Biennale de la Langue Française

  • Augmenter la taille
  • Taille par défaut
  • Diminuer la taille
Accueil Les Actes de la XXIe Biennale B21 Interventions B21 S.E.M. Kadré Désiré OUEDRAOGO
Envoyer Imprimer PDF

" Le Français, langue internationale : témoignage d'un citoyen du Sud "

S.E.M. Kadré Désiré OUEDRAOGO
Ambassadeur du Burkina Faso

Mesdames et Messieurs,

Au moment où votre colloque se pose la question ô combien actuelle, à savoir : quelle place pour la langue française en Europe, il me plaît d'être parmi vous et de pouvoir prendre la parole quelques instants autour du thème général.

Mais auparavant, il me faut m'acquitter d'un agréable devoir qui est de remercier le Président Eluerd et tous les organisateurs, de m'avoir associé à cet important évènement et de me donner ainsi l'occasion de m'adresser à une si prestigieuse assemblée.

Vous vous en doutez, ce serait prétentieux pour moi, non européen, non français, de vouloir vous entretenir de la place de la langue française en Europe, ou de vous faire un exposé de linguistique, car vous en savez certainement plus que les quelques considérations que je pourrais vous développer.

Mais au nom de l'universalité de la langue française, que nous osons revendiquer comme patrimoine commun à l'humanité, j'ai décidé de prendre la parole pour tout simplement témoigner de ce que représente la langue française pour nous, en Afrique et particulièrement en Afrique francophone.

J'ai découvert la langue française sur les bancs de l'école, à l'âge de 6 ans et depuis, elle ne m'a jamais quitté.

Comme langue d'expression, le français représente, pour tous ceux en Afrique qui ont eu la chance d'aller à l'école, le premier logiciel de formulation de la pensée et de transmission du message à l'autre.

Le Français, n'est pas seulement la langue officielle de travail dans les pays anciennes colonies françaises en Afrique, elle est devenue leur forme principale d'expression et leur outil de communication avec le monde extérieur.

Car même si la langue française ne peut traduire toutes les subtilités de l'âme africaine qui s'enracine dans une autre culture, une autre façon de voir le monde, de le sentir, elle est l'instrument approprié d'expression qui colle au monde dit moderne et aux réalités de notre temps. Elle permet d'atteindre une précision que ne permettent pas les langues locales forcément produits de l'évolution et de la philosophie des sociétés dont elles sont issues, riches certes, diverses certes, mais profondément différentes du contexte et de la culture française.

Des auteurs de talents ont permis toutefois de puiser par l'outil de la langue française des valeurs communes à l'Afrique, à exprimer le vécu subconscient de l'Africain, qu'il vive sur les bords du Djoliba, du Limpopo ou du Congo.

Quand Léopold Sédar Senghor chante Joal son village, tout africain se reconnaît dans ce qu'il exprime. Quand il magnifie la femme noire, c'est aussi un sentiment panafricain fort qui est mis en lumière, ou dans " Nuit de Sine " lorsqu'il évoque, je cite :

" Là-haut les palmes balancées qui bruissent dans la haute brise nocturne A peine. Pas même la chanson de nourrice. Qu'il nous berce, le silence rythmé. Ecoutons son chant, écoutons batte notre sang sombre, écoutons Battre le pouls profond de l'Afrique dans la brume des villages perdus. Voici que décline la lune lasse vers son lit de mer étale Voici que s'assoupissent les éclats de rire, que les conteurs eux-mêmes Dodelinent de la tête comme l'enfant sur le dos de sa mère Voici que les pieds des danseurs s'alourdissent, que s'alourdit la langue des chœurs alternés. C'est l'heure des étoiles et de la nuit qui songe S'accoude à cette colline de nuages, drapée dans son long pagne de lait Les toits des cases luisent tendrement. Que disent-ils, si confidentiels, aux étoiles ? Dedans, le foyer s'éteint dans l'intimité d'odeurs âcres et Douces ".

Lorsque dis-je, tout africain entend ces vers, il saisit tout de suite ce qu'a voulu exprimer l'auteur, par-delà la diversité des langues nationales.

