Biennale de la Langue Française

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Mariana Perisanu

Académie des sciences économiques

Institut français de Bucarest



Francophonie roumaine, défense et illustration


Placée entre Orient et Occident, entre le Sud et le Nord, la Roumanie n’a pourtant jamais été au Centre de l’Europe. Les aléas de l’histoire et l’existence des trois colosses (Empire Ottoman, Autriche-Hongrie, Russie) à ses frontières toujours remises en question ont déterminé les Roumains à défendre becs et ongles leur identité et leur latinité, à trouver en France un important appui politique économique et culturel. Le français choisi et cultivé avec passion a été, depuis deux siècles, une langue de partage et d’excellence, un vecteur privilégié de modernité.

L’identité francophone roumaine, riche de ses traditions, tâche de nos jours de se défendre et de s’illustrer, de porter sa voix et sa spécificité là où le sens et le progrès se négocient. Le Sommet francophone à Bucarest fin 2006 – le premier en Europe de l’Est, proposait « une mondialisation organisée, tempérée par l’esprit de solidarité » (Abdou Diouf). Il a fait revivre en Roumanie la nostalgie des anciens à travers le dynamisme des jeunes. L’Europe en français à Bucarest (défi de la Biennale) était une réalité et un vœu pieux en 1995. Les inforoutes sont là, l’Europe institutionnelle et les entreprises aussi ; bon nombre de nos élites sont formées en France, au Canada, en Belgique ou en Suisse.

Mais, a-t-on appuyé sur les bonnes pédales pour faire renaître cet esprit français et cette langue un peu en perte de vitesse dans le pays d’origine d'Eugène Ionesco, le plus illustre des ex-professeurs de français ? Dans le pays de Tristan Tzara, de Mircea Eliade, d’Emile Cioran et de Brancusi, « le prince paysan » qui a ébloui Paris et New York en révolutionnant la sculpture, du compositeur Georges Enesco, et du grand physicien et aviateur Henri Coandă, inventeur du moteur à réaction. Tous ces Roumains se sont affirmés à travers la France et le français tout en gardant la sensibilité de leurs origines.

Le vrai travail pour nous autres est au ras des pâquerettes, là où les convictions et les besoins se forment. Oui, la Roumanie compte 14000 enseignants de français et c'est là notre force. Ils sont encore disponibles nos jeunes, mais on ne doit pas rester indifférent à un glissement vers le consumérisme à tout prix et vers l'hypertrophie des moyens. Vers le rouleau compresseur de l'uniformité aussi. Le français a toujours été et il doit rester un vecteur important pour les vrais contenus et valeurs, une langue de partage et d’ouverture comme le dit notre Biennale.

Le métier d'enseignant englobe celui d'avocat, de juge, de comédien, de diplomate; il implique d'abord le contact privilégié mais sévère avec les jeunes, le choc de leur regard. Tout professeur a choisi de rester sans cesse et sans gloire sous les feux de la rampe, d'être animateur et si possible apprenti sorcier, de travailler avec allégresse tout en marchant sur la corde raide. L'étude des langues / du français lui a appris d'abord la tolérance, car la convivialité linguistique et le dialogue des cultures effacent le fanatisme comme l'indifférence. Le travail passionné et quotidien avec les dictionnaires lui a appris la rigueur sémantique, aussi indispensable que la rigueur des échanges économiques et monétaires. En tant que traducteur / interprète il sait aussi que toute langue n'est pas seulement un système morpho-syntaxique, lexico-sémantique, phonétique et historico-référentiel. Elle est aussi une expression d'âme.

Dans l'environnement actuel du décloisonnement des disciplines, le professeur de français, comme le traducteur, est amené sans cesse à décontextualiser et à recontextualiser. Tout signifie et pour le professeur, à la moindre faille tout peut s'écrouler. Le programme / le curriculum, conçu pour sécuriser, pour garantir une cohérence et une égalité des chances peut engendrer, à l'inverse, soit l'improvisation, soit la routine. Sommes-nous à même de dominer le volume de savoir que nous diffusons, de produire un jugement en variant les angles, de rester professionnels et patients même si le texte a servi mille fois, de surprendre l'auditoire en dissimulant notre surprise ?

