Biennale de la Langue Française

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Marius DAKPOGAN


professeur de lettres,
président de l’Association des professeurs de français du Bénin


Multimédia et enseignement du français au Bénin



Introduction

La République du Bénin, initialement appelée Dahomey, était une colonie française située dans la partie sud de l’Afrique de l’Ouest, entre le Nigeria, le Togo, le Burkina Faso et le Niger. Elle est bordée par l’océan Atlantique sur 125 km environ avec une belle plage où affluent des touristes de plus en plus nombreux.

D’une superficie de 112 600 km2 et peuplé d’environ 5 600 000 habitants, le Bénin a été promu à la souveraineté nationale le 1er août 1960. Sa langue officielle est le français, utilisé dans les échanges à presque tous les niveaux. Son apprentissage se veut donc dynamique et ouvert à toutes les innovations pédagogiques, notamment aux moyens modernes de communication. Cette ouverture demeure liée à de multiples difficultés qu’il paraît nécessaire d’évoquer.



1 – Statut de la langue française au Bénin

Introduit au Bénin (Dahomey) entre 1900 et 1902 avec l’implantation des premières écoles laïques, le français demeure à ce jour la seule langue officielle de notre pays. À ce titre, il occupe une place primordiale dans tous les programmes d’enseignement et il est perçu comme la clé infaillible de la réussite professionnelle, sociale ou politique. Ce statut privilégié justifie tous les soins apportés à son enseignement, car l’objectif visé en permanence est de faire du français un véritable outil de développement national, le développement étant entendu comme une amélioration quantitative et qualitative durable de l’économie et de son fonctionnement, en vue du bien-être de toutes les composantes de la société, ce que l’on appellerait aujourd’hui le minimum social commun. Pour atteindre cet objectif, il faut des approches méthodologiques fondées sur un enseignement efficace de la langue. C’est alors ici qu’interviennent le rôle primordial du professeur de français de même que les méthodes utilisées.



2 – Les méthodes d’apprentissage

Malgré les nombreux efforts déployés dans ce domaine, l’apprentissage du français au Bénin utilise des méthodes encore traditionnelles. Le seul support didactique réellement disponible mais qui n’est pas en nombre suffisant ni correctement adapté demeure le livre. Cette insuffisance justifierait la baisse de niveau des élèves en français et par ricochet les échecs scolaires parfois très rapidement attribués à un apprentissage défectueux du français. Ce procès inlassablement repris et abordé sous plusieurs angles en arrive toujours à l’interpellation du professeur de français. Le français étant la langue par laquelle l’apprenant accède au savoir et au savoir-faire, il importe conclut-on qu’il puisse le maîtriser avant de pouvoir l’utiliser efficacement comme un outil de développement. Ce grief ne manque peut-être pas d’objectivité puisque dans le système éducatif béninois le français prime tout. Lors de la journée pédagogique des professeurs de français tenue après la correction du baccalauréat de 1997, un enseignant, face aux résultats catastrophiques des candidats en français, a fait la réflexion suivante : « J’ai de plus en plus l’impression que nos méthodes d’enseignement appartiennent à un monde vieilli et que nos propos n’ont plus aucune prise sur les élèves. Notre message ne les intéresse pas et c’est peut-être pourquoi ils nous écoutent à peine. »

Ce propos qui a suscité des éclats de rire est pourtant plein de sens, car il évoque assez clairement l’écart de plus en plus net entre enseignants et enseignés au regard de l’environnement technologique et de son discours vite saisi par les jeunes mais encore perçu avec beaucoup de circonspection chez les adultes. C’est donc le lieu d’aborder la question sous l’angle d’une rénovation pédagogique qui s’appuie effectivement sur les méthodes nouvelles de communication en vue de leur utilisation rationnelle.



3 – Multimédia et formation

3-1- La problématique

Le système traditionnel rigoureusement balisé dans lequel la plupart des enseignants ont été moulés au fil des générations constitue encore une sorte de blocage à l’utilisation des médias dans la pédagogie du français. Les exemples de ce rigorisme sont nombreux et les adversaires des mass media suffisamment durs pour laisser indifférent. L’un d’entre eux, Georges Duhamel, faisant l’apologie de la lecture, a qualifié le cinéma et la radio de machines insensibles, incapables de favoriser la réflexion. Pour lui, la culture est exclusivement fondée sur le livre tandis que le cinéma et la radio constituent précisément la négation de la culture.

Le discrédit jeté sur le cinéma et la radio est sans équivoque. Comment penser qu’un tel propos ne puisse pas influencer les enseignants de français qui envisageraient d’utiliser ces moyens de communication dans l’enseignement de la langue ?

