Biennale de la Langue Française

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Représentations des jeunes algériens sur la langue française en 2019


Mme AMGHAR BOUCHERIT Saliha

Doctorante en didactique du FLE

Université Alger 02, Algérie


Résumé: L’année 2000 a été un tournant décisif dans le paysage sociolinguistique de l’Algérie. La volonté affichée par l’état algérien de s’ouvrir sur le plurilinguisme comme moyen d’accès à la connaissance et à la culture universelle ne fait aujourd’hui aucun doute. Cette nouvelle dynamique sociolinguistique a entrainé un regain pour l’apprentissage des langues étrangères et un regard plus apaisé à l’égard de la langue française, objet, autrefois et aujourd’hui encore, de débats houleux, voire passionnés entre, d’une part, les partisans de l’arabisation qui considèrent cette langue comme étant «la langue du colonisateur» et un danger pour l’unité de la nation et de son identité nationale, et d’autre part, les francisants pour qui la langue française demeure la langue du savoir, de la modernité et d’ouverture sur le monde. L’objectif de notre article est de cerner les représentations des jeunes algériens sur la langue française pour voir si ce rapport a changé depuis les récentes réformes. Autrement dit, il s’agit, à travers les réponses à un questionnaire diffusé sur les réseaux sociaux, de repérer dans le discours des jeunes internautes, l’image qu’ils se construisent sur la langue française en 2019.


Mots clés: représentations, francophonie, langue française, interculturel, sociolinguistique…


Introduction

Le rapport à la langue française a toujours été conflictuel et objet de débats passionnés et passionnants et ce depuis bien avant l’indépendance. L’objectif de notre réflexion est de recueillir les représentations des jeunes algériens aujourd’hui. En effet, ces représentations ont évolué au gré des changements sociaux et des politiques éducatives. Il s’agit de voir l’impact des réformes de 2003 sur le rapport qu’entretiennent les jeunes algériens avec la langue française.

Pour cela, dans un premier temps, nous rappellerons ce qu’on entend par les représentations. Dans un second temps, nous présenterons les résultats d’un sondage auquel nous avons eu recours à travers les réseaux sociaux. Notre plan sera donc le suivant:

  1. Qu’est-ce que la représentation?

  2. De quelle représentation s’agit- il pour nous en Algérie?

  3. Comment avons-nous procédé?


  1. Qu’est-ce que la représentation?

S’inscrivant dans la catégorie des représentations sociales, les représentations linguistiques ont fait l’objet de nombreux travaux et débats en psychologie sociale (Pierre Moscovici, 1961) et tendent, de nos jours, à être au cœur de nombreux travaux dans les sciences humaines et sociales. Les travaux menés en psychologie sociale ont démontré que les représentations orientent les comportements d’un groupe social en fonction d’un ensemble de valeurs et de croyances communes. Elles sont définies, selon Jodelet, comme étant «une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social».

Ainsi, comme le précise Bourdieu: «Ce que nous considérons comme la réalité sociale est pour une grande part représentation ou produit de la représentation». Etant donné que chaque individu a sa propre interprétation du réel et du monde qui l’entoure, ses représentations sont provisoires, susceptibles de changer avec la construction d’autres nouvelles représentations.

En sociolinguistique, les représentations renvoient aux images que les usagers de la langue construisent sur les idiomes qu’ils pratiquent ou pas, leur permettant, d’une part, de porter un jugement d’un point de vue normatif et, d’autre part, d’attribuer des valeurs esthétiques. Elles (les représentations) sont repérables dans le discours que tient le locuteur sur la/les langues. Ces langues ainsi représentées sont alors soit valorisées ou pas, acceptées ou rejetées.


2. De quelles représentations s’agit-il pour nous en Algérie?

On ne peut parler de représentations de la langue française en Algérie sans évoquer les contradictions d’ordre politique et socioculturel liées à l’emploi de cette langue en Algérie.

