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Urbain AMOA

Président de l'Association des professeurs de français pour l'Afrique et de l'Océan Indien, Écrivain, Abidjan


Prix littéraires et francophonie


Dans Les fondements économiques et culturels d'un État fédéral d'Afrique noire, Cheikh Anta Diop abordant la question linguistique parvient à une conclusion en trois volets : l° Choix d'une langue à. l'échelle locale dans le cadre d'un territoire donné, 2° Élévation de la langue choisie au niveau d'une langue moderne de culture et de gouvernement, 3° Choix d'une langue à l'échelle du continent. En guise d'observation et comme pour se dédouaner, il écrit: « Les écrivains et artistes noirs, lors de leur congrès à Rome, Pâques 1959, et la FÉANF lors de son séminaire de juillet 1959, à Rennes, ont adopté cette position. » [Fédération des étudiants d'Afrique noire en France]

A la question de savoir comment procéder pour y parvenir, il répond: « Cela suppose une activité de recherche, au sens le plus authentique, des esprits lucides et féconds capables d'atteindre des solutions efficaces et d'en être conscients par eux-mêmes sans la moindre tutelle intellectuelle. » C'était en 1959, il y a de cela quarante ans, et depuis lors, nombre de pays africains ont été dirigés par des leaders de la FÉANF. Depuis lors des langues africaines existent aussi bien que des langues des autres continents, qui malgré elles s'inclinent devant le français, l'anglais, et, pour reprendre les expressions de Alain Braun, président de la FIPF et Hervé Vernay, de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie, devant l'anglo-américain ou l'anglo-américain marchand, langues dominantes. Ne faut-il donc pas s'attendre au XXIe siècle à une illustration multilingue, dont le nom reste pour le moment inconnu, parce qu'il n'existe pas, dans ce vaste projet de mondialisation à haut risque d'uniformisation ?

Qu'est-ce donc que la francophonie ? Répondant à cette question dans Négritude, arabité et francité, Léopold Sedar Senghor part d'une hypothèse : la francophonie comme culture. Et comme pour répondre à une préoccupation de l'époque, il s'explique: « Ce n'est pas comme d'aucuns le croient une machine de guerre montée par l'impérialisme français. C'est par-delà la langue, la civilisation française. Plus précisément, l'esprit de cette civilisation, c'est-à-dire la culture française, que j'appellerai la francité. »

Le seul principe incontestable sur lequel la francophonie repose est l'usage de la langue française. Usage tel que le fixent les règles fondamentales qui s'affirment selon les spécificités, selon les structures morphosyntaxiques classiques ou modernes, admises ou acceptées par des emprunts et des illustrations. Ainsi dès 1328-1346, en moyen français, a-t-il été admis un style dit juridique : « Le style juridique se fabrique tout un arsenal de formules causales, tantôt subordonnées: vu que, attendu que, au cas que, afin que, combien que, tantôt démonstratives: pour ce que, à cette fin que, à cette cause que sans compter les le-dit et les sus-dit qui .accompagnent invariablement I.es noms des personnes. Le même style use du relatif analytique: lequel, laquelle, dont la diffusion, si caractéristique du moyen français, permet notamment de reproduire avec beaucoup d'exactitude certaines tournures latines. »

Bien évidemment, ce style n'est pas le style littéraire qui offre de grandes libertés à l'écrivain, jusqu'à lui donner la liberté d'exercer, selon le genre Choisi, son pouvoir sur la langue. Liberté, mais non anarchie et quelquefois production Insolite, un insolite conscient qui fait de l'écrivain un génie. Parlant de Amadou Kourouma, le dernier numéro de Jeune Afrique écrit : « L'écrivain ivoirien s'est installé dans une langue qui lui est propre. Il ne s'est jamais totalement approprié le français ou p1utôt, il l'a subverti. Ses personnages utilisent une syntaxe et un lexique exprimant la réalité qu'ils vivent. Cette sorte de base justement linguistique n'est pas aussi simple qu'iI y parait. »
Pourrait apparemment se poser le problème des critères de sélection. Et pourtant Jeune Afrique ajoute: « Encensé par la critique, ce titre [En attendant le vote des bêtes sauvages] a obtenu plusieurs prix importants dont le Livre lnter 1999, qui est une consécration inattendue pour un texte pour le moins difficile. »


Faut-il retenir d'un ouvrage primé qu'il est vraiment la référence attendue ?


Assurément non puisque d'un lecteur à l'autre varient les attentes, comme d'une époque ou d'un référent situationnel à un autre. Un ouvrage primé peut l'être par son originalité mais pas forcément parce qu'il est sur le plan didactique un modèle à suivre. Mais quel modèle ? Pour quelle cité ?

