Biennale de la Langue Française

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Accueil Les Actes de la XXVIIIe Biennale B28 Interventions B28 - Juliette DUTHOIT et Clotilde LANDAIS
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Le français aux mille visages :

L’utilisation de documents authentiques en classe de FLE


Juliette DUTHOIT

Clotilde LANDAIS


Enseigner la réalité de la langue française contemporaine en classe de Français Langue Etrangère (FLE) peut être un défi. En effet, la plupart des manuels, qu’ils soient publiés en France ou à l’étranger, se centrent principalement sur le français standard. Ils négligent par là même les niveaux de langue plus oraux ainsi que les spécificités régionales. S’il paraît illusoire d’espérer enseigner les caractéristiques langagières de chaque zone francophone de la métropole et du monde, laisser les apprenants dans l’ignorance complète de l’existence même de ces variations au sein de la langue peut sembler tout autant mal avisé. La facilité d’accès à des contenus francophones par les apprenants en dehors de la classe, notamment via internet, doit permettre aux enseignants d’aborder naturellement la question: tout apprenant ayant visualisé un film francophone ou le journal télévisé national ou, a fortiori, régional, aura été confronté à certaines de ces variations. Nombre de régions francophones, y compris en France métropolitaine, sont aujourd’hui encore multilingues, quoiqu’à des niveaux différents. Si le multilinguisme en Bretagne ou au Québec est plus important quantitativement que dans les Flandres françaises ou en Saintonge, certaines spécificités terminologiques ou de prononciation de ces régions sont toujours communément employées par leurs locuteurs. Dans cette perspective, il nous paraît donc pertinent de nous intéresser à la question de l’utilisation de documents authentiques—terme que nous prenons dans le sens de document réalisé à des fins non pédagogiques, en général par des francophones pour des francophones, et utilisé dans son intégrité ou en extrait en classe—pour aborder le multilinguisme dans la francophonie.

Le but de notre démarche est de sensibiliser les apprenants du français des niveaux A1 à B2 aux différents accents français et francophones ainsi que, dans une certaine mesure, au multilinguisme en francophonie. L’idée n’est pas que ces apprenants maitrisent différents accents ou certains termes régionaux—ceci relevant du niveau C2—, mais qu’ils prennent conscience que la langue française n’est pas aussi uniforme que les manuels de FLE le laissent en général entendre.


Les dialectes et accents français: pourquoi en parler en classe

La langue française est parlée par plus de 300 millions de personnes dans 88 pays dans le monde 1. En tant que cinquième langue mondiale, il n’est pas difficile d’imaginer qu’elle soit parlée différemment dans chacun de ces pays. La prononciation du français et son lexique varient d’une région francophone à une autre, pour diverses raisons linguistiques et sociolinguistiques telles que la langue première du pays, la proximité avec d’autres langues, ou la nécessité de créer de nouveaux mots. Le québécois par exemple, lui-même varié, est célèbre pour sa prononciation différente du français standard et pour son inventivité lexicale. De nombreux néologismes comme «un égoportrait» ou «un téléphone intelligent» existent par exemple en québécois alors qu’en français de France, on a choisi d’utiliser les termes originaux anglais de «selfie» et de «smartphone». De la même façon, les français d’Afrique de l’Ouest comportent du vocabulaire issu des langues locales, comme «Bako» en langue mandé qui désigne la France, ou «béi» qui signifie «chérie» en langue bété.

Sur le territoire français lui-même, pour des raisons historiques et géographiques, on peut trouver différentes variantes de la langue française, appelées dialectes régionaux (à ne pas confondre avec les langues régionales, des langues à part entière comme les créoles, le breton, le corse...). Ces dialectes ont été identifiés et analysés pour la première fois au début du xixe siècle par Jules Gilliéron et son assistant Edmond Edmont (Meyerhoff, 2006). La plupart sont nés d’un contact plus ou moins prolongé avec une autre langue: contact avec le flamand dans le Nord pour le ch’ti, ou avec l’allemand dans l’Est pour les dialectes alsaciens.

