Biennale de la Langue Française

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Bernard ÉMONT


Ministère de l’Éducation nationale, Paris. Délégation aux relations internationales et à la coopération.

Chargé de mission à la Francophonie.


La Francophonie à l’heure du multimédia, ou « Hors d’Internet, point de salut »



Soixante millions d’utilisateurs dans 160 pays, avec un taux de croissance de 50 % par an ; des instruments de plus en plus perfectionnés et des coûts en baisse, pour rejoindre toujours davantage d’usagers ; des perspectives qui font estimer qu’en l’an 2000 plus de 100 millions d’ordinateurs déverseront sur l’Internet une information consommée par plus d’un milliard d’Internautes.

Ces perspectives ont de quoi faire rêver ! Sans doute, n’avions-nous pas assisté à pareille révolution depuis l’invention du téléphone ou de la télévision. La numérisation apparaît, dans le domaine de l’information, comme l’électricité dans le domaine de l’énergie : l’élément de conversion, la monnaie commune vers lesquels tendent toutes les autres sources, grâce à l’alliance magique de deux technologies répandues : celle de l’ordinateur et celle du téléphone.

Les potentialités sont immenses et les opérateurs se pressent, comme en témoignent de multiples alliances ou fusions dans le domaine des télécoms : fusion des Baby Bells, fusion de SBC et Pac Tel, de Nynex/et Bell Atlantic aux USA, de Wald Com et MFS de MCI et British Telecom, en Grande-Bretagne, accord entre France Télécom et Deutsche Telekom, via leur filiale Atlas, etc...

Les francophones, avec leur petit 7 ou 8 % de contenus sur les services d’Internet, font pâle figure. Et les augures sont formels : si les pays de langue française ne s’investissent pas davantage sur Internet, c’en est fini du rôle mondial de leur langue. Chronique d’une mort annoncée. Hors d’Internet, point de salut.

Qu’en est-il exactement ? L’investissement massif dans le Net est-il si déterminant ? A quel degré ? C’est ce que nous allons tenter d’évaluer au cours d’une réflexion prenant appui sur les plus récentes informations et sur les travaux critiques qui commencent à se faire jour.


1. Des perspectives fascinantes.

Il est vrai qu’au premier chef les applications aux grands domaines qui intéressent l’avenir des francophones apparaissent prometteuses. Énumérons-en quelques-unes.


a. Applications multiples.

Rapprochement de peuples très éloignés, séparés par les Océans. Québécois et Français pourraient discuter d’informatique ou de politique, ou encore trouver appui dans le cas du décès d’un proche, comme si leurs communautés étaient voisines. Les francophiles du Vietnam ou les francophones de Colombie britannique pourraient, pour leur part, briser leur isolement en correspondant en temps réel avec des amis belges ou suisses. Il est permis de rêver.

Domaine économique. On conçoit l’intérêt, pour les pays francophones, qui représentent 4 % du PIB mondial et 13 % du commerce international, d’avoir en temps réel les cours en français des principales places boursières et spécialement celles des places francophones ou d’échanger des renseignements économiques sur telle ou telle denrée, filière industrielle, secteur d’activité, ou sur des données socio-économiques, comme l’évolution du chômage.

Domaine culturel. On comprend l’importance d’Internet, si, tenant compte du rôle fondamental de la langue et plus généralement des échanges culturels dans les échanges entre pays francophones, on se souvient que les droits de douane continuent à peser sur le livre malgré 25 ans d’organisation institutionnelle francophone.

Pour la sauvegarde du patrimoine culturel de l’humanité, dont les échanges mondiaux permettent maintenant de faire l’inventaire, l’Unesco a lancé le programme Mémoire du monde. Pour permettre l’accès aux documents et leur préservation, il est fondé sur une numérisation systématique des données, sur l’accès en ligne à ces données et sur la préservation des données brutes grâce au cédérom. Tout cela dans le respect des grandes langues.

Domaine des médias traditionnels. C’est ici le domaine de la télévision numérique qui permet l’envoi de bouquets. Industrie en plein essor où Canal + est bien placé sur les marchés allemand, français, espagnol et même américain (via Direct TV), mais où la plupart des propriétaires de bouquets sont Américains. À quand TV5 en numérique ?

