Biennale de la Langue Française

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Les Actes
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Cheryl TOMAN

Case Western Reserve University


Les réseaux sociaux et la littérature africaine : création, engagement et diffusion chez les écrivaines d’expression française


En 1956, la Camerounaise Thérèse Kuoh-Moukoury avait écrit Rencontres essentielles et elle est devenue ainsi la première romancière d’Afrique subsaharienne. Et pourtant, son roman n’était pas bien reçu au début, faute d’appréciation de ces premiers écrits des femmes africaines. Kuoh-Moukoury a donc dû attendre treize ans pour que son roman ait été enfin publié en 1969. À l’époque, certains disaient que la littérature féminine africaine n’était pas assez politisée tandis que d’autres pensaient que la vie des femmes n’avait pas encore sa place dans cette littérature qui venait de naître. En effet, on connaît beaucoup mieux ce premier roman de Kuoh-Moukoury aujourd’hui, 42 ans après sa parution officielle, pour des raisons historiques bien évidentes. Mais imaginons si Kuoh-Moukoury avait eu accès à tous les réseaux sociaux dont on profite aujourd’hui – des blogs, Facebook, et d’autres médias interactifs sur le Web – l’histoire de la littérature féminine africaine aurait pu été complètement différente.


Les Africaines d’expression française qui écrivent ont un parcours dans l’histoire littéraire qui se distingue bien de leurs homologues masculins. Évidemment aujourd’hui, plusieurs écrivaines africaines francophones sont bien reconnues non seulement dans les pays francophones, mais aussi dans d’autres pays majoritairement non-francophones comme les États-Unis où depuis les années 90 on étudie leurs œuvres – soit en français soit traduites en anglais – dès le premier cycle à la fac. Bien que la littérature africaine féminine ne fasse peut-être pas partie du cursus pour tous en France, on ne peut pas dire que ces auteures ne trouvent pas leur place– pour ne citer que deux exemples, la franco-camerounaise Léonora Miano avait gagné le Prix Goncourt des Lycéens en 2006 pour Contours d’un jour qui vient (Plon) et la gabonaise Justine Mintsa a publié un des premiers romans dans la collection Continents Noirs chez Gallimard – Histoire d’Awu (2000).


Bien que les écrivaines africaines francophones contemporaines ne partagent plus exactement les mêmes luttes que celles qui faisaient partie de la génération de Kuoh-Moukoury, il faut souligner pourtant que certains obstacles existent toujours. La situation est encore plus difficile pour les auteures qui continuent à vivre en Afrique, surtout si elles manquent de réseaux à l’étranger. Si ces écrivaines ont la chance de trouver une maison d’édition en Afrique ou ailleurs, c’est la diffusion de leurs livres qui reste néanmoins un vrai défi et la réalité, c’est qu’on connaît plus facilement les Africaines dont les romans sont publiés en France. Certes, manques de fonds et de technologie sont les obstacles les plus importants pour les auteures d’expression française publiées sur le continent, mais il y a encore d’autres problèmes à résoudre.


Mondialement, les maisons d’éditions acceptent de publier de moins en moins, et elles demandent de plus en plus de subventions de l’auteur pour la publication. Pour de nombreux Africains, de telles subventions leur sont impossibles à payer. Une autre réalité, c’est que l’édition numérique remplace petit à petit le livre malgré le fait que cela ne convient pas à tous les lecteurs. Même parmi les écrivains africains dont les manuscrits sont publiés—soit en version numérique soit en version papier-- il faut que les maisons d’édition fassent encore plus d’efforts pour promouvoir les textes ainsi que leurs auteurs. Pour citer un seul exemple, L’Harmattan à Paris publie depuis des années de vrais bijoux de la littérature africaine non seulement des auteurs très connus mais aussi de jeunes écrivains très doués qui sortent un premier livre chez eux. Pourtant, les auteurs les plus expérimentés aussi bien que les nouveaux expriment la même plainte à propos de l’Harmattan—sa campagne publicitaire est quasiment inexistante. Certes, L’Harmattan a un site web mais à vrai dire, la plupart des clients chez eux sont des professeurs et des chercheurs qui connaissent déjà les titres parus et ils se servent du site web donc pour passer des commandes surtout et pas pour chercher de nouveaux titres. Cela pose un problème pour les jeunes écrivains en particulier, ceux qui veulent se faire connaître et qui méritent surtout d’être connus.


