaissance de son histoire littéraire. En effet, si l'année 1995 constitue le centenaire de la colonisation de la Haute-Volta devenue Burkina Faso le 4 août 1984, si beaucoup de travaux ont été entrepris en histoire, en archéologie, en géographie, en sociologie, etc., pour mieux connaître et faire mieux connaître ce pays, nous devons constater l'absence de documents fiables pour permettre de connaître son histoire littéraire. C'est vrai que des travaux partiels de chercheurs donnent des indications assez éparses, mais aucun travail systématique, aucune fouille archéologique n'a encore été entreprise dans le domaine de la littérature. À cela, plusieurs raisons :

- la quantité négligeable (du moins jusque dans les années 1980) de la production littéraire qui n'a pas suscité de vocations plus tôt;

- l'absence de cette production littéraire (parce que justement peu importante) dans les programmes d'enseignement, notamment à l'université. C'est seulement en 1978 que, timidement d'abord, Bernardin Sanon a introduit l'enseignement de la littérature voltaïque en maîtrise de lettres modernes;

- le manque d'intérêt des chercheurs et des enseignants-chercheurs pour la littérature burkinabè : la première thèse de doctorat portant partiellement sur elle rédigée par un Burkinabè a été soutenue en novembre 1982 par M. Gninty Boniface Bonou (6). Et depuis, les recherches doctorales ou d'enseignants-chercheurs portent soit sur des auteurs, soit sur des œuvres bien précises et dans des domaines bien précis. Nos travaux sont pratiquement les seuls à porter sur l'histoire générale de la littérature burkinabè, en plus de ceux que nous consacrons par ailleurs à des aspects spécifiques;

- l'indisponibilité de documents fiables pour le chercheur constitue le plus grand handicap: en effet, l'administration culturelle, balancée d'un ministère à un autre depuis sa mise en place au milieu des années 1970, n'a pas gardé des archives à même de donner au chercheur les informations nécessaires pour son travail. Quant aux pionniers de la littérature burkinabè, le souci d'archivage ne les a pas particulièrement animés d'autant que personne ne s'intéressait à ce qu'ils faisaient.

La conjugaison de toutes ces carences et insuffisances rend encore plus difficile le travail du "chercheur généraliste" que nous sommes car, au bout du compte, on a le sentiment d'avoir fait des trouvailles, des découvertes au sens scientifique de ces termes. Aujourd'hui, nous sommes en mesure de fournir des éléments qui permettent de faire, au seuil du vingt et unième siècle, le point sur la production littéraire au Burkina.


2. Naissance de la littérature voltaïque

Devant la situation décrite plus haut, l'on comprend assez aisément qu'il soit très difficile, sinon impossible de dire à quelle date exacte les Voltaïques de l'époque ont commencé à écrire : en effet, constituée comme colonie en 1919, la Haute-Volta sera supprimée en 1932 et le territoire réparti entre les colonies de la Côte-d'Ivoire au Sud, du Niger à l'Est et du Soudan au Nord et à l'Ouest; elle ne sera reconstituée qu'en 1947, après la seconde guerre mondiale. Ce rappel historique a son importance car, au moment où la littérature africaine noire prenait véritablement date avec l'histoire, le territoire voltaïque n'existait plus et il venait d'être reconstitué juste à la veille de l'éclosion littéraire des années 1950. Sans être psychologue, nous sommes cependant fondé à croire que ces turbulences de l'histoire ont fortement perturbé les intellectuels voltaïques de l'époque susceptibles de s'adonner à la création littéraire. Leurs préoccupations premières consistaient plus à lutter pour la reconstitution de leur territoire. Pour ceux d'entre eux qui auraient pu produire, ne serait-ce que dans le cadre de l'école William Ponty, ils ont pu être archivés comme Ivoiriens, Nigériens ou Soudanais. Ce sentiment est confirmé par le professeur Joseph Ki-Zerbo avec qui nous nous sommes entretenu à propos de l'absence des Voltaïques sur la scène littéraire africaine pendant la période coloniale.