La radio offre désormais des possibilités décuplées puisque les ondes émises, grâce à la compression numérique, peuvent parallèlement envoyer, en plus des sons, des textes, des références bibliographiques, des images ou des schémas (images fixées) : soit 10 ou 20 fois plus d’informations. En découle un nouveau profil d’entrepreneur de radio : diriger, grâce au décompresseur d’info-numériques, un flux d’info-codées, parallèlement au son. De même pour l’édition électronique.

Domaine de l’information scientifique et technique. Projet d’une bibliothèque universelle francophone comprenant potentiellement tous types de documents, d’images, de schémas, de bases de références, etc... Cette entreprise demande un (ou plusieurs) stockage(s) numérisé(s).

Une application particulièrement efficace est le cyber-dico, auquel les francophones ont tous intérêt à parvenir. Cela par un envoi systématique de toutes les fiches terminologiques sur Internet, pour qu’elles reçoivent des corrections éventuelles de la part de terminologues ou d’utilisateurs.

Échanges universitaires. Outre les techniques de visio-conférences, de visio-cours pluri partenarisés, de télésoutenance de thèses, etc., l’objectif est celui d’une université virtuelle francophone de l’AUPELF-UREF. Visant essentiellement la formation, la recherche et la diffusion de l’information scientifique et technique de haut niveau, dans le monde francophone, il se réalisera par numérisation des stocks de cours, de documents existant déjà sur des supports classiques. Ces sources pourraient joindre des étudiants potentiels, soit directement, soit via des centres spécialisés qui en assureraient la synthèse et les adaptations appropriées en fonction des besoins des diverses clientèles. L’interactivité permettrait de soumettre les étudiants à des épreuves, validées ensuite par un conseil de professeurs comme dans n’importe quelle université.

Au plan de l’éducation, de la démocratie et de la citoyenneté. L’interactivité du net développera, outre la simple production d’informations en sciences sociales, des capacités à contrôler et à utiliser l’information, comme le montre en particulier le projet pilote Digital Touris (4 petites villes d’Europe numérisées). Il est destiné à constituer dans ces villes des « communautés électroniques locales d’information et de transaction » (aide des industries Philips, Siemens, Nixdorf et Thomson – Sipeca).

Les politiques évoquent même la possibilité de mener des enquêtes d’opinion, via Internet, sans passer par les lourdes agences spécialisées : ainsi pourraient-ils recueillir l’opinion des citoyens, sur les sujets les plus divers et au jour le jour, sans attendre les élections. Ceux-ci en retour contrôleraient mieux leurs dirigeants, entre les dates fatidiques des rendez-vous électoraux. Les promoteurs des droits de l’homme et de la démocratie, que sont les francophones, ne peuvent qu’être séduits !

Progrès des pays du Sud. Une des applications les plus prometteuses pour la Francophonie est sans doute le rattrapage des pays du Sud (et notamment en Afrique), souvent à l’écart des progrès technologiques. Cette expérience est en effet cruciale, tant est grand le délabrement du système universitaire, et plus encore celui de la recherche : elle ne mobilise que 1 % du PIB, ce qui provoque un exode constant des chercheurs vers les pays du Nord. L’accès via Internet, aux banques de données technologiques du Nord permettrait, aux pays du Sud africain en particulier, de pallier le manque de bibliothèques, et de documents classiques, mais aussi de produire des contenus apportant, en français, des éléments d’information sur l’Afrique afin de placer celle-ci sur la carte du monde informatif.


b. L’investissement de la Francophonie dans Internet et les inforoutes en général est une nécessité.

Devenu le principal réseau de circulation mondiale de l’information, réseau auquel les autres réseaux traditionnels (ceux de l’audiovisuel, du livre, des documents écrits) aboutissent, aucun pays, aucune grande langue ne peut l’ignorer ; sauf à vouloir se marginaliser, sortir de la compétition des États modernes, du champ des influences qui construisent la civilisation d’aujourd’hui. Et il est vrai qu’il est inquiétant de voir la Francophonie prendre du retard dans l’utilisation du réseau en ne comptant que pour 8 % dans la masse de l’information mise en ligne. Au Québec, on ne trouve que 13 % des 9 323 sites existant à l’heure actuelle au Canada (contre 38 % pour l’Ontario, et 22 % pour la Colombie-Britannique).