Au plan politique, la langue française a souvent été plus ou moins bannie du discours officiel jusqu’en 1988, année correspondant approximativement à la tentative d’ouverture démocratique. La langue française était officiellement interdite dans les discours et les correspondances officiels. Ceci s’inscrivait dans une logique de récupération de la souveraineté nationale.

Malgré l’ouverture démocratique, l’Algérie a connu une décennie noire au cours de laquelle la haine du français a été exacerbée. Ce n’est qu’à partir des années 2000 qu’il y a eu véritablement une valorisation à la fois des dialectes locaux et de la langue française avec toutes les valeurs culturelles que véhicule cette langue. Le discours politique et les programmes scolaires reconnaissent ouvertement que les langues étrangères sont porteuses de cultures et que la langue arabe n’est pas le support exclusif de la culture et de l’identité nationale. L’arrivée de Bouteflika au pouvoir en 1999, va apporter un nouveau souffle à la politique linguistique avec une mise en relief l’apprentissage des langues étrangères comme, non seulement moyen d’accès à la documentation scientifique, mais également à la culture universelle, longtemps occultée dans les programmes officiels.

Lors du IXème sommet de la Francophonie à Beyrouth, tenu du 18 au 20 octobre 2002, le président algérien Bouteflika déclare: «Aujourd’hui, nous devons savoir nous départir de la nostalgie chatouilleuse qui s’exprime en rempli sur soi, et nous ouvrir sans complexe à la culture de l’autre, afin de mieux affronter le défi de la modernité et du développement, par nous-mêmes et dans nous-mêmes […] l’usage de la langue française est un lien qui assure notre unité.»

Par ailleurs, les réformes du système éducatif vont constituer également un tournant dans l’évolution de la situation sociolinguistique en Algérie, en instaurant des politiques éducatives favorisant l’enseignement des langues étrangères. Le français en particulier va être enseigné dans le but de développer non seulement des compétences langagières à l’oral et à l’écrit mais également comme moyen d’accès à la connaissance universelle et la culture de l’autre

Il faut rappeler que, suite à la politique d’arabisation et de recouvrement de l’identité nationale, menée par l’état algérien au lendemain de l’indépendance, le système scolaire, tout en maintenant l’enseignement du français, s’était forcé d’enseigner une langue aseptisée, dépourvue de sa charge culturelle. Cependant, les algériens, sous le poids de l’histoire et conscients de la nécessité de s’ouvrir sur le monde extérieur n’ont jamais pu se départir de cette langue. C’est pourquoi nous vivons aujourd’hui ces contradictions qui en cachent d’autres. La modernité est perçue comme synonyme de la science et de la technologie mais en même temps véhiculant des valeurs négatives pouvant conduire à l’aliénation. La tradition, quant à elle, est à la fois porteuse de valeurs saines mais signifie également obscurantisme et retard technologique. Dans un tel contexte, le rapport à la langue française ne peut être que problématique.

Il ne s’agit pas, dans le cadre de cet article, de reprendre la représentation sociale dans son processus d’évolution historique. Il est plutôt question de donner une image, un reflet de ce qu’est le français aujourd’hui, en 2019 par une population déterminée: les jeunes algériens de moins de 40 ans, ceux qui ont été plus ou moins touchés par les récentes réformes.

En d’autres termes, nous n’allons pas étudier la représentation d’un point de vue diachronique mais de l’examiner ici et maintenant dans une vision synchronique. Il faut rappeler que la représentation sociale inclut les opinions et les croyances qu’on ne peut saisir qu’à travers le langage. C’est pourquoi nous avons essayé de cerner ces opinions à travers un sondage que nous avons lancé sur internet. Le but est de recueillir les représentations des jeunes algériens de moins de 40 ans au sujet du français, de son usage, de la culture qu’il véhicule et de sa place dans l’environnement sociolinguistique.


