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Les nouveaux enjeux


- Le Multimédia, source de richesse infinie et de désordre ?

- Le français et les langues partenaires


La vertigineuse rapidité des voyages, la mondialisation des cultures,… et le progrès des techniques changent notre univers quotidien, élargissant sans limite notre vision du monde.

Que devient la langue française dans ce chaos des origines ?


Le Multimédia, source de richesse infinie et de désordre ?


« Penser la francophonie se présente sous la forme d’un défi ; penser son avenir renvoie de surcroît à une urgence…Pour exister, la francophonie ne se doit-elle pas de surplomber le souvenir (…) et se mettre en prise avec les vrais problèmes d’aujourd’hui ? … malgré le vocabulaire trompeur des autoroutes de l’information – ou inforoutes - , nous sommes en train de sortir de l’ère de l’information pour entrer enfin dans celle de la communication (…par le réseau Internet…)… Pourquoi ne pas imaginer de reconstituer la francophonie en une sorte de prototype de l’humanité (…) qui se reconstituerait sur des fondations capables de la détourner de grands désastres ?… en métamorphosant le produit d’un passé impérial en modèle d’une nouvelle solidarité humaine, …en somme dépasser le passé. »

« De même que l’invention d’un nouvel instrument de musique permet une écoute nouvelle d’une mélodie ancienne (…), de même les nouvelles modalités de communication vont nous permettre d’écouter le prochain différemment… Notre expression va s’en trouver aussi affectée. »

(Jean-Claude Guédon, Bucarest 1995, Actes XIV p. 41)

Réalités et fantasmes

« Déjà l’idée du virtuel dormait dans l‘espace platonique. La réalité virtuelle joue à nouveau à la fin du XXe siècle un rôle pareil à celui qu’a joué l’Art nouveau à la fin du siècle dernier… La réalité virtuelle nous offre non seulement la possibilité de nous contempler corps et âme sans dégoût, mais, de surcroît, d’agir et (…) de nous regarder faire. »…

« C’est ce que nous faisons ici en nous situant dans l’espace de la langue française, espace virtuel débarrassé des décombres qui alourdissent de sens secondaires les mots de notre langue maternelle. »

(Adrien Mihalache, Bucarest 1995, Actes XIV p. 95)


« C’est un travail colossal (…) : revenir à la source de l’information. (…) Malgré le retard pris par l’information littéraire en français en 1995, les autoroutes de l’information seront peut-être, demain, le principal vecteur de notre langue et de notre littérature. »

(Alain Vuillemin, Bucarest 1995, Actes XIV p. 128)


Cependant, loin de décliner, le livre est partout : « Le vieil imprimeur résiste à tous, impavide derrière ses murailles de papier. » (Laurent Joffrin)

« La revanche du livre par l’hypermédia est double…Il ravive notre espoir déçu dans le livre utopique (…), mais tandis que le livre nous conduisait sur un chemin linéaire du connu vers l’inconnu, l’hypermédia nous incite à vaguer dans tous les sens (…), non plus à feuilleter, mais à bibeloter et à surfer. »

« Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. » (Baudelaire)

(Adrien Mihalache, Neuchâtel 1997, Actes XV pp. 95-96)


Faut-il voir un danger de fond dans le multimédia, « qui ne concerne à l’heure actuelle que deux sens, la vue et l’ouïe. (…) Lorsqu’on aborde les relations entre les images et la langue, la guerre entre les images – plutôt

l’audiovisuel – et la langue seule, parlée mais surtout écrite, est toujours latente. »

« L’image est globale et synthétique, ... son langage est universel, (mais) l’universalité et la transparence sont loin d’être totales… Elle est persuasive et probante, porteuse de symboles… On parle même de la Civilisation de l’image. » Selon René Huyghe, « Les images supplantent la lecture (…) pour nourrir la vie morale (…) et s’impriment dans la pensée sans barrage ou sans filtre.. Il y aurait donc un pouvoir diabolique des images, condamné dans l’histoire, (…) la Bible, l’Islam, la Réforme. »

Pour Umberto Eco, « L’image n’a rien de pernicieux… (Mais) sans texte, l’image ment (…) ou donne lieu à une multitude d’interprétations. »