Il en est de même pour des écrivains tels que Aimé Cesaire, Camara Laye , Mongo Beti, Olympe Beli Quénum, Cheik Amidou Kane, Amadou Kourouma et j'en passe.

Comme langue de communication, le français est devenu tout simplement indispensable. Dans nos pays où se côtoient souvent 60 langues différentes et parfois plus, il est le trait d'union commode qui rassemble tous les habitants du pays et contribue à forger le sentiment national.

Et c'est avec fierté et émerveillement que l'on découvre que la langue française est considérée par tous comme la langue de la liberté, depuis que celle-ci fut inscrite en lettre d'or dans la devise de la République française, qu'elle est devenue la langue qui a proclamé les droits de Homme et qu'elle est celle d'illustres écrivains et penseurs qui ont montré au monde le chemin de la liberté et de la démocratie. Ne serait-ce que pour cela, la langue française mérite d'être célébrée et promue.

Mais l'on découvre avec autant de plaisir que c'est la langue de communication par excellence, attentive à l'autre conscience des autres civilisations, tolérante à en oublier parfois sa propre défense. C'est sans doute pour cela que la langue française est considérée, à juste titre, comme langue de la diplomatie.

Et j'en viens maintenant à la langue française, langue de la modernité. Le potentiel scientifique et technique des pays de langue française permet à cette langue de pouvoir saisir et traduire jusqu'aux dernières évolutions de la science et de la technique dans le monde.

Pour nos pays d'Afrique d'expression française, la langue française est un trait d'union et une langue de construction de l'intégration régionale car elle permet d'arriver facilement à la compréhension mutuelle grâce à la similitude de l'expression. Qui plus est, la langue française a grandement contribué au rapprochement entre les 16 pays de l'Afrique de l'Ouest dans leur volonté de bâtir une CEDEAO forte et prospère.

En effet, cet ensemble regroupe des pays francophones, anglophones et lusophones. Et la langue française a contribué à faciliter l'intégration en groupe des pays de l'UEMOA dans l'ensemble plus vaste que représente la CEDEAO. Elle facilite cette intégration en préservant la spécificité de la pensée, de la tradition administrative et judiciaire.

Ayant moi-même assumé par le passé d'importantes responsabilités au sein de la CEDEAO, organisme d'intégration des Etats de l'Afrique de l'Ouest, je pourrais citer plusieurs cas où les subtilités de la langue française ont permis aux délégations des 16 pays de parvenir à des consensus qui n'étaient pas si évidents au départ. Mais tel n'est pas le but de mon propos qui vise à simplement mettre en lumière la richesse de la tradition administrative française que la langue porte admirablement.

Le Français langue d'avenir ; comment ne pas le penser quand on sait que cette langue, en dehors de la France, est parlée par des nations jeunes en Afrique ou en Asie. Pour ne citer que le cas spécifique du Burkina Faso, ce pays a une population d'environ 12 millions d'habitants, avec un taux d'accroissement de 2,7% par an et près de 50% de sa population a moins de 15 ans. Bien que ce pourcentage soit appelé à se modifier à la baisse au fur et à mesure de l'allongement de l'espérance de vie suite aux progrès de la médecine et des retombées du développement, l'on peut penser que la population de francophones en Afrique va s'accélérer rapidement dans les décennies à venir. Bien implantée au sein de jeunes sociétés en expansion, l'on peut alors parier que la langue française est assurément une langue d'avenir.

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de conclure mon propos en évoquant avec vous les défis et les enjeux que doit affronter la langue française par rapport avec son lien avec les peuples du Sud.

Nul doute que la langue française, qui comme toute langue, est profondément enracinée dans une riche culture, est indissociable de cette culture et de son histoire. De même, les langues nationales de tous les pays qui ont adopté le français comme langue de travail et de communication, demeurent-elles des valeurs ancrées au plus profond de leur culture propre. C'est dire que la langue française sera d'autant plus riche qu'elle côtoiera ces langues et ces cultures autres, si différentes.

D'où l'importance de défendre la diversité culturelle. L'Organisation Internationale de la Francophonie ne s'y est d'ailleurs pas trompé, elle qui est à la tête de la bataille pour la protection de la diversité culturelle. On doit le dire avec force, les langues nationales africaines ne doivent pas mourir, mais au contraire vivre pour participer à l'enrichissement collectif de notre patrimoine commun qu'est la langue française.