En 1995, la société Gale Research calculait qu’à peine 6 % des 9000 bases de données recensées dans le monde étaient disponibles en langue française, soit 516, tandis que 80 % étaient produites en anglais. Mais 25 % des bases de données publiées dans une autre langue que l’anglais l’étaient en français, ce qui plaçait cette langue devant l’allemand (22 %) et l’espagnol (13 %). (Cité dans L’Arrivée des inforoutes, occasion pour un nouvel essor du français, CLF – Québec, août 1996, p. 17)

Plus inquiétant : il faut reconnaître la faiblesse du français dans l’édition scientifique, technique et professionnelle. En 1995, moins de 20 % des titres de cédéroms lancés sur le marché français pour répondre aux besoins des entreprises de l’hexagone étaient produits en langue française, en sciences de la nature, moins d’un titre sur 10 était offert en français (ibid., p. 17). Le même rapport nous apprend que l’on publie en France davantage d’articles en langue anglaise qu’en langue française.


2. Des obstacles à surmonter.


a. Obstacles généraux présents dans les pays du Nord.

Obstacles matériels. L’insuffisance du parc d’ordinateurs est dénoncé par de nombreux commentateurs. Problème de ressources, certes ! Nombre de Français ou de Québécois ne peuvent se payer un ordinateur coûtant dans les 2000 dollars ou un accès internet à 29,95 dollars par mois. 21 % des Québécois ayant moins de 30 000 dollars de revenus déclarent avoir un ordinateur contre 39 % pour ceux qui ont entre 40 000 et 49 999 dollars et 56 % pour ceux qui déclarent des gains de plus de 70 000 dollars. Il convient de faire baisser les coûts.

Obstacles techniques. Conçu, au départ, pour la langue anglaise, le système laisse mal passer les messages en d’autres langues. Cependant des équipes travaillent d’arrache-pied, au Québec en particulier et en France, afin de permettre le respect facile des signes diacritiques d’une langue comme la nôtre : accents, cédilles, trémas, etc... D’autres équipes travaillent sur les interfaces, pour les franciser (groupe FRIM à Montréal, entre autres), ainsi que sur l’ensemble du dialogue. Des protocoles ont été trouvés (Netscape) avec la machine, les claviers multilingues.

Seule une concertation entre francophones, une division du travail de recherche, au niveau de la Francophonie, permettra de résoudre les problèmes. Il faut aussi faire pression sur les autorités d’Internet et sur leurs délégués nationaux, en se concertant entre langues minoritaires, en brandissant, par exemple, la menace d’un système alternatif.

Obstacles intellectuels. Ils ne sont pas les moins redoutables. Plusieurs enquêtes montrent que ce sont majoritairement les gens d’un certain niveau intellectuel (ayant suivi des cursus universitaires, notamment) qui possèdent des ordinateurs : 13 % de non-universitaires seulement parmi les utilisateurs en Amérique du Nord pour 47 % de la population. Au Canada : 27 % ayant fini le secondaire contre 63 % ayant eu accès au supérieur.

Obstacles de générations. 77 % des Américains âgés de 18 à 24 ans, contre 24 % des personnes âgées de plus de 65 ans (enquête réalisée par l’IEEP), ont un ordinateur.

Obstacles liés à la maîtrise de sa langue. L’importance du texte dans le système Internet implique une parfaite connaissance de la langue support pour comprendre les messages ou pour interroger la machine. La standardisation est impérative. Pour communiquer avec l’autre bout de la planète, il n’est pas possible d’utiliser une langue approximative ou des particularismes incompréhensibles pour un partenaire.

Or une enquête réalisée au Québec montre que 40 % des élèves du secondaire (à peine) utilisent une grammaire et une syntaxe jugées convenables (Cité par CLF, dans mémoire cité, p. 173).

Là aussi, si l’on n’y prend garde, il y a un risque de fracture dans la population : il faut remonter le niveau, à moins de laisser au système de type GM (lexfix) le soin de corriger les fautes de langue de l’utilisateur.

Il faut aussi compter avec la différence des logiques : utilité ou fonctionnement ? (enquête américaine). A-t-on suffisamment pensé aux véritables utilisateurs ?

Obstacles structurels. Ces obstacles sont liés tout simplement à la complexité du système, des connexions inter-réseaux, de la recherche de l’information dans une masse enchevêtrée de milliards de documents : le CLF a relevé que quelque 5000 nouveaux articles s’ajoutent chaque jour dans le monde à un stock qui en compte 30 millions. En l’an 2000, plus de 100 millions d’ordinateurs déverseront sur Internet une information consommée par un milliard d’internautes. Il est estimé (CLF, ibid.) que les ingénieurs qui utilisent le système consacrent plus de 45 % de leur temps au repérage de données et de documents plutôt qu’à des tâches plus productives.