En France, il serait difficile en 2011 quand même de trouver un éditeur sans site web mais ce n’est pas le cas pour la maison d’édition africaine typique. Une exception pourtant, c’est le site web des Éditions Ntsame à Libreville au Gabon gérée par l’écrivaine gabonaise Sylvie Ntsame qui tient non seulement à donner aux écrivains africains l’opportunité de publier sur le continent mais aussi à se montrer solidaire avec d’autres petites maisons d’éditions africaines comme la sienne. Sur son propre site, http://leseditionsntsame.com, elle fait de la publicité pour son « concurrent » aux Éditions Hémar à Brazzaville au Congo. Mme Ntsame et son équipe ont créé un excellent site web où on trouve non seulement des informations pratiques et des annonces à propos des conférences et d’autres événements culturels au Gabon et ailleurs, mais on peut se renseigner aussi à propos de l’histoire de cette jeune maison d’édition ou lire les biographies de ses auteurs.


Malheureusement, on n’aura pas tous la chance de visiter le Gabon, et Les Éditions Ntsame est assez difficile à trouver, même pour ceux qui habitent Libreville. Évidemment, l’internet est essentiel pour Mme Ntsame mais elle doit faire face à une réalité : D’après les statistiques officielles, l’Afrique subsaharienne ne représente que 5,7% des utilisateurs mondiaux de l’Internet avec une forte concentration bien sûr, dans les centres-villes du continent. Mais pour un pays comme le Gabon où se trouvent les Éditions Ntsame, cela veut dire qu’il n’y a que 6,3% de la population gabonaise qui utilisent l’internet ce qui est déjà important par rapport à d’autres pays africains francophones plus pauvres, comme le Niger, le Burkina Faso, le Tchad et le Burundi où les utilisateurs ne dépassent pas 2% de la population.


Malgré l’engagement de Sylvie Ntsame ce qui est exceptionnel, il ne faut pas que ses auteurs comptent uniquement sur ses efforts s’ils veulent se faire connaître. L’auteur est donc obligé de prendre l’initiative de promouvoir non seulement ses propres ouvrages mais aussi sa littérature nationale. La technologie reste toujours le meilleur moyen de le faire car malgré les statistiques initiales, l’avenir de l’internet en Afrique est sans aucun doute prometteur et il n’y aura pas de retour en arrière. En dix ans seulement, même dans les pays les plus pauvres en Afrique subsaharienne francophone, on voit que le nombre d’internautes a augmenté de façon exponentielle et on va certainement continuer à observer une telle croissance chaque année.


Dans cette étude donc, on se concentre surtout sur la littérature féminine africaine et comment elle évolue grâce aux réseaux sociaux de nos jours. Les écrivaines se servent des blogs et des réseaux comme Facebook, MySpace, Linkedin, et Viadeo non seulement pour y mettre des échantillons de leurs ouvrages en ligne ou pour faire de la publicité mais aussi pour connaître exactement ceux qui les lisent. Ces réseaux deviennent un lieu où ces auteures peuvent aussi tester leurs inédits et d’autres créations comme des compositions musicales liées aux textes.


Il faut souligner pourtant que ce sont les jeunes écrivaines africaines surtout qui profitent des réseaux sociaux. En effet, c’est une réalité qui distingue leur génération des autres. 96% des utilisateurs de l’internet entre 18 et 24 ans sont membres d’un réseau social contre 77% des internautes de différentes tranches d’âge. Pour les auteurs africains de moins de 35 ans, on les trouve sur Facebook quasiment sans exception. Mais pour contacter ceux et celles qui sont plus âgés, un réseau comme Facebook n’est peut-être pas le meilleur outil. Mais est-ce simplement l’expérience personnelle avec l’internet et la technologie qui explique ce fossé entre les générations ?


D’après Alice Endamne, jeune romancière gabonaise, auteure de C’est demain qu’on s’fait la malle (Paris : Jets d’encre, 2008) et Garçons et filles (Paris : Jets d’encre, 2010), l’écrivaine africaine contemporaine vit dans un climat moins concurrentiel que celui de la génération des pionnières. « On fait encore plus pour s’encourager et Facebook abolit les frontières ». En effet, c’était Thérèse Kuoh-Moukoury, cette première romancière africaine, qui me confirme ce à quoi Alice Endamne fait allusion. Consultante pour UNESCO et conseillère auprès de plusieurs pays africains pour restructurer leurs ministères des femmes, Kuoh-Moukoury avoue que les Africaines étaient toutes « fédérées » juste avant l’indépendance. Elle explique : « Après l’indépendance, la pression était sur nous de construire une identité pour la femme camerounaise, togolaise, beninoise, etc. et par conséquent on est devenues moins solidaires qu’auparavant ». On voit clairement les « frontières » dont parle Alice Endamne, celles que Facebook aide à abolir aujourd’hui pour la jeune génération.