Or il se fait aujourd’hui que le monde moderne est absolument submergé par ces mass media de plus en plus perfectionnés, au point qu’ il est presque impossible de ne pas tenir compte de leur présence ou de se soustraire à leur emprise. De toute façon, l’idée de la supériorité de l’écrit sur l’audiovisuel est tout simplement fausse. Les livres comme les moyens audiovisuels peuvent tous être avantageusement utilisés dans l’enseignement.

3-2- Nécessité d’utiliser le multimédia dans l’enseignement

Aucun système de formation moderne ne peut plus être désormais envisagé sans le support du multimédia.

Il s’agit d’une évidence difficilement contournable. Les protestations observées depuis son apparition et les véhémentes critiques formulées à l’encontre de certains moyens de communication s’estompent face à la prolifération de l’image, dont raffolent les jeunes générations et qui doit servir de support à l’action pédagogique comme le stipule Francis Balle :

    « Il est clair en tout cas que la télévision joue un rôle de première importance dans la socialisation des enfants et qu’elle est devenue un outil essentiel de leur ouverture au monde. Signe des temps : nous sommes entrés, en effet, dans une civilisation de la communication et de l’image. L’école pourra-t-elle rester étrangère au monde qui l’entoure ? Il faudra bien oublier les vieilles querelles qu’on attribuera davantage au malentendu qu’à l’incompatibilité pour aller de l’avant et travailler de concert (1). »

Ainsi, qu’il s’agisse du journal, de la radio, de la télévision, de la vidéo ou de tout autre moyen de communication, il ressort la nécessité de les utiliser dans le système de formation pour coller à la réalité socio-culturelle des jeunes et favoriser leur accès à la science. Toute démarche contraire, fondée sur un conservatisme outré, conduirait à coup sûr à un anachronisme qui accentuerait le fossé déjà grandissant entre apprenants et enseignants et aggraverait le taux d’échec scolaire.



4 – Multimédia et enseignement du Français au Bénin

De nos jours, un enseignement qualitatif des langues en général et du français en particulier doit fortement s’appuyer sur la plupart des moyens modernes de communication, c’est-à-dire associer avantageusement l’écrit, le son et l’image.

Cette nouvelle dynamique se heurte malheureusement à de nombreuses difficultés.

4-1- Les difficultés

4-1-1- Au plan institutionnel

L’enseignement du français comme du reste tout le système de formation demeure un attribut de l’État. Il obéit à un programme préétabli, conforme aux impératifs de la Nation.

Le programme d’enseignement du français étalé sur toute l’année scolaire à raison de six heures hebdomadaires pour les classes du premier cycle comporte les rubriques traditionnelles, telles que : grammaire, orthographe, conjugaison, vocabulaire, lecture, expression écrite, expression orale. L’exécution de ce programme s’appuie sur un certain nombre d’ouvrages prescrits par l’État. L’évaluation finale tire sa substance des aspects du programme qu’il faut coûte que coûte finir pour rester dans les normes prescrites. Le cadre institutionnel ainsi défini paraît assez rigide. Il ne favorise pas les prises d’initiative mais il contraint plutôt à un enseignement parcellaire incompatible avec une pédagogie efficace de l’apprentissage de la langue.

4-1-2- Au plan pédagogique

Les enseignants de français du Bénin sont pour la plupart formés dans le système traditionnel en rapport étroit avec les objectifs assignés à l’apprentissage de la langue mais aussi avec les exigences institutionnelles. L’acquisition de la langue se fait par l’étude de textes qui viennent en appui aux livres. L’utilisation des mass media est quasi inexistante alors que les enfants disposent chez eux d’un poste de radio, d’un téléviseur, d’un magnétoscope et parfois d’un ordinateur. Dans ces conditions, et comme nous l’avions souligné plus haut, la dichotomie entre l’émetteur et le récepteur ne peut être qu’évidente et malheureusement préjudiciable à l’apprenant. Pour pallier cette lacune, il faut former les enseignants de français et les familiariser avec les nouveaux moyens de communication qu’ils doivent à tout prix s’approprier. Cette préoccupation est partagée par Frédéric Lambert qui affirme :

    « Aujourd’hui, les langues sont audiovisuelles, car une grande part de la communication sociale est diffusée par les supports qui relient le texte et l’image. Nous sommes donc convaincus qu’il faut former les enseignants de langue à l’analyse des messages de la culture de masse et à une sémiologie des messages mixtes, où sont pris en compte le texte et l’image (2). »

4-1-3- Au plan matériel

La question la plus complexe liée à l’apprentissage du français par les supports multimédiatiques demeure l’acquisition du matériel.

Au moment où le Bénin s’ouvre de plus en plus aux technologies avancées, l’ordinateur reste encore un outil inconnu de la plupart des enseignants.

