Biennale de la Langue Française

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XXVIIe BIENNALE DE LA LANGUE FRANÇAISE

PARIS 14-16 SEPTEMBRE 2017


Littératures d’Afrique Francophone :

Entre appropriation et réinvention de la langue Française.

Charline Effah


Introduction :


L’écrivain francophone est au cœur d’un dialogisme culturel et linguistique. Influencé de part et d’autre par sa culture d’origine (langues maternelles comme le fang, le punu, le téké au Gabon, le bassa, l’éwondo, le bamiléké au Cameroun, le fon au bénin, le mina au Togo, le wolof au Sénégal pour ne citer que ces langues…) et sa culture/langue d’emprunt/d’adoption qui est le Français. Pour beaucoup d’écrivains d’origine africaine, la langue maternelle demeure encore la langue d’inspiration c’est-à-dire celle avec laquelle il pense, différente de la langue d’écriture, langue-véhicule, langue-passerelle que l’écrivain convoque pour écrire.


L’écriture est donc le domaine de la transversalité, de la rencontre, de la dualité.

Et cette dualité est au centre même du rapport que l’écrivain d’Afrique francophone entretient avec sa langue d’écriture qui est le français et comment cette dernière va être ‘tropicalisée’, ‘dialectisée’, ‘malinkisée’ pour faire émerger une écriture de l’entre d’eux. Une façon de dire le monde, de le sentir, le traverser propre à ces espaces littéraires.


Notre propos ici ne vise pas à relancer la fâcheuse question sur l’Africanité ou non des écrivains africains, chacun étant libre de se définir selon son esthétique et ses influences littéraires. Notre intention est toute simple et va s’articuler autour de deux principales interrogations. Comment l’écrivain francophone rencontre-t-il la langue française lui fait allégeance, épouse ses formes narratives, sémantiques, linguistiques les plus strictes. Et pourquoi et comment la nécessité d’une langue transgressive, désolidarisée, décomplexée surgit-elle dans l’espace littéraire francophone ?


Il y a plusieurs Afriques, Il y a différents rapports à la langue française qui s’expliquent par l’histoire particulière de ces peuples, les contextes historiques et politiques qui les traversent, le poids des traditions, la rencontre avec l’occident qui ne s’est pas faite de façon univoque au sein des nations africaines. Pour étayer cette pensée, nous partirons de deux auteurs incontournables souvent évoqués dans de nombreux travaux à cause des rapports particuliers qu’ils ont entretenu avec la langue Française. Mongo BETI et Ahmadou KOUROUMA.



Mongo BETI : Le diktat d’une langue épurée et classique


Pour Mongo BETI, « la langue Française est à comparer à un véhicule dont on se devrait d’en faire une utilisation optimale dans toutes les fonctions qu’elle pourrait assurer. » (1)


Il est impossible d’écrire en enfreignant les codes de la langue Française. L’auteur prône une langue classique, épurée, soucieuse du respect des règles grammaticales, fidèle aux codes syntaxiques. Mongo BETI qui est agrégé de lettres classiques critique avec une certaine virulence une écriture locale.

Bien d’autres écrivains francophones comme Mongo Béti, se sont inscrits dans cette logique d’une esthétique littéraire qui se pliait aux canons esthétiques occidentaux pour plusieurs raisons parfois justifiées et parfois insolites aussi par exemple il fallait montrer qu’ils pouvaient écrire aussi bien, sinon mieux que les écrivains de l’hexagone par l’usage d’une parfaite syntaxe et d’un choix lexicologique qui n’autorisaient que très peu de mots locaux. C’était le souci de la bienséance qui prévalait en ces temps-là. Avant 1968 c’est-à-dire avant la publication des Soleils des indépendances.


Ahmadou KOUROUMA : vers l’usage d’une langue libérée et démythifiée


 « L’écrivain francophone procède par trois étapes au cours de sa création. Il désémantise le mot en le vidant de sa substance, de ses valeurs traditionnelles, il dérange le lecteur dans l’univers linguistique qui lui est familier. Deuxièmement il charge le mot de nouvelles valeurs qui laissent une impression de flou, mais secouent l’attention du lecteur en suscitant la curiosité. Pour terminer, il replace le lecteur dans son univers linguistique habituel et celui-ci prend connaissance de nouvelles valeurs que véhicule le mot. Désormais, à chaque apparition du mot, la complicité auteur-lecteur est scellée ; cette complicité sera fondée sur la trahison de la langue d’emprunt et sur les mécanismes d’expression de la langue maternelle du romancier » Makhily Gassama


En 1968, Ahmadou Kourouma publie les Soleils des Indépendances et vient ainsi bousculer les codes d’une langue normée telle que défendue par Mongo BETI.