Une autre explication aussi pourrait être recherchée du côté du niveau d'instruction dans la colonie : la Haute-Volta, territoire sans débouché sur la mer, réputée pour le courage et la bravoure de ses fils, était plutôt une réserve de main-d’œuvre qui allait travailler dans les plantations et sur les chantiers. Bien que ne disposant pas d'études précises sur la situation de l'école en Haute-Volta à cette époque, nous sommes convaincu que cela a dû jouer non seulement sur la scolarisation mais aussi sur le niveau de celle-ci. Or l'histoire a montré que les véritables premiers écrivains se sont révélés au contact avec d'autres Africains, d'autres Noirs (Antilles et Amérique) et d'autres Blancs (démocrates luttant contre la colonisation) auprès desquels ils se sont instruits et, comme si peu (?) de Voltaïques sont allés poursuivre leurs études secondaires et supérieures en France, il ne serait donc pas étonnant de constater leur absence, d'autant plus que c'est à Paris, milieu des intellectuels africains par excellence, que les œuvres littéraires étaient éditées. Pour mémoire, rappelons que la maison d'édition Présence africaine y a été créée en 1948. Cependant, Bernard Mouralis dans son ouvrage cite des noms comme Fily Dabo Sissoko et en particulier Mamby Sidibé qui a publié des monographies, entre 1918 et 1927, dans le bulletin de l'Enseignement en AOF (7).

La reconstitution de la colonie de Haute-Volta a coïncidé avec le développement et l'intensification de l'activité politique (le Rassemblement démocratique africain -RDA- a été créé en 1946) qui verra la plupart des intellectuels voltaïques s'y investir, au point, peut-être, de négliger l'activité intellectuelle créative : nous pouvons citer entre autres Philippe Zinda Kaboré, Daniel Ouezzin Coulibaly, Lompolo Koné, Yalgado Ouédraogo, Youssouf Conombo, Joseph Ki-Zerbo, Nazi Boni, etc.; ils sont tous pratiquement de la génération des années 1920, c'est-à-dire de la même époque que ceux qui vont installer la littérature africaine dans ses fonts baptismaux. Ces activités politiques ont conduit certains à l'exil (Joseph Ki-Zerbo, Nazi Boni) et à la mort prématurée (Ouezzin Coulibaly, Philippe Zinda Kaboré).

Tout cela nous fonde à comprendre assez aisément qu'aucune œuvre littéraire voltaïque n'a été éditée pendant la période coloniale. Cependant, le paradoxe de la situation a voulu que, très tôt, en 1932 et 1934, un Voltaïque publie deux ouvrages : il s'agit respectivement de L'empire du Mogho Naba et de Les secrets des sorciers noirs de Dim Dolobson Ouédraogo(8). Si l'on s'en tient à leurs titres, ces ouvrages ont une résonance plus ethnographique que littéraire. Il faut Maître Frédéric Titinga Pacéré pour voir dans L'empire du Mogho Naba une œuvre littéraire : elle contient en effet des devises (Zabyouya en moore), des contes, des devinettes, bref des échantillons de la littérature orale moaaga. Cette présence lui suffit pour affirmer qu'il s'agit de la première œuvre littéraire voltaïque. Quant à nous, partant des intentions de l'auteur et du contenu de l’œuvre, nous la considérons comme ethnographique; les genres littéraires oraux qu'elle contient visent à donner des informations importantes sur l'organisation sociale des Moose que maître F.T. Pacéré lui-même présente si bien dans son Langage des tam-tams et des masques en Afrique (9). On ne saurait parler du pouvoir traditionnel chez les Moose sans évoquer les devises que se donne chaque chef à son intronisation en guise de programme politique; c'est ce que Dim Dolobson Ouédraogo fait dans son œuvre et rien d'autre. Celle -ci ne constitue donc pas un recueil de genres oraux, encore moins une œuvre de fiction. Par conséquent, on ne peut la considérer comme telle au risque de mal orienter le chercheur.

Parmi les pionniers de la littérature voltaïque, il convient de citer Lompolo Koné qui a été un grand homme de culture et qui a mené une grande action au niveau du théâtre : dramaturge lui-même, il a été à la base de la création des Maisons des Jeunes et de la Culture dans les circonscriptions administratives à l'époque, aidé en cela par la revue Trait d'Union qu'il a créée et dirigée dans le cabinet du Haut Commissaire Cornut Gentil. Ses textes ont été reconnus d'une grande qualité littéraire et lui ont valu la consécration internationale : ainsi la représentation de sa pièce La jeunesse rurale de Banfora a obtenu en 1956 le prix André You de l'Académie des Sciences d'Outre-mer. Une autre pièce, Soma Oulé traite d'un événement historique à savoir le passage de Samory Touré dans l'Ouest de la Haute-Volta. Malheureusement, aucun de ces textes n'a été édité.

