Biennale de la Langue Française

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LANGUE FRANCAISE ET LANGUES PARTENAIRES

Marius DAKPOGAN
Secrétaire général de l'Association des professeurs de français pour l'Afrique et l'Océan Indien (APFA-OI)

INTRODUCTION

Pourquoi langue française et langues partenaires ? Le concept est tout nouveau, délicat et peut-être paradoxal. Il convient donc de l'aborder avec assez de circonspection car parler de français et de langues partenaires dans un contexte africain paraît quelque peu utopique. En effet, le mot partenaire implique des notions d'association, de complémentarité, de solidarité et parfois même d'égalité. Par exemple, sur une aire de jeu, les joueurs d'une même équipe se complètent équitablement pour défendre leur camp contre l'adversaire ou pour aller à la conquête de la victoire. Dans le domaine des civilisations, est-il opportun de parler de langues partenaires, vu que chaque langue véhicule une culture propre au groupe auquel elle appartient ? Le titre de notre communication est bien ambigu puisque d'un côté, il y a la langue française et de l'autre, les langues partenaires. La langue française, à elle toute seule, devient partenaire d'une multitude d'autres langues, africaines notamment. Dans ces conditions plusieurs notions entrant dans le jeu du partenariat risquent de s'estomper et de remettre en cause la substance même de notre propos. C'est pour éviter de glisser trop facilement sur la pente combien abrupte de la polémique sur le sujet que nous avons tenu à poser ces quelques préalables avant d'aller à l'essentiel.

Notre étude abordera la question dans ses aspects historique, politique et didactique.

I- LE FRANÇAIS AU BENIN

I-1 La période précoloniale

L'introduction des langues étrangères en Afrique et au Dahomey (actuelle République du Bénin) fut l'œuvre des explorateurs occidentaux notamment, les Portugais, les Anglais et les Français. En même temps que ces explorateurs utilisaient leurs langues pour commercer avec les Noirs, ils s'efforçaient aussi d'apprendre les langues locales. Les missionnaires, en particulier, s'étaient illustrés dans cet exercice en traduisant en langues locales, les textes religieux. Les relations des langues du terroir aux langues étrangères étaient fondées sur le bon voisinage. On pouvait alors parler de respect mutuel et même de partenariat puisque le désir des uns et des autres de se comprendre, de communiquer était fondé sur des intérêts communs : les échanges commerciaux. La première école française fut installée à Porto-Novo, capitale administrative du Bénin en 1865. En 1894, le Dahomey devient une colonie française avec pour conséquence directe, l'imposition du français comme langue officielle.

I-2 Le français pendant la période coloniale

Désormais, le français, langue officielle du Dahomey, est imposé dans les écoles, au détriment des langues nationales dont l'usage est perçu comme un comportement de sauvage. Au nombre des moyens utilisés pour asseoir l'hégémonie de la langue française, figure le fameux signal ou symbole selon le cas. Le symbole était un objet quelconque, un gravillon, un morceau de bois, un petit os que le maître confie à un élève, avec pour instruction de le remettre au camarade qu'il surprendra en train de s'exprimer dans sa langue maternelle. En plus des châtiments corporels sauvages, infligés pour les leçons de grammaire non sues, les fautes commises pendant les redoutables épreuves de dictée, les élèves devaient, pendant les heures de récréation, éviter à tout prix de parler leur langue maternelle au risque de recevoir le diabolique signal. Le décrivant, Bernard Dadié écrit dans Climbié 1 : " C'est un cauchemar ! Il empêche de rire, de vivre dans l'école car toujours on pense à lui. On ne cherche, on ne guette que le porteur du symbole… Le symbole a empoisonné le milieu, vicié l'air, gelé les cœurs ". Son introduction dans les écoles procédait de la volonté du Blanc d'y supprimer l'usage des langues nationales au profit exclusif du français. L'école devenait ainsi le terrain privilégié d'affrontement entre le français et les langues africaines : un combat inégal où l'une des protagonistes avait été simplement désarmée pour faciliter la victoire de l'autre. Cet acharnement contre les langues nationales explique à bien des égards, les raisons des déperditions scolaires. A l'époque, seuls les plus endurants des élèves parvenaient à franchir l'ultime étape du certificat d'études primaires élémentaires. Les plus doués avaient droit aux études secondaires. L'école elle-même très sélective, donna alors naissance à la classe de l'élite. La langue française représentait pour les intellectuels, les lettrés tout court, la clé qui ouvre toutes les portes. Elle a permis à ceux qui la maîtrisaient d'être proches du Blanc, d'avoir une promotion facile dans l'administration, la politique, les affaires. Les premières élites politiques africaines étaient les produits de l'école coloniale. Ainsi, c'est dès l'implantation de l'école française au Dahomey, que s'est opérée la fracture sociale qui a mis d'un côté les lettrés ou ''cols blancs'' ou ''akowé'' avec tous les avantages liés à leur pouvoir magique de manier la langue du Blanc et de l'autre côté, l'immense foule des analphabètes, condamnés au mutisme, à la soumission et à l'exploitation par l'élite.

