Imprimer

Patrick BERGEN

Traducteur au Parlement de la Confédération helvétique, président du Fichier français, Berne


Neuchâtel et le Burkina Faso


Alain Landry :

Il s'agit d'une collaboration helvético-burkinabè dont vous avez vu quelques œuvres - de Monsieur Kiemtoré - dans la salle adjacente à celle-ci. Monsieur Bergen, vous voudrez bien nous parler de cet intéressant dossier.


"En Suisse vous avez peut-être l'horlogerie, mais nous on a le temps". C'est la réplique faite à un ami neuchâtelois qui a passé une trentaine d'années en Afrique au titre de l'aide au développement; cette réplique donnée par un de ses interlocuteurs locaux qui l'avait fait attendre quelques heures à son lieu de rendez-vous devait servir d'excuse. La remarque, très pertinente, a interpellé le Neuchâtelois d'adoption que je suis : est-ce qu'il y a antinomie entre "avoir une montre" et "avoir le temps". Poser la question, c'est y répondre : je pense que nous avons en tout cas le temps.


Parlons donc de l'horlogerie : Neuchâtel se trouve au centre d'un triangle - La Chaux-de-Fonds/Sainte-Croix/Bienne - où, je crois, 70 à 80 % de l'horlogerie est concentrée; je vais élargir ce triangle vers la France jusqu'à Besançon, non seulement parce que la capitale de la Franche-Comté est également une ville horlogère mais aussi parce que Besançon et Neuchâtel sont deux villes jumelées, et que c'est de ce jumelage que découleront beaucoup de choses dont nous parlerons tout à l'heure.

Je voudrais illustrer l'action de la ville de Neuchâtel au Burkina Faso par l'intermédiaire de nos deux invités : c'est par la ville que j'ai eu les informations en question et vous verrez que cette action se diversifie au point de dépasser de loin la jurisfrancité et les problèmes linguistiques.


Mais restons un instant sur les problèmes linguistiques : je vais parler de deux activités moins liées au Burkina Faso, mais qui mettent Neuchâtel en avant.

À 300 m de l'hôtel où nous nous trouvions il y a deux ans se trouve l'Institut de dialectologie et de français régional, dirigé par le Professeur Pierre Knecht, de l'Université de Neuchâtel. Quelques mois après la Biennale sortait le Dictionnaire suisse-romand; je ne peux pas omettre d'en parler à une Biennale de la langue française : son succès est considérable, à tel point qu'il a été tiré à 4 reprises. Je signale aussi qu'un cédérom vient de sortir : je vous recommande de le voir et surtout de l'entendre : il donne non seulement les définitions figurant dans le dictionnaire mais également l'illustration et le son correspondants : ainsi un mot bien suisse comme "Ch'ni", qui s'écrit d'ailleurs "che-nil", est présenté sous différentes formes; il en va de même d'articles, d'objets ou de mobilier. Deux personnes y ont contribué : Pierre Knecht, professeur honoraire, et André Thibault; pour la petite histoire André Thibault nous vient du Québec : c'est donc un Québécois qui a écrit le dictionnaire suisse romand (il a d'ailleurs quitté les universités de Bâle et de Neuchâtel pour Strasbourg).

Deuxièmement, je voudrais ouvrir une parenthèse, me permettre une surprise moins liée à Neuchâtel et au Burkina qu'à ma fonction actuelle de président de l'association qui s'appelle le Fichier français et qui, dès sa fondation, a fait partie de la Fédération du français universel (vous connaissiez feu André Amiguet, et vous connaissez MM. Pierre Murith et Blaise Crevoisier).

Quel rapport peut-il y avoir entre les mots français suivants :

- Dinosaure et casserole, - le plantigrade qui représente la ville de Berne, l'ours et un encart de journal, - TSF et épuration des eaux - ou alors shootoir et interlocuteur ?

Le Fichier français existe depuis 40 ans; MM. Knecht et Thibault viendront prochainement nous parler du Dictionnaire suisse romand. Le Fichier français avait une activité qui malheureusement a périclité, celle qui consiste à soigner le français - je n'aime pas dire "la défense" ou "la lutte", mais "promouvoir la qualité" du français" - en produisant des fiches, d'où son nom. Depuis une dizaine d'années nous avons arrêté, faute de combattants ! Par contre une deuxième activité, lancée en même temps et toujours sous la forme de fiches (dites "vertes"), est en plein essor: il s'agit de propositions destinées à faire front aux traductions hasardeuses. Là aussi j'évite le mot de lutte et de défense; nous avons "fait front" avec des fiches qui ont un grand succès : elles partent d'un mot allemand auquel on se heurte, qui est difficile à traduire, parfois même mal utilisé en allemand. Nous sommes en train de les mettre à jour - car certaines ont près de 40 ans - pour les enregistrer sur un cédérom; les fiches dans un carton de chaussures, c'est terminé (ce qui fait d'ailleurs que le Fichier français porte mal son nom : il n'y a plus de fiches, l'adjectif "français" n'est pas juste et "Berne" est faux aussi parce que de nombreux abonnés parmi les 700 résident bien loin de Berne !).

