Biennale de la Langue Française

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L'Association

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Association fondée en 1963 par
Alain GUILLERMOU
Président de 1963 à 1993
Association accréditée de statut consultatif
près de l’Organisation internationale de la Francophonie

Objectifs et vocation
par Roland ELUERD, président*

Les objectifs de la Biennale de la langue française n'ont jamais été des objectifs ponctuels. Il suffit de considérer les thèmes des quinze premières biennales pour comprendre qu'ils abordent les principaux aspects de l'usage d'une langue comme le français. En traitant à Bucarest en 1995 des autoroutes de l'information, la Biennale a montré qu'elle était attentive à son époque. En traitant à Neuchâtel en 1997 du multimédia et de l'enseignement du français, elle a montré avec éclat qu'elle sait porter un regard nouveau sur une question évidemment ancienne. Les biennales du changement de siècle et de millénaire, celles de 1999 et de 2001, montreront qu'elles sont bien les " états généraux de la langue française " . Pour cela, demain comme hier, nos raisons doivent être claires, nos moyens évalués, nos objectifs délimités.

D'abord, soyons nets : notre action est un combat. Rien de belliqueux dans la définition ! Pour reprendre les belles paroles de Félix Leclerc : " Mes généraux sont des rivières et mon état-major le vent ". Il convient simplement d'annoncer la couleur. Nous n'avons vocation ni à momifier, ni à déplorer, ni à censurer, ni à nous taire. Nous avons la volonté d'agir et la volonté de réussir. Ce combat n'est pas le combat du français contre l'anglais. C'est le combat de la diversité des langues contre l'uniformité du tout anglais. La Biennale de la langue française approuve et soutiendra toute défense et promotion de cette diversité, en particulier dans le fonctionnement de toutes les institutions de l'Europe qui naît. Elle soutiendra aussi la promotion d'un authentique plurilinguisme dans les études avec ce qu'il suppose d'équilibre entre les langues enseignées, d'échanges, de jumelages, de bourses, etc.
Toujours et partout, le projet d'une langue unique est un projet totalitaire. On peut le vêtir des beaux habits du commerce ou des sciences, il reste totalitaire. On peut le parer des affriolants atours de la modernité ou de l'efficacité, il reste totalitaire. En 1992, au Collège de France, Umberto Eco proposait de " réévaluer Babel ". L'Association des informaticiens de langue française affirme ; " Il faut sauver Babel ! " J'avais repris cet appel en clôture de la biennale de Bucarest. Je le renouvelle ici.
Dans ce combat contre l'uniformité du tout anglais, la Biennale de langue française souligne qu'à dignité égale avec l'anglais il y a au moins une autre langue internationale, le français. Une langue n'est pas internationale par décret, ni par caprice du hasard. Comme la liberté, le caractère international d'une langue est le fruit d'une longue histoire. Comme la liberté, le caractère international du français n'est pas un acquit définitif. Comme la liberté, il s'affaiblit si l'on néglige de s'en servir.
D'où la nécessité de le défendre, d'où la nécessité de l'illustrer. Le défendre, c'est exiger que ce statut soit appliqué quand il existe, c'est l'exiger dans les institutions nouvelles, c'est accueillir ces institutions dans des contrées francophones, c'est gagner la partie de l'emploi du français dans les salles de conférences et dans les salles de presse, c'est la gagner aussi dans les cafétérias où de trop nombreux petits marquis de comptoir dédaignent leur langue maternelle française pour minauder doctement, donc sottement, en anglais.
Mais, à l'époque de la Pléiade comme aujourd'hui, la défense est vaine sans l'illustration. Or, l'illustration du français langue internationale, voilà un objectif qui concorde parfaitement avec les nôtres puisque - faut-il le rappeler ? - la Biennale de la langue française procède de la Fédération du français universel.

