Biennale de la Langue Française

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Floiran TAVARES

Avocat, professeur de droit, Saint-Domingue, République dominicaine


Histoire de l'influence du droit français sur le droit dominicain


Mesdames, Messieurs,


C'est un grand honneur pour moi, que de représenter mon pays, la République dominicaine, à cette manifestation en hommage à la francophonie, la XVIIIe Biennale de la langue française, consacrée à l'expression du droit.

Mon pays constitue le seul exemple au monde d'une formation sociale hispanophone ayant adopté en grande partie la législation française inspirée des codes Napoléon.

C'est à ce titre que j'ose prononcer mon exposé dans la langue de Molière. J'en appelle donc à l'indulgence de cette illustre assemblée.


Pour comprendre les raisons de l'adoption de la législation française par la République dominicaine, il nous faut nous reporter à la Découverte de l'Amérique. Il nous faut remonter le courant de l'histoire, nous retrouver en 1492, lorsque le célèbre découvreur du Nouveau Monde, Christophe Colomb, atteignant les côtes de l'île d'Hispaniola, en a conclu qu'il venait de fouler les terres les plus belles et les plus merveilleuses que l'on ait jamais vues.


Pour vous aider à mieux comprendre, nous voudrions, sans abuser de votre patience ni du temps qui nous est alloué, retracer l'histoire de l'île d'Hispaniola, que se partagent mon pays, à l'ouest, et la République d'Haïti, à l'est, de la découverte de l'Amérique à la domination espagnole.


La découverte des Indes, que l'amiral Colomb croyait avoir atteint, donnait lieu au premier acte aux conséquences juridiques en Amérique, les capitulations de Santa Fé. En vertu de ce contrat, les souverains d'Espagne et Christophe Colomb déterminèrent le statut juridique des habitants de l'île et des Espagnols, ainsi que le partage des richesses rapportées du Nouveau Monde.

Il nous paraît évident, au fil des années et avec le développement de communautés dans le Nouveau Monde, que l'institutionnalisation juridique de la colonie espagnole avait commencé en 1501.

Pendant cette domination on assistait à la première réglementation de la religion, du commerce, et de la vie publique et privée des aborigènes et des colonisateurs, fondée sur les lois de la Castille, qui avaient un caractère essentiellement casuistique, sans codification harmonieuse, connues sous le nom de Lois des Indes.

Cette domination espagnole a duré plus de 300 ans, de 1493 à 1801.

Pendant les longues années de la colonisation espagnole de l'île d'Hispaniola, le pouvoir de l'Espagne sur ses possessions diminua progressivement. Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, ce pays perdit peu à peu le contrôle de la partie occidentale de l'île, cédée aux Français, boucaniers et flibustiers, dans un premier temps, puis colons plus ou moins autonomes de la France.

Ainsi, à la fin du XVIIe siècle, la France, en nommant des gouverneurs dans cette partie de l'île, appliquait le droit coutumier français pour la première fois.


L'Histoire rapporte que les Français ont baptisé du nom de Saint-Domingue la partie occidentale sous leur domination, alors que la possession espagnole gardait le nom d'Hispaniola.


La principale activité commerciale de la partie orientale était l'élevage, tandis que la région occidentale s'adonnait à l'agriculture.


Pour mettre fin aux nombreuses guerres les opposant, la France et l'Espagne signèrent en 1680 le Traité de Ryswick, en vertu duquel l'Espagne cédait à la France les territoires espagnols sous domination française.


Le Traité d'Aranjuez traça la frontière définitive entre la partie occidentale de l'île d'Hispaniola, passée aux mains de la France, et la partie orientale, restée sous la domination de l'Espagne.


Après la révolution française, l'Espagne et la France mettent fin à la guerre franco-espagnole par le Traité de Bâle, en Suisse, selon lequel la France reçoit la partie espagnole de l'île de Saint-Domingue.


Malgré la conclusion de cet accord, il faudra attendre que les autorités espagnoles passent les pouvoirs à l'ancien esclave noir, Toussaint Louverture, en 1801, pour voir les Français s'installer dans la partie orientale de l'île.