Le projet Apprendre et enseigner avec TV5 conçu à leur intention n’a pas rencontré un écho favorable. En effet la couverture TV5 est encore réduite et très peu d’écoles disposent d’un téléviseur et d’une antenne TV5 pour la réception des images.

Les auteurs du projet Lingua VB (3) ont envoyé à l’Association des professeurs de français du Bénin une brochure et quatre disquettes afin de susciter l’utilisation de la télématique chez les enseignants de français. De 1995 à ce jour, les disquettes ont été juste testées mais personne ne se soucie de leur utilisation, qui suppose l’acquisition d’un ou de plusieurs ordinateurs équipés de modems.

Il faut noter au passage que la Radio nationale ne dispose pas de plus d’une heure hebdomadaire consacrée au monde enseignant et que la Télévision n’en dispose pas du tout, sauf les trente minutes hebdomadaires réservées au jeu du mot le plus long.

4-2- Quelques essais.

La situation précédemment décrite n’est pas le fait de l’indifférence des enseignants à l’introduction du multimédia dans la didactique du français. Ceux-ci sont plutôt ouverts aux innovations et prêts à l’expérimentation comme le montrent les illustrations suivantes.

4-2-1- Le Scribe et le Griot (4).

La collection Le Scribe et le Griot est un recueil de textes poétiques et en prose, accompagné d’une cassette audio. Comme l’indique Johanne Carbonneau dans la présentation des documents, « Le Scribe et le Griot 1 est né de l’adaptation d’une méthode d’apprentissage québécoise proposant une nouvelle approche de la lecture du français. Cette méthode fait appel aux deux modes de communication que sont l’oral et l’écrit (5). »

Cette collection introduite dans le programme de français de la classe de sixième connaît des fortunes diverses. Dans certains établissements des milieux urbains, elle est utilisée tandis qu’elle est presque inexistante dans les écoles rurales.

4-2-2 Exploitation de la publicité à l’école.

La Commission technique d’intervention spécialisée de français (6) a procédé à une expérimentation concernant l’exploitation de la publicité dans les classes du premier cycle de l’enseignement secondaire. La démarche fort concluante a fait ressortir tout l’intérêt insoupçonné que les élèves accordent à l’image et au texte publicitaires.

C’est dire, comme le souligne Frédéric Lambert, « qu’avec l’image mass-médiatique, l’élève comprend que la culture scolaire n’est pas coupée de la culture qu’il consomme à l’extérieur de l’école, du collège ou du lycée (...) L’enfant, l’adolescent ou l’adulte, en analysant l’image, découvre des messages qu’il ne soupçonnait pas ; il apprend, grâce au processus de verbalisation face à l’image, les usages et les fonctions de cette dernière et fait ainsi l’acquisition d’outils théoriques qui lui permettent de comprendre, d’approcher et de relier les cultures auxquelles il est confronté. Culture scolaire, culture mass-médiatique, culture d’origine s’ouvrent ainsi les unes aux autres (7). »

4-2-3- La vidéo en classe de français.

Un groupe d’enseignants de français d’un établissement privé de Cotonou (8) a procédé à la mise en scène d’un récit. Le cours a consisté à visionner la cassette et à reconstituer le texte. Ce travail terminé, le texte initial a été remis aux élèves. Dans l’ensemble, la reconstitution est assez proche du texte initial. Un enseignement en réseau de la grammaire, du vocabulaire, de la conjugaison, et l’organisation d’une séance d’expression orale ont été possibles grâce à cette innovation. Les textes produits par les élèves ont été retenus comme exercice de composition française.

La vidéo utilisée comme support pédagogique a eu l’avantage de captiver et de maintenir l’attention des élèves. Le cours de français réputé ennuyeux est devenu très actif.



Conclusion

Les expériences effectuées montrent visiblement l’intérêt des élèves pour l’utilisation du multimédia dans l’apprentissage du français à l’école. Cet intérêt déjà latent a subitement explosé avec l’envahissement de l’environnement par les nouvelles technologies, notamment dans le domaine de l’information et de la communication.

À notre avis, le débat sur l’utilisation ou non du multimédia dans l’enseignement du français ne peut plus être abordé comme il le fut il y a quelques années. La nécessité d’introduire les technologies avancées dans la didactique du français devient impérieuse. Cela suscite évidemment un certain nombre de problèmes auxquels on ne peut rester indifférent, à savoir : la formation des enseignants et surtout l’équipement. Concernant ce dernier point, il convient de souligner que l’écart entre les pays développés et les pays du Sud devient de plus en plus béant. Il y a lieu, si nous voulons à l’aube du troisième millénaire nous donner la chance de tenir le même langage, que les pays avancés acceptent de participer d’une manière substantielle à l’équipement de nos structures de formation. L’introduction de la radio, de la télévision, de la vidéo dans nos classes ne doit plus rester l’apanage d’une minorité. La familiarisation avec l’outil informatique en vue de son utilisation quotidienne doit devenir une réalité. Ainsi le multimédia complètement démythifié sera utilisé au même titre que le livre et contribuera avantageusement au renforcement des connaissances des apprenants et au rapprochement des peuples.