En didactique des langues, les Technologies de l’Information et de la Communication nous obligent à redéfinir nos rôles. Pourtant, tous ces moyens qui nous facilitent tant la communication, ne tendent-ils pas vers un appauvrissement des contenus, comme l'avertissait Paul Ricoeur ? Henry David Thoreau nous prévenait il y a 60 ans: « Nos inventions risquent de n'être que de jolis jouets qui détournent notre attention des choses sérieuses et de n'être que des moyens meilleurs pour une fin non meilleure ».

La découverte ou la négociation du sens se fait dans une situation de communication interculturelle et plurilingue. Les entreprises francophones présentes en Roumanie sont déjà des milieux plurilingues et nos étudiants en sciences économiques savent qu’un bon niveau de français peut signifier pour leur embauche ou pour leur carrière le petit plus censé faire la différence. Dans une société aux brutales mutations, l'enjeu pédagogique vise, au-delà du progrès linguistique et de l'ouverture culturelle, des capacités d'imagination, d'intuition, d'invention et de sensibilité, mais aussi des capacités d'adaptation à un projet collectif à effet dynamique et synergique.

Le conseil exemplaire d'Eugène Ionesco pour tous ses confrères professeurs de français, aurait pu être: « N'enseignez plus le français, mettez-le en scène ! » Loin de nier l'artificialité ludique du texte didactique, l'auteur de la Cantatrice chauve l'amplifie au maximum et dans son théâtre devenu universel la langue française est continuellement mise en scène. Nous n’avons pas son génie, certes, mais nos étudiants pourraient apprendre certaines stratégies de conquête de la signification et devenir par le biais du théâtre plus créatifs, plus tolérants et plus responsables ; ils pourraient être le moteur de leurs études et notre relation avec eux changerait comme par miracle. Ce miracle, je crois qu’il s’est produit dans ma carrière d’enseignante de français les années où j’ai pu dédier beaucoup de temps supplémentaire à mes apprenants pour les spectacles en français : Le Bourgeois gentilhomme, Le Malade imaginaire, Le Petit Prince, Exercices de conversation française pour étudiants américains.

Volonté, talent, dévouement, amour se combinent pour qu'un spectacle Ionesco réussisse dans notre Aula Magna ou dans la salle Elvire Popesco de l'Institut Français de Bucarest pour que nos étudiants devenus acteurs soient heureux avec leurs collègues et amis venus les applaudir, pour que le Marocain, la Vietnamienne et la Roumano-Sénégalaise partagent en français la même joie que leurs collègues roumains. Cet effort à bout de souffle individuel et en équipe motivé par le but final – la réussite du spectacle – reste pour chacun des interprètes ainsi que pour leur professeur meneur de jeu, une expérience privilégiée et, des années après, un souvenir enrichissant.

À travers le spectacle et tous les jours dans nos cours, faire découvrir à nos étudiants comment le français est une grille de lecture du monde, leur apprendre à résister aux produits de l'inculture et à l’uniformisation, est une modeste façon de le défendre et l'illustrer. Vraie langue de carrière pour nos étudiants des filières bilingues, le français continue d'illustrer la pensée claire et l'expression élégante, la diversité culturelle et linguistique dans une Europe menacée par le monolinguisme. Promouvoir la convivialité voulue des langues et des cultures en francophonie signifie pour la Roumanie répondre à un horizon d'attente en accord avec ses traditions et son désir de modernité.

Notre culture l’a fait. Se lancer à Paris. Tout artiste de Roumanie ou d’ailleurs a fait ce rêve. Paris peut apporter la gloire, mais d’abord il range chacun à sa place et dans le combat acharné les vaincus sont toujours plus nombreux. S’exprimer en français a été pour nombre d’artistes roumains un choix personnel et leur pari à Paris (1) a complètement bouleversé leur existence.