En 1802, Toussaint est contraint de se rendre dans la partie occidentale pour combattre une expédition française, dirigée par le général Leclerc, pour s'opposer aux visées du Premier Consul, Napoléon Bonaparte, qui cherchait à lui arracher le commandement de la direction de la colonie d'Hispaniola.

En 1804, les esclaves noirs affrontèrent les troupes françaises, et victorieux ils proclamèrent l'indépendance de la partie qui porte encore aujourd'hui le nom de République d'Haïti.


Nous savons que la promulgation des codes Napoléon en France date de cette époque. Ils n'ont toutefois pas été mis en vigueur dans la colonie de Saint-Domingue.

Plus tard, au début du XIXe siècle, la République d'Haïti a adopté la législation française tirée des codes Napoléon.


En 1809, la proclamation d'une nouvelle annexion de la partie orientale de l'île par l'Espagne devait provoquer l'invasion haïtienne de 1822 à 1844.

Ce fait marque l'histoire du droit dominicain.


En 1825, le Code civil d'Haïti est adopté et décrété en vigueur dans la partie orientale de l'île, suivi plus tard des codes de procédure civile, d'instruction criminelle et pénale. Un an plus tard, le Code de commerce est proclamé.

Ces codifications gardent quasiment intacts la lettre et l'esprit des codes Napoléon, donnant lieu à une acceptation pleine et entière du droit français.


Ces codes ont été décrétés applicables à la partie orientale de l'île. Par conséquent, en 1844, lorsque la République dominicaine met fin à la domination haïtienne, les codes en vigueur dans le pays étaient ceux d'Haïti.


Les circonstances particulières ayant présidé au retour à l'indépendance de la République dominicaine ont permis l'utilisation des codes haïtiens jusqu'en 1845. Au cours de la même année, le gouvernement dominicain a émis le premier décret relatif à l'adoption des codes français de la période napoléonienne. Ce décret stipulait expressément qu'à partir du 4 juillet 1845 les tribunaux de la République dominicaine appliqueraient à toutes instructions et à tous procès relevant de leurs juridictions les codes français amendés en 1816 et dénommés Codes de la Restauration.

Les raisons de l'adoption des codes français par le législateur dominicain sont évidentes.

Notre pays a subi l'occupation d'Haïti pendant plus de 20 ans, au cours desquels les lois de ce pays, simples adaptations des codes français, ont été appliquées en République dominicaine. Par conséquent, il semblait plus normal et efficace d'adopter les textes français, réputés supérieurs aux autres législations européennes et plus modernes que les codes des colonies hispano-américaines, connus alors sous le nom de Droit indien ou Droit des Indes.

Il convient de préciser, rendant justice à cet égard aux codes français, que ceux-ci, contrairement à la législation espagnole de l'époque, réunissaient chaque matière en un seul texte, dont les principes étaient clairs et les contextes exacts, rédigés dans un langage simple, sans ambiguïté, et parfaitement harmonisé.


Ces codes ayant été adoptés par notre pays dans la langue d'origine, donc en français, ont donné lieu à des difficultés au moment de leur application, en raison de l'ignorance de la langue française par les juges dominicains.

De 1845 à 1883, il a été procédé à la traduction, adaptation, localisation et modification des codes adoptés. Ces travaux ont été interrompus à plusieurs reprises par des tentatives éphémères de retour à l'Espagne.

Cette législation dominicaine, inspirée essentiellement des codes Napoléon,, demeure, malgré les légères modifications apportées, le fondement de la législation nationale.

Ajoutons que chaque fois que les textes français étaient amendés, notre pays observait ces amendements. Ainsi le divorce, admis en France en 1884, est entré dans notre législation en 1897. Le système juridique de l'adoption a été établi en France en 1923 et nous l'avons appliqué en 1959. Le régime matrimonial de la séparation des biens a été amendé en France en 1942, et adopté par la République dominicaine en 1949. Sur le plan commercial, le système des livres de commerce a été modifié en France en 1953 et introduit à Saint-Domingue en 1955. Nous avons également adopté en 1959 le régime des saisies, modifié en 1955 en France.

Les modifications apportées au Code de procédure civile français de 1955 à 1975 ont été accueillies par notre législateur en 1978.

Actuellement notre droit a des sources diverses avec une coexistence harmonieuse.

