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Comment vous appelez-vous ?
Les prénoms français d’origine germanique


Claire Anne MAGNÈS


Mesdames, Messieurs, chères amies, chers amis,


Membre de la Biennale de la langue française depuis plus de trente ans, très attentive à ses projets et activités, pour des questions de santé et d’âge, j’ai aujourd’hui cessé de voyager. Je remercie le comité qui me permet de participer à cette XXIXe  rencontre alors que je ne peux m’y trouver en personne et suis reconnaissante à la présidente Cheryl Toman de vous lire le texte de ma communication.


Mon pays, la Belgique, compte trois langues officielles : le néerlandais, le français et l’allemand. État fédéral, elle groupe trois Communautés constitutionnelles : la Communauté flamande – la plus importante -, la Communauté française ou Fédération Wallonie-Bruxelles, dont je fais partie, et la Communauté germanophone.

Née à Bruxelles, je vis en Wallonie et c’est là que j’ai travaillé en tant que professeure de langue et de littérature françaises dans un lycée technique, après des études universitaires en philologie romane.

Si ma langue maternelle est le français, j’ai eu des cours de néerlandais (langue seconde) durant douze ans dans l’enseignement primaire et secondaire et suivi les cours d’allemand pendant les trois dernières années de lycée.


Berlin, où se déroule cette Biennale, m’a semblé le cadre idéal pour vous parler des « prénoms français d’origine germanique ».

Permettez -moi deux remarques préliminaires :

1. Par « prénoms français », j’entends les prénoms traditionnels, « classiques », à l’exclusion de ceux clairement empruntés à d’autres langues, par exemple à l’espagnol (Carmen), au russe (Boris, Igor) et, plus récemment à l’anglo-américain, noms de personnages ou d’interprètes rendus célèbres par le cinéma : Audrey, Samantha, Liam, Kevin

2. Pour ne pas alourdir le texte, je n’ai mentionné que la forme masculine du prénom français quand son équivalent féminin ne s’en différencie que par le -e final. Merci aux Rolande, Gilberte ou Louise de ne pas m’en vouloir.


***


Langue romane, c’est-à-dire issue du latin, le français s’est considérablement enrichi de mots d’autres origines. Apports plus que millénaires ou acquisitions du XXIe siècle, ces emprunts répondent à ce que l’on attend d’une langue vivante.


Remontons à l’Antiquité. La Belgique fait partie, comme la France, de la Gaule cisalpine. Elle est envahie au premier siècle avant notre ère par les armées romaines de César. Le gaulois, langue celtique, a laissé relativement peu de traces en français mais cet héritage est ancien. En effet, le latin  a intégré certains mots, surtout liés à la nature, au travail de la terre, et nous les a transmis, comme alouette, bouc, bouleau, cervoise, ruche… ainsi que galoche, de gallica, « chaussure des Gaulois ».

Une remarque philologique intéressante s’impose ici : la transformation du g- initial latin en w- francique : les Wallons, en gallo-roman, désignent les Gaulois romanisés ; la Wallonie est leur terre ;  celle des Gallois, le pays de Galles, se dit en anglais Wales. On trouve une équivalence semblable en comparant les prénoms Gauthier et Walter, Guillaume et Wilhelm, William.


Dès le IVe-Ve siècle, l’Empire romain finissant est progressivement occupé par des peuples venus du Nord, les Germains. Le nom de plusieurs d’entre eux marque les régions où ils s’installent : l’Andalousie (les Vandales), la Bourgogne ( les Burgondes), la France (les Francs).

L’Europe occidentale s’affirme chrétienne. Clovis, roi des Francs, adhère au christianisme et se fait baptiser. Son nom devient donc également son nom de baptême.


Arrêtons-nous un instant aux notions de nom et de prénom

L’usage latin désigne une personne par une triple appellation : prénom, nom (de famille), surnom (individuel ou lié à la famille). Ainsi : Caius Julius Cæsar, Jules César ; Marcus Tullius Cicero (« pois chiche »), Cicéron, homme politique et orateur romain ; Publius Vergilius Maro et Quintus Horatius Flaccus, les poètes Virgile et Horace.

En France, en Belgique, au Luxembourg, comme aux Pays-Bas et en Allemagne, l’identité comporte le nom de famille précédé du prénom (plusieurs prénoms sont possibles). Le nom de famille - ou patronyme - est généralement celui du père. En Belgique, depuis quelques années, on peut donner à ses enfants le double nom de famille père-mère ou mère-père, au choix.

Le prénom, ou nom de baptême dans la culture chrétienne, est l’appellation qui « précède le nom ». Ainsi dit-on en néerlandais (voornaam) et en allemand (Vorname) quand d’autres langues retiennent la signification religieuse du terme, comme l’anglais (christian name) ou le hongrois (keresztnév)


Contrairement au nom de famille, transmis de génération en génération, le prénom relève d’un choix. On le dote le plus souvent d’une valeur positive. Ainsi en est-il pour la plupart des prénoms français, qu’ils viennent de l’hébreu, du grec, du latin ou que leurs racines soient germaniques. En voici quelques exemples. Venus de l’hébreu via le latin : Marie, de Myriam,  « aimée » ; Anne, de Hannah, « grâce, gracieuse » ; Jean, « Dieu accorde » ; Mathieu, « don de Dieu ». Venus du grec : Théophile, « ami de Dieu », Hélène « éclat du soleil », Eugénie « de bonne race », Irène « paix », Nicolas « victoire ». Zoé « vie », Sophie « sagesse ». Repris au latin : Luce, Lucien « lumière », Vincent, Victor « victoire », Valentin « bien portant »…


L’Histoire et l’histoire littéraire nous montrent combien les prénoms d’origine germanique sont anciens et nombreux en français.

