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Triinu TAMM

 

Éditrice (Loomingu Raamatukogu) et traductrice littéraire, responsable du projet théâtre au lycée Vanalinna Hariduskollegium, Tallinn, Estonie.

 

Faire du français en faisant du théâtre – une expérience ludique à partager

 

 

Le titre de mon intervention est Faire du français en faisant du théâtre – une expérience ludique à partager. Le titre pourrait être aussi bien Faire du théâtre en faisant du français. Il s’agit d’une expérience d’apprentissage de langue un peu particulière qui s’avérait cependant être aussi bien ludique qu’instructive : pendant trois ans des élèves et des professeurs du lycée Vanalinna Hariduskolleegium de Tallinn ont participé dans un projet international de théâtre organisé par le FETLYF, le Festival européen du théâtre lycéen francophone.

 

Mais je remonte maintenant 3 ans dans le temps et je vais vous raconter comment ça a débuté. Au début il y avait un vrai hasard. La femme de l’ambassadeur d’Estonie de l’époque, Tiina Väljaste, a appris lors d’un cocktail à Paris l’existence d’un festival de théâtre francophone pour les lycéens. Elle a trouvé le projet intéressant et elle a transmis l’information à Pille Kruus qui travaillait à l’époque à la médiathèque de l’Institut Français de Tallinn.

Comme Pille Kruus savait que je travaillais dans un lycée, elle m’a transmis les coordonnées du comité d’organisation du FETLYF. Ce que j’ai appris ensuite sur le festival semblait être même trop beau pour être vrai : pendant une semaine des centaines de jeunes de toute l’Europe se réunissent à Saint-Malo, une petite ville charmante en Bretagne, pour faire du théâtre, pour se faire des amis. En plus, toutes sortes de visites seraient organisées et tout cela se passe en français – un beau rêve d’une professeur de français !

Mais comme il est prévu que les lycéens montent un petit spectacle, et moi, je connaissais le théâtre surtout du côté de spectateur, je suis allée vers M. Lembit Peterson, metteur en scène et acteur qui donne aussi des cours de théâtre au lycée Vanalinna Hariduskolleegium. À mon grand soulagement il était tout de suite d’accord de participer dans ce projet. Nous avons décidé que nous allons le proposer aux élèves de terminale qui ont fait 2 ans de français et qui avait encore un an d’études devant eux. Et comme nous avions déjà une petite tradition d’organiser chaque année un voyage à Paris pour les élèves de terminale qui ont fait du français au lycée, nous avons décidé d’y ajouter cette parenthèse théâtrale malouine.

 

Et nous voilà confrontés à un problème intéressant : chaque groupe, limité à 8 personnes, était censé de présenter un spectacle de 20 minutes. Nous n’avions pas eu beaucoup d’illusions avant et très rapidement nous avons pu constater qu’effectivement, il n’existe pas d’une pièce de 20 minutes pour 8 personnages – au moins nous ne l’avons pas trouvée. C’était un petit moment de perplexité. Et puis nous avons décidé avec les 8 lycéens qui croyaient trouver suffisamment de courage, d’énergie et de temps pour participer à ce projet, de monter une création. M. Peterson a proposé de faire quelque chose à partir des Fables de la Fontaine – leur vérité sur la nature humaine devrait toucher tout le monde encore aujourd’hui.

Les mois suivants notre petite troupe s’est réunie régulièrement, nous avons lancé des idées, nous les avons discutées, nous avons laissé tomber les unes et élaboré les autres. Puis les jeunes, et il y avait surtout deux personnes qui tenaient la plume, ont écrit la pièce que nous avons encore peaufinée ensemble : c’est ainsi qu’est né le spectacle intitulé « La destination : la Fontaine ». Le processus de création demandait pas mal de temps et d’énergie mais c’est ainsi qu’est née une véritable œuvre collective où chacun avait son mot à dire.

