Biennale de la Langue Française

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Amadou LAMINE SALL

Né en 1951, poète sénégalais. Amadou Lamine Sall est un des plus importants poètes de l'Afrique francophone contemporaine. Léopold Senghor a dit de lui qu'il est le poète le plus doué de sa génération. Lauréat des Grands Prix de l'Académie Française, il est Fondateur de la Maison Africaine de la Poésie Internationale. Il préside aux destinées de la Biennale internationale de poésie à Dakar, au Sénégal.

Bibliographie :

  • La Mante des aurores, Nea-1979.
  • Comme un Iceberg en flammes, Nea-1982
  • Femme fatale et errante, Locataire du Néant Nea-1988
  • Kamandalu - 1990

Mon pays n'est pas un pays mort

" Chacun ici est un héros avant de naître " Néruda

Mon pays n'est pas un baobab nocturne
une herbe noire une fleur froide
un fruit anémique une terre agenouillée

Mon pays n'est pas une route coupée
une chaussée pourrie au ciel boueux

Mon pays n'est pas dans l'urgence des vautours
il est dans la foulée des tigres et
le lion a encore la mâchoire qui brûle et le ventre en flammes

Mon pays n'est pas un pays mort
mais elle est pourtant morte la mémoire
mort le sang dans la case des hommes pressés
et le rêve de ceux qui ont cru dompter l'alphabet court nu dans les rues
et les enfants ne jettent même plus des pierres à ce lambeau de rêve...

Mon pays n'est mort que dans la hâte de ceux qui marchent
sur les chemins de mirages les yeux glauques l'horizon cupide

Mon pays n'est mort que dans les fils de l'impatience
les fils malicieux de la politique les sidéens du pouvoir dans
la malaria et le paludisme des urnes
les fils arqués de la politique les bergers à venir mais si fatigués déjà comme
de vielles peugeot des années de jazz

Mon pays n'est mort que dans les rois du midi et
les princes des oracles qui mûrissent le trône en
eux avant le maïs et l'arachide
les terrasses d'or avant la paille de chaume des toits de Sine
la chaise de satin avant le tabouret de termitière

Mon pays n'est mort que dans les fils surdoués des feux de brousse
qui dévorent jusqu'aux refuges des lépreux aux portails fastes des banques

Ce pays mon pays n'est mort que chez les morts d'avant les lampes
car elles arrivent elles arrivent les grandes lampes
arrivent les fauteuils de soie les canapés de laine
dans les taudis des banlieues
arrivent les rideaux rouges et pourpres
arrivent les bronzes rares les toiles des enfants d'Oussouye
les livres des enfants du Fouta
arrivent les sourates les chants grégoriens les libations
arrivent les femmes les hommes d'un siècle nouveau
d'un temps d'espérance

Mon pays n'est pas un pays mort
malgré les fourmis et les fatigues les cafards
les sommeils lents les réveils taraudés
les souliers usés les chaussettes soumises aux
faims des rats les orteils au vent

Mon pays n'est pas mort malgré les journaux aux manchettes de fin du monde
l'Afrique décrétée inapte jusqu'à la fin du monde- mais enfin
si enceinte de vergers rares-
le France comptable de sa tendresse et vivant seule son dépit amoureux
l'Amérique la frousse pleine les yeux mais triomphant dans l'acier de ses bras

Mon pays n'est pas un pays mort
malgré les cuisines vides dans la solitude d'un oignon
d'une pomme de terre verdâtre comme d'un méchant quolibet

Mon pays n'est pas un pays mort
une cargaison puante mais une marée haute d'épices et d'encens
il vit ce pays se tourne et se retourne et danse et pleure et chante
dans l'angoisse pourtant infinie que masse une foi infinie
que consolent une cloche un minaret le regard velouté d'une maman infinie

Mon pays n'est pas un pays défunt
il ne porte comme la vie que les pas lourds d'un soldat endeuillé
d'un enfant amputé
comme la vie le sourire au gingembre d'une femme que la beauté honore
il est bien debout mon pays grave beau et fort

Mais il est vrai que les fleurs si belles meurent
toujours un soir ou est-ce un matin je ne sais plus...
reste alors le parfum qu'elles ont laissé
mais puisse ce parfum habiter la nostalgie des coeurs irriguer le vertige
être le remontoir de nos sens de nos vies nourrir l'avenir sinon
sinon elles seront vraiment mortes les fleurs mortes toujours
mortes pour rien mort aussi le triomphe du jour de gloire

Et l'oubli monstrueux qui se lève tragique
comme une tendresse décapitée
une malédiction brutale dressée comme une lance...

Mon pays n'est pas un pays mort mon pays n'est pas un murmure
Son peuple au front d'étoiles et à la bouche de sel
est un océan qui ne s'annonce plus
une mer haute féconde navigable pour toutes les fraternités du monde

Chacun sait ici pour quoi alors nous serons toujours vivants

Poème inédit, janvier 2004

Noces célestes pour Sedar

Sédar
tu t'es donc inscrit à l'horaire des songes
oeil doux du crépuscule sur les Almadies
quand l'horizon boit le dernier bleu de l'océan

Dans l'auguste demeure depuis bien
longtemps les oiseaux sont venus nombreux
sur les marches de la piscine vendre leur nostalgie au silence des étoiles
ouvrir leur robe dans la lumière du couchant et la caresse des alizés mais ne
chantent plus
depuis que l'enfant de Joal courtise loin
nostalgique vieux beau et triste
les jardins de l'hiver normand
qu'il réchauffe de sa mémoire réserve de soleil brûlant
allégeance de troupeaux et sourires de lamantin