Premier texte en ancien français, le Serment de Strasbourg (842) scelle l’accord entre Charles le Chauve et Louis le Germanique contre leur frère Lothaire, tous trois petits-fils de Charlemagne.

La Chanson de Roland, La Chanson de Guillaume, Huon de Bordeaux, Raoul de Cambrai, Aymeri de Narbonne, chansons de geste des XIe et XIIIe siècles, portent le nom de leur héros. Ces prénoms ont en commun d’être tous d’origine germanique. Bien d’autres les rejoindront. Prénoms anciens, parfois disparus de l’usage, mais souvent bien vivants dans le français du XXIe siècle, ils méritent d’être regardés de plus près.


Que révèle leur étymologie ? Quelles valeurs et qualités sont mises en avant pour accompagner durant sa vie l’enfant ainsi nommé ? On ne s’étonnera pas de constater que les Germains de l’époque, peuples de combattants, aient privilégié les vertus guerrières. Les parents souhaitent à leur descendant d’être fort (Bernard, Léonard, Gérard), brillant, illustre (Norbert, Berthe, Dagobert), noble (Albert, Adélaïde), puissant (Frédéric, Thierry), audacieux (Théobald, Thibaut), de connaître la gloire (Roland, Robert), d’être armé d’une lance (Gérard, Edgar), protégé par un casque (Guillaume), d’avoir la force du loup (Rodolphe) ou de l’ours (Bernard)… Des valeurs plus pacifiques figurent au cœur d’autres prénoms : la paix (Frédéric), le pays (Roland, Lambert), la maison ( Henri), l’intelligence (Hugues, Hubert, Huon).


Les prénoms d’origine germanique sont le plus souvent bâtis sur deux radicaux. Voici ceux que j’ai pu relever, suivis de leur signification et de quelques-uns des prénoms auxquels ils ont donné naissance. Certains d’entre eux peuvent donc figurer à deux reprises dans la liste qui suit et que va projeter la présidente.



adal- , al- noble Alice, Adèle, Adélaïde, Adalbert, Albert, Alphonse, Alfred, Adolphe

-ard fort, puissant, dur Léonard, Bernard, Gérard, Richard

-arn aigle Arnaud

-bald, - baud audacieux Théobald, Thibaut, Baudouin

- berht brillant Berthe, Bertrand, Robert, Lambert, Hubert, Norbert, Gilbert, Dagobert,

frid- paix Frédéric, Alfred

-gari, -ger lance Gérard, Edgar, Gertrude

haim- maison Aimery (Aymeri) , Henri

-helm casque Guillaume

-hlod, -hrod gloire Roland, Robert, Roger, Rodrigue,

Louis, Ludovic, Clovis, Lothaire, Lorraine

huc-, hug- intelligence Huguette, Huon, Hubert

land pays Roland, Lambert

-mund protection Raymond, Edmond

od- richesse Odile, Odon, Omer, Othon

rad-, ragin- conseil Raoul, Raymond

-ric puissant Frédéric, Thierry, Richard, Amaury

thud- peuple Thierry, Thibaut

-waldan gouverner Gauthier, Renaud, Arnaud

-wig combat Clovis, Cloud, Ludovic, Louis, Edwige

-wil volonté Guillaume



Quelques étymologies sont particulièrement imagées, dont celles qui font référence aux qualités du monde animal. Léonard, la « force du lion », unit un radical latin (leo) au suffixe germanique -ard, « force ». Et c’est la force de l’ours (en allemand Bär) que l’on souhaite à Bernard.


Un regard sur les langues d’aujourd’hui nous montre combien ces radicaux sont vivants. En allemand,  « conseil » se dit Rat, « noble » edel, « maison (foyer) » Heim (cf. l’anglais home) et hart, « dur », est présent en allemand, en néerlandais, en anglais et dans le français « hardi ».


Figure majeure de plusieurs chansons de geste médiévales, roi des Francs puis premier empereur d’Occident (en 800), Charles, de la dynastie des Carolingiens, marque l’Histoire en tant que Charlemagne. Son nom joint un radical latin, magnus, « grand », au préfixe germanique -karl, « homme, mâle, viril, robuste ». Des formes féminines existent : Caroline, Charlotte


Les Francs, dont faisaient partie Clovis et Charlemagne, nous ont laissé un précieux héritage linguistique : les prénoms François, Francine, Frank… ainsi que des noms propres, des substantifs, des adjectifs : la France, les Françaises et les Français, dont la langue est le français. De plus, nous aimons souligner les diverses acceptions de l’adjectif franc, de ses dérivés et composés : « un caractère franc, le franc-parler, la franchise de port »… Les valeurs d’honnêteté, de loyauté, de liberté qu’ils véhiculent nous ont semblé un beau moyen de conclure.


Je vous remercie pour votre attention.


Claire Anne MAGNÈS