Il nous faut ajouter qu'avant l'indépendance la production littéraire voltaïque semble s'être limitée au théâtre et à la poésie : pour le théâtre, Jean-Pierre Guingané dans sa thèse de doctorat fournit suffisamment d'informations précieuses sur les pièces théâtrales et les auteurs qui ont produit avant et après l'indépendance (10). Quant à la poésie, des recherches dans les archives coloniales à Aix-en-Provence en France pourraient fournir des précisions.

Après toutes ces explications, il n'y a plus de difficulté à comprendre, à affirmer et à accepter que la Haute-Volta n'a pas connu d’œuvre littéraire éditée avant l'indépendance. Et comme la littérature n'existe que par la lecture et qu'il n'y a de lecture qu'avec l'édition, la littérature voltaïque a pris date avec l'histoire en 1962 avec la publication de Crépuscule des temps anciens de Nazi Boni; ce roman, sous-titré chronique du Bwamu, d'une écriture classique, s'inscrit dans la lignée du roman africain des années 1950, même si la thématique rappelle plus le roman ethnographique d'un Paul Hazoumé ou d'un Ousmane Socé Diop. Par amitié intellectuelle et politique pour Senghor (11) et par conviction, Nazi Boni a écrit un roman de la négritude des années 1930, un roman qui magnifie les valeurs ancestrales, en prônant leur sauvegarde face à la menace que constitue l'invasion du Blanc. Comme pour aligner la littérature voltaïque sur la littérature africaine des débuts, Nazi Boni a fait de la négritude la première école littéraire à attirer les Voltaïques dans leur créativité tardive. Ainsi, avec Crépuscule des temps anciens on peut affirmer que la Haute-Volta a fait, à travers Nazi Boni, une entrée remarquée et remarquable dans la littérature africaine et l'on était en droit d'en attendre une suite à sa hauteur.

Les événements ultérieurs vont quelque peu décevoir l'attente : les années 1960 et même 1970 vont être marquées en dents de scie dans le domaine de la publication des œuvres. Cette période que nous appellerons le balbutiement de la littérature voltaïque sera caractérisée essentiellement par la prose et la poésie.

Nous avons mis ces deux décennies ensemble compte tenu du rythme de production. Ainsi nous avons en tout 20 ouvrages dont 8 recueils de poèmes, 6 romans, 3 contes, 2 nouvelles et une pièce de théâtre.

Comme le montrent les chiffres, le roman, la prose de façon générale, et la poésie occupent le devant de la scène et le théâtre apparaît comme un accident de parcours, ce qui va se confirmer par la suite. Deux poètes (Pacéré et Guégané) et un romancier (Kollin Noaga) ont plus d'une œuvre tandis que Roger Nikiéma publie un roman et un recueil de nouvelles.

Ces vingt ouvrages sont l'œuvre de onze auteurs qui peuvent être considérés comme les "doyens" de la littérature voltaïque (comme ils en sont du reste les pionniers) sauf André Nyamba qui est né après 1950. Ainsi tous ont publié après l'âge de 30 ans. Ce qui conforte l'idée de naissance tardive de la littérature voltaïque : en effet, en publiant à un âge assez avancé cela ne pouvait que retarder leur apparition sur la scène littéraire. Des auteurs comme Nazi Boni, Augustin Sondé Coulibaly ou Pierre Dabiré ont publié leurs premières œuvres à un âge où leurs congénères comme Mongo Béti et Ousmane Sembène s'étaient déjà confirmés comme écrivains sur la scène internationale. Parmi eux, seuls Maître Pacéré, E. Sawadogo, J.B. Guégané et V.M. Yé ont connu un cursus scolaire normal jusqu'à l'université; les autres ont un niveau universitaire par concours professionnel ou n'y ont pas du tout accédé.