I-3 Statut du français après l'indépendance

En accédant à l'indépendance le 1er août 1960, le Dahomey a conservé le français comme langue officielle. Cette décision a maintenu le fossé entre les ''AKOWES'' et les analphabètes. Toutefois les langues nationales ont commencé par émerger timidement. Les religions leur accordent une plus grande importance ; les politiciens les utilisent autant qu'ils le peuvent pour s'attirer les suffrages des masses populaires ; les musiciens, les hommes de théâtre préfèrent s'exprimer dans leurs langues, plus aptes à véhiculer leurs messages en direction du plus grand nombre. Dans les écoles, le fameux symbole a progressivement disparu et il n'est plus interdit aux élèves de s'exprimer dans leurs langues maternelles. On leur conseille plutôt, pour faciliter la maîtrise du français, de multiplier les occasions de communication dans cette langue. La chaîne nationale de radiodiffusion utilise les langues du pays dans ses émissions sur l'hygiène, la santé et les conseils aux agriculteurs. Les femmes, le monde rural constitués pour la plupart d'analphabètes tiraient grand profit de ces séquences radiophoniques où une part de plus en plus appréciable était accordée à la culture et à la distraction. Les plages horaires réservées aux contes, devinettes, proverbes, aux disques demandés en langues nationales retenaient tout particulièrement l'attention de leurs auditeurs. Mais c'est seulement grâce au déclenchement de la Révolution marxiste léniniste du 26 octobre 1972 que les langues nationales vont être réellement revalorisées. Pour être effective, cette revalorisation a nécessité un certain nombre de dispositions dont voici quelques-unes :

  • La création de la Direction de l'alphabétisation et de la presse rurale, du ministère de l'alphabétisation et de la culture populaire supprimé et depuis peu devenu Direction nationale de l'alphabétisation, démembrée en directions départementales ;
  • la création de journaux en langues nationales avec l'aide de la coopération suisse ;
  • la création des centres d'éveil et de stimulation de l'enfant (CESE), véritables écoles maternelles où les enfants de 3 à 5 ans s'imprègnent dans leurs langues nationales, destinées selon les dispositions légales à devenir un véritable outil d'enseignement ;
  • la traduction de la loi fondamentale dans les langues nationales ;
  • l'élection à l'assemblée nationale révolutionnaire, (Parlement) d'analphabètes et l'utilisation des langues nationales dans cette instance de représentation du peuple ;
  • la naissance de l'Association béninoise des écrivains en langues nationales (ABEL) ;
  • la création de la commission nationale de linguistique (CNL), devenue centre national de linguistique appliquée (CENALA) sous la tutelle du Ministère de l'éducation nationale ;
  • la création à l'Université nationale du Bénin devenue Université d'Abomey-Calavi, du Département d'études littéraires et de linguistique (DELL) successivement changé en Département des études littéraires et de tradition orale (DELTO) puis en Département des sciences du langage et de la communication (DSLC) ;
  • la réalisation de l'atlas sociolinguistique national avec 52 langues répertoriées ;
  • l'interdiction, à la radio nationale, de diffuser les chansons de variétés européennes au profit exclusif des chansons en langues nationales. Cette mesure encourage, la production par les jeunes orchestres modernes, d'une multitude de chansons en langues nationales.



Par ailleurs, l'envoi de nombreux étudiants béninois dans les pays non francophones va encourager l'utilisation des langues étrangères autres que le français.