3. Comment avons-nous procédé?

Comme nous l’avons dit précédemment, le but de notre travail n’est pas d’analyser l’évolution des représentations que se font les jeunes algériens sur la langue française, (ceci demanderait plusieurs années d’étude) mais de procéder à une étude synchronique des différentes représentations recueillies dans un corpus émanant d’un groupe social bien déterminé. Nous avons ciblé des jeunes algériens de moins de 40 ans, ceux qui ont été plus ou moins touchés par les réformes du système éducatif de 2003.

Pour se faire, nous avons opté pour un sondage par questionnaire, via internet, qui présente l’avantage de toucher un grand nombre d’individus, réalisant ainsi une économie en temps et en moyen.


Présentation du questionnaire

Le questionnaire que nous avons élaboré comporte 19 items. Il se répartit en 3 grands volets

  1. Identification des enquêtés

  2. Le français et l’école

  3. Langue et l’environnement socioculturel


  1. 1er volet: les questions identificatoires:

Le questionnaire s’ouvre sur des questions identificatoires (résidence, âge) qui ont pour objectif de nous informer sur l’espace géographique à partir duquel répondent nos enquêtés car le lieu peut avoir une incidence sur la représentation comme l’on prouvé des recherches antérieures dans ce domaine. L’âge de la population visée par notre sondage peut également infléchir les résultats de notre enquête. En effet, d’une part, les personnes les plus âgées ont bénéficié d’un enseignement du français qui avait des objectifs autres que celui d’aujourd’hui; d’autre part, l’environnement socioculturel dans lequel ont baigné les plus âgés n’est plus le même. Quant au sexe, la sociolinguistique a établi que les hommes et les femmes n’entretiennent pas les mêmes rapports avec le langage. Les femmes sont plus enclines à la pratique du français. Concernant la langue maternelle, il est évident que ceux dont les parents communiquent en français, même s’ils ont pour langues premières le berbère ou l’arabe, sont plus disposés à l’apprentissage du français et à sa pratique.


Résultats:

  1. Questions identificatoires

1.1 Lieu de résidence:

Les résultats du sondage que nous avons effectué, via les réseaux sociaux indiquent que les personnes qui ont répondu à notre questionnaire habitent les grandes villes. Nous pensons que ceci est dû au fait qu’elles ont un accès plus facile à internet.


1.2 Age:

Les résultats du sondage indiquent que la plus part des personnes concernées par le sondage (soit 62%) ont entre 37 et 40 ans. Ce qui correspond majoritairement à la population que nous avons ciblée. Au lancement des réformes, nos interlocuteurs avaient entre 16 et 19 ans. Ils étaient donc d’âge scolaire.


1.3 Sexe:

Les résultats de ce sondages révèlent qu’une majorité féminine soit 65 % représente la plupart des personnes interrogées contre 35 % d’hommes. Ceci s’explique par une forte démographie en Algérie, caractérisée par une forte proportion de la gente féminine d’une part et par la présence, en milieu scolaire, de plus de filles que de garçons.


1.4 Quelle est votre langue maternelle?

Les résultats de l’enquête montrent que les locuteurs sont majoritairement arabophones, suivis par les kabylophones. En effet, les algériens ont comme langue maternelle l’arabe dialectal connu sous l’appellation daridja et le tamazigh avec toutes ses variétés notamment le kabyle. Certains des sondés (soit 2.40 %) déclarent avoir le français comme langue maternelle. Comme l’indiquent ces résultats, le français n’est certes pas la langue maternelle des algériens mais certains y voient un atout pour l’avenir de leurs enfants.


  1. Le français et l’école

Dans cette partie, il s’agit de connaitre, d’une part, les opinions des enquêtés sur l’enseignement /apprentissage de la langue française, à l’école et, d’autre part, avoir leurs avis sur les programmes de français actuels.