Outre ces ouvrages publiés il convient, pour être complet, de signaler l'existence d'une littérature de revue qui a permis à des auteurs qui n'ont jamais publié d'ouvrage indépendant de montrer qu'ils avaient quelque chose à dire. Le Cercle d'Activités littéraires et artistiques de Haute-Volta (CALAHV) a servi de rampe de lancement à ce type de littérature. S'étant fixé des objectifs tout à fait nobles, le CALAHV se devait de trouver les voies et moyens pour les réaliser et deux structures furent créées :

- le Grand Prix CALAHV qui était annuel et qui devait être "attribué aux meilleures œuvres artistiques et littéraires de l'année" à l'occasion de la fête nationale du 11 décembre. Et, dès 1967, la première édition a eu lieu dans les cinq sections du CALAHV; la participation au concours littéraire a été très importante, car 70 textes (poèmes, pièces de théâtre, nouvelles, récits et romans) ont été enregistrés. Ce prix est en quelque sorte l'ancêtre du Grand prix national des arts et des lettres dont il sera question plus loin;

- la revue Visages d'Afrique au nom évocateur, un peu comme Présence africaine en 1947, voulait présenter les Africains sur la scène internationale des arts et de la pensée. C'est elle qui sera la voix du CALAHV à l'extérieur; c'est elle qui a permis à des noms comme Karim Laty Traoré, Mamadou Djim Kola, Jean Yaméogo, etc, de faire connaître leurs poèmes, leurs contes, leurs récits, leurs réflexions sur les arts et la culture en Haute-Volta.

Malheureusement, le manque d'archives évoqué plus haut ne nous a pas encore permis de savoir ni le nombre d'éditions du Grand prix CALAHV, ni le nombre de numéros de Visages d'Afrique, le CALAHV ayant disparu en 1974 sans que l'on puisse aujourd'hui mesurer son impact réel sur la littérature.

Dès sa naissance, la littérature voltaïque a jeté les bases de ses caractéristiques qui vont se poursuivre pendant les autres périodes : écriture assez classique, respectant les règles générales de la langue française, thématique sociale très prononcée tirant son inspiration des réalités propres au pays. Le tâtonnement dans la publication, dans les genres et dans la maîtrise des techniques narratives, des auteurs suffisamment âgés, telles sont les caractéristiques essentielles de cette littérature à sa naissance.


3. La révélation de la littérature burkinabè

Les années 1980 seront caractérisées, sur le plan littéraire, par l'apparition de nouveaux auteurs, plus jeunes, qui ont su profiter de la prise en charge de la culture par l'État. En effet, la création d'une Direction générale des Affaires culturelles au Ministère de l'Éducation nationale, des Arts et de la Culture, avec une Direction des Arts et des Lettres a montré que le pouvoir politique a décidé d'accorder une place importante à la mise en oeuvre d'une politique culturelle, même si les moyens (financiers, humains et matériels) n'ont pas toujours suivi. Les hommes de culture en général, les écrivains en particulier se sont vus encouragés dans leurs actions et y ont vu une motivation supplémentaire.

Dès le premier semestre de 1983, des débats ont été engagés au niveau de cette direction générale pour la rédaction et l'adoption de textes et structures relatifs au droit d'auteur :

- ordonnance n° 83-016/ CNR/PRES du 29 septembre 1983 et son rectificatif portant protection du droit d'auteur;

- décret n° 85-037/CNR/PRES/INFO du 29 janvier 1985 portant création du Fonds national de promotion culturelle.

Cette volonté sera renforcée avec le changement de système politique intervenu le 4 août 1983 : à cette date, la Haute-Volta connaît pour la première fois l'instauration d'un régime révolutionnaire avec une orientation volontariste et une tendance marxiste très prononcée. Le projet de Semaine nationale de la Culture (SNC) qui sert de cadre au concours du Grand Prix national des Arts et des Lettres (GPNAL) initié avant le changement politique, sera réalisé avec faste par le nouveau régime pour sa première édition (20-30 décembre 1983) comme la marque de son engagement pour la promotion de la culture, d'autant que, dès le 2 octobre, un "discours d'orientation politique" a été rendu public dans lequel le Conseil national de la Révolution (CNR) affirmait ses intentions en matière de promotion culturelle : « La Révolution démocratique et populaire créera les conditions propices à l'éclosion d'une culture nouvelle. Nos artistes auront les coudées franches pour aller hardiment de l'avant. Ils devront saisir l'occasion qui se présente à eux pour hausser notre culture au niveau mondial. »

Cette proclamation de foi sera entendue par les écrivains qui se serviront de ces cadres comme le GPNAL pour exprimer leur esprit de créativité. Initiés en 1983, la SNC et le GPNAL connaîtront leur dixième édition en mars 2000 : annuels jusqu'en 1984, ils sont devenus une manifestation biennale à partir de 1986. La SNC est un cadre offert aux artistes par l'État; elle comprend un volet compétition avec le GPNAL et un volet festival pour les autres activités. Le GPNAL est un concours qui concernait trois catégories au départ et en compte maintenant six : les arts du spectacle, les arts plastiques et les lettres; cette dernière catégorie regroupe le concours littéraire en français et concerne les genres majeurs (roman, poésie, nouvelle, théâtre et conte) pour adultes (et pour enfants depuis l'édition de 1986).