« Il lui faut – il nous faut – un antidote, une légende. Ce n’est donc pas de sitôt que l’image se substituera à la langue. » (Roland Delronche, Neuchâtel 1997, Livre XV p. 295)


En effet, « si chacun peut ajouter sa propre vision, ne risque-t-on pas d’avoir une représentation déformée de la vérité (…) dans l’authentification des textes (…) par la référence (et) par l’attribution à l’auteur ? » (Jean Burel, Bucarest 1995, Actes XIV p. 130)


« Il y a là un réel problème et c’est la raison pour laquelle les maisons d’édition hésitent encore à se lancer dans cette aventure. »

(Alain Vuillemin, Bucarest 1995, Actes XIV p. 132)


De plus, « Le recensement des œuvres littéraires commence … aux années 1970 (…), ne risque-t-il pas de détourner encore davantage les jeunes générations des trésors passés ? »

(Marcel Beaux, Bucarest 1995, Actes XIV p. 128)


Un des problèmes des multimédia est la présence insuffisante de la langue française sur ces réseaux « par rapport à la marée anglo-saxonne... On peut avancer quelques pistes : Passé l’obstacle des accents, il faudrait

Dans tous ces domaines, la francophonie ne peut compter que sur elle-même et doit y mettre l’effort. »

(François Yergeau, Bucarest 1995, Actes XIV p. .180)


« Les plus grands malheurs qui pourraient arriver à la Francophonie ne seraient pas attribuables à la Télématique…, mais à la Télémédiatique, où sont réunies trois grandes forces : les Télécommunications, les Médias et l’Informatique.. La Télématique, en nous mesurant à l’Internet nous prépare à affronter le « deuxième géant » qui se profile… avec ses quelque 300 chaînes ou canaux satellitaires de télévision numérique et interactive, que les Américains mettront en œuvre d’ici à quelques mois. »

(Henri Bergeron, Bucarest 1995, Actes XIV p. 311)


« J’encourage les associations, les groupes de recherches, les chercheurs à se mettre, si possible, tous à l’informatique (…) pour qu’il y ait du français sur les autoroutes (de l’information) et que nous soyons dans les wagons de tête du XXIe siècle. »

(Michel Tétu, Bucarest 1995, Actes XIV p. 307)


Pour que nous n’ayons pas – Oh ! honte – « la surprise d’avoir à faire bien des recherches pour enfin obtenir des renseignements en français au sujet du Louvre ! »

(Henri Bergeron, Bucarest 1995, Actes XIV p. 319)


« L’enjeu de la culture et de la francophonie a été quelque peu négligé en France. Le tir a cependant été rectifié. Un projet est orienté vers le renforcement de la francophonie. (…) Les autoroutes de l’information constituent une opportunité unique de resserrer les liens de la Communauté francophone. (…) Un groupe de travail (à ce sujet) vient d’être constitué au sein (…) de l’Assemblée nationale. »

(Henri Revol, Bucarest 1995, Actes XIV p. 194)


Cependant « La responsabilité de la vie démocratique n’incombe pas seulement aux États .(…) Il revient à chacun de nous, citoyens des divers États, que les inforoutes soient des instruments de démocratie. »

(François-Pierre Le Scouarnec, Bucarest 1995, Actes XIV p. 233)


Une question essentielle surgit : « Va-t-on développer une télévision internationale sur un réseau d’ordinateurs ou mettre en place une télécommunication mondiale accessible par des téléviseurs interactifs ? …

Dans le domaine des autoroutes, « le rôle moteur de l’État sera déterminant : …refonte des textes sur le droit à l’information, déontologie de la communication, aide aux inventeurs et aux industries du logiciel. La survie culturelle de notre pays dans le monde en dépend. »

(Jean-Paul Buffelan-Lanore, Bucarest 1995, Actes XIV p. 234)


Fallait-il oublier les Infopauvres ? les démunis ? Ils font aussi partie des enjeux politiques.  L’ACCT ne les oublie pas.