 

« La destination : la Fontaine » est une histoire de deux Estoniens, d’une névrotique et d’un stoïcien qui sont invités au festival de théâtre à Saint-Malo. Ils sont déjà dans le train pour la France mais ils n’ont toujours pas d’idées de quoi présenter sur la scène. Ils rencontrent un tas de personnages plus ou moins bizarres qui montent dans le train, même l’esprit de la Fontaine fait son apparition. Il y a aussi d’autres allusions sur l’œuvre de la Fontaine, mais nos deux amis ne les comprennent pas et sont déjà désespérés car la station de Saint-Malo s’approche et ils n’ont toujours pas d’idée de spectacle. Et du coup, juste avant d’arriver, une illumination : ils vont réciter un poème de la Fontaine « Le renard et le corbeau ». C’est ainsi que pendant 18 minutes nous avons montré des personnages à la recherche d’une pièce, leur attente d’inspiration qui heureusement est venue à la dernière minute – comme vous voyez le sujet était assez intimement lié a nos propres préoccupations…

Puis nous avons fait un exercice de thème : nous avons traduit ensemble la pièce en français. Ensuite une période de 3 mois de répétitions intensives a commencé. Nous avons travaillé en parallèle le jeu scénique et la langue. Et au mois d’avril nous sommes partis vers Saint-Malo. Nous avons quand même pris d’abord l’avion et puis le train. Sur place nous avons appris la vraie ampleur du festival : 14 groupes de jeunes de toute l’Europe, en plus 8 groupes français, ce qui fait plus de 200 jeunes réunis tous ensemble autour du théâtre et du français. En plus le superbe théâtre de la ville de Saint-Malo qui nous a accueilli avec ses 800 places assises et ses rideaux en velours rouge…

 

Toute l’activité de la semaine était concentrée autour du théâtre : il y avait des ateliers de théâtre, les répétitions et bien sûr, les spectacles. En plus il y avait des visites organisées dans la région et l’accueil très chaleureux dans des familles malouines. Assez rapidement nos élèves ont commencé à appeler leurs hôtes entre eux « ma mère » et « mon père », ou « ta sœur » et « ton frère ».

En regardant les autres spectacles nous avons pu constater que le nôtre était décidemment un peu particulier : d’abord parce que les autres spectacles ont été le plus souvent des extraits empruntés à un auteur du répertoire français ou francophone, soit des montages réalisé à partir des mêmes sources. Nous étions les seuls à proposer une création. Il faudrait ajouter que notre spectacle était très sobre, pas de musique, très peu de décorations, il y avait bien sûr des dialogues mais aussi des silences… bref un spectacle en français mais à l’estonienne. Mais cela était vrai aussi pour les autres spectacles. Le Dom Juan joué par les Espagnols n’est certainement pas la même chose que le Dom Juan » joué pas les Slovènes – ce qui créait une diversité extraordinaire. Pendant quatre jours nous avons vu des spectacles magnifiques et des performances audacieuses – car ce n’est pas évident de se produire sur une grande scène dans une langue étrangère !

 

Vous pouvez imaginer que notre surprise et notre plaisir étaient vraiment grands quand le jury a annoncé sa décision – car il y avait aussi un concours – nous avions gagné le premier prix des troupes étrangères. Et nous étions invités à participer au festival l’année suivante.

 

En 2010 notre troupe n’était pas composée sur la base d’une seule classe, il y avait des personnes de la filière de langues, aussi bien des élèves de la filière de théâtre et d’art plastique. Cette fois nous avions aussi une autre professeur de français, Eneken Laugen parmi nous et c’était elle qui a trouvé une pièce de Matei VIŞNIEC, Deuxième tilleul à gauche » qui était intéressante quand à son sujet, très courte et en plus écrite dans une langue simple. Le problème : il y avait seulement quatre personnages, il nous en fallait 8. Nous avons donc crée un spectacle dans le spectacle, nous avons montré la répétition de la pièce de VIŞNIEC et nous avons ajouté les rôles du metteur en scène, de son assistant et pour les rôles féminins il y avait des doubles.