Il faut absolument simplifier l’accès à l’information par des outils de repérage. Sans ces outils, « les autoroutes de l’information ressembleront à un immense plancher sur lequel on aurait abandonné plusieurs millions de livres ». De tels navigateurs existent déjà du côté anglophone. Il s’agit d’un défi majeur pour les francophones, surtout en raison de la disproportion des masses. Sans de tels outils, la tâche de l’utilisateur francophone ressemblera à la quête d’une aiguille dans une botte de foin.

La technologie devra se rapprocher de celle du minitel ou du téléphone. Une coopération prometteuse est en cours à ce sujet, entre le Québec et la France, pour la mise au point d’un indexeur de pages WEB en langue française : Franco route, objet d’une collaboration AUPELF-UREF, centre de recherche en informatique de Montréal.

Risques.

    1 : Une société divisée, entre info-riches et info-pauvres.

    2 : Anglicisation, si les problèmes de langue sont trop aigus, ou le maniement trop complexe pour les francophones.

    3 : Faiblesse des investissements pour la recherche : intervention de l’État.

b. Dans les pays du Sud, et spécialement l’Afrique.

Aux difficultés évoquées, s’en ajoutent d’autres, plus spécifiques du Sud.

Insuffisance des infrastructures de base des télécoms. C’est la plus faible du monde : moins d’un appareil pour cent habitants, contre 23 en Europe et 33 aux États-Unis. Matériel souvent obsolète, équipement limité aux zones urbaines. N’insistons pas sur l’importance et l’état du parc informatique, ou de la câblo-distribution.

Cela en dépit de projets colossaux, mais qui attendent encore les investissements nécessaires : projet Africa d’un câble à fibre optique ceinturant l’Afrique, projet RASCOM d’un satellite africain, etc.

Les difficultés, liées aux insuffisances éducatives ou de formation appropriée, voire de maîtrise de la langue, sont évidemment décuplées en raison du délabrement du système éducatif. Le risque est grand de voir l’Afrique un peu plus marginalisée et le fossé s’accroître entre le Sud et le Nord technologiquement plus avancé. Or l’on sait l’importance démographique du Sud dans l’espace francophone.

Un problème de choix stratégiques se pose : comme presque tout est à faire, il faut nécessairement définir des priorités. Dans un article important de la revue Sciences de l’information (n° 3, vol 33, 1996), J.-P. Denis et Olivier Sagua pensent qu’il ne faut pas s’acharner sur l’amélioration des réseaux de base, du moins en faisant d’eux une cible exclusive.

Selon eux, il faut en prendre son parti : « l’infrastructure doit et peut ... être installée par d’autres », car les moyens des États sont trop faibles pour apporter les remèdes en temps utile. Seuls des projets à l’échelle régionale et continentale, (comme ceux qui sont évoqués plus haut) soutenus par des aides regroupées des grands organismes internationaux pourront permettre de gagner du temps et d’empêcher la marginalisation du Sud (et notamment de l’Afrique). Ils rejoignent ainsi les conclusions du colloque régional africain d’Addis Abeba, en avril 1995.

Les États, en revanche, doivent tout faire pour seconder ces efforts globaux :

    • en favorisant la connexion aux structures régionales mises en place ;

    • en continuant à améliorer leurs infrastructures de télécoms ;

    • en améliorant l’environnement économique et réglementaire (cf. résolution finale du Séminaire de l’ACCT, en mai 1996 à Paris) ;

    • en améliorant la formation technologique.>

Mais l’enjeu essentiel réside dans la production de contenus, que les francophones africains sont le mieux à même de réaliser, avec l’aide, s’il le faut, des techniciens occidentaux dans un premier temps. C’est seulement en produisant massivement eux-mêmes que les pays du Sud acquerront une visibilité dans la masse informationnelle d’Internet et éviteront la mise à l’écart d’une partie essentielle du patrimoine mondial. L’intérêt économique de cette production est d’ailleurs évident, tant par les emplois qu’elle crée que par le flux de capitaux et d’entreprises qu’elle peut engendrer.

Sur ce fond d’insuffisance, un certain nombre d’initiatives existent, qui vont dans le bon sens :

    • Pour la production de contenus, signalons la création récente, à l’initiative de l’AUPELF, du CESPROC (Centre sénégalais de production de contenus sur Internet), structure virtuelle regroupant des rédacteurs, concepteurs, ingénieurs – toile, du milieu scientifique sénégalais.