Résultats:

2.1 La langue française est: riche, simple, pratique, difficile, belle ou autres.

La plupart des répondants (soit 30 %) trouvent que la langue française est riche, 23 % la considèrent pratique mais 26 % pensent qu’elle est difficile. Ceci témoigne de l’aspect utilitaire de la langue française. Si certains la trouvent difficile, c’est parce que l’école ne lui réserve pas la place qui lui est due. En fait, malgré son fort ancrage social, elle n’est enseignée qu’à raison de trois heures par semaine, comme simple matière, sans lien avec les autres enseignements.

D’après les résultats, nos enquêtés trouvent la langue française pratique car beaucoup d’éléments relevant de la technologie et de la modernité n’ont d’appellation qu’en français ou en anglais. Par exemple, les outils informatiques, les médias (téléphonie, tv, réseaux sociaux), l’automobile, l’architecture, le monde pharmaceutique et médical ne peuvent être désignes, nommés qu’avec des termes anglais ou français et même s’il existe quelques équivalents dans les langues locales, ces équivalents ne sont pas pratiques.


2.2 L’usage du français est plutôt facile: à lire, à écrire, à comprendre ou à parler

Le sondage indique que la langue française est davantage utilisée à l’oral qu’à l’écrit. Ceci s’explique par les pratiques d’enseignement qui, malgré les nouvelles orientations méthodologiques qui préconisent le développement des compétences communicatives à l’oral et à l’écrit, donnent une priorité à un enseignement basé essentiellement sur l’oral.


2.3 Maitrisez-vous d’autres langues étrangères? Lesquelles?

Le regain d’intérêt pour l’enseignement/apprentissage des langues étrangères, induit par les politiques linguistiques prônées depuis les années 2000 ont entrainé un engouement de plus en plus important pour l’anglais, l’espagnol et l’italien. Ainsi, plus de la moitié des sondés, soit 50.90 % déclarent maitriser l’anglais considéré, aujourd’hui, comme étant une langue de technologie et universelle par excellence.


2.4 Que pensez-vous du programme de français enseigné dans nos écoles? Compliqué, difficile, ambitieux, inadapté.

La politique d’arabisation imposée par l’état algérien, par le biais d’une politique éducative imposant la généralisation de la langue arabe a entrainé des dysfonctionnements et une baisse de niveau en langue française. En effet, la réduction du volume horaire, d’une part, et le manque de formation des personnes en charge de réaliser ces programmes, d’autre part, ont influencé la perception de nos enquêtés par rapport aux programmes actuels. En effet, ils sont nombreux à souhaiter le retour aux anciens programmes qui, selon eux, sont plus adaptés et enclins de permettre une meilleure maitrise du français.


2.5 Le niveau du français en Algérie est:

  1. médiocre

  2. faible

  3. acceptable

  4. Bon

  5. Excellent


A la question relative à la maitrise de la langue française, 41.90 % des enquêtés déclarent que le niveau du français est moyen, voire faible. Comme nous l’avons précisé précédemment, ce sont tous les réaménagements apportés au système éducatif depuis l’indépendance et qui visaient le remplacement de la langue française par la langue arabe qui sont à l’origine de cet état de fait. Cette volonté de «défranciser» l’ensemble de la population algérienne s’est accompagnée de mesures visant à amoindrir son apprentissage. Selon plusieurs recherches menées sur le terrain, la question de la baisse de niveau en langue française est due, d’une part, à la réduction significative du volume hebdomadaire qui lui est consacré dans les programmes et à la baisse de son coefficient et d’autre part, à la compétitivité de l’anglais considéré depuis la mondialisation comme étant la langue universelle.


  1. Langue et l’environnement socioculturel


Dans ce volet qui constitue le point nodal de notre travail de recherche, nous voulions recueillir le rapport qu’entretiennent les jeunes avec la langue française au quotidien et la charge culturelle qu’elle véhicule.