Le GPNAL a joué un rôle primordial dans cette deuxième période de la littérature burkinabè que nous nommons "période de la révélation" : il a révélé de jeunes auteurs talentueux et de nouvelles œuvres; il a surtout révélé la grande productivité de ces jeunes auteurs burkinabè comme le montrent le tableau ci-après.


Tableau : Participation au GPNAL en français


GENRES

LITTERAIRES

EDITIONS DU GPNAL

1983

1984

1986

1988

1990

1992

1994

1996

1998

Total

Roman

NR*

3

4

8

6

3

9

8

NR

41

Nouvelle(1)

13

15

17

12

23

27

27

12

37

183

Poésie (2)

54

29

22

20

23

24

29

33

60

294

Théâtre

15

16

6

6

11

10

12

5

24

105

Conte (3)

NR

1

5

7

7

5

6

2

10

43

Poésie-enfants(2)

NR

NR

8

8

NR

7

15

9

18

65

Roman-enfants

NR

NR

NR

NR

NR

NR

1

3

NR

4

Total

82

64

62

61

70

76

99

72

151

737


·NR = non retenu. (Le genre littéraire en question n'est pas retenu par le règlement intérieur de l'édition de l'année concernée.)

1. Les concurrents en nouvelle doivent présenter un recueil de trois à cinq nouvelles selon les éditions.

2. Les concurrents en poésie et en poésie pour enfants doivent présenter un recueil de dix poèmes.

3. Les concurrents en conte doivent présenter un recueil de dix contes.

Cette initiative de l'État va constituer la caractéristique principale de la période de la révélation, car le GPNAL va faire des émules : le quotidien gouvernemental Sidwaya, à la tête duquel se trouvait un jeune poète à l'époque, Babou Paulin Bamouni, organisera un concours dénommé "Concours Sidwaya du meilleur roman" qui a connu deux éditions en 1986 et 1987; celles-ci ont vu la participation respective de sept et cinq concurrents; l'œuvre lauréate de 1987, Le procès du muet de Patrick Ilboudo a été éditée par son auteur la même année.

Le troisième concours du genre, organisé à Bobo-Dioulasso à l'occasion de l'an IV de la Révolution en août 1987 par la section provinciale du Houet de l'Union des Gens de Lettres du Burkina (UGEL) était exclusivement réservé à la poésie avec comme thème de compétition la paysannerie. Il a connu une soixantaine de participants.

Le dernier concours littéraire de la période est celui que l'imprimerie nationale du Burkina a décidé de consacrer au roman et dénommé "Grand prix imprimerie nationale du meilleur roman", institué depuis 1989; sa périodicité est de trois ans et elle a connu deux éditions : six manuscrits en 1989, huit en 1992. Sa caractéristique principale est l'impression du roman lauréat en mille exemplaires comme récompense pour son auteur.

La pratique du concours littéraire sera poursuivie dans les années 90 : nous pouvons citer :

- le prix de la nouvelle MUSE - UNICEF organisé en prix spécial du GPNAL de 1992 autour du thème de la protection de la femme et de l'enfance;

- le Grand prix littéraire du Président du Faso institué à l'occasion du GPNAL 1994; sa périodicité est alignée sur celle du GPNAL, c'est-à-dire tous les deux ans. Lœuvre lauréate est imprimée en mille cinq cents exemplaires remis à son auteur;

- le concours MUSE - CODE du roman pour enfants organisé en 1994.

L'analyse des concours littéraires faisant l'objet d'une autre réflexion en cours, nous nous limiterons à cette énumération. Par contre nous poursuivons l'analyse des caractéristiques de la période de la révélation. Nous l'avons ainsi qualifiée parce que c'est essentiellement à travers les concours que la jeune génération des écrivains burkinabè a été découverte et révélée. Cette période est largement occupée par Jacques Prosper Bazié qui a été lauréat huit fois. En dehors de la poésie pour enfants, il est lauréat en roman, poésie, nouvelle et théâtre et c'est en poésie qu'il a été le plus primé (quatre fois, donc à chaque édition : deux fois premier et deux fois deuxième); en roman il est deux fois deuxième sur trois éditions; une fois premier en théâtre et une fois deuxième en nouvelle. Du reste il continuera à être primé jusqu'en 1992, année où il sera déclaré "artiste du peuple" pour avoir été trois fois premier en poésie au GPNAL et suspendu de participation pendant deux éditions conformément au règlement intérieur du GPNAL. Ainsi c'est à 28 ans (il est né en mars 1955) que J.P. Bazié fait une entrée remarquée et remarquable sur la scène littéraire dès 1983.