Pour ces jeunes écrivaines surtout, elles s’encouragent non seulement entre elles mais elles montrent leur respect pour les générations précédentes en construisant des pages web qui instruisent d’autres sur l’histoire de la littérature africaine féminine. Avec de telles pages, celle ou celui qui la crée sur un réseau social comme Facebook n’a même pas besoin de connaître un auteur personnellement—une telle création est ouverte à tous. On cite en exemple une page créée au sujet de Tanella Boni, l’écrivaine et philosophe ivoirienne et professeur à l’Université de Cocody à Abidjan. Le créateur de cette page est inconnu aux autres utilisateurs et même à Mme Boni.


Certes, tout auteur peut créer sa propre page et la gère. Cette tâche n’est pas évidente pourtant car chaque utilisateur sur Facebook qui se fait accepter en tant qu’ « ami » virtuel par l’auteur a le droit d’y contribuer des commentaires et donc on trouve sur ces pages un mélange de la vie privée et professionnelle à la fois. Mais est-il bien possible d’avoir une vie privée sur Facebook ? L’auteur est sur Facebook en effet pour être vu, pour être connu et donc il ne serait pas logique de refuser ces amis virtuels, et l’auteur n’a qu’à être conscient de sa vulnérabilité. Mais certains arrivent cependant à bien gérer leurs pages personnelles. Léonora Miano annonce sur la sienne ses nouveaux écrits, ses activités professionnelles et ses projets surtout mais elle entame aussi avec ces amis virtuels des discussions sur des événements politiques mondiaux ou elle se sert de sa page pour lutter pour une cause, comme la lutte contre la dévalorisation de la littérature dans le système scolaire en France.


Une autre possibilité avec Facebook, c’est la création des groupes autour d’un thème précis. Le groupe Littérature Gabonaise est un groupe ouvert qui comprend maintenant cent membres depuis sa création il y a deux ans. En parcourant la liste des membres, on voit principalement des jeunes qui y participent, ceux et celles qui ont moins de 40 ans qui affichent des annonces sur les parutions les plus récentes non seulement des membres mais aussi de tous les auteurs gabonais connus y compris ceux et celles de la diaspora. Parfois on met de la poésie ou des liens à la critique littéraire. Mais il y a énormément de discussion entre les membres et c’est un lieu où on se soutient en général dans la lutte commune pour la promotion d’une littérature nationale gabonaise. Il y a bien sûr, des milliers de groupes créés sur Facebook, mais ils ne sont pas tous aussi actifs comme celui-ci où on compte plusieurs ajouts par jour.


Les avantages des réseaux sociaux sont nombreux, mais il ne faut pas donner l’impression qu’ils n’offrent que des échanges entièrement positifs. Parfois un réseau social est aussi un lieu où on pratique l’art de la provocation. En effet, Littérature gabonaise a été créé en partie en réponse à un post du 17 avril 2006 intitulé « SOS : pays africains cherchent désespérément des écrivains » sur le blog d’Alain Mabanckou, écrivain congolais très connu, qui osait déclarer que la littérature gabonaise n’existe pas :

À décrypter les plaintes des chroniqueurs gabonais et congolais (RDC), deux

pays francophones d’Afrique noire souffriraient actuellement d’une absence de

littérature (le Gabon) ou d’un manque de romanciers (RDC).


Avec cette déclaration, ce qui représente, bien sûr, une opinion personnelle, Mabanckou a diminué l’importance des plus grands auteurs et intellectuels du Gabon pour ceux qui ne connaissaient pas encore cette jeune littérature non seulement présente mais dynamique. Mabanckou a le droit de s’exprimer mais il est plutôt inadmissible de se tromper du premier romancier gabonais. Mabanckou écrit :

Si je comprends bien, pour les Gabonais, d’abord on se fait étincelle, puis on

se fait flamme ? À cette allure le Gabon va attendre des années-lumière pour

atteindre l’embrasement littéraire. Qu’il est bien seul le grand Laurent

Owondo, premier romancier gabonais ! Tenez, recommandons d’ailleurs la

lecture de son livre Au bout du silence paru en 1985 […]


