Biennale de la Langue Française

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Mihaela Chapelan

Université Spiru Haret, Bucarest


La littérature balkanique d’expression française – entre affirmation et négation de l’identité nationale


Le titre de mon intervention est sans doute périlleux, car il réunit à lui seul plusieurs « questions épineuses » qui peuvent attirer d’emblée des contestations de toutes sortes. Avant donc de le démontrer, je vais le démonter, en pointant quelques- unes de ces possibles contestations et en essayant de motiver mon choix. J’avoue très sincèrement – et ce n’est point une simple stratégie de captatio benevolentiae – qu’il n’y a pas un seul mot sur lequel je n’aie pas hésité. Dès le premier syntagme - « la littérature balkanique » - on rentre sur un terrain miné: tout d’abord, l’anodin choix du singulier – n’aurait-il pas mieux valu utiliser le pluriel et ne pas s’exposer à des questionnements sur le bien-fondé d’une telle unification, vu l’extrême hétérogénéité de ces littératures, autant au niveau formel, stylistique, qu’au niveau de l’imaginaire véhiculé par ces œuvres? Ensuite, le vrai piège, l’adjectif « balkanique » qui, depuis un certain temps, se voit presque interdit d’utilisation, se faisant supplanter par des synonymes partiels, du type « l’Orient européen » ou « le Sud-est européen ». Les raisons avancées pour cette mise à l’index sont diverses, mais pas suffisamment convaincantes pour qu’on ne se demande pas ‘qui a peur du mot balkanique ‘? Les Occidentaux ou nous autres, les Balkaniques ? Cette fois-ci, la réponse est facile : les deux. Les Balkaniques le réfutent par orgueil blessé et les Occidentaux par political corectness, de la même manière dont ils évitent d’utiliser le mot « handicape» en recommandant le synonyme «dishabilité». Dans l’imaginaire occidental, l’espace balkanique a acquis indubitablement une connotation péjorative. Dès que cette dénomination a été mise en circulation, elle a commencé à désigner tout ce qui s’opposait par les mœurs, la culture et le niveau de vie à l’Occident, apparaissant comme le théâtre de tous les morcellements (territoriaux, religieux), des luttes, des tumultes, des trahisons, des rivalités, des massacres, de l’instabilité chronique. Même dans un ouvrage au titre très prometteur (Géographie cordiale de l’Europe), l’auteur, Georges Duhamel, parlait des Balkans comme du « tourment des idéologues », le « traquenard des diplomates », le « réservoir de catastrophes du continent», bref, l’« Asie de l’Europe ».

Si du point de vue politique la « légende noire » des Balkans (héritée en ligne directe de la Byzance impériale) ne semble pas complètement imméritée, du point de vue littéraire il y aurait à redire. Tout d’abord parce que ces mêmes traits qui constituent des défauts dans la politique (excès de « pittoresque », le mot pittoresque étant dans ce cas utilisé plutôt comme un euphémisme pour le manque de sérieux ; désordre; mélanges; morcellement, mot pour lequel au début du XXe siècle apparaît dans presque toutes les langues européennes occidentales un nouveau synonyme:« balkanisation »), transférés à la littérature ne constituent plus vraiment des « tares ». Vu le changement de paradigme critique apporté par le postmodernisme, on peut affirmer que les mêmes caractéristiques qui pouvaient gêner autrefois une poétique basée sur le fameux principe d’integritas de l’esthétique de Thomas d’Aquin, sont devenues de nos jours porteurs de valeurs nouvelles. Je crois qu’à l’heure du postmodernisme, cette zone écartelée entre deux modèles identitaires forts: Orient / Occident, dont l’un constamment dévalorisé (l’Orient) et l’autre jamais réellement atteint, peut enfin trouver une modalité de sortir de cette schizophrénie civilisationnelle. L’élément qui a toujours été mis en avant pour la justifier, à savoir sa position géo-politique de zone de confins, zone où prenaient fin les civilisations de plusieurs empires multinationaux, cache en fait des raisons idéologiques spécifiques à la Modernité : le caractère inflexible et exclusif des modèles, avec d’autres mots, les prétentions totalitaires de chacun de ces modèles, ainsi que la vision incontestablement euro-centriste de la civilisation occidentale. Par rapport à l’Occident, les Balkans ont toujours fonctionné comme une marge. Traditionnellement, le centre est vu comme un espace clos, un espace de l’ordre, donc potentiellement tyrannique, tandis que la marge est plutôt un espace de l’ouverture, de l’aléatoire et du désordre. Sur une échelle hiérarchique, le centre se trouve en position de supériorité, en haut de l’échelle, tandis que la marge se trouve en bas. Mais notre époque remet en question cette hiérarchie traditionnelle et va jusqu’à renverser complètement l’échelle des valeurs en mettant à l’honneur la marge de plus en plus souvent.