En dehors de Bernadette Dao et Jean-Charles Kabré, les six autres auteurs cités ont moins de trente ans, contrairement aux écrivains de la première période. Cela montre la jeunesse de ceux qui vont se révéler dans les années 1980 et laisse présager une plus longue pratique littéraire pour la suite, ce qui sera effectivement confirmé.

Une caractéristique principale de ces lauréats : ils pratiquent plusieurs genres littéraires à la fois (à l'image de celui qu'on peut considérer comme leur chef de file, J.P. Bazié) en dehors de Théophile Moussa Sowié (exclusivement en théâtre) Baba Hama (exclusivement en poésie). Quant à Bernadette Dao elle semble s'être ancrée dans la pratique poétique (pour adultes et pour enfants).

C'est la première fois qu'une femme apparaît dans le monde littéraire en remportant deux fois le premier prix en poésie : il s'agit de Bernadette Dao qui en sera récompensée sur le plan politique quand, en août 1986, elle a été nommée ministre de la culture, la première fois que ce ministère a existé de façon autonome. Du reste, parmi les 48 lauréats figurent deux femmes : B. Dao et Léocadie Hien et cette tendance se renforce quand on consulte les listes des concurrents où les femmes participent de plus en plus au GPNAL et aux autres concours littéraires organisés.

Certains auteurs qui ont été primés une seule fois au GPNAL vont cependant se révéler prolixes par la suite : nous pouvons citer Jean-Pierre Guingané (le dramaturge burkinabè qui a le plus d’œuvres publiées en dehors de l'administration culturelle), Norbert Zongo, et surtout Patrick Ilboudo qui va s'imposer aussi comme un autre chef de file. Et parmi les huit cités plus d'une fois la grande majorité (cinq) n'aura pas publié en dehors de l'administration culturelle : ainsi seuls J.P. Bazié, I.A. Hien et B. Dao auront publié d'autres œuvres à compte d'auteur.

Avant d'aborder d'autres caractéristiques de la période de la révélation, il faut ajouter que l'ensemble des concours que nous avons énumérés prévoient chacun dans son règlement intérieur des récompenses pécuniaires pour les lauréats et l'édition des œuvres primées. Ainsi douze ouvrages ont été publiés par l'administration culturelle parmi lesquels une anthologie, le reste étant des ouvrages collectifs contenant les deux ou trois lauréats par genre des éditions du GPNAL à l'exception de celle de 1984 dont l'administration culturelle n'a rien publié. À côté de ces ouvrages, d'autres manuscrits primés ont été publiés par les soins de leurs auteurs :

- Adama ou la force des choses (roman) de Pierre Claver Ilboudo, premier au GPNAL 1984, publié par Présence africaine en 1987.

- Le fou (théâtre) de Jean-Pierre Guingané, premier au GPNAL 1984, publié par CEDA en 1986.

- Secrets d'alcôve (nouvelle) de Ignace Ansonwin Hien, premier au GPNAL 1988, publié par l'auteur à l'Imprimerie des Presses africaines en 1989 avant d'être repris dans un ouvrage collectif.

- L'enfer au paradis (roman) de I.A. Hien, premier au GPNAL de 1986 publi£ par l'auteur à l'Iprimerie des Presses africaines en 1986.

- Rougbêinga (roman) de Norbert Zongo, troisième au GPNAL de 1988, publié par l'auteur à l'Imprimerie nouvelle du Centre en 1990.

La deuxième caractéristique fondamentale de la période de la révélation est le souci qu'ont les écrivains de s'organiser afin d'affronter dans l'unité les difficultés que la pratique littéraire rencontre au Burkina Faso. Nous renvoyons le lecteur à la deuxième partie de notre travail.