Encore une fois le cadre était basé sur la réalité : une troupe veut jouer sur la grande scène de Saint-Malo, ils font de répétitions. Bien sûr qu’il y avait des intrigues, de la haine et de l’amour, et aussi la question sur les vraies mérites d’une personne. Tout cela se terminait par une grande réconciliation et par un chant qui a du touché le public et aussi le jury. Cette fois-ci le spectacle L’Étude sur le Deuxième tilleul à gauche a remporté le grand prix de la meilleure troupe étrangère du jury adulte, le grand prix de la meilleure troupe étrangère du jury des jeunes, ainsi que le Prix Gérard Philippe pour le meilleur acteur étranger.

Et nous étions réinvités pour la troisième fois.

 

Et voici qu’en automne 2010 un nouveau groupe d’amateurs de théâtre et de passionnés du français s’est réuni. Cette année notre création nous a permis de réfléchir sur les préjugés que nous, les Estoniens avons souvent sur les Français et vice versa. Aussi nous avons montré qu’il arrive parfois que les rêves les plus audacieux se réalisent, dans la pièce il était question de faire cadeaux de la Tour Eiffel à la ville de Tallinn à l’occasion du fait que Tallinn est la capitale européenne de la culture 2011. Et avec le spectacle « Il ne faut pas juger de l’arbre par l’écorce ou le retour de M. de Maupassant » nous avons réussi à réaliser un rêve bien audacieux à nous aussi : le jury des jeunes nous a décerné le grand prix de la meilleure troupe étrangère.

 

En résumé de cette expérience en somme très ludique aussi bien pour les élèves que pour les professeurs, on peut dire que c’était un moyen d’apprendre beaucoup sans avoir l’air d’apprendre du tout. Premièrement la préparation des spectacles nous a permis de travailler le français, d’abord quand nous avons élaboré le texte, puis c’était le travail sur la prononciation, et je suis assez sûre que les phrases que les comédiens ont apprises par cœur sont encore dans leurs têtes et peuvent leur servir un jour… Sans parler de cette semaine que nous avons passée en France et qui était une vraie immersion dans la langue française. En même temps c’était une occasion magnifique de faire du théâtre. Pour la plupart de nos « comédiens », c’était la première fois qu’il montaient sur la scène en tant qu’acteurs. Nous avons donné des spectacles à Saint-Malo, à l’ambassade d’Estonie à Paris, qui nous a très gentiment accueilli dans ses locaux, devant le public parisien, et aussi dans notre lycée devant le public de notre école. C’était également une occasion de réfléchir avec les jeunes sur des sujets qui les touchent et qui puissent toucher les jeunes de toute l’Europe. En plus c’était un travail de groupe : c'est-à-dire que chacun avait sa responsabilité et devait être à l’écoute des autres.

Deuxièmement nous avons pu participé à ce festival de théâtre lycéen francophone qui était un vrai lieu d’échange et de partage et qui a permis de créer des contacts vivants avec la réalité française, je sais que plusieurs jeunes sont toujours en relation avec « leurs » familles françaises qui sont aussi venues visiter l’Estonie.

Et même s’il n y a pas de lien direct, on peut mentionner que certains élèves qui ont participé dans ce projet ont décidé de continuer leurs études de français à l’université en Estonie et ou en France.

 

Apres ces trois années glorieuses, le lycée Vanalinna Hariduskolleegium fait une pause – en fait c’est même prévu par le règlement du festival – mais s’il y a d’autres lycées estoniens qui souhaiteraient tenter l’expérience, je serais très contente de leur donner les coordonnés des organisateurs du festival et de communiquer d’autres informations pratiques. Nous-mêmes, nous espérons de prolonger cette expérience sous une forme un peu différente, dans l’échange scolaire grâce à des contacts que nous avons noué pendant le festival.

 

Maintenant je donne la parole à Mihkel, au Stoïcien qui a participé dans le projet à la première année et qui aujourd’hui continue ses études de français à l’université de Tartu…