Le premier point à considérer est linguistique : soutenir qu'en face de l'anglais qui fractionne et recompose avec bonheur tant son lexique qu'une part de sa syntaxe, et assure ainsi une grande puissance à ses images, existe une langue internationale différente, une langue "non fractale" pour reprendre une expression du professeur Jean-Marie Zemb, une langue dont la syntaxe et le lexique expliquent - c'est-à-dire déplient, ouvrent les plis, ex-plicare - et assurent ainsi une fondamentale fonction critique.
Inséparables de la description de la langue, il y a ses domaines d'emploi : langue de l'économie et du commerce, langue des sciences et des techniques, langue des lois et des codes, langue des arts et des humanités... Partout, l'impérialisme d'une langue unique imposerait le totalitarisme d'une pensée unique et, conséquence inéluctable, affaiblirait la réflexion, enchaînerait les cµurs et les esprits. Des concepts extérieurs à la pensée unique, par exemple service de l'État, aménagement du territoire, solidarité mutualiste seraient réputés bizarres, vains, faux, dangereux. Peut-être finirait-on par nous convaincre qu'être libre signifie être libre de se débrouiller et non, comme nous le savons depuis Socrate et Rousseau, obéir aux lois qu'on a, en conscience claire et souveraine, choisies.
Inséparables de la langue et de ses domaines d'emploi, il y a les acteurs. Ne nous trompons pas d'adversaires : ce ne sont évidemment pas les Américains ou les Britanniques, ce sont les tenants du tout-anglais et beaucoup sont francophones. Ne négligeons pas nos alliés : beaucoup sont citoyens du Royaume-Uni ou des États-Unis.
Ne négligeons surtout pas nos partenaires. À l'égard des pouvoirs publics nous ne devons pas être de simples consommateurs de subventions : nos propositions doivent indiquer des caps, nos critiques corriger des oublis ou des dérives, notre aide permettre la mise en µuvre des lois et des décisions. Á l'égard des entreprises, soyons de vrais partenaires. Le programme est clair : non pas leur donner des leçons de grammaire et de bon usage mais leur prouver que le mécénat linguistique est un bon média pour leur image, les convaincre que la langue peut être un argument de vente.
Reste le terrain de notre combat. Nous le connaissons tous : c'est le monde. Certes, ce terrain nous ne l'avons pas choisi les premiers et nous avons souvent l'impression que le tout-anglais nous l'impose pour mieux assurer son triomphe. Un examen plus attentif montre que le tout-anglais n'a rien choisi, qu'au fond il n'avait pas le choix, que cet espace était le seul à la mesure de ses ambitions. Eh bien, cette mondialisation, cessons de la craindre, retournons la à notre profit. Car enfin qui viendra nous dire que le français n'est pas une des langues qui sont à la mesure du monde ! Faisons en sorte que, dans le cybermonde monolingue que certains veulent nous imposer, le français exprime une autre vision de l'univers et des activités des hommes. Faisons en sorte que dans le cybermonde lisse et ordonné que certains préparent, la Francophonie introduise un espace de respects des diversités linguistiques, un espace de désordre somme toute, ce désordre où Tocqueville voyait le ferment même de la liberté et de la démocratie véritable.

Voilà le projet que je vous propose. Le combat n'est certes pas facile. Mais l'enjeu est capital. Et puisqu'il est d'usage de finir par une citation, je vous en livre une. Elle est de Jean-Jacques Rousseau. Elle brille de la rigueur d'un français admirable de limpidité et de force :

" Où le droit et la liberté sont toutes choses, les inconvénients ne sont rien. " (Du contrat social, III, XV)


* Extraits du discours de clôture de la XVIIe biennale, prononcé à Neuchâtel le 25 août 1997.


L'ENTREPRISE DES BIENNALES
par Jeanne Ogée, vice-présidente d'honneur

L'aventure des biennales reflète le combat de la francophonie pour sa pérennité. Car les francophones croient "aux vertus essentielles par lesquelles la langue française véhicule une civilisation, plus exactement une culture", ces vertus essentielles que Léopold Sédar Senghor réunit sous le vocable de "francité".