Le syntagme « d’expression française » peut, lui aussi, susciter d’infinies controverses, relevant de la même conception traditionnelle du rôle prépondérant du centre par rapport aux marges. Effectivement, dans l’espace francophone, le rôle du centre est revenu durant une longue période à la culture et à la langue françaises hexagonales. Mais là aussi, la nouvelle sensibilité de l’époque post-coloniale a fait changer les choses. Nous connaissons tous les divers reproches de néo-colonialisme adressés à la France qui, selon certaines voix, se sert de la Francophonie pour essayer d’étendre ou tout simplement de maintenir son influence dans le monde. Laissant de côté certaines exagérations qui poussent jusqu’à concevoir une francophonie sans les Français, il est évident que de plus en plus d’aires francophones n’ont plus de la francophonie une vision unitariste ayant comme centre et pouvoir normatif la France, et développent leurs propres structures de légitimation. Le projet francophone essaie de se raccorder à ce changement des mentalités et change de philosophie, embrassant des concepts comme la diversité, le dialogue des cultures, et en déplaçant l’accent de l’idée d’influence culturelle vers ce que l’école ethnopsychanaliste de Georges Devereux appelle « l’inculturation du monde »1, c’est-à-dire la dynamique des échanges entre les cultures du monde et de leurs fécondations réciproques au fil de l’histoire et de leurs rencontres.

J’aurais donc eu des raisons valables pour renoncer à ce syntagme qui peut éveiller tant de susceptibilités et de choisir le synonyme plus consensuel de « francophone ». J’ai pourtant choisi de le garder et de me situer d’une certaine façon en dehors de ces considérations et de ce combat, car malgré leur importance idéologique globale, je ne les considère pas comme définitoires pour la francophonie sud-est européenne, qui constitue, à mon avis, une aire francophone tout à fait particulière. Il est évident qu’à la base de ces critiques et de cette nouvelle philosophie se trouvent non seulement les évolutions théoriques d’ensemble de la culture contemporaine, mais aussi les blessures pas encore guéries du passé colonial de la France.