Troisième caractéristique fondamentale de cette deuxième étape de la littérature burkinabè : la rupture entre les écrivains dans la publication de leurs œuvres comme pour confirmer nos inquiétudes sur l'arrivée tardive, à un âge relativement avancé, des pionniers sur la scène littéraire. Parmi ces derniers en effet, seul Maître Frédéric Titinga Pacéré a continué à publier pendant cette deuxième période, les autres, même si certains affirment par ailleurs avoir des manuscrits, ayant raccroché. Ainsi c'est une nouvelle génération d'écrivains qui apparaît avec, comme seule confirmation venant de la période antérieure, Jean-Hubert Bazié, "cadet" à s'être révélé parmi les pionniers à travers Visages d'Afrique. Rupture au niveau de la publication, rupture au niveau de l'âge et rupture aussi dans le niveau d'instruction des écrivains : la jeune génération sort directement de l'université, donc avec un niveau d'instruction et de formation plus élevé; elle est issue essentiellement, à quelques exceptions près, du milieu du journalisme et de l'enseignement, donc du milieu de la formation et de la communication. Nous avons analysé ce phénomène dans la première partie de ce travail;


À l'examen de ces quelques éléments relatifs à l'évolution de la littérature burkinabè écrite, un constat s'impose à l'observateur : la littérature semble avoir signé un pacte avec l'histoire au Burkina Faso. En effet, ses grandes étapes coïncident avec les grands événements qui ont marqué la vie socio-politique du pays : la littérature a vu le jour presque en même temps que l'indépendance de la Haute-Volta; les grands bouleversements politiques du pays seront ressentis tant au niveau des écrivains qu'au niveau de la pratique littéraire elle-même.

L'État burkinabè va jouer un rôle prépondérant dans la promotion et le développement de la production littéraire; il a initié une politique de concours littéraires qui permettront de découvrir de nouveaux et jeunes créateurs dont les œuvres ont enrichi le patrimoine national. Il les a encouragés par un début certes timide mais combien important de publication de la production littéraire tout en créant un contexte propice à une véritable éclosion littéraire au Burkina Faso.

À côté des efforts de l'État, les écrivains eux-mêmes vont s'investir individuellement et collectivement pour créer des cadres de leur auto-promotion à travers des organisations dont les objectifs essentiels seront orientés vers la recherche de solutions aux différents problèmes qu'ils rencontrent et qui ont pour noms : édition, diffusion, promotion.


NOTES

1. M. Delon, R. Mauzi, S. Menaut : Littérature française; (tome 6 de l'Encyclopédie aux Méditations) p. 26

2. Alain Viala : Naissance de l'écrivain, p.178

3. Jean-Paul Sartre : Qu'est-ce que la littérature ? P. 207

4. François Nourissier :Écrivains d'aujourd'hui, p. 473

5. Alain Viala : op. cit. p.180

6. Boniface Gninty Bonou : Tradition et modernisme dans la littérature voltaïque d'expression française, thèse de doctorat 3° cycle, Université Lyon II, 1982

7. Bernard Mouralis : Littérature et développement, p. 107

8. Dim Dolobson Ouédraogo : - L'empire du Mogho Naba, coutume des Mossi de Haute-Volta, Paris, Donat-Montchrestien, 1932

- Les secrets des sorciers noirs, Paris, Noury, 1934

9. Frédéric Titinga Pacéré : Le langage des tam-tams et des masques en Afrique, Paris, L'harmattan, 1992

10. Jean-Pierre Guingané : Le théâtre en Haute-Volta : structures, productions, diffusion, public (2 tomes); Université Bordeaux III, 1977, thèse de doctorat 3° cycle.


BIBLIOGRAPHIE

Bénichou (P.) : - Le sacre de l'écrivain; Paris, Corti, 1973.

- Littérature française, tome II : Le XVIII° siècle; Paris, Artaud, 1977

Delon (M.), Mauzi (R.) et Menant (S.) : Littérature française, tome 6 : de l'Encyclopédie aux Méditations, Paris, 1977

Dubois (Jacques) : L'institution de la littérature; Paris Bruxelles, Nathan-Labor, 1987

Goulemot (J. M.) et Oster (Daniel) : Gens de Lettres, écrivains et bohèmes; Paris, Minerve, 1992

Kraptchencko (Mikhaïl) : La personnalité de l'écrivain et l'évolution de la littérature; Moscou, Editions du Progrès, 1974

Sartre (Jean-Paul) : Qu'est-ce que la littérature ? Paris, Gallimard, Folio-essais, 1985.

Viala (Alain) : Naissance de l'écrivain; Paris, Minuit, 1992.