Imprimer

La Culture universelle et la diversité linguistique


« Qu’est-ce donc que la Culture ? C’est, par définition, l’ensemble des connaissances – mais aussi des disciplines – acquises qui permettent à l’esprit de développer le sens critique, le goût, le jugement. (…) Elle est tournée vers l’action. (…) Bref, la culture, c’est l’autocréation de l’homme. J’aurais pu dire l’humanisme… Comme le dit un proverbe wolof : C’est l’homme qui est le remède de l’homme, c’est-à-dire sa mesure et sa solution, (…) proverbe nègre qui fait la synthèse de Platon : L’homme est la mesure de toute chose, et de Térence (…) Rien de ce qui est humain ne m’est étranger. »

(Léopold Sédar Senghor, Menton 1971, Actes I p. 256)


En écho, à Dakar : « À Montréal, à Dakar, en Wallonie, en Val d’Aoste, en Valais, …, j’ai rencontré, j’ai écouté des hommes qui s’exprimaient dans ma langue natale ; … ce commun sésame m’ouvrait des trésors inconnus.. J’accédais à des découvertes, à des perspectives nouvelles où je reconnaissais ma propre humanité, … enrichie de traditions vénérables, de sensibilités différentes et pourtant fraternelles. »

(Jacques Chastenet, Dakar 1973, Actes II p. 10)


Traditions et sensibilités ainsi détaillées au Maghreb qui offre :

« Une dimension proprement historique,… culturelle…

« Un sens de la dignité dans la misère et la pauvreté…

« Un sens de la pudeur et de la réserve…

« Un sens de l’opprimé, du petit et du pauvre…

« Un sens de la solidarité…

«  Un sens de la patience-endurance…

« Un sens de l’absolu…

Dans cette littérature, l’homme passe l’homme…Écrivant en français, les auteurs maghrébins sont en quelque sorte des hommes-frontière… »

(Jean Dejeux, Dakar 1973, Actes II p. 324)

« Partant de là,… je voudrais élargir le débat dans deux directions : la politique et la morale. La politique pour agir ; la morale pour comprendre et animer l’action. (…) Roger Caillois l’a dit excellemment : Tout s’appuie dans une civilisation, le précepte, le poème et le monument, le jardin, la fête et la vertu. »

« Ce n’est pas la généralisation de l’anglo-américain, ni en tant que modèle de genre de vie, ni en tant que langue commune… qui rétablirait la situation actuelle (…) où la dénaturation de notre langue n’est qu’un morceau d’une démolition où tout est lié, jusqu’à la dégradation des mœurs touchant tout l’Occident… »

(Jacques Le Cornec, Lausanne 1981, Actes VII p. 123)


Ne trouve-t-on pas la même crainte, liée au même espoir dans les lignes suivantes ? :

« Un slogan de mai 68 proclamait qu’on ne tombe pas amoureux d’une courbe de croissance. (…) On n’apprend pas une langue pour lire un bon de commande. (…) La langue est la porte royale pour découvrir la civilisation et la culture. (…) Quand une langue peut offrir au monde les écrits d’un Réaumur ou d’un Voltaire, d’un Rousseau ou d’un Lavoisier, elle n’a pas d’inquiétude à se faire pour son avenir. »

(Roland Eluerd, Marrakech 1987, Actes X p.199)


Dans le sillage de la Culture, le dialogue des Cultures, le choc des Cultures, l’exception culturelle, la diversité culturelle hantèrent les biennales. Ainsi, voici de nouveau Senghor :

« Si les temps sont changés, et les intérêts, le problème de la Culture reste le même, et.. l’UNESCO a lancé l’idée de dialogue des Cultures. (…) J’ai la conviction que nous insufflerons à notre confédération culturelle la volonté de (…) s’atteler à l’essentiel : à l’extension et à l’approfondissement de ce fonds culturel commun. (…) Pour réussir, il n’est que d’accorder nos différences pour en faire une symbiose. (…) Chacune de nos Cultures se reconnaîtra en naissant à l’Universel. »

(Léopold Sédar Senghor, Echternach 1975, Actes III p. 40)


Ne faut-il pas craindre le choc des Cultures ?

