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" Un étranger ? C'est un ami qu'on n'a pas encore rencontré. "

France BASTIA

Jean-Paul Sartre, dont on reparle à nouveau beaucoup ces temps derniers, appelé à prendre la parole devant des étudiants peu après mai 68, avait trouvé sur la table préparée pour le conférencier, un mot déposé là par un étudiant : " Sartre, sois bref ! " Injonction qui avait véritablement traumatisé Sartre, mais à laquelle vous ne m'en voudrez certainement pas de me conformer aujourd'hui.

L'Association des écrivains belges de langue française, que Claire Anne Magnès m'a demandé - et je l'en remercie - de représenter ici aujourd'hui, est la plus ancienne et la plus importante association d'écrivains dans notre pays puisqu'elle a été fondée en 1902 et compte plus de trois-cents membres parmi lesquels on trouve aussi bien des poètes, des romanciers, des essayistes publiant leurs premières œuvres et que l'Association s'efforce d'encourager dans des débuts souvent difficiles, que la plupart des membres de cette Académie royale de langue et de littérature françaises qui nous accueille aujourd'hui - merci Monsieur le Secrétaire perpétuel ! - que des écrivains au talent confirmé dont la notoriété, dépassant largement nos frontières, s'étend à toute la Francophonie comme un Henry Bauchau, par exemple, une Amélie Nothomb ou un Simon Leys, pour ne citer qu'eux.

On dit que la Belgique est le pays qui compte le plus de poètes au km2. Ceci est probablement vrai, vu le peu d'ampleur géographique de notre territoire, mais, toutes proportions gardées, ne peut-on pas en dire autant de nos grammairiens ? Qui ne connaît dans la Francophonie les noms d'un Grevisse et de son Bon usage (sur lequel, il fut un temps, on prêtait serment au Québec quand, lors de cérémonies, une Bible faisait défaut), d'un André Goosse, qui lui a succédé pour continuer et encore parfaire cette Bible de la langue française, d'un Joseph Hanse, qui, avec Alain Guillermou, fonda à Paris le Conseil international de la langue française ? Sans oublier des linguistes comme Marc Wilmet ou Michèle Lenoble, ici présents, ou le cher Albert Doppagne, qui, aux côtés du même Alain Guillermou, accompagna il y a quarante ans les premiers pas de cette Biennale. Mais, poètes ou grammairiens, n'ont-ils pas tous en commun, avant tout, cet amour passionné de la langue française qui nous rassemble nous-mêmes ici aujourd'hui ?

Cette Biennale, au programme véritablement extraordinaire - et grâces en soient rendues à Roland Eluerd, son président, et aussi à Claire Anne Magnès, rédactrice en chef de Francophonie vivante (membre elle aussi, très active, de l'Association des écrivains belges de langue française), qui fut de cette XXIe Biennale la cheville ouvrière en Belgique - cette Biennale s'efforcera donc de commencer par un état des lieux de la langue française, en Europe d'abord, y compris, cela va de soi, ici, en Belgique, mais aussi dans la Francophonie et partout dans le monde, pour examiner ensuite comment mieux encore la promouvoir - je préfère ce mot-là au mot défendre - de toutes les façons possibles : par sa pratique défendue (j'emploie le mot tout de même !) au sein des instances nationales ou internationales où sa place est parfois menacée, par l'enseignement, par le rayonnement surtout de nos Lettres et de notre culture...

Et puisque nous parlons rayonnement de la langue française, puis-je, pour terminer, partager avec vous quelques moments privilégiés vécus au sein de la Francophonie et au cours desquels j'ai pu m'apercevoir combien notre langue était vivante ? Jamais je n'oublierai ce jour au Zaïre où, après un long périple dans la brousse où nous avions dû nous tailler notre chemin à la machette, j'ai vu l'un de nos compagnons zaïrois, harassé, se laisser tomber au pied d'un arbre et sortir de sa besace un petit livre écorné, dont il s'est mis à feuilleter les pages, puis à en ânonner des passages à voix basse. J'ai tendu l'oreille et entendu : Mignonne, allons voir si la rose, qui ce matin avait déclose sa robe de pourpre au soleil... Cet autre jour où, au Cameroun, des enfants qui allaient et venaient en transportant de lourdes bassines d'eau d'une rivière jusqu'aux champs sur les hauteurs où travaillaient leurs mères, repassant devant cette Blanche inconnue assise au bord du chemin et qui leur avait dit gentiment bonjour en français, avaient claironné en guise de réponse : Bijoux, cailloux, choux, genoux... ! Enfin, en Louisiane, ce vieux Cajun qui, en nous pilotant sur son rafiot dans les bayous, nous avait dit dans son si chantant français : " Un étranger ? C'est un ami qu'on n'a pas encore rencontré. "

A vous tous, chers amis, cette merveilleuse phrase, en ouverture de cette XXIe Biennale !

France BASTIA