Comme il le fut développé à Moncton en 1977, et à Tours en 1985 pour le vingtième anniversaire des biennales de la langue française, cette aventure vaut d'être vécue parce que l'enjeu en est ce qui fait partie en nous de l'essentiel, notre mode de pensée, notre façon d'être et d'agir, en somme notre identité culturelle. Et, si notre langue nous est nécessaire pour être vraiment nous-mêmes, francophones de souche, que disent d'elle ceux qui la parlent en étant fils d'autres cultures? Dans le concert des voix francophones domine la voix qui lui fait le crédit de ne pas s'opposer à l'épanouissement de ceux qui l'ont choisie ou qui en ont hérité. Elle leur permettrait même, dit-elle, de féconder la culture française en se prêtant à leur action créatrice. Ainsi en serait-il, selon L. S. Senghor, de l'arabité et de la négritude. La culture africaine fait don à la culture française de la "forêt de symboles" ( Léon Nadjo, d'après Baudelaire) qui lui sert de références et d'où naissent dans la langue française des images et des rythmes inconnus. De même la joie et la plainte créoles, la délicatesse asiatique nous apportent leurs richesses. Ces cultures qui ont adopté la langue française renouvellent le fond français, nourri de la vigueur toujours renaissante des provincialismes de France, des savoureuses identités wallonne et suisse, de la personnalité québécoise et acadienne, poétique et rude comme l'horizon du Nouveau Monde.

La langue française épouse les cultures, en devient plus riche et plus capable encore de les traduire, à condition qu'elle conserve, dans la diversité, ses qualités et ses ressources propres, sa clarté, sa propriété et son unité pour laquelle luttent les francophones et dont les biennales font un leitmotiv.

Forte de cette mission qu'elle se donne, et de cette vertu qu'on reconnaît à lalangue française de rendre transparentes la pensée et l'action, la francophonie oeuvre pour redonner à la langue française son rôle international, à la langue des sciences sa renommée de précision et de finesse, pour conserver à la langue du droit sa rigueur, pour donner à la langue des affaires un sceau qui lui soit propre, tous domaines - étudiés lors des biennales - où l'esprit de la civilisation française a fait ou peut faire merveille, à côté des vertus pragmatiques de l'anglo-américain.

Ce serait en effet un grand tort de cantonner l'identité culturelle française dans ce qui ne représente qu'une part de son patrimoine, les lettres et les arts. Sans les renier, en affinant nos attributs, en reconquérant la poésie et la chanson, il ne convient pas de laisser l'étranger nous enfermer dans cet aspect de notre identité, ni de céder aux sirènes anglo-saxonnes dans notre vie de chaque jour, ce qui nous appauvrit et déforme notre culture.

Au fil des biennales, nous voyons les francophones reprendre les armes des idées, où ils excellent, réfléchir pour transmettre aux jeunes la foi en l'avenir des valeurs culturelles de la langue française par un enseignement de valeur. Cette tâche exaltante requiert des francophones un engagement quotidien. Leurs préoccupations à ce sujet sont grandes, à quelque point cardinal qu'ils se trouvent, en un siècle où les puissants auxiliaires que sont les médias et la télématique risquent de véhiculer et d'implanter des modes de pensée incompatibles avec le leur. Ils voient le péril et cherchent la parade, qui est la maîtrise des moyens de communication, sachant bien que la qualité de leur vie dépend en partie de la qualité de leur langage et des valeurs que celui-ci transmet, puisqu'ils sont les fils de leur langue.

Chaque domaine étudié depuis trente ans est pour les biennalistes l'occasion d'émettre des voeux - et la liste en est longue - comme une sorte de défi lancé aux gouvernements, aux usagers, d'agir avec célérité et efficacité. Sans être toujours entendus, les biennalistes sont la conscience francophone, chargée de clamer le danger, à chaque fois qu'il en est besoin. Et leur voix porte loin, même si elle dérange.

La défense et l'enrichissement de la langue française font donc partie de leur lutte journalière. Et, dans une Europe qui s'élargit, où les langues romanes et la langue grecque représentent une force d'avenir, les fidèles de la culture française retrouvent dans les origines de leur langue une raison d'espérer, un but et un moyen pour sauver les idées auxquelles ils croient et qui seront -s'ils y tiennent assez - les idées de l'Europe de demain. Celle-ci reprendrait alors son rôle d'hier, porteur d'humanisme universel, dont la francité serait une composante essentielle.


 

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« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93