« Les puissants systèmes que (la mondialisation) assemble et rassemble doivent être maîtrisés et utilisés par l’ensemble des communauté humaines, (…) que l’on soit du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest, (…) pour ne pas contribuer à élargir le fossé technologique qui divise les pays industrialisés et les pays en voie de développement. »

« Le Sommet de Maurice en 1993 veut construire quatre espaces :

(Suzanne Richer, Bucarest 1995, Actes XIV pp. 204-208)


« Si les perspectives sont fascinantes… par le rapprochement des peuples, l’application du multimédia dans l’économie, la culture, l’information, l’éducation, les obstacles et les risques sont réels et très grands… Non, l’avenir de la francophonie ne saurait être suspendu à un fil, fût-il un merveilleux instrument pour rejoindre tous les villages de la planète. »

(Bernard Émont, Neuchâtel 1997, Actes XV p. 214)


Les orateurs du Sud, avec une force et une rare intelligence, parlèrent de l’espoir que le multimédia faisait naître en eux, pour l’avenir de leurs pays.

« Plaidoyer pour de futurs exclus », sous-titre adopté par Rabah Chibane, comparait les merveilles annoncées et les risques certains de ce qu’il appelait "les exclusions-gigognes : les exclus dans les pays nantis, les pays du Tiers-Monde par rapport aux pays nantis et les pays francophones du Sud parmi les pays du Tiers-Monde."

« La Télémédecine, le Téléenseignement, une exception culturelle d’un nouveau type des pays du Nord envers les pays du Sud » seraient les premières mesures à prendre grâce au multimédia, plaida-t-il.

(Rabah Chibane, Bucarest 1995, Actes XIV p. 257)


« Au lieu de parler des autoroutes de l’information, dans bien des pays on parlerait encore des chemins muletiers de l’information ! »

(Mohamed Taïfi, Bucarest 1995, Actes XIV p. 282)


« Si aujourd’hui rayonner, c’est se numériser, alors numérisons, comme Leibniz avait dit d’un mot (qui fit naître) l’ordinateur : "Calculons."

Le premier il s’avisa de ce que serait le système binaire ; les idemspotents 0 et 1… Avec eux, il s’agissait de construire la mathématique de l’esprit humain. Pourvu qu’avec la machine intelligente, dont il est l’un des pères, il s’agisse toujours d’"esprit" et d’"humanité" ! »

(Souleymane Bachir Diagne, Bucarest 1995, Actes XIV p. 273)


« 35 millions de migrants subsahariens (fuient) la violence et la misère… et rendent leurs aînés responsables du retard de leurs États…

Avec 0,33%, l’Afrique est la moins informatisée des zones du Tiers-Monde … alors que des documents produits à coup de millions pourrissent dans les magasins ou les armoires ! » et qu’Internet résoudrait en partie ces problèmes.

(Vieux Savané, Bucarest 1995, Actes XIV p. 277)


Ce tableau, si sombre, bouleversa l’auditoire :

- « Il faut absolument faire quelque chose. » (Jocelyn Nadeau)

- Situation « auprès de laquelle beaucoup de nos problèmes paraissent dérisoires » (Roland Eluerd)

- et pour finir réfléchissons à cet effet pervers : Si un chercheur perce en Afrique, c’est que « La recherche scientifique dans les pays du Tiers-Monde utilise l’habileté intellectuelle des pays pauvres pour nourrir les projets scientifiques, intellectuels du Nord. Voilà comment le système fonctionne ! »

(Jean-Claude Guédon, Bucarest 1995, Actes XIV p. 285)


L’enseignement multimédia vise aussi bien la formation à l’Europe (Mariana Perisanu pour la Roumanie) que l’enseignement du français en Afrique, au Bénin, au Burkina, en Côte-d’Ivoire. Serait-il un remède ?

Parmi les obstacles, vient celui de l’édition :

« Le Nord connaît une démographie stagnante avec une édition forte ; le Sud une démographie croissant rapidement, et une édition faible.