Dans le contexte de la classe de FLE, il est habituel d’enseigner le français standard. Comme l’explique Meyerhoff (2006), une langue standard est composée d’un ensemble de normes partagées à travers plusieurs zones géographiques et qui ont acquis une signification sociale propre. La maîtrise de ces normes est généralement associée à un niveau avancé d’éducation et procure de fait une position d’autorité ou de pouvoir. Le français standard correspond donc au français «parfait», parlé par une population éduquée, tout en n’étant en réalité natif qu’à une minorité bourgeoise de Paris. De plus, la notion de «langue standard» sous-entend que toute variante peut être perçue négativement ou que certaines peuvent avoir plus de prestige que d’autres (Mugglestone, 2003, in Meyerhoff, 2006).

Nous ne discuterons pas ici de la décision d’enseigner le français standard en classe de FLE, car cela relève de linguistique et sociolinguistique. Cependant, il est important de souligner que l’enseignement du français standard, en effaçant l’existence même des régionalismes, porte en lui la propagation d’une certaine idéologie intellectuelle de la culture française.

Notre démarche de sensibilisation des apprenants à la variété linguistique dans la francophonie s’inscrit dans une logique pédagogique, mais également dans celle d’un renouveau identitaire. En effet, la France voit se (re)développer au xxie siècle un mouvement de revendication des langues et identités régionales contraire à la politique de standardisation mise en place depuis le xixe siècle par l’Etat français et prônant l’unité nationale autour de l’unité linguistique. Cette politique nationale, facilitée par la mobilité et urbanisation croissante des peuples dans le monde qui effacent peu à peu l’isolation propices aux variations des langues (Meyerhoff, 2006), a mené à la quasi-extinction la plupart des dialectes et langues régionales sur le territoire français. Or, socio-linguistiquement, un dialecte (tout comme une langue régionale) fait acte d’identité et permet à son utilisateur de s’affirmer ou de choisir comment il souhaite être perçu par les autres (LePage et Tabouret-Keller, 1985, in Meyerhoff, 2006), bien que cela puisse se retourner contre lui. Ainsi, une personne vivant à Paris et s’exprimant avec un fort accent régional peut être perçue comme affirmant son identité régionale, mais aussi comme «rebelle» si cette affirmation identitaire est comprise comme un refus des normes parisiennes. À l’inverse, un Parisien s’installant à Marseille, par exemple, pourrait vouloir reproduire l’accent local dans un effort d’intégration.

La question de la place des accents et des régionalismes dans le curriculum de FLE nous parait donc se poser en raison de l’importance de leur rôle sociolinguistique. De plus, comme les accents francophones sont multiples et variés, et compte tenu de la haute probabilité pour les apprenants d’y être confrontés, il nous semble primordial de les aborder en classe. En premier lieu, il est important d’ouvrir l’esprit des apprenants sur la multiplicité et la diversité du monde. Chaque région a ses spécificités—historiques, géographiques, sociales, linguistiques—et chaque variante d’une langue a sa valeur et son importance ; il n’y a pas de «mauvaise» langue ou dialecte, ni de langue parfaite. Nous estimons qu’un cours de langue se doit d’apporter une dimension interculturelle en aidant les apprenants à respecter et comprendre d’autres cultures, mais également à appliquer ces compétences à leur(s) propre(s) langue(s) et culture(s).

En deuxième lieu, aborder le sujet des variétés de la langue en classe de FLE est également important parce que les apprenants peuvent se retrouver confrontés au phénomène de façon plus interactive. En effet, si un apprenant se rend en Martinique, par exemple, en n’ayant jamais entendu l’accent martiniquais ou ne connaissant que le français standard, il risque d’être pris au dépourvu. Si son voyage est purement touristique, voir sa communication réduite à néant ne sera sans doute qu’un désagrément passager. En revanche, si son déplacement est à but professionnel, les conséquences d’un tel manque de préparation pourraient être plus dramatiques.

En troisième lieu, parler des accents en classe de FLE permet d’anticiper de potentielles questions. En effet, s’il fut une époque où l’accès à des documents français était difficile, celle-ci est bel et bien révolue: blogs et vlogs en accès gratuit sur internet, films, séries et documentaires sur diverses plateformes de streaming, clips vidéo ou publicités sur médias sociaux, journaux en ligne… Tout apprenant sera donc confronté un jour ou l’autre à une prononciation accentuée, à une version différente du français standard qu’on lui aura enseignée, ou rencontrera une référence culturelle aux langues régionales. Si souvent, le cas du français québécois est connu des apprenants, particulièrement aux Etats-Unis, un français africain ou asiatique pourrait les confondre.