Qu’en est-il dans les sociétés africaines ?

« La déclaration des droits de l’homme de 1948 dit que toute personne a droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer aux progrès techniques... »

« Même si un anthropologue a dit qu’il y a plus de cinquante définitions de la Culture,(…) le choc des Cultures se situe au niveau de cette définition de la Culture.

« Car si l’homme prend part à la Culture, il est donc hors de la Culture. En Afrique, l’homme est la Culture. (…) Chacun joue un rôle précis et c’est cela qui constitue la Culture. (…) L’empereur n’a aucun pouvoir exécutif, il est esclave de la coutume. D’où l’expression : Le roi règne mais la Culture gouverne.

« Pour beaucoup de ceux qui ont analysé les sociétés africaines, les génocides ne seraient ou ne sont que le résultat d’un attentat grave à l’équilibre fixé par les Cultures.

« Dans les pays en voie de développement, (…) il faut avoir le souci constant de concilier le progrès, la justice et la société traditionnelle dans le respect des valeurs culturelles. »

(Maître Titinga Pacéré, Hull-Ottawa 2001, Actes XVII p. 496)


« Pour moi, le choc des Cultures, c’est d’abord un choc de générations. Je suis d’une génération née dans un espace où il n’y a plus de frontières, où il n’y a plus cette forme de culture nationale, ethnique, tribale, une sorte d’enfermement culturel, qu’on se retrouve cependant à devoir défendre,… alors que la mondialisation a commencé à prendre le pas.

On est en train de confondre Culture et patrimoine culturel. (…) Je persiste à croire que la Culture est une réalité mouvante, une réalité en marche. »

(François Bugingo, Hull-Ottawa 2001, Actes XVII p. 500)


« Il suffit de regarder le paysage français. (…) On voit se rencontrer, se heurter quelquefois des cultures différentes. (…) Il me semble que ce processus préfigure l’avenir.

« Le romancier et poète antillais Édouard Glissant a développé le concept de créolisation, qu’il théorise comme une rencontre, un choc (…) de différentes cultures (…) dont la résultante préfigure ce monde nouveau qui serait baroque, polyphonique… »

(Jacques Chevrier, Hull-Ottawa 2001, Actes XVII p. 509)


Métissage ?

« Cette question du métissage est pour moi fondamentale : il faudrait que tous les gens en soient fiers, puisque nous sommes tous métissés…

« Les Cultures sont fragiles… Pour les Amérindiens, la mondialisation a eu des effets très bénéfiques. Ces gens n’avaient jamais eu la parole ! Elle leur ouvre des portes (…) pour parler d’eux-mêmes et de leur Culture.

« Les jeunes que je connais ont à peu près tous les mêmes préoccupations, un problème d’identité considérable ; le choc des Cultures, pour eux, touche à la sacralité, à la spiritualité. »

(Michel Noël, Hull-Ottawa 2001, Actes XVII p. 504)


Que penser alors de l’exception culturelle ?

« Dès qu’on parle d’exception, (…) cela signifie qu’une Culture est supérieure, qu’elle doit régenter le monde… J’estime que toutes les Cultures se valent (…) Il faudrait un minimum d’équilibre et de considération réciproque entre les nations et les hommes,…il faut leur permettre cette expression de leur Culture. »

(Maître Titinga Pacéré, Hull-Ottawa 2001, Actes XVII p. 504)


« C’est un concept nouveau,… mais un concept un peu dangereux. La Culture peut être la meilleure ou la pire des choses, …la meilleure quand elle permet à des Communautés de retrouver leur identité, mais elle peut être dangereuse, quand elle aboutit à un narcissisme de l’identitéÀ ce moment-là, les identités peuvent devenir meurtrières. (Aamin Maalouf) »