De plus, l’édition anglophone est dix fois plus forte que l’édition francophone, pour un bassin cinq fois plus peuplé seulement. »

(Marc Moingeon, Neuchâtel 1997, Actes XV p. 264)


Deux réalisations ne peuvent être oubliées :

Le serveur francophone de la Bibliothèque multimédia de Limoges, destiné surtout aux chercheurs, dont Jean Souillat fut le chargé de mission, et l’Association pour la diffusion internationale francophone de livres, ouvrages et revues (ADIFLOR) qui diffuse dans tous les pays du Sud et de l’Est des livres par milliers de tonnes, comme le rappelle Bernard Pécriaux.


Une condition, dira Pierre Agron, est que le langage du multimédia soit simple. Et il rappelle Bergson :

« Il n’y a pas d’idée philosophique si profonde, si subtile soit-elle, qui ne puisse s’exprimer dans la langue de tout le monde. (…) si bien que ce qui était apparu d’abord comme un vêtement commode finit par être une camisole de force pour la pensée. »

« Intuition, image » paraissent des mots simples, mais « Bergson les charge de sens nouveaux que les philosophes (feindront) de comprendre de travers ! »

(Pierre Agron, Bucarest 1995, Actes XIV p. 376)

Et si l’on essaie de savoir combien de termes nouveaux Internet a créés, écoutons Micheline Sommant :

« Notre relevé montre que deux mots appartiennent au XIXe siècle : "caméra" et "hertzien". C’est dans la seconde moitié du XXe siècle que la création de ces termes croît amplement (et surtout) depuis 1970. Néologismes de sens, termes nouveaux, mots-valises, emprunts à l’anglais, sigles et acronymes… « Des dictionnaires sont apparus mais c’est très insuffisant. (…) Il serait bon que ce vocabulaire spécifique fasse l’objet d’un lexique grand public très simple (les 150 mots-clés du multimédia). Une vulgarisation et une diffusion (…) s’avèrent indispensables (…) pour les enseignants qui formeront les écoliers … »

(Micheline Sommant, Bucarest 1995, Actes XIV p. 329)


« Les mutations sont si rapides qu’on a peine à les suivre. Notons qu’on emprunte plutôt à l’américain qu’à l’anglais. » Média, icône, vidéo.. Charles Muller examine ainsi plusieurs mots courants du multimédia pour conclure que « ces problèmes embarrassent beaucoup les usagers. »

(Charles Muller, Bucarest 1995, Actes XIV p. 339)


Heureusement, « les mots des Commissions de terminologie françaises, intégrés dans la réglementation française, sont recherchés et choisis avec nos partenaires des différents pays francophones. »

(Marcel Beaux, Bucarest 1995, Actes XIV p. 343)


TV5- La chaîne de télévision internationale de langue française, le numéro un des télévisions publiques satellitaires transfrontières, devait être longuement étudiée à Neuchâtel. Elle le fut par Arlette Niedoba, directrice des réseaux éducatifs et culturels dans les Amériques : les opérateurs dans les quatre grands continents, les objectifs, le rôle, le soutien à l’enseignement du français,, les partenariats, les concours…, la production de séries télévisées.

« TV5 se veut un prisme dont les facettes reflètent la francophonie dans son unité et sa diversité… Un français multiple qui se décline d’après les accents et les variétés linguistiques des peuples de la francophonie qui ont en partage la langue française. »

« Il serait désastreux que la langue des deux cents millions de francophones soit submergée, par Internet ou autrement, par une langue et un culture uniques. »

« Chaque Sommet de la Francophonie répond à ce cri d’alarme. Et, dans les réponses, s’inscrivent – définis dans ses statuts – les objectifs de la Biennale de la langue française. »

(Arlette Niedoba, Neuchâtel 1997, Actes XV p. 345)


N’a-t-on pas oublié, parmi les dangers du multimédia, sa rapidité ?

Laissons la parole aux poètes :

« J’aimerais célébrer la lenteur, les routes buissonnières... Qui, mieux que le poète peut se charger de cet éloge ? : Je chante en tartare la lenteur du mulet qui lève la tête vers une figue mauve et se fout de l’éperon ! (Pierre della Faille, Belge)

Le grand soir (…) sera celui où vous vous entretuerez pour une bougie, une côtelette de hanneton ! (Id.) »

« Démythifions la machine et ayons en la science une foi raisonnable :

Seigneur, la science est infaillible, mais les savants se trompent toujours. (Anatole France)

« Sans l’artiste et le poète, (…) les autoroutes de l’information culturelle ne véhiculeront bientôt plus que des gloses (…) et ne traverseront plus que des terres désertiques. »

(Claire-Anne Magnès, Bucarest 1995, Actes XIV p.323)


Peut-on en effet émettre un soupçon de nostalgie ?