L’utilisation de documents authentiques vidéos en classe de FLE

Dans l’optique d’exposer nos apprenants de FLE à divers accents et variantes de la langue française, nous avons choisi d’utiliser des documents authentiques (DA) qui ont pour but de mettre en contact les apprenants avec la langue réelle, telle qu’elle est utilisée dans le monde francophone (Cuq & Gruca, 2005). En effet, de nombreux chercheurs ont découvert que, même avec la meilleure volonté du monde, les manuels de langue continuent de présenter la langue cible d’une manière qui détonne avec son usage réel à l’extérieur de la classe (Yule, 1995). Par exemple, Wong (2002) a analysé plusieurs conversations téléphoniques de différents manuels de langue et a trouvé qu’aucune de ces conversations ne contenait les quatre séquences canoniques identifiées dans de vrais enregistrements. L’utilisation de DA est donc essentielle pour que les apprenants aient une bonne représentation de la langue étudiée.

Comme l’explique Couto-Silva (2015), la définition du DA est encore débattue aujourd’hui entre didacticiens. Pour tous, un DA est un message élaboré par des francophones pour des francophones à des fins de communication réelles (ou comme dirait Gilmore, 2007, «a stretch of real language, produced by a real speaker or writer for a real audience and designed to convey a real message of some sort» p.98). Cependant, pour certains, un document perd de son authenticité dès qu’il est détaché de son contexte ou s’il est modifié pédagogiquement par l’enseignant. Le DA devrait donc être exploité dans son intégrité en classe de FLE sans modifications, simplifications, ou présentation hors contexte (par exemple, un article de journal sera donc présenté dans sa totalité, sur la page du journal entouré des autres articles). Pour d’autres, la fonction pratique du DA l’emporte et les modifications sont acceptées si elles sont justifiables pédagogiquement: une troncature (effacer des lignes ou un passage), une simplification par extraction de mots superflus, ou encore une modification du vocabulaire peuvent donc être acceptables.

Dans le cadre de cet article, nous suivons la définition la plus ouverte du DA, puisque pour nous, l’important est son aptitude à remplir le but pédagogique que nous lui avons attribué (Gilmore, 2006). Par ailleurs, il faut rappeler qu’un DA n’est stimulant pour les apprenants que s’il n’est que légèrement supérieur à leur niveau de compréhensibilité (voir la théorie de l’input compréhensible de Krashen, i +1, 1977). On pourrait donc envisager la troncature de passages (vidéos ou écrits) ou l’ajout de sous-titres ou de vocabulaire comme une aide supplémentaire afin de s’adapter aux compétences des apprenants. De plus, aujourd’hui, il est facile de trouver en ligne des «morceaux» de documents authentiques, présentés en dehors de leur contexte traditionnel: les journaux en ligne proposent les articles individuellement; YouTube présente toutes sortes de vidéos sans contexte; et les sites des chaînes télévisées proposent de visionner un reportage spécifique au lieu de regarder le journal dans son intégralité. Puisque la notion même de contexte semble être redéfinie par ces nouveaux supports, il nous semble raisonnable de pouvoir présenter un document comme authentique en dehors de sa forme originale absolue. Enfin, les accents étant avant tout un phénomène oral, et tout matériel écrit voulant représenter un accent étant biaisé par la perception de l’accent en question par son auteur, nous avons limité notre matériel pédagogique à des DA de type vidéo.

Les avantages de l’utilisation de documents vidéo (DV) en cours ne sont pas négligeables. Tout d’abord, les DV sont plus animés et ont tendance à rompre la routine de la classe, ce qui augmente la motivation des apprenants (Demari, 2004). Ensuite, les DV permettent une meilleure compréhensibilité grâce à la combinaison du son et de l’image, comparable à un «livre d’images qui bougent» (Sherman, 2003). Canning-Wilson (2000) a démontré à l’aide d’un sondage que c’est cette particularité de la vidéo que les apprenants apprécient particulièrement. De plus, comme mentionné précédemment, il est possible d’ajouter des sous-titres pour augmenter encore cette compréhensibilité. Les DV sont donc des supports pratiques, que les apprenants aiment et qui les motivent dans leur acquisition de la langue. Oddone (2011) rapporte même dans une étude que les participants, des apprenants de l’anglais, se sont mis à regarder des vidéos en langue cible seuls, chez eux, après avoir été exposés à diverses vidéos en classe.