(Jacques Chevrier, Hull-Ottawa 2001, Actes XVII p. 503)


« L’exception culturelle est un concept apparu lors de négociations d’ententes économiques… De plus on ne parle que de la Culture au sens de l’art ; or la Culture englobe beaucoup plus, elle est la mémoire collective d’un peuple. La diversité culturelle, en tant que richesse d’un patrimoine commun, est un principe beaucoup plus intéressant pour concevoir la mondialisation. »

(Marie-Claude Sarrazin, Hull-Ottawa 2001, Actes XVII p. 505)


« La Conférence mondiale sur les politiques culturelles à Mexico en 1982 souligne que les rencontres de cultures qui s’imbriquent, se reconnaissent mutuellement comme valeurs peuvent être des plus salutaires pour tous les groupes sociaux, pour s’élever et se construire.

« En ce sens, la Biennale de la langue française apparaît… par ses expressions plurielles d’analyses, de réflexions, (…) comme une culture générale des cultures et bien placée pour restituer aux valeurs culturelles leur place centrale dans la vie de l’homme. »

(Maître Titinga Pacéré, Hull-Ottawa 2001, Actes XVII p. 498)


La diversité culturelle et donc linguistique fut bien au cœur des biennales, qui cherchent « à continuer à construire, avec des jeunes, la vision de ceux qui ont fondé la Biennale, d’amener la culture et la langue françaises au lieu qui leur convient dans le siècle qui s’ouvre. »

(Norman Moyer, Hull-Ottawa 2001, Actes XVII p. 513)


Que résonne une fois de plus, dans l’Europe élargie, l’appel de Michel Bruguière en 1978 : « Pitié pour Babel » devenu un leitmotiv et repris par Roland Eluerd : « « Il faut sauver Babel ». Le terrain de notre combat, nous le connaissons tous, c’est le monde. (…) Qui viendra nous dire que le français n’est pas une des langues qui sont à la mesure du monde ?… Faisons en sorte que la francophonie introduise un espace de respect des diversités linguistiques, un espace de désordre somme toute, ce désordre où Tocqueville voyait le ferment de la liberté et de la démocratie véritable. »

(Roland Eluerd , Neuchâtel 1997, Actes XV p. 499)


C’est à La Rochelle que Moustapha Tambadou, Premier Conseiller du Ministre de la Culture du Sénégal, présenta, comme un hommage à Senghor, un nouveau projet de réseau culturel :

« Les thèmes de notre biennale sont la part de vin que nous avons offerte à la terre pour inviter Senghor à partager notre banquet…

La mondialisation (…) menace de se résumer (…) à un seul modèle socio-culturel (…), bien loin de la Civilisation de l’Universel que Senghor (…) a appelée de ses vœux.

Heureusement… nous résistons.

(Le projet) mis en place par le Réseau international sur la Politique culturelle (RIPC) que (…) l’Unesco a favorablement accueilli (…) est un moyen de défense de la diversité culturelle face aux négociations commerciales internationales.

Le Conseil de l’Europe, le groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) – 78 États liés à l’UE) – , l’Union européenne, soutiennent les objectifs du RIPC.

La Biennale de la langue française (…) reste l’un des gardiens des frontières dont a parlé le Président de la République Jacques Chirac, lors d’une réception qu’il a bien voulu offrir à la délégation du RIPC » :

(Moustapha Tambadou, La Rochelle 2003, XXe biennale)


« Il y a des frontières que la mondialisation n’a pas le droit d’abolir. Ce sont celles qui nous permettent de passer d’une culture à une autre, qui nous apprennent qu’il n’y a pas une langue mais des langues, que l’universalité s’incarne dans le particulier et que nous devons conserver cette richesse comme l’un des biens les plus précieux de l’humanité. »

(Le Président de la République française, Jacques Chirac)