« L’ordinateur a-t-il des ratés ? Laissera-t-il en somme intact le douloureux, salutaire et créateur supplice de la page blanche ? Autrement dit, le multimédia sera-t-il profitable au travail de la pensée ? »

(Jeanne Ogée, Neuchâtel 1997, Actes XV p. 55)


Le rêve des chercheurs, exprimé ci-après, ne contient-il pas des menaces pour cette même pensée ?

« Il y a aujourd’hui convergence entre les sciences cognitives, qui étudient la manière dont notre cerveau nous permet de connaître le monde, la linguistique, qui étudie comment chaque langue utilise le cerveau, et l’informatique, qui a besoin de formaliser les structures… L’enjeu de ces recherches est (…) le traitement automatique du langage (…) en attendant, peut-être un jour, la traduction automatique.. » !

(Jacqueline Picoche, Bucarest 1995, Actes XIV p. 157)


Ainsi se clôt le multimédia, où la poésie tente de pallier l’excès de rigueur.



Le français et les langues partenaires


‘Langues partenaires’ ? Quand ce concept apparut-il en Francophonie et comment fut-il défini ?

En 2001, ce furent les ministres de la Culture des États et gouvernements réunis à Cotonou en 2001 qui définirent le concept de langue partenaire et ses objectifs dans La Déclaration et le plan de Cotonou : « Une langue partenaire est une langue qui coexiste avec la langue française et avec laquelle sont aménagées des relations de complémentarité et de coopération fonctionnelles dans le respect des langues nationales. »

Voici l’objectif du plan :

« Assurer la mise en place de politiques linguistiques et de structures appropriées favorisant le développement harmonieux de la langue française et des langues partenaires » et aussi

« consolider leur rôle comme vecteurs d’expression des créateurs, de développement, d’éducation, de formation, d’information, de communication de l’espace francophone. »

Le terme « partenaire » fut choisi pour éviter les ambiguïtés des termes « langues du Sud », « langues nationales », « natales » et même « véhiculaires »… désignant un ensemble varié de langues aux statuts différents.

Le programme concernait d’abord les langues africaines et créoles, mais il vit se greffer un partenariat avec les langues telles que l’espagnol, le portugais, l’arabe ; puis avec les langues des pays de l’Est de l’Europe (le bulgare…) et même de l’Asie (le vietnamien…), en fait « toutes les langues présentes dans la Francophonie institutionnelle ».

Il s’agissait pour les Réseaux spécialisés :

« - d’assurer le développement des langues partenaires ;

Enfin était évoqué « le partenariat développé entre les Trois espaces linguistiques francophone, hispanophone, lusophone. »

(d’après Louis-Jean Rousseau, La Rochelle 2003, Actes XIX p.13)



Les leçons de l’histoire : le jeu politique


« Cette histoire n’est pas (…) celle d’un partenariat paisible ». En témoignent des exemples d’importance très différente selon les populations concernées et les langues en cause :


est sans doute le plus parlant et fut le plus longuement étudié, en particulier « l’évolution des droits linguistiques en Acadie de l’Atlantique depuis deux cents ans. » « Les diverses tentatives pour donner un statut à la langue française au XIXe et au XXe siècle n’aboutirent aux lois sur le bilinguisme que dans les années 1960. »


(Il est doux de rappeler que la première Université de langue française fondée à Moncton (Nouveau-Brunswick) en 1963 reçut en 1977 la VIIe biennale de la langue française, présidée par son créateur le recteur Jean Cadieux et dont le thème fut Langue française et identité culturelle et aussi que la loi 101 du Québec lui fut annoncée le jour même du vote.)