Les documents audio-visuels sont également reconnus comme étant de bons mediums pour la présentation en contexte d’éléments culturels—culture avec un petit c. En effet, une simple personne qui parle est une mine d’informations pour les apprenants. Ils voient sa gestuelle et ses expressions du visage, ses habits, et entendent tous les éléments prosodiques de son discours (intonations, pauses, rythme de diction…). Dans une étude, Herron & al (1999) ont par ailleurs démontré que les DV étaient très efficaces pour la rétention à court et long terme de la culture avec un petit c: lors de performances orales, les apprenants appliquaient très bien les principes culturels qu’ils avaient vus en vidéo (2000). Les DV apparaissent donc tout indiqués pour aborder la culture en classe de FLE, y compris pour une présentation en contexte des accents et langues régionales francophones. De plus, d’après Pegrum (2008), les DV sont de bons outils pour présenter les voix traditionnelles ou dominantes en opposition aux voix marginales. Il propose par exemple de présenter le français bourgeois de Paris, puis de le comparer avec le verlan des banlieues, pour faire réfléchir les apprenants sur les divisions linguistiques, sociales et culturelles non seulement dans la culture de la langue cible, mais aussi dans leur propre environnement (p147). Les DV conviennent donc parfaitement à notre but pédagogique quand on en vient à la présentation des accents et langues régionales francophones en classe de FLE.


Application

Cet article décrira trois séquences de FLE de trois niveaux différents que nous avons mises en œuvre dans différentes institutions. Pour chaque niveau enseigné (A1/A2, B1 et B2), nous avons ancré une séquence «sensibilisation aux accents/langues régionales» dans un thème particulier. En effet, comme l’explique Lee & VanPatten (2003), on n’enseigne pas la culture comme un temps grammatical; il faut plutôt viser au développement d’une sensitivité culturelle.

Dans chacune de ces séquences, un ou plusieurs documents authentiques vidéos ont été utilisés pour présenter et discuter un accent régional français. Chaque séquence a été créée en suivant les recommandations de la méthodologie Making Communicative Language Teaching Happen (Lee & VanPatten, 2003), qui suggère l’exploitation des documents audio-visuels avec le modèle pré-visionnage, en cours de visionnage, post-visionnage. Ce modèle permet en effet d’activer les connaissances antérieures des élèves, appelées «schéma», pour les appliquer au document étudié (ici, la vidéo) afin d’améliorer la compréhension dudit document (pp. 209-210).

Les vidéos authentiques que nous avons choisies sont toutes extraites de programmes télévisés francophones: un extrait d’une émission culinaire, et trois reportages du journal télévisé de 20h de France 2. Comme le rappelle Narvaez (1992), les programmes télévisés ont en effet été prouvés particulièrement adéquats dans le cadre de la compréhension de l’oral: non seulement les apprenants réinvestissent leurs connaissances acquises des différents types de programmes utilisés (peu de cultures n’ont pas de journaux télévisés ou d’émissions culinaires), mais dans le cas spécifique d’un reportage de journal télévisé, ils peuvent faire appel à ce qu’ils savent de l’événement en question pour mieux comprendre le contenu du document.


Au niveau A1/A2

Cette séquence pédagogique s’inscrit dans une séquence plus large sur le travail des articles définis et du vocabulaire de l’alimentation


Objectifs spécifiques de notre séquence pédagogique

Objectifs grammaticaux: les articles définis et partitifs; le genre des noms; la négation

Objectifs communicationnels: les aliments; demander quelque chose; répondre par la négative

Objectifs culturels:les spécialités culinaires régionales

Les accents régionaux en France


La séquence commence par une activité de mise en pratique du vocabulaire et de la grammaire étudiés dans les séances précédentes (15-20 mn). Il s’agit pour les apprenants de jouer à une version du jeu des 7 familles, que j’appelle «le jeu des 7 recettes». Comme pour le jeu traditionnel, chaque joueur doit demander aux autres joueurs les cartes-aliments qui lui manquent pour compléter la recette qu’il a tirée au sort. Toutes les recettes comportent quatre aliments qui représentent les ingrédients principaux d’une recette traditionnelle de la gastronomie française et francophone: cassoulet, quiche lorraine, ratatouille, chodo (Guadeloupe), carry chou (Réunion), etc. Le premier apprenant à avoir toutes les cartes-aliments composant sa recette a gagné.