    • Plusieurs pays, dont les infrastructures de télécoms sont meilleures que celles des autres, se sont d’ailleurs engagés résolument dans le raccordement au réseau.

    • Rappelons que la récente conférence des ministres francophones de l’information a décidé la création d’un fonds francophone de l’information.

La Côte d’Ivoire : 117 000 lignes téléphoniques. Un opérateur, Citelcom (en voie de privatisation), offre plusieurs solutions d’accès à Internet, via Africom (technologie satellite) et les 10 stations de l’ORSTOM, sans compter le centre Réfer d’Abidjan, dû à l’AUPELF.

Le Cameroun, le Burkina Faso offrent également plusieurs accès à la messagerie électronique d’Internet, à Health net ou serveur Rio de l’ORSTOM (Rio Cameroun et Rio Burkina), au système Refer de l’AUPELF. Cent vingt personnes inscrites et 30 clients par jour. Existe aussi une entreprise privée américaine SDN (Sustainable development netword), avec vocation d’accès complet à Internet.

Le Burkina Faso, pourtant petit pays, doté d’un petit parc (30 000 lignes), se veut la cheville ouvrière d’un réseau régional. Il a organisé l’atelier régional préparatoire à la conférence des ministres francophones chargés des inforoutes, s’est fait relier à Internet par une ligne internationale à haut débit, a mis en service un annuaire électronique présentant les entreprises du pays, et a déployé un réseau éducation-recherche.

Sont également connectés le réseau Health net dans le domaine de la santé, Fido net (pour l’envoi du mél.) et le réseau Rio de l’ORSTOM (Rio Burkina par deux serveurs utilisés par 65 organismes). Valorisation envisagée sur le web. (Données empruntées à l’article de la Fortelle Les inforoutes et l’Afrique, revue Universités, mars 1997)

Le Maroc assure également une importante présence du Maghreb dans le début du développement. Cet essor est dû d’abord aux progrès considérables effectués récemment par les télécoms : 200 000 abonnés au téléphone en 1985, 1 158 000 en 1994, soit 4,35 lignes pour 100 hab. Taux de numérisation : 95 %. Même développement du côté de la télédiffusion, en dépit du manque d’électricité par endroits. Le Maroc reçoit, via satellite, TV5, Rai Uno, MBC à Casablanca et est relié aux systèmes Intelsat, Eutelsat et Arabsat.

Les services offerts par Internet sont disponibles au Maroc depuis le milieu de l’année 1996, grâce à la mise en place du nœud Internet Maroc de l’ONPT, consulté par 12 000 internautes chaque mois. Outre l’ONPT, il existe un site du ministère marocain de la communication (Minicom – Ilyacom : 2000 pages de textes, sons, images, textes en arabe, français et anglais).

Les tarifs modiques pratiqués (200 dirhams pour l’établissement, 500 dirhams par connexion individuelle) permettent une certaine démocratisation (cybercafés à Casablanca, Rabat, Marrakech). Français et arabe sont généralement les deux langues utilisées au Maroc dans ce secteur des télécommunications.

En dehors de l’Afrique, mentionnons les progrès du Vietnam, qui est passé de 0,1 ligne de téléphone pour 100 hab en 1991, à 1,3 en 1996, avec 1 000 000 d’abonnés pour 75 millions d’habitants). Il est aidé par la France pour la mise au point d’un système satellitaire Vinosat. C’est un enfant d’Intelsat, satellite français de l’OIT, d’Eutelsat (européen) de Telecom II et de Syracuse II. Un système assez développé de télévision en vietnamien couvre toute la surface du pays avec des programmes d’actualité en anglais et en français.

L’accès à Internet complet est en cours de constitution, à l’initiative d’une société américaine (Global Sprint Link) et de VDC (Vietnam de la Communication) : 2 gateways de 64 kb/s sont déjà mises en service (Hô chi Minh et Hanoï).

Mais des communautés scientifiques ne l’avaient pas attendu pour se brancher sur Internet, via les lignes téléphoniques, aux fins d’échanges d’informations scientifiques. Varenet compte actuellement 2000 internautes.

À ces interrogations, qui touchent aux conditions matérielles et intellectuelles d’utilisation à l’échelle de la Francophonie, s’ajoute un débat de fond.



3. Internavigation et Francophonie : Les dangers d’un lien trop exclusif. Une place à définir.


La bataille du marché de l’information est telle, les défis paraissent tellement urgents à relever, en dépit des obstacles, qu’on finit par se demander si la Francophonie peut encore exister sans se raccrocher aux fils d’Internet. Cette question est importante.