La francophonie dans les Balkans ne porte pas le poids d’un tel passé, n’étant pas imposée de force, mais plutôt par la séduction. Je crois que nous pouvons reconnaître sans trop problématiser que l’histoire de la francophonie dans cette partie du monde est une histoire d’amour avec la France, sans que cette simple affirmation signifie le retour à une conception centrifuge et monolithique de la francophonie. Le français n’a jamais été pour nous la langue du conquérant et nous n’avons pas senti en le parlant ce que l’écrivain Albert Memmi a nommé « le drame linguistique du colonisé ». Il a toujours été un choix librement consenti, « une langue de cœur », comme l’affirmait le diplomate roumain N. Titulescu, par deux fois président de la Société des Nations. Cette particularité a mis son empreinte sur la littérature francophone balkanique non seulement au niveau de l’imaginaire des œuvres, où les références à la France sont innombrables, mais aussi au niveau de l’expression, qui est loin d’avoir l’acharnement subversif et inventif des littératures francophones d’Afrique. De manière générale, les écrivains balkaniques ne se sont pas proposés de réécrire la langue française, mais de se servir d’elle pour exprimer leur vision sur le monde qui était le leur. Cela ne veut pas dire que leurs œuvres ne font pas preuve d’un travail sur la langue. Comme la majeure partie des écrivains francophones, ils possèdent cette « surconscience linguistique » dont parlait Lise Gauvin dans ses études. Cela ne veut pas dire non plus que le français qu’ils utilisent ne possède quelques particularités qui l’individualisent par rapport au français hexagonal. Mais ces particularités se cantonnent le plus souvent au registre lexical (utilisation de mots appartenant à la langue maternelle lorsqu’ils désignent des réalités spécifiquement nationales, ou traduction mot-à-mot d’expressions de la langue d’origine, ce qui peut créer chez les lecteurs francophones un certain désarroi, mais aussi une impression de fraîcheur et de dépaysement, comme ce fut le cas pour la réception en France des récits de l’écrivain roumain Panait Istrati). Toutes ces modifications n’affectent pourtant pas la structure de base du français, tenant plutôt de la nonchalance linguistique de chaque écrivain. Contrairement aux écrivains africains, les écrivains balkaniques ne semblent pas avoir la hantise que la langue française ne puisse pas exprimer le particularisme de leur culture d’origine – il est vrai aussi que les différences culturelles sont moins marquées. Le rôle de leurs écarts linguistiques par rapport à la norme est surtout de renforcer la couleur locale. Mêmes dans des cas de manipulations linguistiques plus radicales, on ne perçoit pas derrière celles-ci un désir de sabotage ou de revanche contre le français, s’agissant seulement d’une option esthétique. A ce sujet, le cas du poète d’origine roumaine Ghérasim Luca est un des plus éloquents. Considéré par Gilles Deleuze « un grand poète parmi les plus grands », son originalité se manifeste surtout en ce qui concerne le travail sur la langue, dont il déconstruit et reconstruit les sens d’une façon déconcertante, que Deleuze cite à plusieurs reprises, en la considérant comme un effet de « bégaiement ». Mais l’enjeu poétique de Luca dépasse les cadres de la langue française pour s’attaquer aux fondements de tout ce qui est préétabli, aux fondements du langage lui-même. Il se sert des mots comme un alchimiste, en les soumettant à une série de mutations complexes, d’où jaillit à chaque fois un sens inattendu, comme dans ce poème exemplaire, intitulé A gorge dénouée :


Accouplé à la peur

Comme Dieu à l’odieux


Le cou engendre le couteau2


Enfin, nous arrivons au dernier syntagme du titre, celui portant sur l’identité de ces écrivains qui ont choisi d’écrire en français ainsi que sur leur double postulation entre affirmation et négation de l’identité nationale. La thématique identitaire est un sujet plus rassembleur, il est dans l’air du temps, et peu nombreux sont ceux qui ne reconnaissent pas son importance autant dans l’approche de la littérature francophone que dans la société contemporaine dans son ensemble, société confrontée à la mondialisation et à toutes les menaces qui en découlent contre la diversité culturelle, mais aussi à l’exacerbation des comportements identitaires provoquée par une mondialisation unilatérale et utilitariste. Ce qu’au premier coup d’œil on pouvait considérer comme un sujet ‘ami’, peut se révéler, un faux ami, au sens linguistique du terme. Nous avons tous l’impression de savoir ce que veut dire le mot identité (personnelle ou nationale), pourtant de nombreux chercheurs de tous bords (historiens, psychologues, critiques, sociologues etc.) nous mettent en garde contre les sables mouvants que cette notion renferme. De la riche bibliographie dans le domaine, il suffit de rappeler Benedict Anderson et son ouvrage « Imagined communauties. Reflections on the Origin and Spread of the Nationalism » (London, New York: Verso, 1991) où il démythifie un concept considéré dans le passé presque intouchable, envers lequel chaque citoyen avait sa dette sacrée d’appartenance, celui d’identité nationale. Selon Anderson et beaucoup d’autres dans sa lignée, l’identité nationale tombe elle-aussi sous le coup ce qu’on a appelé une construction intellectuelle, les communautés nationales sont en fait des  « communautés imaginées », en d’autres mots, des géographies identitaires symboliques qui se superposent sur un niveau ontologique – l’espace réel où vivent ces communautés.

