Biennale de la Langue Française

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Accueil Publications Florilège des Actes 1963-2003
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Le français, langue internationale



« Le français international est tributaire du français universel, du français qui exprime tout de l’homme et de la matière, du français que j’appellerai constellaire. Expression totale d’un monde, il pourra rayonner sous d’autres cieux ».

(Charles Lussier, Echternach 1975, Actes III p. 297)


Il ne s’agit plus ici du "bon usage", de la sauvegarde du "meilleur français possible". L’enjeu a changé.

« Nous sortons de nous-mêmes, de notre confédération culturelle, pour nous placer, osons le dire, sur le plan de l’universel »

« Personne ne saurait, en toute objectivité, contester la validité de la Francophonie »

Si les hommes qui la composent « se signalent par leur nombre », c’est « ensuite et plus encore par leur attachement à une certaine manière de poser et de résoudre les problèmes, à une certaine éthique et, pour tout dire, à un certain humanisme ».

« C’est cette valeur suprême de civilisation…qui caractérise le mieux la francité et explique le rayonnement de la langue française. »

(Léopold Sédar Senghor, Echternach 1975, Actes III p. 35)


Cependant

« Il est grand temps de rompre avec quelques notions illusoires…

« Ce n’est pas la richesse d’une culture – passée ou présente – qui impose le choix d’une langue étrangère…

« Ce qui convient, c’est une langue qui sache conserver des références culturelles anciennes et s’ouvrir à des références nouvelles (…), une langue capable de jouer sur un grand nombre de registres ».

(Stéphane Hessel, Echternach 1975, Actes III p. 74)


« Le danger qui nous menace, c’est que nous utilisions une langue vivante pour les arts, la littérature et la philosophie, et que nous acceptions qu’elle devienne une langue morte pour les sciences ou les affaires. »

(Henri François Van Aal, Echternach 1975, Actes III p. 31)


Car il était déjà dit il y a trente ans :

« Ce serait mal aimer sa langue et la desservir que de mentir aux faits, en se trompant de siècle, d’atlas ou de dictionnaire…

« Le fait, c’est maintenant l’ubiquité des États-Unis, la puissance mondiale de la langue anglaise dans l’information et la documentation.. et par d’innombrables auxiliaires, attachés et experts… »

(Robert Fenaux, Echternach 1975, Actes III p. 47)


Certes, les qualités universelles de la langue française ne sont pas en cause, et de grands noms les exaltent : « Le français permet la "magistrature de l’essentiel". » (Paul VI, d’après Jean Guitton)

Le mot francophonie « a un sens mystique », « un sens géopolitique » ; « la langue française (est) non pas impératrice, mais médiatrice. »

(Xavier Deniau, Echternach 1975, Actes III p. 21)


Cependant, écoutons Alain Guillermou :

« On veut charger le concept de la francophonie de tout un ensemble de notions – où la politique n’est pas absente – qui représenteraient une sorte de message de la France au monde…Ne cherchons pas à définir en quoi le français est la langue de la démocratie, de l’économie de marché ou du droit des peuples. N’importe quelle langue peut exprimer ces notions-là. Mais veillons à ce qu’elles soient exprimées d’excellente manière. »

(Alain Guillermou, Avignon 1993, Actes XIII p. 362)


Revenons à une situation réaliste :

«  Trois tendances, apparemment contradictoires, se dessinent dans le monde des langues… : la tendance à la multiplication des langages, la tendance à l’unilinguisme ou à l’oligolinguisme, et la tendance à une hiérarchisation sélective et fonctionnelle des langues…Il convient d’appliquer à la langue française les critères nécessaires à son universalité et à sa pérennité ». Et sont définis :

  • "la fidélité" – ou l’exactitude - , "un facteur fondamental"

  • "l’efficacité", qui aide à "la créativité de l’individu"

  • enfin "la fertilité", qui se manifeste avant tout dans sa capacité de créer de nouveaux mots… »

(F.A. Casadio, Echternach 1975, Actes III p. 62)


Comment insérer dans ces diverses tendances le concept de la langue de l’Europe ?

Dès les premières biennales, trois sujets de réflexion affleurèrent.

À côté du "français universel", qui visait à sauvegarder la qualité du français dans tout pays où il était parlé, et du "français international", c’est-à-dire de sa présence au monde, un troisième sujet abordait la place du français dans l’Europe naissante, qui allait devenir l’Union européenne.