Une interrogation critique commence à se développer pour savoir s’il est légitime (ou comment il se fait) qu’un espace essentiellement culturel comme celui de la Francophonie, qui a survécu à bien des tragédies de l’histoire comme la conquête du Canada, les guerres du Vietnam, les convulsions de la guerre d’Algérie et des indépendances africaines, puisse être aussi dépendant de ces tuyaux, de ces technologies qui savent se rendre si indispensables : « “si tu ne te branches pas, tu meurs”, ta langue, ta culture avec toi ». C’est ce que Philippe Queen, un des meilleurs spécialistes français des images de synthèse et directeur de l’information et de l’informatique à l’Unesco, appelle dans un livre à recommander : le Virtuel, vertus et vertiges (Ina, coll. Milieux, 1993).

Dans un numéro de haute tenue, déjà cité, de la revue Universités, réalisé sur le sujet par l’AUPELF-UREF, plusieurs spécialistes s’interrogent sur la nécessité du lien entre inforoutes et Francophonie, et amorcent ainsi une réflexion critique.

Les éléments d’interrogation sont de trois ordres.


a. Interrogations d’ordre technique.

Dans l’attente de progrès substantiels au plan des coûts opérationnels (usage en masse à la demande), d’autres techniques d’information conservent tous leurs atouts. Comme nous l’avons vu, la puissance du nouvel instrument, ses qualités multimédiatiques, son ubiquité, au moins potentielle, son instantanéité, sa capacité informationnelle, le stockage élégant qu’il propose, sont fascinantes. Mais la machine est loin d’être au point. Beaucoup de difficultés techniques restent à résoudre. Les formations indispensables devront être inculquées : cela passe par des réformes en profondeur des systèmes éducatifs, si l’on veut des résultats durables. Les coûts des ordinateurs devront encore baisser.

Complexité de l’instrument. On a vu que, faute d’indexation suffisante et de navigateurs adéquats, trop de temps est perdu en recherche de l’information : 45 %, pour des ingénieurs ! Sauf à n’utiliser le système que partiellement, sous son angle courrier électronique, ou pour certains secteurs d’intérêt (genre Health net, Technology net), qu’en est-il pour le profane ?

Cela fait prendre conscience qu’il y a, aujourd’hui, deux types fondamentaux d’informations :

    • Ce qu’on peut appeler l’information obitive qui vient au devant du consommateur, sans qu’il la cherche (type affichage, panneaux électroniques renouvelés, messages radio, programmes télé) ou en la cherchant peu parce qu’elle est offerte (le type en est un journal ou une revue, au kiosque ou en présentation). Le livre est présenté sur une étagère ouverte à une exploration linéaire temporelle.

    • À l’opposé, il existe une information que l’on peut appeler quaesitive, qui fait l’objet d’une recherche, dont le résultat n’est pas acquis. Ainsi se présente l’information sur Internet ou sur les réseaux, au contraire de leur cousine du cédérom, parfaitement obitive et qui attend simplement le passage en décodeur.

Soyons donc rassurés pour l’avenir des moyens classiques de l’information francophone : livre, journal, disques. Ils ont encore de longs jours devant eux. Même si, pour la mémoire du monde, les commodités de stockage, l’accroissement d’audience, il est souhaitable de les mémoriser et de les garder en cédéroms ou en mémoire centrale.

Sur le plan de l’autonomie et de la flexibilité, la technique classique du livre conserve tout son attrait. On est, avec Internet, tributaire d’une prise de courant, de câbles (même si le téléphone mobile, les « objets nomades », permettront, sans nul doute, des améliorations).

Il s’écoulera du temps avant que l’on consomme l’inter-produit avec le même sentiment d’autonomie, la même flexibilité que le livre que l’on transporte facilement partout où l’on est, sous un arbre, en pique-nique, ou le soir sous sa couverture !

Sans parler de la flexibilité d’interrogation, de la facilité de revenir en arrière, de repartir. De l’interactivité non négligeable (lire, c’est souvent écrire en marge de ce que l’on lit). Et, au plan humain, de la sensation incomparable d’intimité.

Le degré de complétude et de précision de l’information. Bon pour les listes de références, le repérage, les incitations (ex : tel musée offre un échantillonnage de ses collections), Internet l’est moins pour l’information détaillée, technique, car on rencontre :

    • le problème des coûts téléphoniques, ou d’utilisation des lignes dans la durée ;

    • le problème des droits d’auteur.