Les facteurs qui peuvent contribuer à la cristallisation dans le temps d’un profil identitaire national sont multiples, mais je ne rappellerais que deux des plus importants : l’idéologie et la littérature. Tandis que l’idéologie prend en charge le discours abstrait et spéculatif de la projection identitaire nationale, la littérature prend en charge surtout les versions symboliques des géographies identitaires. Les identités projetées par la littérature catalysent des attitudes, des opinions et des émotions qui sont souvent reprises et multipliées par d’autres discours culturels, d’où le rôle tout-à-fait particulier de la littérature en tant que médiateur dans l’économie symbolique d’une communauté nationale. Dans un de ses ouvrages les plus connus3, le professeur Virgil Nemoianu insiste sur la vocation du discours littéraire de créer des modèles humains et des modèles sociaux indispensables à l’auto-identification collective. Avant de proposer quelques pistes de réflexion sur les particularités de ces modèles proposés par la littérature balkanique d’expression française, je voudrais souligner le fait que sur cette question il me semble absolument nécessaire de joindre à l’approche spatiale, qui est l’approche privilégiée des études francophones, une approche historique. Mais cela reste un grand défi à relever dans l’avenir, car à mon escient, une vraie histoire littéraire des littératures francophones des Balkans n’a pas encore été écrite. Dans mon intervention je vais me limiter à quelques remarques d’ordre général concernant l’évolution dans le temps de ces modèles identitaires. L’une des idées le plus souvent véhiculées concernant la francophonie balkanique est celle conforme à laquelle elle a servi à ces pays, d’un côté comme modalité d’intégrer des acquis civilisationnels et culturels occidentaux, et de l’autre, comme modalité d’affirmer leur propre identité nationale en se servant d’une langue de circulation internationale, le français, et du soutien d’une France depuis toujours plus ouverte au dialogue et à la diversité. A mon avis, c’est une assertion qu’il faut nuancer. Elle est partiellement vraie pour le XIXe siècle, ce qui est normal puisque c’est le siècle de la construction et des revendications nationales, donc le siècle de la conception monolithique de l’identité. Même s’il y a eu toujours des écrivains qui écrivaient dans ‘la langue de l’Autre’, on ne problématisait pas trop ce choix, car on avait, du moins au niveau idéologique, l’assurance d’une appartenance stable, naturelle pourrait-on dire, à l’identité nationale. Les ‘gènes’ de l’âme collective étaient considérés innés. Les choses commencent à changer vers le milieu du XXe siècle, lorsque l’instauration du communisme dans une bonne partie des pays balkaniques provoque une vague d’exilés qui se voient obligés de ne plus concevoir leur exil comme une situation temporaire, mais comme une permanence. D’où la question qu’ils se posent presque tous: que faire de leur langue maternelle minoritaire à Paris ? Les réponses ont été bien sûr diverses, mais grosso modo ils ont compris qu’ils devaient écrire en français. Beaucoup d’entre eux (Emil Cioran est le cas le plus célèbre) ont quitté définitivement l’écriture en langue maternelle, comme un geste de négation de ce qui se passait dans leur pays d’origine. Des écrivains comme Horia Vintila, Paul Goma, Toncho Karaboulkov et tant d’autres donnent des œuvres focalisées sur les réalités de leurs pays, des œuvres qui dénoncent le régime communiste.