Je vais lever le voile sur les mots énumérés plus tôt : nous mettons actuellement à jour les fiches de la collection en procédant par ordre alphabétique : une même fiche comporte bien sûr plusieurs mots français et j'ai fait de la manière la plus "non scientifique" pour ne pas dire "anti-scientifique" des unions contre nature.

"Ours" est la traduction d'un mot latin Impressum (petit encart d'un journal qui indique le nom du rédacteur en chef, l'adresse, les numéros de téléphone): il se trouve que les journaux français mettent simplement l'encadré sur une page, sans le titre Impressum comme le font les journaux en Suisse.

J'ai mis côte à côte deux autres mots qui vous ont sans doute fait sourire; j'en cite d'autres en vrac :

"site contaminé, dinosaure, friche industrielle, vieille casserole, tare héréditaire", sont des mots qui traduisent tous un seul mot allemand : "Altlast"; littéralement "vieille charge", de plus en plus utilisé en environnement pour les sites pollués, au sens propre. Mais c'est surtout au sens figuré désignant des situations ou des personnes que le mot "Altlast" est utilisé dans le sens de "Dinosaure" ou de "vieille casserole", "vieille branche". Il faut aussi savoir que le mot "Altlast" n'existe pas dans les dictionnaires unilingues allemands, ni dans le Duden, ni dans le Wahrig : et pourtant le mot est institutionnalisé : il y a même un service de l'office fédéral de l'environnement qui s'intitule "sites pollués" en français.

En vrac :

"Case, locelle, gor, pan, casetin, lac, corde, capade, concamération", je vous cite des mots dont je ne connaissais pas le sens jusqu'à la lecture de la fiche; ce sont les traductions du mot allemand "Fach". Si je vous dis que "matière", "compartiment" et "branche" sont également des traductions de "Fach", pour ceux qui savent l'allemand, vous saurez que c'est beaucoup plus simple, les autres termes étant plutôt techniques.

Encore deux mots et ce sera tout :

"TSF"" et "épuration des eaux", là c'est un amalgame un peu audacieux : la vieille fiche, de 1960, portait le mot de "station de TSF". Plus personne ne sait ce qu'est une TSF, par contre le même mot allemand est utilisé pour parler "d'installation d'épuration des eaux", quand on s'est amusé à barrer le premier pour le remplacer par le deuxième on s'est permis de remplacer TSF par épuration, en laissant "station de" ! Loin de moi l'idée de vouloir transformer ces deux mots en synonymes ! Ces deux mots, plus d'autres comme "couche" (d'un fusil) ou la"bosse des mathématiques" sont la traduction d'un même mot allemand "Anlage". Le dernier mot énuméré (shootoir) vous a choqués mais je peux vous rassurer : il n'existe plus ! il désignait des endroits où des personnes pouvaient se rendre quand elles étaient dans un état de dépendance de la drogue : ces locaux ouverts dans les grandes villes se sont appelés en allemand "Anlaufstelle" : en français, "centre d'accueil", "drop-in", "shootoir".... Renseignement pris, ces villes ont supprimé les deux derniers mots; autres possibilités de traduction : "À qui s'adresser" ou "Interlocuteur privilégié".


Passons aux relations Neuchâtel-Ouagadougou; Neuchâtel agit au Burkina de trois manières : je vais parler de l'une d'elles très rapidement parce que la personne en question n'est pas ici : les deux autres projets vous seront présentés par mes deux voisins.

Marcel Coursier, ingénieur aux Travaux publics de la ville de Neuchâtel, vient régulièrement à Douroula (des articles de journaux sont dans un petit dossier que j'ai laissé sur la table). Il s'occupe d'adduction d'eau, d'écoulement et d'assainissement. La ville de Neuchâtel soutient ces projets non seulement par la personne de M. Coursier mais aussi par une importante aide technique (M. Coursier devait venir au Burkina ces temps-ci mais il a dû reporter son voyage il y a dix jours).

Je vous remercie d'écouter maintenant nos deux invités qui vous diront combien la ville de Neuchâtel est active, de cette manière assez originale, au Burkina Faso; je retournerai à Neuchâtel en ayant appris beaucoup plus sur cette ville ici que si je n'étais pas venu au Burkina Faso ! Un dernier mot : j'ai été pendant une dizaine d'années aux affaires publiques de l'Ambassade du Canada à Berne et le "hit parade" que nous dressions régulièrement plaçait tout en haut Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds : les prix littéraires Canada-Suisse, les expositions, les étudiants, les boursiers et les professeurs, les conférenciers. Quand on prend le cas particulier du Burkina Faso, l'illustration est tout aussi probante et je m'en réjouis : en tout cas j'aurai plein de choses à dire aux Neuchâtelois grâce à cette Biennale de Ouagadougou.

Pour les deux autres activités que la ville de Neuchâtel soutient, je me contenterai de passer la parole à M. Kiemtoré qui nous parlera de quelque chose que vous avez déjà vu et de beaucoup d'autres choses : c'est ce qui étonne; et ensuite nous écouterons Michael Yanogo parler de ses projets : dans les deux cas, la ville de Neuchâtel contribue largement à la réussite de ces deux programmes.