Mais « l’impression que la communauté acadienne francophone –surtout au Nouveau-Brunswick- est dynamique et en expansion cache une fragilité, voire un déclin de la francophonie. »

(Maurice Basque, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 30)


De son côté, Denis Monière avoue sa « perplexité devant le concept de langues partenaires », où il voit plutôt « des langues concurrentes ». Le bilinguisme ne progresse que chez les Francophones. « Si le Québec résiste à ce déclin, c’est grâce à la Loi 101 adoptée en 1977 », mais l’immigration des Anglophones, les forces politiques jouent en défaveur des Francophones. « Vivre en français hors Québec est devenu utopique. »

(Denis Monière, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 32)


Une voix tempère ce pessimisme :

« Malgré l’influence de leur voisin américain, les Canadiens sont friands de produits culturels et d’œuvres créés au pays. Ils sont des modèles d’innovation et de vitalité (…) Les Canadiens sont fiers du caractère multiculturel de leur pays (…) Ils regardent l’avenir avec optimisme et vigilance. »

(Norman Moyer, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 33)


Un autre partenariat ne s’offre-t-il pas aussi dans l’exemple canadien avec les langues amérindiennes ?

L’amérindien Michel Noël, avec foi et talent, parla à la Sorbonne en 2002 de la rencontre du français et des cultures amérindiennes.

Pour Charles Mavaut, le voyage célébrant en 2003 « la commémoration de l’arrivée de Champlain… connut un des moments les plus marquants… à l’inauguration d’une sculpture, œuvre conjointe d’un Innu et d’un Canadien… en hommage à l’accueil réservé à Champlain par les Amérindiens. »

Et de rappeler aussi « le colloque organisé par Michel Tétu où un Chef Innu, gardien indéfectible de la tradition orale, reçut le doctorat d’honneur de l’Université Laval à Québec. »

(Charles Mavaut, Brouage-La Rochelle 2003, Actes XIX p.43)



« Peut-on parler de partenariat entre le français et les langues africaines » (Marcel Diki-Kidiri). « N’est-ce pas un rêve ?, un concept utopique ?  Ne faudrait-il pas appeler langues auxiliaires  les langues

africaines ? » (Boukaré Konseiga)

Marius Dakpogan voit trois périodes linguistiques au Bénin « Une période de bon voisinage utilitaire entre les langues du terroir, celles des missionnaires et des commerçants européens, puis une période coloniale qui interdit les langues locales, enfin, à l’indépendance, le retour en force des langues locales. »

(Marius Dakpogan, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 14)


Ce schéma s’applique à bien d’autres pays de la mouvance francophone.

« Le souci plus récent de repenser l’espace francophone et la Francophonie en partenariat » semble liée « aux processus de démocratisation en Afrique et à l’effondrement du bloc soviétique (…) qui, en plaçant les États-Unis et l’anglais en position dominante, oblige le français à (s’impliquer) toujours plus en Afrique. »

« À ce point, l’histoire rejoint l’actualité. »

(Marcel Diki-Kidiri, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 14)


Chaque partenaire doit assumer sa responsabilité :

« La langue française cohabite avec nos langues dont on dit qu’elles sont partenaires. Mettons donc en œuvre ce partenariat. »

(Abdou Diouf, Cotonou, Actes XIX p. 16)

Mais « c’est une triste ironie de l’histoire de voir que c’est à l’époque coloniale que le français était une langue partenaire des langues nationales au Congo-Kinshasa (…) même si ce n’était pas pour de bonnes raisons. »

(Atibakwa Edema, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 16)


L’arabe, langue partenaire ?


« Qualifiés de vieilles connaissances, le français et l’arabe ont souvent croisé leur route, ce qui a donné naissance…à un partenariat historique des deux langues. Les mots français d’origine arabe occupent le troisième rang après le latin et le grec dans le vocabulaire (Un millier de mots). Des mots aussi courants que « chiffre, algèbre, sirop, café, babouche, sultan, talisman ». Et l’argot a adopté « maboul, toubib, nouba,…. kif-kif ». etc. » Ces mots figurent dans les dictionnaires.