Quant aux derniers temps, force est de constater que d’autres modèles humains sont proposés par la littérature et une nouvelle conception de l’identité commence à se frayer chemin. L’identité de chaque personne est constituée d’une multitude d’appartenances: appartenance à une nation; à une religion; à un groupe ethnique ou linguistique, à une famille, à une profession, à un milieu social, à une institution et la liste pourrait continuer. Ces appartenances n’ont pas la même importance, mais aucune n’est insignifiante et parfois un accident ou une rencontre fortuite peut influencer notre sentiment d’identité plus que l’appartenance à un héritage millénaire. Mais les habitudes de penser des siècles précédents accréditaient l’idée qu’il y avait une seule appartenance qui comptait, une appartenance majeure, tellement supérieure aux autres en toutes circonstances qu’on pouvait légitimement la considérer comme celle qui déterminait notre véritable identité. Parfois ce rôle a été dévolu à l’appartenance nationale, parfois à celle religieuse, à celle ethnique ou à celle de classe sociale (comme ce fut le cas de manière systématique sous le communisme). En rapport avec ce rôle identitaire suprême accordé longtemps à l’appartenance nationale, l’idéologie d’un côté et la littérature de l’autre ont construit une image stéréotype de l’exilé, vu comme un être en souffrance, irrémédiablement atteint par le mal du pays quitté et irrémédiablement déchiré entre l’appartenance fondamentale à son pays natal et la nouvelle appartenance au pays d’accueil. Or les dernières générations d’écrivains francophones ne s’insurgent plus seulement contre le totalitarisme politique mais, influencés par la pensée et la poétique postmodernes, ils contestent tout discours tyrannique sur le monde, qu’il s’agisse de totalitarisme politique ou épistémique et ontologique. Des écrivains comme le grec Vassilis Alexakis, comme les roumains Matei Visniec ou Felicia Mihali, comme le thèque Milan Kundera, ou bien le libanais Amin Maalouf, refusent le discours identitaire totalitaire selon lequel tout individu doit bien appartenir (du moins dans son âme) à une seule patrie. Ils dénoncent ce mythe identitaire totalitaire, revendiquant le droit à une identité décentralisée, qui n’est plus enchaînée dans une typologie nationale. Le registre sous lequel évoluent leurs personnages n’est plus celui de la concentration de leurs identités, mais celui de la dispersion, de l’ouverture. Et s’ils trahissent parfois les attentes des autres (et là je citerais plus particulièrement le personnage du roman La langue maternelle de Vassilis Alexakis, le journaliste Pavlos, ou encore Irena, le personnage central du roman L’ignorance de Milan Kundera, tous les deux renouant avec leur pays natal après vingt ans d’exil à Paris), c’est qu’ils se sont arrachés au besoin d’un discours totalisant sur leur propre identité, ou avec les mots d’Amin Maalouf, ils se sont libérés d’une « conception tribale de l’identité »4 pour se contenter d’un discours fragmentaire, ce qui signifie l’acceptation d’une pluralité d’appartenances dont aucune n’est tyranniquement totalitaire. Cela leur donne une liberté d’esprit qui conduit à un regard lucide, un regard qui a gagné le droit d’être critique envers chacune des composantes de leur identité complexe sans que pour autant ils en renient l’une ou l’autre. Leurs témoignages viennent souvent conforter cette idée qui se dégage de la lecture de leurs œuvres. Ainsi, dans un entretien avec Thierry Guichard, Vassilis Alexakis précisait : «  En passant d’un pays ou d’une langue à l’autre, je ne trahis aucune, et aucune des deux langues ne me trahit »5

Felicia Mihali, écrivaine roumaine établie au Canada, de retour en Roumanie pour participer à une conférence faisait à peu près le même constat : « Pour mes ex-concitoyens, l’acquisition d’une nouvelle identité ne peut être associée qu’à une situation de crise et de déchirement. Vous êtes regardé comme le personnage de Métamorphose de Kafka qui, un jour après s’être couché humain, se réveille insecte. Suivant ce scénario d’horreur, vous aussi, vous devriez vous regarder dans le miroir et ne plus vous reconnaître »6

Beaucoup d’écrivains se trouvant dans cette situation se plaignent de la récurrence des questions portant sur leur véritable attachement identitaire, questions qui leur sont presque rituellement adressées, soit par les journalistes, soit par des lecteurs et cela autant dans leur pays d’accueil que dans leur pays natal. Et même lorsqu’ils reçoivent des réponses comme celle donnée par Matei Visniec: « Mes racines sont incontestablement en Roumanie, mais mes ailes ont poussé en France », ils sourient d’une manière entendue et tout en précisant qu’ils apprécient la beauté de la métaphore, ils insistent, en ajoutant « Mais quand même, au fond de vous-même, qu’est-ce que vous vous sentez ? »

Cette insistance semble révélatrice du fait que les deux sociétés ne s’avèrent pas encore prêtes à leur reconnaître le droit à une identité décentralisée, complexe, chacune les poussant à sa façon à se conformer à une identité unilatérale. Mais c’est justement cette amputation qui est refusée par les nouvelles figures d’exilés proposées par la littérature qui, encore une fois, démontre que tandis que l’idéologie majoritaire et les comportements qui s’ensuivent restent souvent à l’arrière-garde de la pensée, la littérature s’impose comme un avant-coureur, préférant à la logique restrictive du ou bien / ou bien, la dialectique plus subtile du type autant ceci / que cela et en tirant un profit maximal des hybrides.





1. Jacques Demorgon, L’inculturation du monde, Paris, Economica, 2000, p.36.

2. Ghérasim Luca, Héros-Limite (suivi de Le Chant de la carpe et de Paralipomènes), Paris, Gallimard, 2001, p. 179 – 184.