On passe alors à la 2e partie de la séquence, aux objectifs plus culturels (30 mn). Tous les apprenants retournent leur carte-recette sur une table autour de laquelle ils s’assoient. L’enseignant demande d’abord s’ils ont déjà goûté la recette qu’ils ont tirée au sort ou une autre sur la table, puis s’ils savent de quelle région de France vient cette recette. Si des plats restent inconnus, ils peuvent faire une recherche rapide sur internet pour répondre, avant de localiser la région en question sur une carte de France affichée au tableau.

L’enseignant montre ensuite la vidéo d’une émission ou d’un podcast de cuisine dans laquelle une personne de la région en question réalise la recette et la commente, avec son accent régional. Par exemple, pour le cassoulet, nous avons sélectionné une vidéo de Maïté, restauratrice française originaire des Landes, avec un accent très marqué et qui utilise certains régionalismes terminologiques: https://www.youtube.com/watch?v=d8co6bfSnns La vidéo étant de 12 mn, nous effectuons un montage pour ne montrer que la présentation des ingrédients et les étapes principales de la recette. En activité d’exploitation de la vidéo, les étudiants doivent noter au moins trois aliments utilisés par Maïté qui n’étaient pas sur la fiche. Pour le cassoulet, ils avaient des haricots blancs, du canard, du lard et de l’ail; ils entendent de la ventrèche, des haricots, des tomates fraîches, du canard confit, des couennes [kwan], des saucisses, du thym, du laurier, de l’oignon, de l’échalote, de l’ail, du sel et du poivre.

Dans le debriefing post-visionnage, les étudiants font en général une remarque sur «l’accent bizarre» de la restauratrice, mis en relief par l’accent parisien («neutre», pour la plupart des apprenants) de l’animatrice à ses côtés. Ils font également des propositions phonétiques sur l’utilisation du terme régional de «ventrèche». L’image vidéo leur permettant de deviner que ce terme est synonyme de «lard», la discussion sur les langues régionales—au-delà de l’accent, donc—et leur disparition quasi-généralisée au profit du français standard est ainsi amorcée. La présentation théorique au niveau de l’enseignant reste simple ici, car les apprenants n’ont pas encore beaucoup de vocabulaire. L’idée est d’introduire régulièrement au cours du semestre des activités, notamment d’écoute, avec des accents ou termes régionaux pour qu’ils ne perdent pas de vue cet aspect. Au niveau suivant (B1), on peut déjà aller plus loin dans la discussion, comme nous le proposons avec l’activité suivante:


Au niveau B1

Cette séquence s’inscrit dans le cadre de l’unité 4 sur l’écologie du manuel VO #3 chez EMDL.


Objectifs spécifiques de notre séquence pédagogique:

Objectif grammatical: Les verbes d’opinion suivis de l’indicatif ou du subjonctif

Objectif communicationnel: Exprimer son opinion

Objectifs culturels:La place de la voiture en France

Les accents régionaux en France


Cette séance de cours correspond à la cinquième leçon du chapitre, qui commence par un texte de mise en contexte grammaticale des verbes d’opinion suivis de l’indicatif ou du subjonctif. Ce texte et la grammaire associée ont été traités lors de la séance de cours précédente. Le contenu du texte porte sur la place de la voiture en ville en France et, au début de la séance qui nous intéresse, les apprenants sont invités à mettre en application le contenu grammatical en exprimant leur opinion sur la question par groupes de deux.

Pour aller plus loin sur ce point culturel et rectifier le stéréotype selon lequel, en France, il est très facile de se déplacer en transports en commun, nous montrons aux étudiants en 2e partie de cours un reportage extrait du JT du 13 novembre 2018: https://www.francetvinfo.fr/economie/automobile/essence/hausse-du-prix-des-carburants-ils-utilisent-leur-voiture-tous-les-jours_3033125.html Ce reportage traite de l’obligation pour certaines personnes de se déplacer en voiture. Il a été tourné dans la région de Toulouse, et les personnes interrogées ont toutes l’accent caractéristique de la région.