Avant même l’adhésion de la Grande-Bretagne, les opinions s’affûtèrent. On put entendre Hervé Lavenir dire « quelles chances le français avait d’être choisi (…) sans que la France ait fait entendre officiellement sa voix » puisque, pour l’Angleterre elle-même, « seul le français peut endiguer la pénétration américaine. »

(Hervé Lavenir, Comité pour le français langue européenne, Québec 1967, Actes I p. 50)


Et Jacques Le Cornec de rappeler en 1975 que les atouts de la langue française ne sont pas minces : « Elle est déjà une langue officielle dans trois États de la Communauté, la France, la Belgique et le Luxembourg ; les capitales (de l’UE) Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg sont déjà en pays de langue française ; le français est une synthèse des apports linguistiques du Sud (latin) et du Nord (germain) et il peut être le latin moderne de l’Europe unie. (…) L’extension de la langue des États-Unis d’Amérique comporte le risque d’une uniformité dont nous savons depuis Pascal qu’elle est au moins génératrice d’ennui ! »

(Jacques Le Cornec, Jersey 1979, Actes VI p. 258)


L’opinion même des jeunes, lors des enquêtes de 1977 et 2001, a évolué de façon étonnante : « En 1977, pour la grande majorité des jeunes interrogés, francophones ou non, l’anglais devait être la langue de l’Europe. En 2001, le ton changea complètement : l’anglais comme langue unique est très minoritaire et le français associé à une autre langue officielle l’emporte de loin, ainsi que le plurilinguisme. »

(Jeanne Ogée, La langue française et vous, 2003, Actes XVIII pp.191-203)

Ce vœu des jeunes fut adressé à la Commission européenne en 2003.


La voix des jeunes s’accorde ainsi à l’un des objectifs du Comité pour la langue de l’Europe : « Défendre, dans chaque pays, les langues de l’Europe face à l’influence prédominante de l’anglo-américain. »

(Jacques Nantet, Tours 1985, Actes IX p. 379)


Ce qui fixe, au fond, les limites du concept de langue internationale :

« S’il arrivait par malheur qu’une langue unique attirât tout à elle, sous quelque prétexte que ce fût, elle serait semblable à ces étoiles dont la densité vertigineuse attire tout, jusqu’à la lumière même. Mais l’inéluctable destin d’une telle étoile est de s’écrouler sur elle-même ! »

(Roland Eluerd, Lafayette 1991, Actes XII p. 194)


Si Roland Eluerd applique cette image surtout à la langue anglaise, il y voit une ligne de conduite évidente, l’adoption du plurilinguisme, qui sera une des composantes de la Culture.


Et voici ce qu’Alain Guillermou pensait déjà de l’Europe en 1973 :

« La belle histoire de la jeune Europe, fille du roi de Phénicie, dont Zeus tomba amoureux. et qu’il emmena en Crète. Les Grecs, très sensibles au choix de leur contrée par le roi des dieux, décidèrent d’appeler Europe, par opposition à l’Asie qu’elle avait quittée, le continent dont elle avait fait sa patrie nouvelle.(…) Europe, dont le regard porte au loin…

Nom symbolique des visées lointaines que nous avons comme Européens – attachés à l’unité de leur vieux continent – mais aussi comme biennalistes soucieux de leur commun langage, dont ils veulent assurer l’unité, la sauvegarde et la pérennité. »

(Alain Guillermou, Echternach 1975, Actes III p. 34)


Ces paroles d’Alain Guillermou n’étaient-elle pas, sur plusieurs points, prémonitoires ?


La place du français dans le monde, et d’abord en Europe, fut une question lancinante, souvent abordée depuis Echternach. ( Cette question doit être traitée en 2005 à la XXIe biennale, absente de ce florilège.)


Pour le plaisir, voici quelques lignes d’un lecteur de Télérama, citant L’année terrible (1871), vers de Victor Hugo, qui découvre, sur la plaine de Waterloo, « un rouge-gorge qui a fait son nid dans la gueule d’un énorme lion de bronze et qui chante :

Je compris que j’entendais chanter

L’espoir dans ce qui fut le désespoir naguère

Et la paix dans la gueule horrible de la guerre. »

(Paul Haré, Télérama, 5 mars 2003, p. 5)

 


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A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93