« Mais le partenariat (…) est aussi échange, voire osmose… L’arabe a assumé le rôle d’incontournable transmetteur du savoir grec de la civilisation arabo-musulmane… d’Avicenne et autres Averroès… »

Plus tard, « le transfert des sciences et des technologies vers le monde arabe, dans sa partie francophone, s’est fait essentiellement par la langue française. »

Sans oublier le partenariat juridique : « Le français a ceci de particulier, grâce au rayonnement du Code Napoléon, d’être (…) une source commune du droit des pays arabes, aussi bien francophones qu’anglophones. »

(Ridha Mezghani, La Rochelle 2003, Francophonie vivante 2003 p.250)


Le jeu politique des pays de la francophonie a donc prévalu depuis l’origine. Le rapport qui s’est créé entre les diverses langues mène aujourd’hui beaucoup de ces pays à reconsidérer le jeu linguistique et à l’aménager au bénéfice de leurs langues et de leurs cultures.



L’aménagement linguistique



À la lumière de tous ces partenariats, la question « Qu’est-ce qu’une langue ? » peut être posée et aussi qu’est le plurilinguisme ? C’est « l’entrelacement des parlers, des variétés ou des systèmes linguistiques en permanente interrelation. »

(Cécile Canut, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 21)


Ridha Mezghani donne en exemple « le dialecte tunisien constitué (…) d’arabe, de berbère, de français, de turc, d’italien, d’espagnol, de portugais, de grec »… et d’autres langues !

Il serait facile de dresser une liste aussi longue pour le français, à côté du fonds primordial latin et grec !



Dans l’exemple sénégalais, sur « plus de vingt langues africaines en usage, dont six dites nationales, le français demeure la langue officielle, avec une langue nationale dominante, le wolof. » … « Le réel effort du Sénégal pour promouvoir ses langues nationales est nécessairement entravé par le maintien du français comme unique langue des Centres de décision »

(Chérif Mbodj, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 16)


N’en est-il pas de même dans les autres pays africains ? Par exemple, au Bénin : « La nécessité pour les jeunes de maîtriser leurs langues nationales avant d’étudier le français est aujourd’hui une évidence. »

(Marius Dakpogan, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 17)


Ce que confirme Herman Zoungrana pour le Burkina Faso :

« On constate que l’éducation bilingue peut être une réelle alternative … au développement de nos sociétés (…) "Cinq principes fondateurs" lient l’éducation, la production, les racines linguistiques et culturelles, le rôle des parents et les droits de l’enfant… Sept langues nationales sont enseignées en bilinguisme avec le français. »

(Herman Zoungrana, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 17)


« Au Burkina, le français, à la sauce locale épicée, le mooré, le dioula, mêlés donnent leur style aux jeunes musiciens … et servent aux transactions dans les centres urbains … et aussi ruraux. »

(Boukaré Konseiga, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 15)


Et des outils s’élaborent. Le projet Dico +, « L’édition de dictionnaires trilingues comportant chacun le français et deux langues africaines » offre « en fait trois vrais dictionnaires où 15 000 mots de chaque langue » sont présentés et analysés.

(Mwata Ngalasso, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 17)


Mais « combien, du côté des anglophones, le travail avance » alors que « le traitement des langues africaines (est) rarissime en Francophonie ! »

(Marcel Diki-Kidiri, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 17)


Ces travaux prennent en compte aussi la nécessité de traduire dans les langues africaines les grands domaines de la recherche scientifique la plus avancée, comme l’a montré Cheik Anta Diop en 1975, dans un article intitulé : « Comment enraciner la science en Afrique ? » Et l’activité terminologique qui en découle a prouvé à bon nombre de Sénégalais « que leurs langues sont capables de s’adapter à toutes les exigences de la vie moderne. »

(Chérif Mbodj, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 19)



Surgit alors, pour le français même, la question envisagée à Jersey à la VIIIe biennale : Une langue française ou des langues françaises ? , question à laquelle Senghor répondit que « le français universel  pouvait se nourrir des variantes dialectales. »