Résultats


3.1 Utilisez-vous le français dans votre vie quotidienne? Oui ou non.

Une grande majorité d’algériens utilisent la langue française dans leurs échanges quotidiens. Ces échanges se font dans le cadre de l’alternance codique ou de code mixing. En effet, les jeunes, pour répondre à leurs besoins communicatifs et sans se soucier de l’aspect normatif de la langue française, vont user d’un français parasité par des emprunts aux autres langues en contact dans l’environnement linguistique.


3.2 Dans quel cadre: Etudes, travail, familial, amis, connexion sur internet, communication dans la rue, réseaux sociaux ?

D’après les déclarations des enquêtés, le français est utilisé à hauteur de 29.60 % dans le cadre des études, 20.40 % dans le domaine professionnel et 36 % lors des échanges sur les réseaux sociaux ou les recherches sur internet. Le français est également présent à 11,20% dans les échanges entre amis ou dans un cadre familial.

L’analyse quantitative de notre corpus nous a permis de mettre en relief l’aspect utilitaire de la langue française, considérée comme gage de la réussite dans les études supérieures et dans la vie professionnelle.


3.3 Si oui, est-ce pour: comprendre des documents, lire des livres et des romans, surfer sur internet, suivre les cours ou phénomène de mode.

Conscients des enjeux que représente l’apprentissage de la langue française, d’une part, pour poursuivre des études supérieures, toujours enseignées, en Algérie, dans la langue française et d’autre part pour des facilités de mobilité dans les pays francophones, une partie des sondés (soit 38.40 %) déclarent apprendre le français pour leur réussite dans leurs études supérieures. D’autres (soit 20 %) utilisent le français pour découvrir l’actualité du monde moderne, en surfant sur internet, en lisant des livres ou pour comprendre des documents audio. L’aspect utilitaire de la langue française est bien mis en avant. Comme l’affirme Thérese Jeanneret (2010), «s’approprier une langue c’est se construire une capacité à participer aux pratiques sociales tandis qu’en retour la participation aux activités sociales permet au sujet de configurer ses ressources langagières».


3.4 Préférez-vous lire en français, en arabe ou en anglais?

Un nombre important des personnes interrogées (soit 74 %) déclarent préférer lire en français. Ceci est dû à l’abondance et à la richesse des productions littéraires et scientifiques en langue française. Seulement 16 % des sondés le font dans la langue arabe. Notons, tout de même, que l’anglais (à hauteur de 10%) commence à devenir un moyen d’accès, à la documentation scientifique. Ces résultats dénotent de l’aptitude des jeunes algériens à l’ouverture sur les langues en présence dans le paysage linguistique


3.5 Arrivez-vous à rédiger en français?

Si la majorité des sondés (dans une question posée précédemment) déclarent s’exprimer oralement dans la langue française, 73 % de cette majorité avouent éprouver d’énormes difficultés à rédiger en français. Ceci est dû à la prégnance dans les pratiques enseignantes de la méthodologie structuro-globale audiovisuelle qui mettait en avant la primauté de l’oral sur l’écrit, démarche toujours en vigueur et ce malgré l’adoption de l’approche communicative dans les récentes réformes qui préconisent le développement des compétences communicatives à l’oral et à l’écrit.


3.6 Le français représente-t-elle une langue étrangère ou culturelle?

Le français pour une grande majorité de jeunes algériens (soit 63 %) demeure une langue étrangère. 37 % d’entre eux déclarent qu’elle véhicule des valeurs culturelles. Cette catégorie dont les représentations vis-à-vis du français comme langue véhiculant une dimension culturelle a dépassé, à notre sens, tout le discours hostile à la langue française, tenu par les partisans de l’arabo-islamisme qui la considèrent comme facteur de dépersonnalisation et d’acculturation. Les jeunes algériens concernés par le sondage, semblent avoir, aujourd’hui, un rapport plus apaisé et plus rationnel vis-à-vis de cette langue.