Mais ces langues nationales ne pourront être préservées que si les Etats sont capables de relever le défi de l'éducation et de l'alphabétisation. La Francophonie doit donc être un espace de solidarité capable de garantir dans ses pays membres une avancée décisive de l'éducation et de la formation avec ce que cela suppose comme support matériel, humain, technique et financier.

C'est pourquoi je me réjouis que l'OIF ait décidé de ne pas être seulement un ensemble culturel, mais un organisme qui participe activement au développement économique et social dans ses pays membres, sans oublier le volet politique et institutionnel.

Ensuite, il faut une plus grande ouverture des pays développés francophones à l'égard de ceux du Sud en matière d'échanges économiques, et surtout de formation universitaire et de recherche. Il faut que l'étudiant du Sud trouve plus facilement accès aux universités du Nord ou mieux, qu'il soit aidé comme c'est déjà le cas, mais insuffisamment à mon avis, par les bourses d'études ou de recherche dans les universités francophones. Il faut que l'homme d'affaire, l'entrepreneur francophone, puisse avoir des accès facilités à ses partenaires extérieurs grâce à un assouplissement approprié des politiques d'immigration qui tendent à devenir de véritables cloisons étanches entre les peuples.

Il faut que la langue française soit bien insérée dans le monde moderne, qu'elle s'adapte aux besoins de la science et des nouvelles technologies, qu'elle soit une langue d'innovation pour permettre à la jeunesse de s'en servir comme portail d'accès au savoir universel.

Et puisqu'une langue doit vivre, la langue française doit éviter de s'enfermer dans un ghetto. Elle doit s'affirmer sans complexe, s'ouvrir largement aux autres langues dans le respect et la tolérance. Si une langue vit, elle doit être prête à échanger, c'est-à-dire, à emprunter et à prêter.

Je crois personnellement que la langue française et prête à cet échange, que ce soit en Europe ou partout dans le monde.

Je salue au passage les médias francophones qui font un travail formidable de défense de la langue française et investissent la toile électronique et l'espace télévisuel international. Dans un monde où le développement des techniques de communication et d'information permettant de décloisonner des régions entières autrement inaccessibles, ils doivent assurer ainsi l'accès à la langue française. C'est un mouvement à encourager pour que vive et prospère le français, au grand bonheur des francophones et de tous ceux qui aiment cette belle langue.

Je vous remercie.

S.E.M. Kadré Désiré OUEDRAOGO
Ambassadeur du Burkina Faso
 

Accréditation OING Francophonie

Sommaire des Actes de la XXIe Biennale

Les Actes 2005 de la
XXIe Biennale de la Langue française

Accueil

Sommaire

Séance d'ouverture
Jacques De Decker
Philippe Roberts-Jones
France Bastia
Roland Eluerd

Voeux

Quelle place pour la langue française en Europe ?


Synthèse rédigée par Roland Eluerd

En Europe et en Francophonie
Stéphane Lopez
Erich Weider
Alain Vuillemin

Sous le regard du monde
Jean R. Guion
Kadré Désiré Ouedraogo

Politiques et linguistique
Robert Collignon
Louise Beaudoin
Philippe Busquin
Manfred Peters
Jeanne Ogée

Regards européens
Claude Truchot
Frank Wilhem
Marc Wilmet

Le rôle des professeurs de français
Janina Zielinska
Raymond Gevaert
Robert Massart

Pour une rencontre des langues et des cultures
Mariana Perisanu
Françoise Wuilmart
Jacques Chevrier

Regards nord-américains
Alain-G. Gagnon
Victor Ginsburgh
Joseph-Yvon Thériault

Querelles à surmonter
Michel Ocelot
Edgar Fonck

Langue et littérature françaises de Belgique
André Goosse
Jean-Marie Klinkenberg
Jean-Marie Pierret

Poésie francophone

Claudine Bertrand
Eric Brogniet
William Cliff
Marc Dugardin
José Ensch
Jacques Izoard
Amadou Lamine Sall
Claire Anne Magnès
Philippe Mathy
Selcuk Mutlu
Anne Perrier


A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93