Un roman à contre-courant d’un point de vue sémantique, lexicologique et narratif de la pensée des littératures francophones en ce sens qu’il surgit comme une sorte de transgression vis-à-vis des normes académiques de la langue Française. Une écriture plus émancipée, mélangée, malinkisée, tropicalisée, africanisée qui inaugure la naissance des littératures africaines postcoloniales. D’ailleurs cette rupture vaudra au roman d’être refusé par des éditeurs Français et sera publié une première fois au Québec.

Intégrer dans les textes les éléments des langues locales en transcrivant les proverbes, les adages, les expressions courantes. Casser les codes syntaxiques, intégrer des néologismes, réinventer la langue c’est non seulement se la réapproprier mais c’est fondamentalement la réinventer dans une vision idéologique (s’affranchir du diktat de l’Hexagone, mettre la langue au service de la satire sociale) et esthétique.

Si Kourouma et Sony Labou Tansi sont cités comme les grands défenseurs de cette esthétique revisitée, Mongo Béti, le classique d’hier, se fera lui aussi prendre au piège d’une langue plus tropicalisée par exemple dans son roman Branle-bas en noir et blanc où l’influence de l’éwondo, sa langue maternelle, la description des personnages de son espace linguistique, l’usage d’un lexique local vont interférer sur son écriture au départ se voulait plus classique.


S’approprier et réinventer la langue française a donc été une démarche qui s’est d’abord inscrite dans le respect d’une bienséance qui a été ensuite vite talonnée par le souci d’écrire avec son histoire, son âme, ses références sociales et linguistiques pour donner naissance à une autre forme de langue hybride peut-être, marginale qui sait, mineure, c’est à voir mais en tout cas qui participe à sa manière au rayonnement de la langue Française dans les espaces qui l’ont en partage.




Bibliographie


La langue d'Ahmadou Kourouma, ou, Le français sous le soleil d'Afrique Broché – 1995

de Makhily Gassama. Editions Karthala.

Les soleils des indépendances Poche – 3 octobre 1995

de Ahmadou Kourouma. Editions Points

Branle-bas en noir et blanc (02) Broché – 13 janvier 2000

de Mongo BETI (Auteur), Editions Julliard.

 

Accréditation OING Francophonie

Sommaire des Actes de la XXVIIe Biennale

SOMMAIRE DES ACTES DE LA XXVIIe BIENNALE

Livre XXVII : Choisir le français aujourd’hui dans les études et les métiers.

Sommaire

Roland ELUERD

Loïc DEPECKER

Patrice HENRIOT


Choisir le français, mais quel français ?

Line SOMMANT

Charline EFFAH


Réflexions sur les méthodes de l'apprentissage du français

Lamia BOUKHANNOUCHE

Renlei WANG

Nadia ORIGO


Pourquoi choisir le français au Maghreb et en Afrique?

Mohamed TAIFI

Amel DJEZZAR

Marianne CONDE SALAZAR

Souad BENABBES


Écrire en français 1

Yves MBAMA

Julia DILIBERTI


Choisir / enseigner le français en Amérique du Nord

Gabriel MICHAUD et Natallia LIAKINA

Christian MBARGA

Metka ZUPANCIC


Choisir d'apprendre le français partout dans le monde

Biagio MAGAUDDA

Petya IVANOVA-FOURNIER

Karen FERREIRA-MEYERS

Cheryl TOMAN


Le français et le plurilinguisme/ la diversité culturelle

Salima KHATTARI

Ekaterine GACHECHILADZE et Nino PKHAKADZE


Écrire en français 2

Bellarmin MOUTSINGA

Wilfried IDIATHA

Evelyne ACCAD


Le français, les études/disciplines scientifiques, les métiers

Sabine LOPEZ

Asmaa Leila SASSI

Raja BOUZIRI

Aminata AIDARA et Ousmane DIAO


Discours de clôture de Cheryl TOMAN


A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93