C’est donc aussi le problème de la résurgence de l’intérêt pour les langues régionales , tel qu’il se pose à l’heure actuelle en France, en particulier du breton, dont Christian Pelletier rappelle « la réelle coexistence, duelle, conflictuelle » avec le français depuis deux cents ans. « Le mot ‘baragouin’ (bara = pain, gwin = vin), au sens de langage incompréhensible utilisé par Rabelais, donne un exemple dépréciatif du breton dès le XIVe siècle. »

(Christian Pelletier, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 22)


Ces variantes propres au pays considéré sont « la manifestation de la vigueur du français, par exemple en terre africaine », comparable à l’effort du Québec « pour assimiler, copier, transformer des mots, pour nommer le froid…, la nature nordique, ou … le secteur hydroélectrique. » « Même si l’avenir du français est dans la diversité, il ne faudrait pas qu’il dérive dans toutes les directions, sans guide, sans norme et sans cohésion. »

(Michel Tétu, La Rochelle 2003, Actes XIX pp. 18-19)


Quel est donc le rôle d’une langue ?


« Chaque langue tend à s’identifier à un territoire (…), ce qui, pour certains, justifie, dans la mondialisation à venir, l’idée d’une langue unificatrice, une lingua franca qui reléguerait les autres langues à être des langues vernaculaires ou nationales. »

D’où le constat pour Joseph-Yvon Thériault de la coexistence d’une langue de société, « propre à un groupement humain, » et d’une langue de contact, « utilitaire et universelle. »…

« Le problème posé au français » est qu’il ne peut guère se reconnaître dans l’une ou l’autre possibilité. Ce serait nier « la pluralité et la diversité des sociétés qui partagent le français » d’une part, ou accepter de voir « le français devenir une simple commodité » d’autre part.

(Joseph-Yvon Thériault, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 23)


Le jeu hétérogène des pratiques langagières dans tout pays francophone d’Afrique n’est pas sans rappeler « l’ironie quelque peu amère de ce qui se passe en Europe avec le français. (…) Devant la prétendue nécessité d’une langue unique, le français aux yeux de certains n’a plus qu’un rôle de langue de culture locale. » (…) « Le français trouvera-t-il des langues partenaires » pour s’opposer au monolinguisme réducteur, à la pression du tout anglais ? (Roland Delronche, La Rochelle 2003, Actes XIX pp. 14-15)


Écoutons encore ce cri d’alarme : « L’anglais va-t-il devenir la cinquième (ou la première) langue nationale de la Suisse ? »

« Notre langue bute – un Romand dirait « s’encouble » – dans des complications inutiles, et pendant ce temps l’idiome américain, dans son inventivité anarchique … (avec) l’assurance que lui donne la puissance de son pays, progresse jusqu’à menacer les cultures européennes… La Suisse est l’exemple , voire le laboratoire de la subversion. »

(Jean-Marie Vodoz, Neuchâtel 1997, Actes XV p. 443)


« La Francophonie doit donc inventer et faire vivre au français un rôle de contact international, imprimant à la mondialisation un ton (qui reflète) les sociétés qui le partagent. (…) C’est la place du français dans la Communauté européenne qui est en jeu. Si la tendance des milieux français à faire de l’anglais la langue naturelle de l’Europe se poursuit, la Francophonie s’éteindra nécessairement. »

(Joseph-Yvon Thériault, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 23)


« Selon divers rapports, voici l’alternative pour l’emploi des langues à l’Union européenne :

(Roland Delronche, La Rochelle 2003, Actes XIX p. 24)


Si donc, selon Cheik Anta Diop, « la possibilité du discours scientifique au plus haut niveau en langue africaine a été démontrée », …

« combien ce texte est porteur de leçon pour le français lui-même au regard de l’idée insensée que les sciences n’ont qu’une seule langue, l’anglais des États-Unis… ! »

« L’essentiel se joue à Bruxelles et la XXIe biennale qui s’y réunira en 2005 y servira le français et la Francophonie. »

(Roland Eluerd, La Rochelle 2003, Actes XIX pp. 20 et 24)


N.B. : Les citations de ce chapitre émanant pour la plupart de la synthèse des travaux de la biennale de La Rochelle (Actes XIX) peuvent différer un peu des textes originaux sans en déformer l’idée.