Le système va vite rencontrer des butoirs économiques : quelle entreprise, quel laboratoire se départira, sans frais, de résultats de recherches, de secrets de fabrication, acquis à grand frais ? Quel musée donnera une information si complète qu’elle dispense l’amateur d’une visite ? Quel auteur vivant livrera la totalité de ses œuvres, qui dispensera ses lecteurs de les acheter ? Le but sera au contraire le plus souvent de donner juste assez d’informations pour inciter à en savoir plus ; ce qui se fera alors sous forme payante par d’autres canaux. Sauf données du domaine public et œuvres d’auteurs invités.


b. Interrogations d’ordre social et psychologique.

On a évoqué plusieurs risques :

    • Le risque de fracture sociale aggravée par la différence entre info-riches et info-pauvres, risque de voir au plan mondial les élites communiquer ensemble sans que les peuples suivent. Mais il peut se réduire par la vulgarisation de l’outil informatique.

    • Le risque d’« autisme social », comme le dit excellemment Philippe Queau dans une interview donnée à la revue Universités de l’AUPELF-UREF.

    • Dépendance par rapport à une machine, à des automatismes...

Le temps exigé par la recherche, la curiosité sans cesse piquée au fil de cette recherche par les pistes inattendues d’information qui s’entrecroisent, la fascination quasi magique qu’exerce ce nouvel instrument sur les intellects et les imaginations ou tout simplement la peur de l’immédiat, amènent certains utilisateurs à perdre le sens du réel, au profit du confort virtuel. Cela peut entraîner de graves perturbations psychologiques ou sociales : coupure de la communication avec l’environnement immédiat.

Au Nouveau-Brunswick (Canada), on a dû créer pour les jeunes trop « accros » de véritables stages de désintoxication. Il est significatif d’ailleurs, à un moment d’expansion du réseau des réseaux, que surgissent, sur support papier, beaucoup de nouveaux journaux hebdomadaires, en particulier au Canada, du type à disposition, au bord de la route. Des journaux qui rétablissent un nécessaire contact avec les réalités et les gens de la proximité, sur lesquels Internet ne vous dira rien, ou dont il pourra vous détourner.


c. Interrogations d’ordre culturel et cognitif.

On dit parfois qu’Internet peut être (aussi) un outil de création. Il semble cependant que la création artistique réelle supporte mal les contraintes des câbles et de l’écran. Elle la limite en tout cas, à certains secteurs (dessins, jeux virtuels avec des images réelles).

L’information n’est pas le savoir. Le savoir n’est pas la compréhension. Attention à la pseudo-science internautique qui ne serait faite que de bribes de savoirs épars et mal assimilés (cf. aussi Piaget : L’intelligence est construction).


d. Interrogations d’ordre éthique et politique, face à la mondialisation. Risque de déséquilibre géopolitique majeur.

Risque déjà évoqué, si l’on fait d’Internet le passage obligé de toute information majeure, d’un accroissement du fossé entre le Nord et le Sud, un Nord toujours plus informé et technologiquement avancé, un Sud s’essoufflant à le rattraper. Philippe Quéau dit que le vrai remède est l’accent mis sur la formation.

Risque plus profond encore d’une dépendance accrue de l’économisme qui tend à niveler toutes les différences culturelles, les particularismes, pour ne plus voir transversalement que les ressemblances : les plus sûres à mettre en marché et donc les seules sur lesquelles on investisse, comme le dit Armand Mattelard (professeur à Rennes II et auteur de la Communication – monde, La Découverte, 1994).

La globalisation de l’information n’est pour lui qu’une variante de la globalisation géoéconomique, d’essence managériale. L’anglicisme globalisation exprime ouvertement le point de vue des stratèges de la géoéconomie sur le monde comme totalité à organiser. Elle traduit une conception cybernétique de l’organisation de la planète (Universités, L’explosion des multimédias, mars 1997, p. 24).

La globalisation de l’information n’est souvent que le masque d’une volonté d’atteindre une culture globale, susceptible d’un traitement par les règles commerciales, meilleur appui en fait du marketing et du merchandising qui le suit. Il est significatif, nous dit l’auteur, que, « pour recycler le slogan de la fin de l’histoire », le conseiller du département d’État américain Francis Fukuyama ait pris appui, en 1989, sur l’ubiquité des signes de la culture de masse et ait évalué l’exercice de la démocratie politique et de la modernité au seul paramètre de la diffusion des produits et des réseaux de la « global democratic market place ».