D'un côté, on applique le Code civil, le Code pénal, le Code de procédure civile et d'instruction criminelle, d'inspiration française.

Notre organisation judiciaire consiste essentiellement en

a) Cour suprême et Cour de cassation.

b) Diverses cours d'appel

c) Divers tribunaux de première instance, et finalement

d) Les juges de paix.

D'un autre côté, en 1920, on avait créé des tribunaux spécialisés en Droit de propriété immobilière. Concernant le droit du travail on avait adopté une partie de la législation du Mexique, ainsi que la législation du Chili, concernant la législation fiscale.


Finalement, l'application de la législation française dans mon pays a les conséquences logiques suivantes :

La Cour de cassation dominicaine suit normalement les principales décisions consacrées par la Cour de cassation française; néanmoins il existe un grand nombre de décisions de la Cour de cassation dominicaine qui visent à constituer un droit purement national, gardant toutefois les contours du droit français, source première de notre législation.


Finalement, la lecture du français juridique est rendue obligatoire pour le juriste appliqué, placé devant une profusion de textes doctrinaux dans cette langue.

Il nous faut néanmoins souligner qu'au cours des 50 dernières années l'on a assisté à un enrichissement de la doctrine par des auteurs dominicains.


Michel Tétu

Y a-t-il des contacts en français entre avocats dominicains et haïtiens ?


Floiran Tavares

Non, il n'y a pas de contacts sinon en espagnol. Des avocats dominicains vont parfois plaider à Haïti et réciproquement. Les relations juridiques entre les deux pays sont cordiales.

 

Accréditation OING Francophonie

Sommaire des Actes de la XVIIIe Biennale

SOMMAIRE

XVIIIe Biennale de la langue à Ouagadougou 1999

L'expression du droit. Le français, langue africaine et internationale.

La jurisfrancité. Le Burkina-Faso et la francophonie


Préface de Roland ELUERD

Remerciements de Roland ELUERD


SEANCE SOLENNELLE D'OUVERTURE

Allocution de Roland ELUERD

Allocution d'Hélène GUILLERMOU

Allocution de Jeanne OGEE

Discours de bienvenue de Filiga Michel SAWADOGO

Allocution de S. E. Maurice PORTICHE

Discours solennel d'ouverture de S. E. Youssouf OUEDRAOGO

Message de Sheila COPPS

Message de René MONORY

Message d'Anne MAGNANT

Message de Stelio FARANDJIS

Message de Franck BOROTRA

Allocution de Marcel BEAUX

Message de Jacques LEGENDRE


I L'EXPRESSION DU DROIT

Le français, langue africaine et internationale

Jean CLUZEL

A. Le temps et l'espace

Jean-Claude TAHITA

Albert DOPPAGNE

Yvaine BUFFELAN-LANORE

Ouango Paul ZEMBA

Paul SABOURIN


B. Les domaines et les nouvelles technologies

Edmond JOUVE

Pierre LERAT

Jean-Paul BUFFELAN-LANORE

Karl CROCHART


C. La jurisfrancité

Shaheda PEEROO

Pierre DECHEIX

Michel DOUCET

Alain A. LEVASSEUR

Alain LANDRY

Floiran TAVARES

Ridha MEZGHANI


D. Expressions littéraires du droit

Oumar KANOUTE

Mariana PERISANU


II. LE BURKINA FASO ET LA FRANCOPHONIE

A. Structures institutionnelles

Paul Ismaël OUEDRAOGO

Baba HAMA

Salaka SANOU

Urbain AMOA

Herman ZOUNGRANA

Patrick BERGEN

Jean R. GUION

Simon COMPAORE


B. Langues, littératures et enseignement

Michel TETU

Lise SABOURIN

Alain VUILLEMIN

Gisèle PRIGNITZ

Youssouf OUEDRAOGO

Auguste Robert NEBIE


C. Table ronde «La littérature burkinabè: présence de l'oralité, place dans l'enseignement »

Jacques CHEVRIER

Alain Joseph SISSAO

Joseph PARÉ

Louis MILLOGO

Maître Titinga Frédéric PACERE


Discours de clôture de Roland ELUERD

Vœux de la XVIIIe Biennale

Liste des participants


A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93