Notes

(1) Francis Balle, L’école et la télévision in Communication et langage, no 100-101.Editions RETZ 1994 p.80

(2) Frédéric Lambert, Images, langues étrangères in Le français dans le monde, no spécial, juillet 1994, p 35.

(3) Projet Lingua VB. Télématique et didactique des langues.

(4) Collection Le Scribe et le Griot 1, guide d’exploitation pédagogique, ACCT. 1991, 27 pages.

(5) Idem, p.4

(6) La Commission technique d’intervention spécialisée (CTIS) est une commission de l’Institut pour la Formation et la recherche en éducation (INFRE). L’expérimentation sur l’utilisation de la publicité en classe a d’abord fait l’objet d’une recherche publiée dans le no 9 du Feuillet de la CTIS de français.

(7) Frédéric Lambert, Images, Langues étrangères, in Le français dans le Monde, no spécial, juillet 1994, p 38.

(8) Cotonou est la capitale économique du Bénin.

 

Accréditation OING Francophonie

Sommaire des Actes de la XVIIe Biennale

SOMMAIRE DES ACTES DE LA XVIIe BIENNALE


SOMMAIRE

XVIIe Biennale de la langue française Neuchâtel 1997

Multimédia et enseignement du français

Sommaire

Préface de Roland ELUERD



SÉANCE SOLENNELLE D'OUVERTURE

Allocution d'Alain GUILLERMOU

Allocution de Jean-Jacques DE DARDEL

Allocution de Jean GUINAND

Allocution de Denis MIÉVILLE

Message de Sheila COPPS

Message de Hubert VÉDRINE

Message de Stélio FARANDJIS

Message de Xavier DENIAU

Message de Bernard QUÉMADA

Message de Federico MAYOR



I PANORAMA DU MULTIMÉDIA D'ENSEIGNEMENT

Jeanne OGÉE

Jean-Claude GUÉDON

Jean-Alain HERNANDEZ

Adrian MIHALACHE

Micheline SOMMANT

François DELAUNAY

Dominique SOUDAIS

Francis PIOT

Etienne BOURGNON et Alain VUILLEMIN



II. DONNÉES TECHNIQUES, USAGES PÉDAGOGIQUES ET DOCUMENTAIRES

Dominique LAMICHE

Frédérique PÉAUD

André OBADIA

Jean-Paul BUFFELAN-LANORE

Marie-Josée HAMEL et Eric WERHLI

Alain VUILLEMIN

Bernard EMONT


III. ESPACES FRANCOPHONES DU MULTIMÉDIA

Christian ROUSSEAU et Jocelyn NADEAU

Mariana PERISANU

Mioara TODOSIN

Marius DAKPOGAN

Théodore KONSEIGA

Kouaho Elie LIAZÉRÉ

Jean SOUILLAT

Marc MOINGEON

Bernard PÉCRIAUX



IV. IMPLICATIONS CULTURELLES DU MULTIMÉDIA

Jean BUREL

Mohamed TAÏFI

Rabah CHIBANE

Roland DELRONCHE

Claire-Anne MAGNÈS

Gabriela MARCU et Mariana MUNTHIU

Albert DOPPAGNE

Charles MULLER

Petre RAILEANU



V. TV5 ET L’ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS

Arlette NIÉDOBA

Michel PERRIN

Danièle TORCK

Janry VARNEL

Valérie JATON

Jean SAVARD



TABLE RONDE «TV5, la télévision mondiale en français.La langue de l’autre»

animée par Marlène Bélilos avec Roger Francillon, Hugo Lœtscher, Charles Méla et Gilbert Musy


LA SUISSE ET LA FRANCOPHONIE

Jean-Jacques DE DARDEL

Claire LUCQUES

Jean-Marie VODOZ

Urs TSCHOPP



TABLE RONDE «La Suisse et la francophonie»

animée par Catherine Pont-Humbert avec Freddy BUACHE, Jacques CHEVRIER, Charles JORIS et Jacques SCHERRER


SÉANCE DE CLÔTURE

Vœux de la XVIIe Biennale

Discours de clôture d' Alain GUILLERMOU

Discours de clôture de Roland ELUERD

Échos de la XVIIe Biennale

Liste des participants



A la Une

« La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d’un épanouissement sans cesse en progrès. »

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d’Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, Éditions de Fallois, 1998, p. 93