Même si Mabanckou a choisi exprès de ne pas considérer le court ouvrage autobiographique de Robert Zotoumbat, Histoire d’un enfant trouvé (Yaoundé : Éditions Clé, 1971) comme le premier roman gabonais, on ne peut pas nier le fait qu’Angèle Rawiri avait déjà publié deux romans avant Owondo : Elonga (Paris : Editaf, 1980) et G’amarakano (Paris : ABC, 1983) devenant ainsi la première personne à avoir écrit un roman au Gabon. L’erreur de Mabanckou s’accompagnait en plus de sa critique de la romancière gabonaise Justine Mintsa parce qu’elle a publié un texte à l’Harmattan après avoir sorti son roman chez Gallimard. La réaction contre Mabanckou était immédiate. Son ignorance de la littérature gabonaise a choqué non seulement les Gabonais mais aussi les littéraires partout et Mabanckou a démontré à quel point on met tout sans gène sur le web, souvent sans faire les moindres recherches. Plusieurs blogs auxquels les écrivains gabonais (et les écrivaines en particulier) participent activement ont surgi depuis 2006 précisément pour défendre la littérature gabonaise et ses auteurs. On cite en exemple le blog La Plume et les Mots du Gabon (http://azokhwaunblogfr.unblog.fr/a-propos/) où son créateur A.M. Mouyama indique avec fierté, « Même si elle n’a pas l’épaisseur de sa fôret, la littérature gabonaise existe. » Ce blog, comme d’autres, tient à corriger toutes les erreurs faites par Mabanckou dans son fameux post.


Cette étude n’est qu’un aperçu sur le rôle que jouent les réseaux sociaux dans la promotion de la littérature africaine de nos jours et de sa littérature féminine en particulier. Les chercheurs qui travaillent sur la littérature africaine savent que de tels réseaux sociaux sont indispensables si l’on espère connaître les tendances littéraires de cette jeune génération et se mettre en contact avec ces mêmes écrivains qui déterminent l’avenir de leurs littératures nationales en Afrique.


Usage Internet en Afrique


Internautes en Afrique (Mars 2011) 5,7% du nombre d’utilisateurs mondiaux

Internet World Stats : Usage and Population Statistics : http://www.internetworldstats.com/stats1.htm

 


Accréditation OING Francophonie

Sommaire des Actes de la XXIVe Biennale

Livre XXIV : La diversité linguistique et culturelle sur les réseaux sociaux de l’univers numérique. L’Estonie, l’Europe, la Francophonie. 2011


Sommaire

Comité d’honneur

Programme des travaux

Allocution d’ouverture de M. Roland Eluerd

Vœux de la XXIVe Biennale

Vœux de la XXIVe Biennale en estonien


Actes de la XXIVe Biennale, Tallinn, 16-17 septembre 2011

M. Thibault GROUAS

M. Ivan MOMTCHEV

Mme Cheryl TOMAN

Mme Line SOMMANT

Mme Claire-Anne MAGNÈS

Mme Kaï PATA

M. Serge PROULX

M. Alain VUILLEMIN

Mme Triinu TAMM

Mme Aleksandra LJALIKOVA


Actes du 5e Colloque international de la Biennale de la langue française, Paris, 30 mars 2012

Programme du colloque

Compte-rendu

M. Olivier SAGNA

M. Thibault GROUAS

Mme Adrienne ALIX


Livre XXIV : La diversité linguistique et culturelle sur les réseaux sociaux

de l’univers numérique. L’Estonie, l’Europe, la Francophonie.

2011




Les Actes de la XXIVe Biennale



Sommaire


Comité d’honneur

Programme des travaux

Allocution d’ouverture de M. Roland Eluerd

Vœux de la XXIVe Biennale

Vœux de la XXIVe Biennale en estonien


Actes de la XXIVe Biennale, Tallinn, 16-17 septembre 2011

M. Thibault GROUAS

M. Yvan MOMTCHEV

Mme Cheryl TOMAN

Mme Line SOMMANT

Mme Claire-Anne MAGNÈS

Mme Kaï PATA

M. Serge PROULX

M. Alain VUILLEMIN

Mme Triinu TAMM

Mme Aleksandra LJALIKOVA


Actes du 5e Colloque international de la Biennale de la langue française, Paris, 30 mars 2012

Programme du colloque

Compte-rendu

M. Olivier SAGNA

M. Thibault GROUAS

Mme Adrienne ALIX


A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93