Ayo Sédar
et les yeux de brousse ont
dévoré jusqu'à la barbe des baobabs

Sédar
ton peuple tenant la main de ton armée t'a porté et honoré

Gloire à toi Sédar
qui fis de ce peuple un peuple d'alexandrins
gloire à toi qui installa le même Dieu dans le coeur de tous les fidèles
et qui ensemble les enfants de Mohamed d'Insa et de Moïse
gloire à toi qui fis du clocher du minaret et du bois sacré notre
maison notre même table
gloire à toi l'étalon de Gnilane et de Diogoye l'oiseau de Djilor le nid totem
de Joal
gloire à toi qui mis le coeur de ton peuple dans le coeur des
autres peuples et continents du monde
gloire à toi mon sérère mon arc de cadences mon nègre noir de toutes les couleurs

Devant ton corps couché pas une voix pas un pas une langue n'ont manqué
pas une étoile ne s'est dérobée au deuil du ciel
et devant toutes les nations rassemblées sont venus les enfants de l'amour
sont venus les enfants de la trahison à qui je sais tu as pardonné
et alors ton nom a été sanctifié ton oeuvre louée et chantée
et tous nous avons bâti une maison d'or dans chaque coeur pour toi seul

Ayo Sédar
ils t'ont couché dans un cercueil de bois rouge
tu étais bordé de soie blanche lavé parfumé

Et dans la foule parmi le peuple
j'ai marché tremblant jusqu'à toi mon cœur dans mon ventre

Tu dormais beau comme un dieu de jardin
tu étais la terre entière le ciel entier

Tu dormais
visage de tonnerre et d'arc-en-ciel ton visage beau et ferme
et tu as souri enfin pour moi pour moi tout seul tu as souri
comme jadis quand tu me confiais paume à paume la clé de la Cité des mots
ensorceleurs
comme jadis quand tu me posais sur ton cœur pour que la poésie ne meure

Sédar
c'est toi le poète qui fis le premier de ce pays un pays libre
pays debout une République debout un baobab debout
et dans la cathédrale Sédar dans la cathédrale
tu habitais chaque pierre
ange et dieu du vitrail
tu chantais Sédar tu chantais et les orgues se pamaient
toi qui aimais tant les messes dans le petit matin des chants grégoriens
tu chantais et nous pleurions
tu chantais et la douleur montait tu chantais
alors que les chorales s'ouvraient la gorge
coeur polyphoniques et
Julien Jouga si présent dans la douce rumeur des coeurs
et ta Sopé Sédar
ta Sopé muse de lumière à la tristesse de basalte mais
belle et bleue lampe d'or mélopée de blé

Sédar
de mes jeunes pousses de troubadour
tu as fait un arbre de patience et d'humilité

Qui
mais qui donc hormis tes enfants durs et malicieux de la politique
je dis les enfants de l'oxygène je dis les enfants naïfs de l'émerveillement
je dis bien tes enfants dompteurs de soleils et de tigres
tes enfants gardiens des phares

Dors Sédar dors
nous veillons sur les circoncis

Dors Sédar dors
nous veillons pour que tu entendes bruire l'eau au loin sous Joal un jour près
de Philippe

Dors Sédar dors
nous ferons de la normande bleue nos paupières chaque jour au petit matin

Dors
nous gardons les parchemins nous lirons tous les livres
nous ferons de l'alphabet du grain pour notre peuple
pour que ne s'éteigne jamais l'Esprit

Dors Ségar dors
avec tes paysans nous partagerons le pain l'espoir et la pluie têtue
et avec eux nous ne combattrons pas la machine
comme tu le voulais nous ne combattrons pas la machine

Dors
toi le bras armé de la race noire toi la main qui a dit oui à tous les peuples du
monde

Dors Ségar dors
toi que j'ai tant aimé et qui nous manques déjà tellement...

Amadou LAMINE SALL
 

Accréditation OING Francophonie

Sommaire des Actes de la XXIe Biennale

Les Actes 2005 de la
XXIe Biennale de la Langue française

Accueil

Sommaire

Séance d'ouverture
Jacques De Decker
Philippe Roberts-Jones
France Bastia
Roland Eluerd

Voeux

Quelle place pour la langue française en Europe ?


Synthèse rédigée par Roland Eluerd

En Europe et en Francophonie
Stéphane Lopez
Erich Weider
Alain Vuillemin

Sous le regard du monde
Jean R. Guion
Kadré Désiré Ouedraogo

Politiques et linguistique
Robert Collignon
Louise Beaudoin
Philippe Busquin
Manfred Peters
Jeanne Ogée

Regards européens
Claude Truchot
Frank Wilhem
Marc Wilmet

Le rôle des professeurs de français
Janina Zielinska
Raymond Gevaert
Robert Massart

Pour une rencontre des langues et des cultures
Mariana Perisanu
Françoise Wuilmart
Jacques Chevrier

Regards nord-américains
Alain-G. Gagnon
Victor Ginsburgh
Joseph-Yvon Thériault

Querelles à surmonter
Michel Ocelot
Edgar Fonck

Langue et littérature françaises de Belgique
André Goosse
Jean-Marie Klinkenberg
Jean-Marie Pierret

Poésie francophone

Claudine Bertrand
Eric Brogniet
William Cliff
Marc Dugardin
José Ensch
Jacques Izoard
Amadou Lamine Sall
Claire Anne Magnès
Philippe Mathy
Selcuk Mutlu
Anne Perrier


A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93