Émile Cioran parlait de « l'immatérielle suprématie de la langue française » et de la manière dont celle-ci (vraie ascèse) a discipliné sa pensée : « J'aurais dû choisir n'importe quel autre idiome, sauf le français, car je m'accorde mal avec son air distingué; il est aux antipodes de ma nature, de mes débordements de mon moi véritable et de mon genre de misères. Par sa rigidité, par la somme des contraintes élégantes qu'il représente, il apparaît comme un exercice d'ascèse ou plutôt comme un mélange de camisole de force ou de salon. Or, c'est précisément à cause de cette incompatibilité que je suis attaché à lui. » (2)

Les défis à Paris de Cioran, de Brancusi, de Tzara, d’Istrati, de Ionesco étaient gagnés, comme ceux de Marthe Bibesco, d’Hélène Vacaresco, de Georges Enesco ou d’Elvire Popesco, tous ces « escu » devenus « esco » (d’abord pour des raisons d’euphonie) qui ont nourri de leur sève roumaine un sol déjà riche où leur art a pu briller de mille feux. Des auteurs contemporains tels : Petru Dumitriu, Dumitru Tsepeneag, Bujor Nedelcovici, Maria Maïlat, Ioanna Andreesco, Georges Astalos, Matei Vişniec écrivent en français et en roumain dans une Europe où le Levant et le Ponant se mélangent non seulement au niveau des élites. Les « Petit Paris » comme Bucarest ou Sofia se multiplient et la dynamique centre/périphérie acquiert des sens nouveaux dans le monde globalisé qui est le nôtre. Le Nobel de littérature a été accordé cette année à Herta Muller – née dans la communauté allemande de Roumanie et partie en Allemagne en 1987 avec ses souffrances et sa double sensibilité. Nous aurions été encore plus heureux si l’un des grands écrivains francophones d’origine roumaine avait pu l’avoir.

Je voudrais illustrer cette défense par deux échantillons roumains : le sculpteur Brancusi, dont je parlais déjà à Dakar et l’écrivain Petru Dumitriu, un Titanique de la prose roumaine brisé dans son élan par le régime communiste et qui allait écrire après son départ en Occident une vingtaine de romans et essais en français.



Les métaphores en pierre de Brancusi


Né (1876) et formé en Roumanie (École des Arts et Métiers de Craïova et Académie des Beaux Arts de Bucarest), puis à Paris (Académie des Beaux Arts), Brancusi a vite quitté l'atelier de Rodin car « rien ne pousse à l'ombre des grands arbres ». Voulant saisir le rythme de la vie au détriment de ses apparences superficielles, il arrive à une simplification progressive et à un insolite poétique des plus émouvants. « La simplicité n'est pas un but dans l'art, mais on y arrive en s'approchant du sens réel des choses. » Dans Le Poisson qui n'a ni écailles ni nageoires, l'artiste a surpris la vitesse de son mouvement à travers l'eau, « l'étincelle de son âme ». En 1907 La Prière était déjà d'une émouvante simplicité: une femme nue et agenouillée, sans détails excessifs, les mains jointes, la tête ovoïde à demi inclinée.

L'atelier que Brancusi a légué à l'État français (actuellement au Centre Pompidou) est une cosmogonie. L'artiste recevait dans son sanctuaire de l'Impasse Ronsin le Tout Paris artistique, les collectionneurs américains et européens, les artistes roumains et étrangers. Il animait cet espace fabuleux et vivant qui donnait à chaque sculpture son poids, son élan, son silence. La Muse endormie qui se balance, Le Nouveau né qui repose, Le Phoque qui d'un coup de queue fend la vague, L'Oiseau dans l'espace sur fond ocre rouge qui fait grésiller l'air autour de lui, Les Coqs qui s'égosillent, les Colonnes à rhomboèdres. C'était simultanément un temple et un laboratoire de l'art.

L'atmosphère parisienne a constitué un stimulant pour Brancusi et les relations entretenues pendant de longues années avec Apollinaire, le Douanier Rousseau, Modigliani, Erik Satie, James Joyce, Ezra Pound, Marcel Duchamp, André Salmon, Blaise Cendrars, Paul Morand, Raymond Radiguet, Jean Cocteau, ont enrichi son horizon spirituel. « C'est à Paris que Brancusi a découvert ses racines roumaines », écrivait M. Eliade et il a dédié au « prince paysan » la pièce La Colonne sans fin.