En cours de visionnage, les apprenants doivent compléter un texte à trous où les mots manquants portent la trace de cet accent régional. Pendant la correction du texte, la question de l’accent, rendant difficile l’identification de certains mots, est soulevée par les apprenants. Cela nous permet donc d’aborder la question des accents régionaux à travers deux discussions :

1. En groupe classe: dans quelle région habitent les personnes interrogées? Situez cette région sur la carte. Comment décririez-vous cet accent? Connaissez-vous d’autres villes ou régions de France connues pour avoir un accent?

2. Par petits groupes: comparez avec les Etats-Unis. Y a-t-il un accent particulier dans la région d’où vous venez? Si oui, quelles sont les caractéristiques de cet accent? Associez-vous une image positive ou négative aux accents (le vôtre et les autres)?

Pour conclure cette séance de cours, nous reprenons la parole pour présenter la notion de glottophobie et afficher les activités de conclusion et de transition (à préparer à la maison) avec la séquence suivante qui porte sur le débat, notamment en politique:

  • Lisez le texte de Télérama sur la glottophobie en politique

  • Regardez l’extrait de l’intervention d’un député alsacien qui défend son accent (qu’il a volontairement réprimé): https://www.youtube.com/watch?v=ldq_kukgdso

  • Que pensez-vous de ce phénomène de la glottophobie? Etes-vous d’accord avec le fait de réprimer son accent? Listez 3 arguments en faveur de la répression des accents et 3 arguments contre. Apportez votre préparation en classe pour en débattre avec un.e camarade.


Au niveau B2

Les enseignements à ce niveau sont beaucoup plus libres. Le format est en général proche de celui d’un séminaire, avec des discussions inspirées par l’actualité. Cette séance s’inscrit en conclusion d’une séquence de 3 cours sur le mouvement des Gilets jaunes. Précisons également que cette séance de cours et celle du niveau B1 ont été conduites le même semestre, donc avec des groupes d’apprenants différents, ce qui nous a permis de réutiliser du matériel pédagogique.

Au cours d’une première séance, les apprenants ont visionné un reportage du JT du 20 novembre 2018 sur le mouvement des Gilets jaunes sur l’île de la Réunion et le problème des casseurs, avec des activités d’exploitation autour de leur opinion quant à la tournure des évènements: https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/ile-de-la-reunion-des-casseurs-s-invitent-au-mouvement-des-gilets-jaunes_3044135.html Le reportage permet d’aborder le statut des DOM et leurs difficultés économiques et sociales par rapport à la métropole.

Au cours d’une deuxième séance, les apprenants ont visionné un autre reportage du JT du 15 novembre 2018 sur les conséquences du mouvement pour des commerçants de la région toulousaine: https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/mobilisation-du-17-novembre/gilets-jaunes-des-commerces-preferent-fermer_3036377.html Là encore, les activités d’exploitation portent sur leur opinion sur le mouvement, notamment les autres conséquences potentielles du mouvement pour l’économie française.

La troisième séance de la séquence, celle qui porte sur les accents régionaux, nécessite un montage des deux vidéos étudiées précédemment. Ce montage isole les entretiens de manière à ce que les apprenants se concentrent maintenant sur les personnes interrogées pour réfléchir à la question de l’accent.


Objectifs spécifiques de notre séquence pédagogique:

Objectif grammatical: Les verbes d’opinion suivis de l’indicatif ou du subjonctif

Objectifs communicationnels:Exprimer son opinion

Présenter des arguments

Objectifs culturels:Les accents régionaux en France

Les identités régionales en France


Voici le plan de la séquence, avec nos commentaires entre parenthèses et en italique:

En groupe classe:

1. Rappel des lieux où ont été tournés ces reportages avec affichage sur carte (Haute-Garonne/Occitanie et Ile de la Réunion + Paris pour les journalistes)

2. Ecoutes des passages:

  • 1ère écoute: quelles caractéristiques phonétiques remarquez-vous chez les différentes personnes interrogées? (question du créole sous-titré pour un Réunionnais)