3. Virgil Nemoianu, A Theory of the Secondary. Literature, Baltimore and London : The John Hopkins U.P. 1989, p.23-24.

4. Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, p. 37.

5. Vassilis Alexakis, La Grèce en héritage, entretien avec Thierry Guichard, dans Le Matricule des anges, n° 85/ juillet-août 2007, p. 18.

6. Felicia Mihali, Les Identités en crise, in Terra Nova Magazine, no 24, août / 2006, p.2


Bibliographie :

Alexakis Vassilis, La langue maternelle, Paris, Fayard, 1995.

Anderson Benedict, Imagined Communities. Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London, New York, Verso, 1991.

Demorgon Jacques, L’inculturation du monde, Paris, Economica, 2000.

Kundera Milan, L’ignorance, Paris, Gallimard, 2005.

Luca Gherasim, Héros-Limite (suivi de Le Chant de la carpe et de Paralipomènes), Paris, Gallimard, 2001.

Maalouf Amin, Les Identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998.

Nemoianu Virgil, A Theory of the Secondary. Literature, Baltimore and London : The John Hopkins U.P. 1989.




1 Jacques Demorgon, L’inculturation du monde, Paris, Economica, 2000, p.36

2 Ghérasim Luca, Héros-Limite (suivi de Le Chant de la carpe et de Paralipomènes), Paris, Gallimard, 2001, p. 179 - 184

3  Virgil Nemoianu, A Theory of the Secondary. Literature, Baltimore and London : The John Hopkins U.P. 1989, p.23-24

4 Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, p. 37

5Vassilis Alexakis, La Grèce en héritage, entretien avec Thierry Guichard, dans Le Matricule des anges, no 85/ juillet-août 2007, p. 18

6 Felicia Mihali, Les Identités en crise, in Terra Nova Magazine, no 24, août / 2006, p.2

 

Accréditation OING Francophonie

Sommaire des Actes de la XXIIIe Biennale

Sommaire

Remerciements

Allocutions et messages

M. le Président Gueorgui Parvanov

M. Alain Joyandet

L'Honorable James Moore

M. Roland Eluerd

Vœux de la 23e Biennale et Voeux en bulgare

Synthèse des travaux, rédigée par Roland Eluerd

Actes du colloque en Sorbonne, samedi 29 novembre 2008

M. Radu Ciobotea

M. Antony Todorov

Gueorgui Jetchev

René Meissel


Actes de la XXIIIe Biennale, Sofia, 29 octobre-1er novembre 2009

Vendredi 30 octobre

Présidents de séances : M. Vincent Henry, directeur délégué aux programmes, Agence universitaire de la Francophonie, Bureau Europe centrale et orientale. Mme Anna Krasteva, professeur de sciences politiques à la Nouvelle Université Bulgare. M. Alain Vuillemin, professeur à l'Université d'Artois. Mme Raya Zaïmova, Institut d'études balkaniques de l'Académie bulgare des sciences.

Mme Andromaqui Haloçi

Mme Cheryl Toman

Mme Mariana Perisanu

Mme Irina Babamova

M. Jean R. Guion

Mme Monique Cormier

M. Erich Weider

M. Stoyan Atanassov

Mme Roumiana L. Stancheva

Mme Rennie Yotova

Mme Mihaela Chapelan

M. Stéphane Gurov


Samedi 31 octobre.

Présidents de séance : M. Richard Lescure, maître de conférence des universités, attaché de coopération éducative au Centre culturel français de Sofia. Mme Line Sommant, docteur en linguistique, professeur associé à l'Université de Paris III, vice-présidente de la Biennale de la langue française. M. Abderrahmane Rida, directeur de l'Institut de la Francophonie pour l'administration et la gestion (IFAG), Sofia. M. Roland Eluerd, docteur d'État ès lettres, président de la Biennale de la langue française.


M. Stéphane Lopez

M. Gueorgui Jetchev

Mme Claire-Anne Magnès

M. Mohamed Taïfi

Mme Stephka Boeva

M. Simeon Anguelov

Mme Odile Canale

M. Jean-Alain Hernandez

M. Richard Lescure

M. Moustapha Tambadou

M. Amadou Lamine Sall

M. Andrey Manolov

M. Alain Vuillemin





A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93