I-4 La revanche des langues nationales 2

L'une des conséquences du renouveau démocratique amorcé en 1990, est la libération par l'Etat de l'espace audiovisuel. Désormais, existent sur toute l'étendue du territoire national, plusieurs dizaines de stations de radio de proximité. Ces radios sont d'obédience religieuse, commerciale ou non commerciale. Toutes utilisent abondamment les langues nationales dans des émissions aussi variées et aussi intéressantes les unes que les autres. Ces émissions sont pour la plupart des satires politiques d'une rare causticité. Aux heures de ces émissions très appréciées, les auditeurs se précipitent sur leurs postes. Partout, dans les marchés, les boutiques, dans les services publics ou privés, dans les taxis, les autobus et même entre les mains des piétons, les postes de radio fonctionnent et diffusent leurs messages. Les auditeurs s'en régalent à qui mieux mieux. Les faits divers, les problèmes politiques et même les nouvelles internationales sont connues de tous les Béninois, qu'ils comprennent le français ou non, pourvu qu'ils maîtrisent une langue nationale. Ainsi, les langues nationales ont fini par ravir au français, non pas son statut de langue officielle mais son hégémonie séculaire. Les temps ont donc changé et le français est condamné, pour vivre dans les pays francophones d'Afrique, de tisser une relation de partenariat avec les langues nationales.

II- POUR UNE NOUVELLE APPROCHE DIDACTIQUE

II-1 Les constats

La longue période d'hégémonie du français sur les langues nationales n'a pas permis d'évaluer scientifiquement les méthodes utilisées pour son apprentissage et les résultats obtenus. On a constaté que, malgré le temps assez long utilisé pour enseigner cette langue (six ans à l'école primaire et quatre à sept ans au secondaire), de nombreuses lacunes persistent. Tout se passe comme s'il existe au niveau des apprenants, un facteur qui développe la résistance à la pénétration facile du français dans leur l'esprit. Les nombreux échecs scolaires et les déperditions qui les accompagnent sont perçus comme une énorme perte sur le plan budgétaire. On en recherche les causes mais pas toujours à l'endroit où il faut. C'est seulement maintenant que l'on parle de langue française et de langues partenaires. Pourtant, des constats qui ne trompent pas existent. Des instituteurs chevronnés se sont aperçus que les jeunes élèves, issus des milieux analphabètes et n'ayant jamais eu un contact préalable avec le français avant d'entrer à l'école à 7 ans, se comportaient mieux face à la langue que leurs camarades des villes dont les parents sont instruits. Ils maîtrisaient mieux le français et se révélaient très aptes à affronter les épreuves de calcul. Ils étaient souvent les mieux classés dans les lycées après le concours d'entrée en sixième. Les enfants des parents lettrés, très tôt mis en contact avec la langue française avaient des lacunes assez sérieuses. A l'école, ils n'étaient pas les plus brillants pendant que leur maîtrise de leur milieu naturel était aléatoire du fait de la connaissance approximative de leur langue maternelle. Ce constat avait déjà commencé par indiquer aux spécialistes que la connaissance des langues nationales favorisait l'apprentissage du français. L'expérience faite au Bénin pendant la période dite révolutionnaire avec la création et l'animation des Centres d'éveil et de stimulation de l'enfant (CESE) était assez édifiante. En effet, les enfants de 3 à 5 ans qui transitaient par ces centres avant d'arriver à l'école primaire présentaient de nombreux atouts propres à l'acquisition du savoir. Très éveillés, ils n'éprouvaient aucun complexe, face à l'apprentissage du français. Ce constat et l'explosion récente des langues nationales ont déstabilisé la langue française qui, malgré son statut de langue officielle, doit collaborer avec les langues du terroir. Mais quelles stratégies adopter pour résoudre ce problème crucial ?