La Colonne sans fin de Brancusi avec la forme rhomboïdale indéfiniment répétée met en évidence le symbolisme de l'ascension en tant que « transcendance de la condition humaine ». Elle est liée, selon le philosophe, à un motif folklorique roumain où la Colonne du ciel est un « axis mundi » qui soutient le ciel et assure à la fois la communication entre Terre et Ciel. Auprès d'un « axis mundi » censé se trouver au Centre du Monde, l'homme peut communiquer avec les puissances célestes. Dans le folklore roumain la Colonne du Ciel représente une croyance archaïque, pré chrétienne, mais qui a été vite christianisée, puisqu'elle se retrouve dans les chansons rituelles de Noël « colinde » (3).

Les premiers ayant dédié des propos de compréhension de l'œuvre de Brancusi ont été les poètes: G. Apollinaire (1912), Tudor Arghezi (1914), Ezra Pound (1921), Tristan Tzara (1922), Lucian Blaga (1923), Benjamin Fondane (1929). Dans l'article de L'Intransigeant (5 avril 1912) sur le Salon des Indépendants Apollinaire remarquait Brancusi comme « un sculpteur très délicat et très personnel dont les œuvres sont parmi les plus raffinées ». L'Adieu d'Apollinaire gravé par Brancusi sur la tombe de leur ami Henri Rousseau est un poème aussi laconique, émouvant et mystérieux que les sculptures du maître de Hobiţa.

Tristan Tzara a fréquenté l'atelier de Brancusi vers 1920-1930 et le sculpteur a participé à des manifestations Dada qui étaient dans l'air du temps et qui auront des échos dans Jeune fille sophistiquée, Little girl (La Petite Française), La Coupe de Socrate. Il a signé en 1922 la résolution du Congrès de Paris qui séparait Breton et Tzara en ajoutant : « En art il n’y a pas d’étrangers. »

Le philosophe et poète roumain Lucian Blaga appelait Brancusi « l'un des grands révolutionnaires dans la sculpture, le premier artiste roumain qui joue un rôle européen dans l'évolution de l'art ». Dan Botta, poète roumain et ami de Brancusi considère la carrière du sculpteur une « conquête de la lumière » : « Un marbre de Brancusi est un marbre vivant qui conserve la caresse matérielle et l'adoration des mains du sculpteur, l'attention fluide avec laquelle il la pénètre et la modèle dans son esprit [….] La Colonne est une statue abstraite de l'homme, l'image de la propre proportion. Harmonie de nombres, de cadences, de forces et de lois, toute Colonne renferme une cariatide. L'Oiseau d'or est la figure presque immatérielle du vol. Cet ovale parfait, la mélodie de cette courbe incomparable était l'image d'un culte ancestral, symbole de la fertilité, forme rituelle du monde. Le même ovale n'est-il pas l'image de la géométrie cosmique, garantie de la perfection divine ? » (4)

Paul Morand qui a fait la préface du catalogue pour la première exposition de Brancusi à New York (1926) le place « en un lieu qui n'est qu'à lui, entre deux pôles, entre l'art le plus primitif et l'art moderne le plus extrême » (Papiers d’identité, 1931). L'auteur de la Cantatrice chauve estime, lui, que son compatriote « avait assimilé toute l'histoire de la sculpture, l'avait dominée, dépassée, rejetée, retrouvée, purifiée, réinventée. Il en avait dégagé l'essence ». (5)


Raymond Queneau, voisin de Brancusi le salue dans le poème L’Atelier de Brancusi:

Un oiselet rond comme une pomme

un oiseau filiforme

un coq énorme

prennent leur vol

au-dessus de l'atelier de Brancusi

onze Impasse Ronsin à Paris.

Ils s'envolent

pour saluer le monde

dont l'œuf gît là – précisément

nouveau-né rond comme une pomme.

Le phoque la Colonne sans fin

le cygne la bête nocturne

deviennent fixés en leur destin

qu'une jeune fille sophistiquée

surveille avec sérénité.

Le vieil homme est parti. J'habitais près

Sa maison se trouvait sur l'autre rive de l'impasse.