3.7 Quel degré d’influence a eu votre famille sur votre relation au français? Faible, moyen, fort.

Plus de la moitié des répondants (soit 53 %) affirment le rôle déterminant du milieu familial dans l’acquisition et l’apprentissage de la langue française. En effet, sa maitrise ou pas dépend étroitement du regard et de l’intérêt que portent les parents à l’égard de cette langue. 46 % estiment que le milieu familial n’influence que moyennement, voire faiblement.


3.8 Quelles chaines tv regardez-vous?

L’ouverture médiatique qu’a connue l’Algérie, à partir de 1988, a permis aux algériens d’accéder à une panoplie de chaines de télévisions étrangères, notamment françaises et des chaines locales qui diffusent des programmes en langue berbère. L’engouement pour les programmes télévisés français est nettement démontré par une forte audience parmi les enquêtés qui trouvent ces programmes plus attrayants et répondent à leurs centres d’intérêts. Ces chaines françaises sont talonnées par les chaines arabes (39.20 %) qui ont connu à leur tour un essor considérable.


3.9 Quelle est votre radio préférée?

Les jeunes algériens affichent une préférence aux radios qui diffusent des programmes dans les deux langues. Ils sont 49.20 % à les suivre. 35.80 % des personnes concernées par notre sondage déclarent choisir la Chaine 3, première radio algérienne (créée en 1926) qui diffuse sur ses ondes des programmes exclusivement en langue française. Cet engouement pour ces chaines s’explique par la variété de programmes et par l’emploi d’un français tel qu’il est pratiqué dans la vie de tous les jours


3.10 Quels journaux lisez-vous?

Les jeunes algériens interrogés (soit 40.10 %) affirment ne pas lire de journaux. Ceci s’explique par la facilité d’accéder à l’information rapidement et gratuitement grâce à internet. Ceux qui lisent, le font dans les langues arabe et française, compte tenu de la présence sur le marché, des nombreux titres de journaux écrits dans ces deux langues


3.11 Quelles publicités vous attirent le plus? en langue

Ils sont 51 % à être attirés par les publicités en langue française car, selon nous, ces dernières renvoient une image plus moderne du message publicitaire.

Les publicités en Algérie sont généralement diffusées majoritairement dans les deux langues (arabe, française, voire dans les trois langues (arabe, français, tamazigh). Il serait intéressant d’analyser la place qu’occupe précisément chacune des trois langues dans l’espace médiatique. Ce qui est sûr, c’est que les créateurs de publicités ont compris la nécessité d’utiliser la langue française pour accrocher un maximum de personnes.


Conclusion

Rappelons que, dans le cadre de cette étude, il s’agit de cerner les représentations de la jeunesse algérienne sur la langue française en 2019. Les représentations recueillies à travers leurs discours, sont, pour nous, l’expression des rapports que ces jeunes visés par l’enquête entretiennent avec la langue française. La description puis l’analyse de ces représentations nous a permis de mesurer le changement des opinions des uns et des autres par rapport à la langue française.

Hormis le fait que le français ne bénéficie sur le plan politique d’aucun statut, les éléments de réponse auxquels nous sommes parvenus montrent que la langue française est bel et bien présente dans le paysage linguistique algérien. Les jeunes algériens, conscients des enjeux que représente la langue française, sont favorables à son apprentissage. Toutes les données recueillies montrent que les jeunes de moins de 40 ans ont un rapport décomplexé à l’égard de cette langue qu’ils considèrent comme gage d’ouverture sur le monde et un atout pour l’insertion sociale et professionnelle.

Les représentations recueillies à travers cette enquête montrent que cette génération a su se défaire de certaines considérations idéologiques prônées par l’état pour instaurer une situation de monolinguisme et de monoculturalisme imposés par une politique d’arabisation et ce, depuis l’indépendance. Le discours épilinguistique de cette frange de population indique clairement qu’il y a regain d’intérêt, non seulement, pour l’apprentissage de la langue française avec toute la charge culturelle qu’elle véhicule mais aussi parce qu’elle est considérée par nos enquêtés comme une richesse. La langue française, appréhendée dans sa dimension culturelle et enseignée avec les autres langues locales dans le cadre d’une éducation plurilingue réfléchie est, pour ces jeunes, un atout majeur pour affronter les défis d’un monde de plus en plus marqué par la globalisation et la mondialisation.

