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La langue française et l’identité culturelle



Sujet difficile, sur lequel beaucoup de voix s’exprimèrent sinon se confrontèrent.

« Il m’est arrivé, en méditant sur tout ce que je dois au français, de penser à la possibilité de quelques coups de pouce du destin (…) qui m’auraient fait voir le jour dans un pays dont la langue n’eût pas été le français  Cet autre moi-même que j’imaginais alors, il a mes traits, c’est mon sang qui circule en lui, il me ressemble comme un frère. Et pourtant ce n’est pas moi, il ne pense pas exactement comme moi, il n’a ni ma sensibilité, ni mes goûts littéraires, ni mes préoccupations, ni mes ferveurs »

(Joseph Hanse, Moncton 1977, Actes IV p. 56).


«  Chaque homme est semblable à tous les autres, semblable à quelques autres, semblable à nul autre… Mais seule la deuxième proposition peut nous servir de point de départ pour l’analyse culturelle … Trois facteurs fondamentaux – la race, la religion, la langue - ont une puissance que n’ont pas les autres facteurs de l’identité ethnique (…). La langue transcende les autres éléments (…) car elle permet de les nommer »…

(Selim Abou, Moncton 1977, Actes IV p. 33).


«  J’ai un quart de sang noir, un quart de sang indien, un quart de sang juif. La seule chose que je possède en propre est la langue française »

(Édouard Maunick, le poète mauricien, Namur 1965, Actes I).


L’identité culturelle des Acadiens ? « C’est malaisé, bien malaisé de connaître l’identité de celui qui vit en Amérique et pourtant n’est pas Américain ; qui est sorti de France il y a trois siècles et pourtant n’est plus français….Comment définir ce peuple déraciné, et pourtant qui a des racines si profondes qu’il les traîne partout derrière lui comme des algues flottantes…Qu’avons-nous à dire ? Nous avons tout à dire, parce qu’aucun Mauriac n’est venu décrire notre Bordeaux, ni aucun Mistral chanter notre Provence (…). C’est donc dans la littérature orale, primitive, que nous chercherons notre lignage…et c’est avec ça que nous aspirerons à l’universel… Il reste à trouver le petit fil aux couleurs d’Acadie, qui viendra s’ajouter à la vaste tapisserie que tissent depuis mille ans les peuples de la Francophonie »…

(Antonine Maillet, Moncton 1977, Actes IV p. 100).

Mais cette identité liée à langue française va-t-elle de soi en Afrique ? à Haïti ?

«  Sentez-vous cette souffrance

Et ce désespoir à nul autre égal

D’apprivoiser avec des mots de France

Ce cœur qui m’est venu du Sénégal ? »

(Léon Laleau, Haïtien, Trahison, cité à Moncton 1977, Actes IV p. 205)


Ce cri entendu en écho à celui de Léopold Sédar Senghor :

« Je me rappelle, je me rappelle…

Ma tête rythmant

Quelle marche lasse le long des jours d’Europe où parfois

Apparaît un jazz orphelin qui sanglote sanglote sanglote »

(Senghor, Chants d’Ombre, cité à Moncton 1977, Actes IV p. 187).


Et pourtant le même Senghor reconnaîtra : «  Je dirai qu’on peut être le plus nègrement nègre tout en écrivant dans le français le plus français. Comme le prouvent Péguy et Claudel, qu’admiraient les premiers militants de la Négritude et dont le style "nègre" avec ses répétitions et ses images symboliques, était notre plus grand encouragement à écrire. »

(Senghor, Dakar 1973, Actes II p. 23).


Et avec étonnement, nous entendons :

« La langue française ne mourra jamais, parce que nous sommes là ».

douard Maunick, Mauricien, cité à Moncton, Actes IV p. 217).


« La langue française, loin de tuer l’identité culturelle du Nègre, peut (…) l’exprimer (…). Elle permet de révéler l’âme nègre au monde, aidant ainsi au dialogue nécessaire des cultures. »

(Léon Nadjo, Moncton 1977, Actes IV p. 189).


« La Nature est, pour le Nègre, une "forêt de symboles"… qui renvoient au monde de l’au-delà… Cependant le symbole (…) a besoin du rythme (…), de l’élan qui libère sa "vitalité rageuse" (Kaiserling)… Le rythme est l’une des composantes essentielles de son identité culturelle. (…) Le Nègre chante et danse sa vie. »

(Léon Nadjo, Tours 1985, Actes IX p. 313).