  • Connaissez-vous les caractéristiques phonétiques d’autres accents régionaux français? (les ch’tis…)

  • 2e écoute + extraits journalistes: quelle(s) différence(s) entendez-vous? (notion de l’accent «neutre» parisien)

  • Pensez-vous que ces journalistes sont TOUS parisiens? (les amener à la question de la suppression de l’accent régional pour un accent «neutre» ou «parfait»)

  • Pensez-vous que la présence d’un accent régional influence la perception du locuteur par le journaliste? Relevez les expressions utilisées par les journalistes pour présenter les personnes interrogées et dites si elles démontrent un biais positif ou négatif.


Discussion par petits groupes:

1. Y a-t-il un accent particulier dans la région d’où vous venez? Si oui, quelles sont les caractéristiques de cet accent? Associez-vous une image positive ou négative aux accents (le vôtre et les autres)?

2. Selon vous, pourquoi certaines personnes décident-elles de perdre leur accent? Est-ce votre cas?

Pour conclure cette séance de cours, nous reprenons la parole pour présenter la notion de glottophobie et afficher les activités de conclusion (à préparer à la maison):

  • Lire le texte de Télérama sur la glottophobie en politique

  • Regarder l’extrait du sketch de Gad Elmaleh «le traitement anti-accent» https://www.youtube.com/watch?v=SLiWoai-h9s (0:50 à 1:32)

  • Rédigez un court essai argumentatif d’environ 250 mots sur cette question de la glottophobie.


Discussion et conclusion

Si l’intérêt d’exploiter des documents authentiques en classe de FLE est désormais entendu et que leur facilité d’accès augmente, la difficulté de bien les choisir en fonction du public et des objectifs pédagogiques spécifiques reste un obstacle à leur utilisation. Du point de vue de la sensibilisation aux accents et dialectes régionaux, nous avons recours à des sources principalement audio-visuelles, puisque la composante sonore est primordiale. La question des sous-titres se pose donc, d’autant que la plupart des chaines télé—pour le JT par exemple—prévoient leur affichage sur internet. Comme nous l’avons déjà signalé, les sous-titres peuvent permettre d’augmenter la compréhensibilité d’un document, d’aider les apprenants à maîtriser un contenu difficile. Ainsi, chaque enseignant estimera la justesse de leur usage. Pour les séquences que nous vous avons données en exemple, nous n’avons pas affiché les sous-titres. Cependant, lorsqu’ils s’affichent automatiquement, comme pour le reportage filmé sur l’île de la Réunion—et, en général, pour tout reportage filmé en milieu francophone hors métropole—, nous exploitons ce fait dans la discussion.

Dans la préparation de nos séquences sur les accents et dialectes régionaux, une autre difficulté que nous rencontrons concerne la sélection de ce support audio-visuel. En effet, plus fréquemment que pour d’autres sujets, nous nous heurtons ici à la question du stéréotype, notamment dans les films. Pour les apprenants, les films sont le document authentique par excellence, mais pour les enseignants, ce type de support présente plusieurs problèmes particuliers, à commencer par les dialogues. Bien que généralement écrits par des natifs, comme toute production hors contexte, les dialogues de films restent artificiels, peu réalistes. Cette artificialité peut être multipliée dans le cas où des dialectes sont représentés, puisque les scénaristes n’en sont pas nécessairement des locuteurs. Les caractéristiques linguistiques ou sociolinguistiques des dialectes s’en trouvant ainsi affectées, le support perd sa nature pédagogique de document authentique.

Le second problème principal rencontré lors de l’exploitation pédagogique d’un film, qui découle par ailleurs du précédent, est la représentation stéréotypée des identités régionales, notamment à travers les accents. Des films comme la série des Ch’tis avec Dany Boon ou celle des Taxi de Luc Besson mettent en scène des représentations exagérées des accents et des dialectes. Dans la mesure où ces effets ont souvent comme but de ridiculiser un personnage ou d’accentuer son côté comique, l’exploitation pédagogique de ce type de films, même encadrée par une discussion sur les stéréotypes, peut faire plus de mal que de bien.