II-2 Les stratégies

La nécessité pour les jeunes apprenants de maîtriser leurs langues nationales avant d'étudier le français est aujourd'hui une évidence. Désormais, le français entrera dans les écoles non plus en tant que langue dominante mais comme langue partenaire. Pour faciliter cette nouvelle approche, il convient préalablement de s'appuyer sur l'atlas sociolinguistique national et d'inventorier les langues dominantes de la localité. Dès les premières années de la scolarisation, les enfants apprendront à écrire leurs langues qu'ils redécouvriront avec émerveillement. En effet, le passage de l'oral à l'écrit par un individu, surtout lorsqu'il s'agit d'un enfant est l'accomplissement d'un rêve. Lorsque cette étape sera franchie, c'est avec une réelle avidité que les jeunes apprenants chercheront à découvrir d'autres langues qu'ils sont très pressés de transcrire. C'est un peu ce qui arrive concernant les écoliers des zones rurales qui se comportent mieux en français que leurs camarades citadins. L'appétit du jeune élève pour la découverte et l'apprentissage des langues doit être exploité pour poser les jalons nécessaires à une bonne maîtrise du français.

La réussite de cette délicate mission nécessite la formation des enseignants. Ceux-ci doivent maîtriser en plus du français une ou plusieurs langues nationales introduites dans les programmes d'enseignement. Cette formation s'appuiera sur la linguistique et sur la didactique des langues. Il s'agira, en effet, de familiariser les enseignants avec les subtilités linguistiques, les interférences, et les évidentes relations entre langues et cultures. Ces relations diffèrent fondamentalement selon les langues ou au contraire se recoupent quand il s'agit de langues voisines. Ce renouveau pédagogique entraînera par ailleurs, l'équipement des écoles en matériel didactique adéquat.

II-3 Approche politique

La notion de langue française et langues partenaires est empreinte d'une connotation politique qu'il ne faut pas négliger. D'un côté, nous avons affaire au français, langue officielle, victime des coups de boutoir des langues nationales qui, semble-t-il se réveillent subitement pour prendre leur revanche sur une adversaire dont elles ont suffisamment supporté la domination. De l'autre, l'enjeu est francophone. Pour maintenir son espace géo-linguistique, la France doit soigner ses relations avec les pays, surtout africains, où l'on parle la langue française. En effet, les brassages avec les pays anglophones (le Nigeria et le Ghana) pour ce qui concerne le Bénin, les échanges commerciaux avec ces pays confirment de plus en plus l'intérêt des Béninois pour l'anglais. Ainsi le français, malgré son statut de langue officielle, est sérieusement concurrencé par l'anglais dont l'avancée n'est pas négligeable. A ce niveau, un important effort est attendu de la France qui doit éviter par ailleurs les situations comme celles du Rwanda.

CONCLUSION

La langue française, introduite dans nos pays par la force et imposée aux populations à travers le mécanisme de la scolarisation, a été longtemps considérée comme un outil de domination, d'agression et d'aliénation. Cette situation n'a pas favorisé sa parfaite intégration dans nos différents espaces culturels. Au contraire malgré tous les efforts consentis pour sa promotion, cette langue est restée le privilège d'une élite intellectuelle. Aujourd'hui, de façon consciente ou non, elle subit la riposte des langues nationales, parfois dans une tentative de rejet pur et simple. Dans ces conditions, sa survie dépend d'une nouvelle approche, fondée non pas sur des rapports conflictuels mais sur un partenariat réel. C'est ce que les uns et les autres ont compris tant sur le plan scolaire que sur celui des institutions internationales dont la Francophonie.


Notes

1. ( Bernard) DADIE, Climbié, éditions Seghers, 1956. [RETOUR]

2. Titre emprunté à une communication de YANDJOU (Gabriel), étudiant en DEA à l'UFR de lettres et de sciences sociales de l'Université de CERGY-PONOISE.[RETOUR]

 


Accréditation OING Francophonie

Sommaire des Actes de la XXe Biennale

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Vœux de la XXe Biennale

Langue française et langues partenaires

1. Le concept, les objectifs et les réalisations synthèse rédigée par Roland Eluerd

Marius Dakpogan

Roland Delronche

Atibakwa-Baboya Edema

Chérif Mbodj

Christian Pelletier

Louis-Jean Rousseau

Joseph Yvon Thériault


2. L'exemple canadien

synthèse rédigée par Alain Traissac

Denis Monière

Norman Moyer


3. Questions de traduction synthèse rédigée par Line Sommant

Claire-Anne Magnès

Mariana Perisanu


L'œuvre de Samuel de Champlain

Synthèse rédigée par Liliane Soussan

Pierre Murith

Marie-Rose Simoni-Aurembou


Présence de Senghor

Introduction

Amadou Lamine Sall

Moustapha Tambadou



A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93