À cette aune, le politique se dissout totalement dans la culture médiatique globale. Il en découle une conception de la société de consommation, comme société de la transparence. « Ainsi se complète le brouillage des enjeux de pouvoir amorcé sous le signe du village global, de la société globale, comme façon de nier les différenciations entre sociétés et la continuation de l’existence de rapports de force et de l’intérêt collectif ». Et il poursuit : « Le risque est réel de voir les identités singulières et les communautés de sens ancrées dans des territoires nationaux et locaux soumises à un dénominateur commun transnational qui, consacrant le primat de l’économie et la dictature des audimètres, les empêche de se développer et menace de les réduire à la portion congrue. » (p. 25)

Le risque de la globalisation économique effraie d’autant plus qu’il est étroitement lié derrière Internet à la puissance d’un État qui, inventeur du système et de ses règles du jeu, est aussi, actuellement, le producteur de la plus grande masse d’informations (menace de monopolisation des stocks d’information par une seule puissance, dénoncée dès 1978 par Simon Nora).

 

Accréditation OING Francophonie

Sommaire des Actes de la XVIIe Biennale

SOMMAIRE DES ACTES DE LA XVIIe BIENNALE


SOMMAIRE

XVIIe Biennale de la langue française Neuchâtel 1997

Multimédia et enseignement du français

Sommaire

Préface de Roland ELUERD



SÉANCE SOLENNELLE D'OUVERTURE

Allocution d'Alain GUILLERMOU

Allocution de Jean-Jacques DE DARDEL

Allocution de Jean GUINAND

Allocution de Denis MIÉVILLE

Message de Sheila COPPS

Message de Hubert VÉDRINE

Message de Stélio FARANDJIS

Message de Xavier DENIAU

Message de Bernard QUÉMADA

Message de Federico MAYOR



I PANORAMA DU MULTIMÉDIA D'ENSEIGNEMENT

Jeanne OGÉE

Jean-Claude GUÉDON

Jean-Alain HERNANDEZ

Adrian MIHALACHE

Micheline SOMMANT

François DELAUNAY

Dominique SOUDAIS

Francis PIOT

Etienne BOURGNON et Alain VUILLEMIN



II. DONNÉES TECHNIQUES, USAGES PÉDAGOGIQUES ET DOCUMENTAIRES

Dominique LAMICHE

Frédérique PÉAUD

André OBADIA

Jean-Paul BUFFELAN-LANORE

Marie-Josée HAMEL et Eric WERHLI

Alain VUILLEMIN

Bernard EMONT


III. ESPACES FRANCOPHONES DU MULTIMÉDIA

Christian ROUSSEAU et Jocelyn NADEAU

Mariana PERISANU

Mioara TODOSIN

Marius DAKPOGAN

Théodore KONSEIGA

Kouaho Elie LIAZÉRÉ

Jean SOUILLAT

Marc MOINGEON

Bernard PÉCRIAUX



IV. IMPLICATIONS CULTURELLES DU MULTIMÉDIA

Jean BUREL

Mohamed TAÏFI

Rabah CHIBANE

Roland DELRONCHE

Claire-Anne MAGNÈS

Gabriela MARCU et Mariana MUNTHIU

Albert DOPPAGNE

Charles MULLER

Petre RAILEANU



V. TV5 ET L’ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS

Arlette NIÉDOBA

Michel PERRIN

Danièle TORCK

Janry VARNEL

Valérie JATON

Jean SAVARD



TABLE RONDE «TV5, la télévision mondiale en français.La langue de l’autre»

animée par Marlène Bélilos avec Roger Francillon, Hugo Lœtscher, Charles Méla et Gilbert Musy


LA SUISSE ET LA FRANCOPHONIE

Jean-Jacques DE DARDEL

Claire LUCQUES

Jean-Marie VODOZ

Urs TSCHOPP



TABLE RONDE «La Suisse et la francophonie»

animée par Catherine Pont-Humbert avec Freddy BUACHE, Jacques CHEVRIER, Charles JORIS et Jacques SCHERRER


SÉANCE DE CLÔTURE

Vœux de la XVIIe Biennale

Discours de clôture d' Alain GUILLERMOU

Discours de clôture de Roland ELUERD

Échos de la XVIIe Biennale

Liste des participants



A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93