Par ailleurs et malgré l’absence d’un ancrage social de l’anglais, les résultats du sondage montrent un intérêt croissant pour cette langue, considérée par les jeunes algériens, au côté du français, comme la langue de la technologie et du savoir.

La langue française est bien ancrée dans l’espace socioculturel algérien aujourd’hui mais l’anglais, langue étrangère ne risque-t-il pas de prendre la place du français dans un avenir plus ou moins proche? De nombreux indices le laissent penser.


Bibliographie


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Bourdieu, P, Boltanski Luc. Le fétichisme de la langue. Actes de la recherche en sciences sociales, 1975, 4, pp. 2-32

Calvet, L.J, La sociolinguistique, Coll, Que sais-je? Paris, PUF, 1996

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Castelloti, V. & Moore, D., 7, «Représentations sociales des langues et enseignements», Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2002

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Grandguillaume, G. La lutte pour le pouvoir au moyen des langues: conséquences néfastes pour l’école et l’identité. In: Marouf

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Labov, W., Sociolinguistique, Paris, Minuit, 1976

Moreau, M. L., sociolinguistique. Concepts de base, Ed, Maisonneuve, Larousse, 1998


 

Accréditation OING Francophonie

Sommaire des Actes de la XXVIIIe Biennale

SOMMAIRE DES ACTES XXVIIIe BIENNALE

Livre XXVIII : Bilinguisme, plurilinguisme : mythes et réalités. Quels atouts pour la francophonie ?


Sommaire

Programme de la XXVIIIe Biennale

Discours de Guillaume LACROIX

Discours d'ouverture de Cheryl TOMAN

Discours de John IRELAND


Le bi ou plurilinguisme dans différents pays: état des lieux

Karen FERREIRA-MEYERS

Anida KISI

Mohand Ouali DJEBLI et Saliha AMGHAR

Françoise BOURDON et Saholy LETELLIER


Impact du plurilinguisme selon les contextes

Charles BRASART

Lionel CUILLÉ

Ousmane DIAO et Babacar FAYE

Anne-Laure BIALES


Quand la langue française se suffit à elle-même: ses diverses formes

Gossouhon SEKONGO

Douglas A. KIBBEE


Statut de la langue française et des langues officielles et idéologies

Bechir BESSAI

Eimma CHEBINOU

Cosme FANDY

Djamila HAMIMECHE et Meriem STAMBOULI

Yvon PANTALACCI


Supports, méthodes pour l’apprentissage de la langue française

Dalila ABADI

Mohammad ELMATALQAH

Jessica STURM

Juliette DUTHOIT et Clotilde LANDAIS


Apprentissages scolaire et universitaire de la langue française

Leila SASSI

Karima GOUAICH, Muriel ZOUGS et Fatima CHNANE-DAVIN

Reina SLEIMAN

Yves MONTENAY


Table ronde Le français professionnel

Clotilde LANDAIS

Fabienne PIZOT-HAYMORE

Charlotte SANPERE


Bi et plurilinguisme dans l’œuvre de certains auteurs

Lilas AL-DAKR

Anne-Laure RIGEADE

Julia DILIBERTI

Marcos EYMAR

Sarah KOUIDER RABAH

Fadoua ROH


Bi et plurilinguisme dans la littérature francophone

Mohamed TAIFI

Maribel PEÑALVER VICEA


Le bi ou plurilinguisme dans des lieux géographiques particuliers

Samantha COOK

Vicky BEAUDETTE

Cheryl TOMAN


La langue française et ses métissages linguistiques

Abdelaziz BERKAI

Maurice TETNE

Patrick OUADIABANTOU


Discours de clôture de Cheryl TOMAN



A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93