Cependant cette identité "usurpée" provoque aussi un mécanisme de violence, « la volonté délibérée de pratiquer un véritable terrorisme…, une littérature qui briserait, qui casserait à tous les niveaux – syntaxique, phonétique, symbolique – la logique de la langue française, une littérature sauvage, marginale. »

(Jacques Chevrier, Moncton 1977, Actes IV p. 222).


L’apaisement naît sous la plume de Joseph Hanse :

« Je crois que, comme toute langue riche, précise, réfléchie, le français peut traduire n’importe quelle identité culturelle »

(Joseph Hanse, Moncton 1977, Actes IV p.56).


Jacques Duron, déjà, ne disait-il pas ? :

« Quelle est cette force qui pousse les Francophones à s’unir, sans qu’il soit question d’intérêts communs ? C’est que notre langue a en elle un génie secret de la communication qui la rend merveilleusement apte au dialogue et au service désintéressé de l’esprit. »

(Jacques Duron, Québec 1967, Actes I p. 40).


« Une langue, c’est à la fois une identité, une mémoire. C’est aussi la somme de toutes les jouissances verbales accumulées à travers les siècles… et dans mon histoire. Ces points représentent quelque chose d’irréductible… Le corollaire, … c’est de dire que tout homme qui parle français peut être Français… Par le sol et par la langue, mais pas par le sang… »

(Charles Méla, Neuchâtel 1997, Actes XV p. 400)


Cependant, « s’il est clair que la langue est un facteur primordial de notre identité, d’autres facteurs ont pu jouer en Suisse française; et l’un d’eux est la religion. » Les Suisses français « ont entretenu des relations avec les pays protestants du Nord » qui se sont poursuivies.

(Roger Francillon, Neuchâtel 1997, Actes XV p. 405)


Ne faudrait-il pas retenir la formule de René Levesque, romancier haïtien ? : « Le français, pour moi, c’est un lieu d’identités multiples. »

Et aussi ce que disait l’Africain Tchicaya : « Le français m’a colonisé et, maintenant, c’est moi qui le colonise. » (Jacques Chevrier, Neuchâtel 1997, Actes XV p. 420)


Et voici que la grammaire elle-même s’insinue dans l’identité :

« Pour moi, il est une expérience fascinante : "l’autre" langue…

J’ai voulu faire un jour une anthologie de tout ce qu’on ne trouve que dans "l’autre" langue…

Par exemple l’existence du duel, en grec, à côté du singulier et du pluriel pour parler du petit groupe… Le portugais a un conditionnel du futur… Et le subjonctif en français ! Je prétends que l’histoire de l’Allemagne serait bien différente si l’on était obligé d’employer le subjonctif avec un superlatif !

C’est (sans doute) une expérience suisse… de savoir que d’autres langues sont nécessaires à ma propre identité. »

(Hugo Loetscher, Neuchâtel 1997, Actes XV p. 419)


« En Belgique, le problème de l’identité se pose aussi. Il y a opposition entre ceux qui parlent des lettres belges de langue française et ceux qui parlent des lettres françaises de Belgique. Ce n’est pas une opposition de "blanc bonnet et bonnet blanc" ou comme nous disons chez nous "chou vert et vert chou" Et la question se pose à plusieurs reprises. »

(Claire-Anne Magnès, Neuchâtel 1997, Actes XV p. 422)


L’identité fait aussi place au plaisir, à l’entente, à la joie.

- en Roumanie : « Les mots français sont des violons fiers et nets…sous nos doigts »

(Princesse Brancovan–Anna de Noailles, citée par Andrei Magheru, Bucarest 1995, Actes XIV p.391).


- au Luxembourg : « Nous parlons français dans la mesure du possible, et allemand dans la mesure de l’indispensable »

(Alphonse Arend, Québec 1967 Actes I p.50).


L’identité au fil des mots…

« Le français est une demeure » (Elie Wiesel)

(Jeanne Ogée, La langue française et vous, Actes XVIII p.250)


« L’idée chemine, d’une biennale à l’autre, qu’une langue ne peut vivre que si elle évolue dans le temps et l’espace… La francophonie ne sera que si elle est polyphonique et respectueuse de toutes ses composantes. »

(Marcel Beaux, Neuchâtel 1997, Actes XV p. 422)

L’identité et la culture, liées indissolublement, se retrouveront en filigrane à chaque étape de notre recherche vers la Culture universelle qui hanta Senghor.