Parlons du Grand Prix de la Francophonie, créé en 1986, qui s'intéresse à tous les genres. Le règlement de ce prix stipule: Le prix est destiné à couronner l'ensemble de l’œuvre d'un écrivain ayant contribué d'une façon éminente au maintien et à l'illustration de la langue française. Couronner l'ensemble de 1'œuvre n'indique pas explicitement les attentes au niveau des pratiques linguistiques. De surcroît, les canons de l'illustration ne paraissent pas précis. Le taux d'emprunts reste indéterminé ainsi que la dose acceptable dans le domaine de la traduction littérale. Je vous renvoie aux Soleils des indépendances, première œuvre d'Amadou Kourouma.

Passe encore si la traduction littérale offre des interprétations conformes aux données que suggère la littérarité du texte, ce qui fait l'esthétique du texte interrogeant à la fois la poéticité et la rhétoricité. Et puis le prix littéraire, n'est-ce-pas un jeu savant et savamment orchestré par les maisons d'édition et des groupes de pression, visibles ou invisibles ? Rien dans le cadre d'un prix de la Francophonie n'autorise à affirmer que le texte, s'il respecte les canons classiques du genre choisi par son auteur, doit en principe être aussi bien écrit qu'un texte qui pourrait être soumis au prix de l'Académie française.

Mais, même dans cet autre cas, il peut aussi être affirmé qu'une œuvre littéraire ou non peut contribuer au rayonnement de la langue française sans qu'elle soit soumise à des exigences classiques. Il est décerné à des personnalités françaises ou étrangères ayant rendu à la langue et aux lettres françaises des services éminents. L'objet écriture, ici non plus, n'intervient pas. Premièrement parce qu'on peut contribuer au rayonnement de la langue française sans être auteur ni écrivain. Deuxièmement parce qu'on peut contribuer au rayonnement de la langue française à travers une langue autre que la langue française. La nécessité de contribuer au rayonnement de la langue française n'indique pas que l'on soit attaché à la littérarité du texte, aux canons de l'écriture et aux canons du genre.

Plus précises semblent les attentes de la Société des écrivains canadiens dont l'objectif principal est d'encourager les écrivains canadiens d'expression française, le vocable écrivain énonçant ici de façon explicite les compétences requises qui sont elles-mêmes renforcées par des gens recommandés : essai, récit, nouvelle comme poésie.

Quant au Prix de littérature africaine pour jeunes et enfants, de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie, il vise à encourager la création et la promotion d’œuvres littéraires africaines pour enfants, non encore publiées dans les genres suivants : roman, récit, poésie, théâtre, bande dessinée, album, conte, légende. Le second objectif est de diffuser les créations nouvelles afin de donner le goût de la lecture à un plus grand nombre d'enfants africains. Plus loin, le règlement du concours précise: Les textes doivent être écrits ou traduits en français en fonction de l'âge et du niveau des enfants à qui ils sont destinés. Cette dernière disposition indique les attentes tant au niveau de la langue et du soin à y apporter, que du style donc de l'écriture.

Il peut donc être retenu que si les prix sont conçus pour faire la promotion de la francophonie, leurs objets peuvent varier et méritent d'être clairement énoncés, peut-être en ne perdant pas de vue la dimension linguistique - bilinguisme, multilinguisme - en vue d'une meilleure pratique possible de la langue sans étouffer les élans de la créativité des auteurs. En tout état de cause, nous osons croire que la liberté de création ne donnera pas lieu à la chute de l'écriture. Que disons-nous des écritures, au point de ne faire que l'apologie des traductions littérales, sacrifiant ainsi la littérarité et l'esthétique plurielle du texte.


Prix littéraire et promotion de la francophonie par les textes

L'objet prix littéraire est une parfaite illustration de la rencontre entre la francité et la juridicité. Selon Senghor, la francité peut être définie comme l'ensemble des valeurs de la langue et de la culture, partant de la civilisation française. Sur ce modèle, nous dirons que la juridicité d'un texte ne serait que ce qui donne à ce texte un caractère juridique.

Dès lors la jurisfrancité pourrait être comprise comme ce qui confère à l'expression des cultures et civilisations françaises et francophones leur légitimité juridique.

S'agissant par exemple du manuel d'anthologie Vies d'enfants, le socle juridique choisi est la Déclaration des droits de l'enfant. Les concepteurs du manuel ont procédé à l'illustration des textes de loi grâce à des images et à des textes littéraires. On voit ainsi à la page 45 ce texte: Les États assurent également la protection et les soins des enfants touchés par un conflit armé selon les dispositions prévues par le droit international. Pour illustrer cette pensée, il est proposé aux parents, au maître et à l'enfant, selon l'âge, le texte suivant :

«Papas, vous êtes en guerre. Nous les petites filles nous n'aimons pas la guerre. Mamans, vous êtes en guerre. Nous les enfants nous n'aimons pas la guerre. La guerre nous rend infirme. La guerre nous arrache notre sourire. La guerre est méchante. La guerre n'aime pas les enfants, les enfants n'aiment pas la guerre. Non à la guerre Non à la guerre Non à la guerre !»