Je suis retourné en ces lieux: tout est démoli

Vingt années seulement et il ne reste guère de trace

l'atelier a trouvé refuge dans un musée

mais le sculpteur arpente le passé

il est avec nous il regarde s'envoler dans le ciel de Paris

un coq énorme

un oiseau filiforme

un oiselet rond comme une pomme

qui vont saluer le monde

Comme nous saluons Brancusi. (6)

 

 

Petru Dumitriu (1924-2002)


Prosateur, essayiste, le premier grand dissident roumain. Études de philosophie à Bucarest et à Munich. Début littéraire en roumain avec les huit proses d'Eurydice (1947). Entre 1948-1960 chantre de la Roumanie socialiste. Prix de l’État (1951, 1955, 1957), Médaille du Travail. Il s’exile à Francfort avec son épouse en 1960 (les autorités roumaines retiennent leur fillette en otage pendant cinq ans et se vengent contre leurs familles). Traduit en français son œuvre antérieure et écrit directement en français à partir de 1964. Prix des Vikings 1968. Prix de l’AECEF 1982. Il s'installe en France (Metz) en 1988 et retourne souvent en Roumanie après 1996 où il devient membre d’honneur de l’Académie Roumaine.

L’œuvre de Petru Dumitriu écrite en roumain, en français et en allemand comprend des romans, des nouvelles, des essais (Au Dieu inconnu), des articles et des reportages. Pendant la période « proletcultiste », ses thèmes sont liés à la victoire du socialisme dans la conscience des gens. L’auteur fait même l’éloge des travaux forcés au Canal Danube-Mer Noire dans Drum fără pulbere (1951, Chemin sans poussière).

À l’étranger c’est surtout Incognito, le plus connu des romans à clé sur la nomenclature de Bucarest, publié au Seuil, qui l’a rendu célèbre. Après une enfance heureuse sur les bords du Danube, l’expérience de la guerre, de la révolution communiste et du pouvoir, le héros Sebastien Ionesco, toujours en quête du sens de la vie, renonce à tout pour devenir un saint vivant incognito dans la foule anonyme écrasée par l’État totalitaire. Choisissant le suicide social et politique pour mieux se retrouver, ce saint sans Église découvre la foi et le courage de résister. 20 ans après, l’auteur reprend le thème dans La Liberté où il tient à visage découvert le rôle de narrateur.  Comme dans son pays d’origine, en Amérique latine « l’État policier est un univers où, sur deux passants, l’un est un mouchard et l’autre a peur» (p.10). Les barbelés de la prison où son ami Pascal Popesco expie pour un forfait inventé lui rappellent «les chantiers du peuple»  et les camps de rééducation dans la steppe aux bouches du Danube : « Non seulement je connaissais, mais j’avais été complice de cela. J’expiais ce péché depuis un quart de siècle […], ma faute est toujours devant moi » (p. 13).

C’est avec L’Extrême Occident que P. Dumitriu a pris pour cadre du roman une métropole du Nord-Ouest de l’Europe – un monde « chauffé à blanc » avec grèves et attentats. Dans les récits de Mon semblable, mon frère la vérité dévoilée est celle de l’homme ballotté au gré des idéologies et des régimes politiques, des tortures du corps et de l’esprit, mais celle aussi du chant d’espoir qui perce malgré les endoctrinements et les mensonges. La Moisson publié en juin 1989 met ensemble les deux mondes que l’auteur a connus, une anticipation étonnante dans l’année historique pour l’Europe. Le récit qui débute par des vers inspirés par le courant traditionaliste roumain – «Les Semeurs qui sèment dans les larmes/ Moissonnent en chantant » – tâche de préparer l’union des deux Europes dans une mémoire commune. En même temps, l’auteur qui a connu les deux systèmes et en a souffert à titres divers, évoque ici « le spectre rarissime de la bonté humaine» (p. 83).

Ses romans d’action et de réflexion autant que de passion embrassent tous les confins idéologiques du monde contemporain et prouvent « qu’un écrivain peut écrire successivement dans deux langues sans changer de personnalité » (Eugen Simion). Le double regard était présent dès Cronică de familie (1957; Chronique de famille) – chef d’œuvre de la prose roumaine, traduit par l’auteur (Les Boyards, Bijoux de famille, Les Plaisirs de la jeunesse, 1959-1960). Cette saga de la société roumaine entre 1860 et 1950 avec récits quasi indépendants savamment orchestrés a inspiré le film de Lucian Pintilie Un été inoubliable » (1994, l’épisode « La Laitue »).