A l’inverse, une fois l’existence et les caractéristiques principales d’accents ou de dialectes régionaux discutées avec les apprenants, leur absence d’un film situé ou tourné en région peut être intéressant d’un point de vue pédagogique, de même que l’évolution dans le temps de telles représentations: pourquoi l’accent marseillais n’est-il plus que rare et caricatural dans les films Taxi alors qu’il était omniprésent et vraisemblable dans les adaptations par Yves Robert des romans de Marcel Pagnol, La Gloire de mon père et Le Château de ma mère? Ce type de comparaison peut être le moyen d’amener une discussion sur le rôle sociolinguistique de l’accent et du dialecte, tant en français que dans la langue des apprenants: la notion de glottophobie, d’un côté, mais aussi, de l’autre, le renouveau des accents et dialectes, comme le démontre par exemple le sketch de Gad Elmaleh «le traitement anti-accent» ou le spectacle de Yannick Jaulin sur le dialecte saintongeais «Ma langue maternelle va mourir…».

Compte tenu de la forte popularité des films auprès des apprenants, il semble donc judicieux, malgré les réserves exprimées ci-dessus, de considérer l’usage de ce support pour aborder les accents et dialectes régionaux en classe de FLE. Cependant, d’autres questions que celle du matériel restent encore à considérer: dans la mesure où il est irréaliste d’espérer étudier ces points de manière exhaustive, comment choisir les accents et dialectes à présenter? Jusqu’à quel point faut-il chercher à les travailler, sachant que le niveau C2 ne préconise qu’une compétence de compréhension?


NOTES

1 Chiffres de l’OIF (www.francophonie.org)


Bibliographie

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Couto Silva, K. (2015). Le document authentique, un outil médiateur des interactions en classe de FLE. Revista Letras Raras, 6(4), 100-121.

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Accréditation OING Francophonie

Sommaire des Actes de la XXVIIIe Biennale

SOMMAIRE DES ACTES XXVIIIe BIENNALE

Livre XXVIII : Bilinguisme, plurilinguisme : mythes et réalités. Quels atouts pour la francophonie ?


Sommaire

Programme de la XXVIIIe Biennale

Discours de Guillaume LACROIX

Discours d'ouverture de Cheryl TOMAN

Discours de John IRELAND


Le bi ou plurilinguisme dans différents pays: état des lieux

Karen FERREIRA-MEYERS

Anida KISI

Mohand Ouali DJEBLI et Saliha AMGHAR

Françoise BOURDON et Saholy LETELLIER


Impact du plurilinguisme selon les contextes

Charles BRASART

Lionel CUILLÉ

Ousmane DIAO et Babacar FAYE

Anne-Laure BIALES


Quand la langue française se suffit à elle-même: ses diverses formes

Gossouhon SEKONGO

Douglas A. KIBBEE


Statut de la langue française et des langues officielles et idéologies

Bechir BESSAI

Eimma CHEBINOU

Cosme FANDY

Djamila HAMIMECHE et Meriem STAMBOULI

Yvon PANTALACCI


Supports, méthodes pour l’apprentissage de la langue française

Dalila ABADI

Mohammad ELMATALQAH

Jessica STURM

Juliette DUTHOIT et Clotilde LANDAIS


Apprentissages scolaire et universitaire de la langue française

Leila SASSI

Karima GOUAICH, Muriel ZOUGS et Fatima CHNANE-DAVIN

Reina SLEIMAN

Yves MONTENAY


Table ronde Le français professionnel

Clotilde LANDAIS

Fabienne PIZOT-HAYMORE

Charlotte SANPERE


Bi et plurilinguisme dans l’œuvre de certains auteurs

Lilas AL-DAKR

Anne-Laure RIGEADE

Julia DILIBERTI

Marcos EYMAR

Sarah KOUIDER RABAH

Fadoua ROH


Bi et plurilinguisme dans la littérature francophone

Mohamed TAIFI

Maribel PEÑALVER VICEA


Le bi ou plurilinguisme dans des lieux géographiques particuliers

Samantha COOK

Vicky BEAUDETTE

Cheryl TOMAN


La langue française et ses métissages linguistiques

Abdelaziz BERKAI

Maurice TETNE

Patrick OUADIABANTOU


Discours de clôture de Cheryl TOMAN



A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93