Ce texte illustre parfaitement le socle que constitue la Déclaration. Pareil texte obéirait à l'esprit du Prix de littérature africaine pour jeunes et enfants, de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie. On comprend donc les préoccupations de S.E. Monsieur Mahamoudou Ouédraogo, ministre burkinabè de la Culture et des Arts, qui, ayant épousé l'idée que l'avènement d'un nouveau monde dans l'espace francophone ne peut se produire sans une meilleure prise en compte de l'enfance et de la jeunesse, s'est adressé au jury international de la septième édition du prix en ces termes :

«Comme vous, je pense que le cadre de la XVIlIe Biennale de la langue française devra offrir une tribune afin que soit faite une évaluation d'étape du prix, en vue de permettre aux gouvernements, et singulièrement à notre gouvernement qui a choisi de faire de la culture son cheval de bataille, d'initier des actions nouvelles en faveur de la jeunesse et de l'enfance pour une Afrique nouvelle. Comme vous, je pense aussi qu'au moment où l'Agence s'interroge sur la gestion de ses structures et la qualité des femmes et des hommes qui devraient les animer, le Burkina Faso s'engage à soutenir dès les prochaines sessions des instances deux projets porteurs que vous avez bien voulu élaborer et
soumettre aux autorités du Burkina Faso. Il s'agit d'une part de la création en Afrique de l'Ouest d'un Institut francophone de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie des littératures pour l'enfance et pour la jeunesse, dont le lancement pourrait être effectué à la faveur de la célébration de la prochaine Journée de l'enfant africain.»

Deuxième projet, poursuit Monsieur le ministre, le lancement dès l'an 2000 du Super prix Afrique de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie de littérature africaine pour jeunes et enfants.


À la question de savoir si les prix littéraires peuvent contribuer à promouvoir le français, qu'il soit illustré ou non, mais aussi à la promotion des langue africaines, il peut être répondu oui. Ce disant nous affirmons un Choix qui relève, non de l'uniformisation- négation mais plutôt de l'expression de la pluralité des vues et des langues et, à l’intérieur d'une même langue, des pratiques linguistiques. Ce disant il nous revient, tout en contribuant à la « didaction » des langues africaines par une recherche scientifique pointue, de faire valoir le français, patrimoine commun et langue de travail avec l'anglais au secrétariat de l'ONU ainsi que dans un grand nombre d'organismes rattachés. Ce
disant nous confirmons notre africanité, c'est-à-dire l'expression des valeurs de civilisation des Africains qui, de notre point de vue. devraient être plus un comportement qu'un discours.

Enfin, puisque les prix ont leur prix, ne faut-i1 pas donner davantage de prix à la francophonie, en conduisant des actions et en créant des prix selon les zones et en fonction des domaines de compétence ? Et, dans ces vastes projets, pourquoi la Biennale de la langue française ne donnerait-elle pas son nom au premier ou au deuxième prix du Super Prix Afrique de littérature africaine pour jeunes et enfants ?


Synthèse des débats


En ouverture du débat, le président Eluerd promet de présenter la suggestion de M. Amoa à l'Assemblée générale 2000 de la Biennale. Succèdent des questions de Mme Sabourin et MM. Bories, Konseiga et Chevrier portant sur la littérature burkinabè, ses thèmes, sa présence dans la Francophonie, la conservation des œuvres et la diffusion des films.

M. Sanou indique qu'à son avis la littérature voltaïque était plutôt d'orientation ethnographique et que le renouvellement des écritures romanesques burkinabè existe mais a malheureusement pâti de la disparition prématurée de Patrick llboudo.

M. Hama souligne la nécessité de tenir un seuil élevé de production des films pour que puissent être renforcés, multipliés les efforts africains et francophones de coopération dans la diffusion des films.

M. le ministre de la Culture et des Arts revient sur les diverses questions. S'agissant de la présence des œuvres à l'étranger, la « clé de sortie » indispensable. un ISBN* ou un ISSN*, est désormais disponible. La relative discrétion de la littérature lui semble pour une part liée au fait que le Burkina a tout de suite mis l'accent sur le cinéma. Enfin, il lui semble que le vote récent de la loi sur le dépôt légal et la création d'une Bibliothèque nationale sont de nature à assurer la conservation des œuvres, mais aussi grâce au travail accompli avec la coopération française, il cite M. Le Guennou, de nature à donner aux écrivains la place qu'ils doivent occuper.


·ISBN: International Standard Book Number.

·ISSN: International Standard Serial Number.