Traduit en plusieurs langues, P. Dumitriu a été comparé à Saint-Simon (James Ramoni « Un Saint-Simon roumain » in « La tribune de Genève », 25-26 mars 1961) et à Pasternak : « Incognito mérite d’être classé non loin du Docteur Jivago sur le rayon des grands romans insérés dans l’actualité fondamentale de notre siècle» (Pierre-Henri Simon, Le Monde, 23 janvier 1963). Lucien Guissard, dans sa préface à La Liberté (1983), découvre un homme meurtri dans sa peinture ravageuse des deux mondes: « Nous admirons en Petru Dumitriu la force d’âme qu’il faut pour supporter l’Histoire, pour en sortir vivant, pour en tirer une œuvre romanesque de cette dimension. »



1. Perisanu M. Le pari à Paris, Bucarest, Editions de l’ASE, 2007.

2. Cioran, E., Exercices d'admiration, Paris, Gallimard, 1986, p. 214.

3. M. Eliade Brancusi et les mythologies in Témoignages sur Brancusi, Paris, Arted, 1982, p. 100.

4. D. Botta Les limites de l'art de Brancusi Scrieri (Ecrits), Tome IV, Bucarest, Tineretului, 1968, p. 34.

5. E. Ionesco Notes et contre-notes , Paris, Gallimard, 1966, p. 345.

6. R. Queneau L'Atelier de Brâncuşi in La Table du silence (Masa tăcerii), Bucureşti, Ed. Univers, 1970, p. 260.





 



 

Accréditation OING Francophonie

Sommaire des Actes de la XXIIIe Biennale

Sommaire

Remerciements

Allocutions et messages

M. le Président Gueorgui Parvanov

M. Alain Joyandet

L'Honorable James Moore

M. Roland Eluerd

Vœux de la 23e Biennale et Voeux en bulgare

Synthèse des travaux, rédigée par Roland Eluerd

Actes du colloque en Sorbonne, samedi 29 novembre 2008

M. Radu Ciobotea

M. Antony Todorov

Gueorgui Jetchev

René Meissel


Actes de la XXIIIe Biennale, Sofia, 29 octobre-1er novembre 2009

Vendredi 30 octobre

Présidents de séances : M. Vincent Henry, directeur délégué aux programmes, Agence universitaire de la Francophonie, Bureau Europe centrale et orientale. Mme Anna Krasteva, professeur de sciences politiques à la Nouvelle Université Bulgare. M. Alain Vuillemin, professeur à l'Université d'Artois. Mme Raya Zaïmova, Institut d'études balkaniques de l'Académie bulgare des sciences.

Mme Andromaqui Haloçi

Mme Cheryl Toman

Mme Mariana Perisanu

Mme Irina Babamova

M. Jean R. Guion

Mme Monique Cormier

M. Erich Weider

M. Stoyan Atanassov

Mme Roumiana L. Stancheva

Mme Rennie Yotova

Mme Mihaela Chapelan

M. Stéphane Gurov


Samedi 31 octobre.

Présidents de séance : M. Richard Lescure, maître de conférence des universités, attaché de coopération éducative au Centre culturel français de Sofia. Mme Line Sommant, docteur en linguistique, professeur associé à l'Université de Paris III, vice-présidente de la Biennale de la langue française. M. Abderrahmane Rida, directeur de l'Institut de la Francophonie pour l'administration et la gestion (IFAG), Sofia. M. Roland Eluerd, docteur d'État ès lettres, président de la Biennale de la langue française.


M. Stéphane Lopez

M. Gueorgui Jetchev

Mme Claire-Anne Magnès

M. Mohamed Taïfi

Mme Stephka Boeva

M. Simeon Anguelov

Mme Odile Canale

M. Jean-Alain Hernandez

M. Richard Lescure

M. Moustapha Tambadou

M. Amadou Lamine Sall

M. Andrey Manolov

M. Alain Vuillemin





A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93